Le « deux poids, deux mesures » des politiques étrangères du Mexique et du Brésil

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Juil 26

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Cet article est la traduction de « Mexico and Brazil’s Double Standards in their Foreign Policy », publié par le German Council on Foreign Relations (DGAP, Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik) le 14 mars 2023.

 

En observant les politiques étrangères des États d’Amérique latine depuis l’Europe, l’on se pose souvent la question de savoir si ces politiques sont fondées par des principes généraux ou des normes plutôt que sur des appréciations opportunes et pragmatiques. Les gouvernements européens ont l’habitude d’être accusés, parfois à juste titre, d’appliquer une politique étrangère à « deux poids deux mesures ». Il semble cependant qu’en matière de double standards, certains gouvernements latino-américains égalent ou surpassent les politiques critiques suivies par les Européens. Deux illustrations sont ici saisissantes.

 

AMLO et son ingérence sélective

Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) est connu pour être un fervent défenseur de la non-ingérence dans les affaires des autres États d’Amérique latine. Par conséquent, il n’a pas critiqué les violations massives des droits de l’homme ou l’expatriation forcée de Nicaraguayens. Il ne s’est pas non plus intéressé à la légitimité du régime de Daniel Ortega, qui a emprisonné tous les candidats sérieux de l’opposition avant les dernières élections, puis a violemment réprimé les manifestations populaires, faisant de nombreux morts.

Cependant, AMLO a récemment pris position au sujet des affaires d’un autre État latino-américain. Après le coup d’État télévisé et déjoué de Pedro Castillo, suivi de sa destitution par le Congrès, l’ancien président du Pérou a été emprisonné et une peine doit être prononcée. AMLO considère que Castillo est une victime et le nouveau gouvernement péruvien est illégitime. Bien que les actions du gouvernement péruvien dans la répression des manifestations et l’attitude du Congrès qui a décidé de ne pas convoquer d’élections anticipées puissent être critiquées, selon AMLO, l’histoire ne doit pas être réécrite. Castillo n’a pas échoué parce qu’il était de gauche, mais à cause de son incompétence. Il a été élu comme le moins insatisfaisant des deux candidats qui, à eux deux, n’ont obtenu que 32% des voix au premier tour. Castillo a perdu son poste parce qu’il a tenté d’organiser un coup d’État.

D’une part, AMLO montre de l’indulgence envers un ancien révolutionnaire qui a établi un régime personnaliste autocratique dans la plus pure tradition héritée de Somoza. D’autre part, AMLO défend un putschiste, ce qui provoque des dommages collatéraux. On observe notamment une crise au sein de l’Alliance du Pacifique, l’une des rares organisations régionales qui avaient, jusqu’à présent, bien supporté les changements d’orientation politique des gouvernements de ses pays membres. Le gouvernement mexicain refuse désormais de céder la présidence pro tempore de l’Alliance du Pacifique au gouvernement péruvien.

 

Lula da Silva et le conflit ukrainien

Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva souhaite devenir un médiateur dans le conflit ukrainien. Lors de la visite du chancelier allemand Olaf Scholz au Brésil en janvier, Lula a fermement rejeté la livraison de munitions à l’Ukraine pour les chars antiaériens de fabrication allemande utilisés par l’armée ukrainienne, qui ne sont pas des systèmes d’armes offensives, mais qui peuvent repousser les frappes aériennes contre la population civile. On peut alors se demander s’il n’est pas moralement répréhensible de refuser un tel soutien à un pays attaqué et qui lutte pour sa survie, dans le contexte d’une offensive manifestement contraire au droit international. Peu de temps après, au début du mois de mars, le même gouvernement brésilien a autorisé les navires de guerre iraniens à entrer dans le port de Rio de Janeiro. L’Iran est un pays qui soutient la Russie dans le conflit ukrainien avec des armes (des drones) et opprime brutalement sa propre population, en particulier les femmes.

Revenons à la question du Nicaragua. Le long silence de Lula et de son gouvernement sur l’expatriation forcée des Nicaraguayens montre que la défense de la démocratie et des conventions internationales sur les droits de l’homme ne joue qu’un rôle secondaire dans la politique étrangère du nouveau gouvernement brésilien. Récemment toutefois, le 7 mars, le Brésil est sorti de son silence lorsque son ambassadeur auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève, Tovar da Silva Nunes, a exprimé « la profonde préoccupation de son gouvernement face à la décision des autorités nicaraguayennes de priver plus de trois cents Nicaraguayens de leur nationalité » et aux « informations faisant état de graves violations des droits de l’homme et de restrictions à l’espace démocratique, à savoir des exécutions sommaires, des détentions arbitraires et de la torture ». Cependant, contrairement à d’autres pays d’Amérique latine (comme le Chili et la Colombie), le Brésil n’a pas approuvé une déclaration conjointe de 55 gouvernements sur la situation des droits humains au Nicaragua.

Si parfois il peut être avantageux de ne pas prendre position sur des questions de politique étrangère difficiles et controversées, une puissance régionale est toutefois censée établir des normes pour la région. À cet égard, Lula a déjà déçu lors de ses précédentes présidences en faisant preuve d’une certaine tolérance à l’égard des tendances autoritaires du camp de gauche.

Cela a conduit à la crise et à la paralysie de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) et de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC). Au Conseil des droits de l’homme, le gouvernement brésilien a finalement proposé d’étudier la possibilité d’un dialogue constructif entre le gouvernement nicaraguayen et les acteurs concernés. Cependant, la question se pose de savoir qui devraient être ces interlocuteurs : les partis politiques interdits et dissous et les organisations de la société civile, ou les personnalités de l’opposition expatriée ? L’initiative du Brésil est trop tardive, et il n’est pas sûr que le gouvernement nicaraguayen soit intéressé par ces propositions de dialogue et de médiation.

Il y a, bien sûr, des exceptions louables de gouvernements latino-américains de gauche qui ont une politique basée sur des principes et sur la défense des droits de l’homme. Dans ces États, l’application de la politique ne dépend pas de l’orientation politique (droite ou gauche) du gouvernement qui a violé ces droits. Ce sont des gouvernements de la nouvelle gauche. Le gouvernement colombien, par exemple, a adopté une position sans équivoque à l’égard du Nicaragua. Cependant, la réaction la plus claire et la plus rapide a été celle du gouvernement chilien du président Gabriel Boric, qui n’aurait sans aucun doute pas non plus autorisé les navires de guerre iraniens à entrer dans les ports chiliens, en raison d’une position claire sur le conflit en Ukraine et par respect pour les femmes iraniennes.

Les politiques étrangères ambiguës du Brésil et du Mexique, voire erratiques pour le second, donnent l’impression d’un manque de principes qui ne facilite pas les processus de coopération et d’intégration régionaux. Par conséquent, il y a un risque que l’approfondissement de la coopération régionale entraîné par cette nouvelle « marée rose » se termine de manière aussi décevante que la précédente qui a vu les normes démocratiques finir par être diluées.

 

Crédit photo : Palácio do Planalto – Photographe : Ricardo Stuckert/PR

Auteurs en code morse

Detlef Nolte

Le Prof. Dr. Detlef Nolte est membre associé du DGAP depuis juin 2019. Il est professeur de sciences politiques à l’Université de Hambourg, membre honoraire de l’Instituto de Iberoamérica de l’Université de Salamanque et chercheur associé du GIGA German Institute of Global and Area Studies à Hambourg. Il est également membre du conseil consultatif scientifique de GRIDALE (Grupo de reflexión sobre integración y desarrollo en América Latina y Europa) ainsi que des conseils consultatifs académiques de plusieurs revues. Il a été professeur invité à l’Université de Sao Paulo (USP), à l’Université catholique de Santiago du Chili, à FLACSO Argentine et à l’Université del Salvador à Buenos Aires.

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