AUKUS sans les sous-marins : l’Australie face à ses choix capacitaires

Le Rubicon en code morse
Déc 20

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L’Australia – United Kingdom – United States Partnership (AUKUS) n’est pas qu’une histoire de sous-marins ou de propulsion nucléaire. Elle sera bien plus que cela avant que ces premiers navires soient mis à l’eau, avec des débouchés bien plus nombreux, plus rapides et plus sensibles dans d’autres domaines. Cette alliance pose en effet la question de la dissuasion nucléaire élargie américaine et du rôle de l’arme nucléaire dans le débat stratégique australien. Elle ouvre la porte à l’acquisition de nouvelles capacités disruptives et place les autorités australiennes face à la révision de leur posture stratégique ainsi que de leur politique capacitaire et industrielle de défense.

AUKUS, bien plus qu’une histoire de sous-marins ou de propulsion nucléaire

Et si, en fin de compte, ce qui nous aura le plus marqué dans cet accord comptait le moins ? Le choix du nucléaire n’est pas qu’une question de propulsion, et il a des implications beaucoup plus larges pour l’Australie et la région.

Il est tout d’abord un symbole des changements entrevus dans le Strategic Update de 2020 du gouvernement Morrison, qui se sont manifestés dans la reformulation des intérêts stratégiques de défense australiens autour du triptyque Shape, Deter, Respond. L’Australie cherche à les mettre en oeuvre principalement à travers des capacités militaires conventionnelles supérieures, ce qui doit conduire à la propulsion nucléaire. Mais la montée en gamme australienne sur certaines technologies, dont les technologies nucléaires  (et sur d’autres aspects de la coopération bilatérale), remet sur le devant de la scène un autre élément important et peu débattu de nos jours de la posture australienne de défense : le rôle de l’arme nucléaire dans la défense australienne qui implique naturellement l’enjeu de la dissuasion nucléaire, garantie par l’allié américain.

Avec cette décision, l’Australie joue volontairement avec l’imaginaire de l’atome pour marquer le durcissement et le basculement de sa relation avec la Chine. Après deux années passées entre mesures de rétorsion et inquiétudes sur l’entrisme chinois, l’Australie montre qu’elle est prête à faire face à la Chine, militairement s’il le faut, en cas de crise, et qu’elle veut se donner les moyens de rééquilibrer une relation qui lui échappait.

Cette nouvelle capacité doit lui permettre de modeler (shape) son espace stratégique, pensé sur l’ensemble de la région indopacifique, et d’avoir des capacités supérieures de projection et de réponse (respond) en situation de menace contre ses intérêts stratégiques.

Les aspects les plus significatifs, et aussi les plus vite ignorés dans ce débat, restent  les implications de ce choix en termes de dissuasion, le deter dans l’équation stratégique australienne. L’Australie cherche bien à acquérir cette capacité à « délivrer des effets dissuasifs » sur les actions allant contre ses intérêts à travers des moyens conventionnels. Ces derniers permettent aussi de renforcer les garanties de sécurité américaine, dont l’assurance de la dissuasion nucléaire élargie.

Marquant la sensibilité du sujet, les autorités australiennes, américaines et britanniques ont vite souligné leur engagement en matière de non-prolifération. L’AUKUS est un accélérateur d’adoption de capacités disruptives pour l’Australie certes, mais cet accord respectera les plus hauts standards en la matière, sous les auspices de l’Agence internationale de l’Énergie atomique (AIEA), et l’option de l’arme nucléaire n’est pas à l’ordre du jour australien.

Toutefois, l’accord implique aussi un nouvel engagement de l’Australie dans le partenariat américain, avec des ramifications dans ce domaine. L’Australie et les États-Unis n’ont pas franchi le pas d’une forme de Nuclear Sharing « à l’européenne » à ce stade. Néanmoins, sous couvert d’une autonomie accrue, l’acquisition de ces nouvelles capacités doit améliorer l’efficacité et la crédibilité de la dissuasion américaine (tant nucléaire que conventionnelle) dans la région, et ainsi positionner davantage  l’Australie sous le parapluie nucléaire américain grâce à de nouvelles formes de coopération opérationnelle et industrielle. Sans véritable débat préalable sur un sujet considéré comme acquis ou désuet, l’Australie doit penser de nouveau sa place dans la dissuasion nucléaire et celle de l’arme nucléaire dans sa défense.

Le retour du débat australien sur la place de l’arme nucléaire dans sa sécurité

Mais l’Australie bénéficie-t-elle vraiment de la dissuasion nucléaire élargie américaine ? C’est le présupposé le plus largement retenu, mais aussi une hypothèse ambiguë au sein de la communauté stratégique australienne elle-même. Dans sa contribution au dossier ANZUS at 70 : past, present and future of the alliance publiée par l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI) le 7 septembre 2021, Rod Lyon, senior fellow à l’ASPI, discute de la perception australienne, caractérisée par un certain degré d’ambiguïté et d’incertitude. Pas prévue explicitement par les textes du traité ANZUS, mais pas exclue non plus, sous-entendue par la doctrine Nixon envers les alliés américains en Asie, mais mise en difficulté par l’application d’un « simple test de proportionnalité », la dissuasion nucléaire étendue est rendue plus complexe par un débat stratégique australien incertain sur la place de l’arme nucléaire dans sa défense.

Dans leur livre blanc de 2016 et le Strategic update de 2020, les autorités australiennes maintiennent un degré d’ambiguïté sur cette question en soulignant le rôle central des États-Unis et de leurs forces nucléaires sans confirmer explicitement le bénéfice de la dissuasion nucléaire américaine élargie, lorsqu’elles disent que « seules les capacités nucléaires et conventionnelles américaines peuvent offrir une dissuasion efficace contre la possibilité d’une attaque nucléaire contre l’Australie ». Le Strategic update marque néanmoins une inflexion en affirmant, avec un grand « mais », la volonté australienne d’être plus autonome pour « délivrer des effets de dissuasion ».

Cette inflexion ne marque pas un détachement des États-Unis, mais le point de départ de nouvelles formes d’engagements réciproques. Jusqu’alors, l’Australie ne s’était pas engagée dans des formes de nuclear sharing sur le modèle européen. Elle a néanmoins choisi d’autres formes de partage du fardeau en hébergeant des moyens techniques de communication stratégique, de renseignement et d’alerte avancée à Pine Gap et à Nurrungar, qui ont un rôle dans le dispositif nucléaire américain encore aujourd’hui pour certains d’entre eux. Malgré les controverses durant les années 1980, l’Australie a aussi été un port d’escale pour la flotte américaine qui était soit à propulsion nucléaire, soit des vecteurs eux-mêmes d’armes nucléaires, durant la Guerre froide.

Au-delà même de cette question de la dissuasion nucléaire élargie, l’Australie s’est aussi posé la question d’acquérir ou non l’arme nucléaire. Si les arguments de la non-prolifération l’ont emporté par le passé, une telle réponse n’avait pas été évidente au départ. Dans son article « The 2016 Defence White paper and extended nuclear deterrence » du 3 mars 2016, Rod Lyon rappelle le débat oublié, mais qui se réimpose aujourd’hui, entre les différentes visions australiennes à ce sujet. Il en identifie ainsi trois : la vision menzienne (du nom du Premier ministre australien Robert Menzies de 1939 à1941, puis de 1949 à 1966), la vision gortonienne (Premier ministre Gorton de 1968 à 1971) et celle des pro-désarmements. La vision menzienne soutient le rôle positif de l’arme nucléaire dans la mesure où elle était détenue par des puissances responsables et « auto-dissuadées » de l’utiliser. L’acquisition de l’arme nucléaire ne devait donc pas être encouragée et aurait, pour le cas de l’Australie, siphonné des ressources limitées et précieuses aux dépens de capacités conventionnelles répondant mieux au contexte stratégique. La traduction de ce choix devait aussi ancrer l’Australie dans un partenariat plus étroit avec les États-Unis pour bénéficier de la dissuasion nucléaire, alors élargie. La vision gortonienne retient quant à elle l’inéluctabilité de la prolifération nucléaire et le caractère « local » de la dissuasion : les grandes puissances détentrices de l’arme nucléaire se limiteraient à l’utilisation de l’arme nucléaire uniquement pour leurs intérêts les plus critiques et n’étendraient donc pas cette dissuasion. C’est pour cela que la vision gortonienne était brandie par ceux qui s’opposaient à la signature du traité de non-prolifération de 1967 pour ne pas lier les mains de l’Australie dans le cas où elle devrait développer ses propres capacités nationales. Les pro-désarmements doutent quant à eux du caractère responsable des puissances nucléaires, mais également de l’extension en pratique du parapluie nucléaire américain et croient en la fragilité d’un système dont tout échec pouvait amener à l’apocalypse, appelant ainsi à son abandon par toutes les parties.

La vision menzienne s’est imposée et se trouve confortée en partie avec l’AUKUS. L’Australie n’acquiert pas d’armes nucléaires, mais franchit un pas supplémentaire dans ses capacités militaires conventionnelles. La montée en gamme générale de l’industrie et des armées australiennes, ainsi que l’émergence, quoiqu’hypothétique à ce stade, d’une filière nucléaire, pourraient néanmoins raviver l’attrait pour la position gortonnienne. Le débat politique et public n’a pas eu lieu à ce sujet jusqu’à présent, de façon assez étonnante. Malgré cela, l’Australie se dote progressivement des capacités pour accueillir des vecteurs de la dissuasion nucléaire américaine. Elle en développe aussi pour opérer ou participer à la production d’autres systèmes d’armes (sous-marins, missiles à longue portée, avion F-35, voire B-21 s’il venait à être fourni à l’Australie). Ces potentiels systèmes d’armes pourraient d’ailleurs fournir la possibilité à l’Australie d’élaborer des arrangements de nuclear sharing si les positions des États-Unis, ainsi que la situation dans la région devaient encore se durcir et évoluer.

Le choix du gouvernement Menzies de ne pas développer sa propre arme nucléaire n’était pas non plus inconditionnel à l’époque. Dans l’article « Australia and Nuclear affairs » publié dans Pacific Affairs au printemps 1965, Henry S. Albinski revient sur la position du Premier ministre Menzies pour exposer les conditions sous lesquelles l’Australie aurait pu revenir sur cette décision. L’argument de l’époque pour un tel revirement était déjà lié à Chine. L’acquisition par celle-ci de sa propre arme nucléaire dans les années 1960 pouvait justifier une révision de cette approche et a été un élément longuement débattu avant la décision australienne de signer le TNP. Avant même la question de l’hébergement d’actifs américains directement ou indirectement liés à la dissuasion nucléaire américaine, l’Australie s’était gardée jusqu’alors de démanteler les installations d’essais nucléaires de Maralinga où le Royaume-Uni avait procédé à ses propres tests nucléaires dans les années 1950, dans le cas où elle aurait voulu développer son propre programme.

Démonstration de force australienne et américaine face à la Chine en Indopacifique, sur fond de dissuasion nucléaire élargie

Ce soupçon que l’AUKUS n’est pas qu’une affaire de propulsion nucléaire est aussi renforcé par les autres aspects de la coopération entre les États-Unis et l’Australie, marquée par un déploiement des symboles de la dissuasion de plus en plus ostentatoire, qui tourne à la démonstration de force dans la compétition stratégique entre les États-Unis et la Chine. Sur le plan opérationnel, les Australiens ont démontré encore durant l’été dernier leur capacité à accueillir les bombardiers furtifs B-2, autre symbole de la puissance nucléaire américaine, et à opérer avec eux. Les rumeurs de nouveaux déploiements de bombardiers B-52 en Australie continuent d’agiter ces symboles de puissance à la fois conventionnels et nucléaires avec un certain degré d’ambiguïté pour répondre aux provocations chinoises perçues dans l’Indopacifique ces dernières années.

Les projets d’investissement australiens dans de nouvelles bases navales pour sa future flotte de sous-marins (plus de 10 milliards de dollars australiens) vont permettre à l’Australie de continuer à accueillir les sous-marins à propulsion nucléaire britanniques et américains et à renforcer ces capacités d’accueil, contribuant ainsi aux opérations dans l’éventualité d’une crise ou d’un conflit avec la puissance chinoise. Les assurances apportées à l’AIEA et validées par cette dernière sur les risques de prolifération n’empêcheront pas les autres développements mentionnés, qui ont des effets sur l’efficacité et la crédibilité de la dissuasion conventionnelle et nucléaire américaine dans la région.

Cette situation a bien été identifiée par la Chine qui cherche à l’instrumentaliser à son tour. La conférence de révision du Traité sur la Non-Prolifération lui a permis d’exprimer ses inquiétudes à ce sujet. La Chine a soutenu que le partenariat entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni ouvrait la voie au transfert d’autres capacités nucléaires dans la région de l’Indopacifique pour le futur En pointant du doigt le maintien du dispositif nucléaire américain en Europe en coopération avec les pays européens et en condamnant le nuclear sharing, la Chine tente de faire un parallèle avec sa propre situation régionale. Elle cherche à démontrer que l’acceptation du transfert de technologies sensibles nucléaires (même si cela n’implique pas l’arme atomique elle-même), ou encore le déploiement de forces militaires américaines liées à la dissuasion nucléaire en Australie, pourraient mener à un nuclear sharing à « l’européenne ».

Le défi du choix des moyens pour l’Australie

Ce choix du nucléaire pèsera sur les choix plus industriels et capacitaires australiens pour les décennies à venir. L’accord AUKUS doit d’ailleurs accélérer le développement et le déploiement de capacités militaires disruptives, que ce soit dans le cyber, le quantique ou les missiles hypersoniques. Dirigeants politiques et chercheurs australiens conviennent à haute voix que les premiers résultats de l’AUKUS auront lieu dans ces domaines. Mais ce choix a remis en cause une politique industrielle de défense que l’actuelle revue stratégique du gouvernement Albanese devra remettre à plat.

Cette révision se fera sous de multiples contraintes. Contrainte financière tout d’abord, car des ressources importantes devront être dédiées à équiper la nouvelle flotte de sous-marins, à trouver une solution intérimaire, à construire de nouvelles infrastructures pour cette flotte et celle de ses alliés, mais aussi à financer tous les autres programmes militaires en cours et à venir, dont certains promettent de ne pas être moins coûteux. En consacrant 2% de son PIB à la Défense, l’Australie va devoir décider si cette enveloppe est suffisante, ou comment parvenir à tout faire entrer dans ce cadre.

La solution aux contraintes industrielles et humaines passera aussi par des réponses au problème d’échelle de l’industrie australienne de défense, qui aura besoin d’investissement et de croissance pour mener des projets industriels massifs, tout en assurant la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée, spécialisée et fidélisée en quantité suffisante pour couvrir un très large spectre d’opérations, bien au-delà du simple armement de sous-marins.

A l’instar des autres pays occidentaux qui ont décidé de se réarmer, l’Australie doit prendre cette revue comme l’opportunité de reconnecter ses ambitions géostratégiques avec des réalités économiques, politiques, militaires et industrielles.

Les choix australiens tendent actuellement vers un modèle des plus classiques, en renouvelant nombre de capacités dans les domaines des chars, véhicules blindés chenillés et à roues, frégates, sous-marins, hélicoptères, avions de combat de dernière génération. Outre le défi posé par la volonté de favoriser au maximum le made in Australia, ce grand moment capacitaire en Australie nourrit toutefois le débat sur l’opportunité des choix actuellement privilégiés.

Le débat n’est pas nouveau en Australie. Les voix s’élèvent depuis un certain temps pour questionner cette préparation à la « guerre du passé ». Le choix de l’acquisition d’hélicoptères Apache pour remplacer les hélicoptères Tigre est l’illustration de cette situation.  Avant l’annonce de cette décision, une étude de l’Australian Strategic Policy Institute réalisée par Marcus Hellyer soutenait l’option du maintien de la flotte d’hélicoptères Tigre, avec un programme limité de maintenance et de modernisation beaucoup moins cher que l’acquisition de nouveaux hélicoptères américains, afin d’investir plutôt dans une nouvelle génération de systèmes de drones et de munitions guidées en tirant parti d’un tissu industriel australien en plein développement dans ces domaines.

Dans les domaines avancés, l’Australie compte développer de nouvelles capacités devant répondre à certains des défis de demain. Dans le domaine terrestre, BAE Systems Australia est aux avant-postes dans la recherche et le développement de la robotisation de véhicules blindés avec l’Australian Army. Avec Boeing Australia, l’Australie développe aussi le MQ-28 Ghostbat, un drone de combat qui doit épauler les forces aériennes australiennes avec des capacités de renseignement, voire de frappes. L’Américain Anduril fait de plus son entrée sur le marché australien en proposant de codévelopper des drones sous-marins, tandis que l’Australien Ocius propose une solution de drones de surface capables de fournir des capacités de surveillance et de renseignement de longue endurance sur les océans.

À travers le Sovereign Guided Weapons and Explosive Ordnance Enterprise et les commandes de nouvelles gammes de missiles, l’Australie a aussi fait le choix d’investir dans le développement de capacités souveraines de production de missiles et de munitions guidées, avec des capacités de frappe à longue portée, pour la décennie à venir. Ce programme prévoit notamment un investissement d’au moins un milliard de dollars australiens dans les capacités de production nationale pour cette catégorie d’armement. Le pays cherche ainsi à renouer avec des capacités de frappes dans la profondeur qui doivent contribuer à sa capacité de se projeter au loin dans la région indopacifique et ainsi qu’à l’alliance avec les États-Unis. La volonté australienne de se doter de capacités de frappes à longue distance en développant une industrie domestique du missile peut avoir des résultats à courte échéance bien plus importants que la mise à flot d’une nouvelle flotte de sous-marins d’ici 2040. C’est un projet moins risqué technologiquement qui peut en théorie profiter de l’intégration avec l’allié américain, puisque les filiales locales de Lockheed Martin et de Raytheon seront les fers de lance de ce programme.

L’intégration des industries australiennes de défense dans les chaines d’approvisionnement américaines sera aussi cruciale pour la réalisation des futures capacités militaires australiennes. C’est le cas pour le F-35, et cela devrait être en grande partie le cas pour les missiles.

Si cet argument devait guider ses autres choix, l’Australie pourrait privilégier à court terme d’autres capacités sûrement plus atteignables. L’hypothèse d’un accès au futur bombardier américain B-21, qui est évoquée dans les médias, lui permettrait de se projeter plus rapidement, plus sûrement et plus loin en Asie comme elle semble vouloir le faire avec ses futurs sous-marins nucléaires. Pour une Amérique déjà prête à partager ses secrets technologiques de pointe comme la propulsion nucléaire, le partage de cette autre capacité ne devrait pas être rédhibitoire dans l’absolu. L’Australie avait autrefois une flotte d’avions F-111 dédiés aux opérations de frappe maritime et terrestre à long rayon d’action. En réacquérir une a peut-être du sens dans le nouveau contexte international tel qu’elle le perçoit. En outre cette option est plus accessible pour son industrie, qui a déjà l’expérience de l’intégration avec le projet F-35, et pour ses armées, qui n’auront pas à attendre vingt ans pour en disposer.

Une histoire de sous-marins malgré tout

Ainsi, l’accord de l’AUKUS n’est pas qu’une histoire de sous-marins nucléaires. Il est avant tout une histoire de choix capacitaires qui se retrouvent aujourd’hui fortement contraints par cette décision coûteuse et hautement complexe. Le défi pour les autorités australiennes est de ne pas être entraînés dans une direction qui limiterait les capacités opérationnelles de ses armées, contraintes de réduire la voilure ou de se priver de certains systèmes tout aussi critiques, voire plus, pour son environnement stratégique. En outre, elles doivent faire attention à ne pas empêcher le reste de son industrie de se développer là où justement elle est déjà la plus forte et la plus prometteuse.

Les atermoiements autour des sous-marins maintiennent néanmoins la question de l’avenir de la flotte sous-marine en suspens. Le gouvernement australien dévoilera dans les prochains mois ce à quoi elle ressemblera. Quoi qu’il arrive, la Royal Australian Navy devra gérer sur les deux à trois prochaines décennies une flotte composée de trois classes de sous-marins, entre ses Collins en fin de vie, sa solution intérimaire et le développement de sa nouvelle flotte de sous-marins nucléaires. La Marine australienne est réticente à cela, mais cela sera sa réalité.

Cette contrainte pourrait se transformer en opportunité en prenant acte de cette situation et en envisageant de spécialiser sa flotte de sous-marins : une flottille plus réduite de sous-marins à propulsion nucléaire, avec des capacités de frappe conventionnelle dans la profondeur, pour se projeter vers la Chine, combinée à une flottille de sous-marins conventionnels, moins onéreux, pouvant être acquise plus rapidement, spécialisée dans les opérations dans son voisinage proche qui est de plus en plus exposé par la projection de la marine chinoise dans cette région. Cette approche pourrait être complétée par le développement de drones sous-marins ou de surface leur permettant d’acquérir une masse critique plus importante.

Cette option permettrait de simplifier la donne capacitaire australienne. Elle pourrait ainsi garder les moyens pour investir dans d’autres capacités, bien plus facilement accessibles et maitrisables pour elle à court et moyen terme, tout en étant aussi disruptives et critiques pour dissuader, tant qu’elle le peut, et agir si besoin dès demain.

 

 

Crédits photo : Gnangarra

Auteurs en code morse

Didier Rafidiarimanda

Didier Rafidiarimanda (@didierrafi) a travaillé auprès de l’industrie australienne de défense dans le cadre de la stratégie australienne d’exportation de défense entre 2019 et 2022. Aujourd’hui responsable France au sein d’une société d’intelligence stratégique, il s’est spécialisé dans ce domaine pour les industries de la Défense, de l’Aérospatial et de l’Energie. Il tient le blog Defense Identity portant sur les questions de défense, de relations internationales et de géopolitique.

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