La perception de la France par les pays baltes : quels obstacles pour parvenir à un rapprochement sécuritaire ?

Le Rubicon en code morse
Juil 11

Abonnez-vous

Le président Macron a fait récemment un pas important vers l’Europe de l’Est. À Bratislava lors du Forum GLOBSEC, il a su trouver les mots justes pour répondre à certaines préoccupations sécuritaires majeures qu’ont les capitales de cette région. Le président s’est notamment dit en faveur de « garanties de sécurité tangibles et crédibles » pour l’Ukraine, qui devraient être décidées d’ici le sommet de l’OTAN à Vilnius. La position de la France en faveur d’une « éventuelle adhésion » de Kyiv à l’Alliance atlantique doit toutefois encore se concrétiser. Pour autant, les signes témoignant d’un soutien politique plus prononcé de Paris pour l’Ukraine renforcent déjà l’attente que la guerre de la Russie contre l’Ukraine conduira à l’émergence d’une « Europe nouvelle », qui sera à la fois plus puissante et résiliente.

Afin de réussir ce projet, ni l’axe Paris-Berlin ni, plus généralement, « le dialogue entre Européens de l’Ouest » ne suffisent plus. Le rapprochement de la France avec les pays d’Europe de l’Est, y compris les États baltes, semble ouvrir la voie à une nouvelle approche en matière de sécurité européenne. Même si les préoccupations sécuritaires des pays baltes reflètent largement celles du flanc oriental en général, leur petite taille, leur position géographique et la présence des minorités russes sur leur territoire (notamment en Estonie et en Lettonie) les rendent particulièrement vulnérables face à la menace russe et donc fermes vis-à-vis de Moscou.

En matière de sécurité et de défense, certes, les relations entre la France et chacun des États baltes sont loin d’être identiques (par exemple a contrario de Riga et de Vilnius l’Estonie participe activement à l’Initiative européenne d’Intervention, mise sur pied par Paris). Pour autant, pour des raisons, historiques, géographiques, ou encore économiques, ces pays présentent plus de similitudes que de différences. Considérer le trio balte comme un « cas d’étude singulier » permet de souligner à la fois la spécificité et la solidité de leur approche sécuritaire.

Dans cet article, je propose trois sujets qui peuvent encore susciter de la réticence chez les États baltes dans le cadre d’une dynamique de rapprochement sécuritaire avec la France. Il s’agit d’abord de l’autonomie stratégique européenne en matière de défense, de l’architecture sécuritaire future de l’Europe, et enfin de la vision française d’un monde multipolaire. Chacun de ces sujets représente des défis spécifiques qui, s’ils sont relevés, peuvent appuyer ladite dynamique.

 

Une autonomie stratégique européenne qui pose problème 

Parmi les pays européens, les États baltes peuvent être considérés comme les plus « atlantistes ». Pour eux, la sécurité de l’Europe repose avant tout sur une coopération étroite et un alignement avec les États-Unis. Cette orientation (géo)politique découle de circonstances historiques particulières, telles, notamment, le rôle de Washington dans la chute de l’Union soviétique et, donc, le recouvrement de l’indépendance des nations baltes, ainsi qu’une intégration euro-atlantique accélérée de ces dernières. Selon le « calcul stratégique » des pays baltes, leur sécurité nationale est mieux protégée face à la Russie par la présence (militaire et politique) américaine en Europe plutôt que par les puissances européennes.

Dans le discours politique français, l’autonomie stratégique européenne semble souvent prendre les apparences d’une ligne d’action qui devrait permettre à l’UE de se distancier, si nécessaire, de la politique américaine. La récente déclaration (en avril 2023) du président Macron qu’ « être allié ne signifie pas être vassal », faite en référence à la position de Washington sur Taiwan, a pu être perçue comme l’expression d’une éventuelle distanciation. Le cas lituanien est ici particulièrement intéressant, car il offre un exemple qui contraste avec la position française. On peut rappeler la décision du gouvernement lituanien de donner son feu vert à l’ouverture, en 2021, d’un bureau de représentation de Taïwan à Vilnius, ce qui a ensuite suscité « le courroux de la Chine » envers la Lituanie. La décision de la Lituanie était motivée, entre autres, par son alignement sur la position ferme des États-Unis à l’égard de la Chine.

Dans les États baltes, l’autonomie stratégique européenne est perçue comme un risque potentiel pour la coopération transatlantique, y compris pour les garanties de sécurité de Washington pour le flanc est. En outre, aucune alternative crédible pour remplacer Washington n’est en vue, la sécurité européenne continuant à dépendre des États-Unis. C’est aussi dans cette optique de sécurité dite « dure », par exemple, que les efforts diplomatiques du président Macron visant à renouer le dialogue entre l’Europe et la Russie au cours des années (et même des jours) précédant la guerre étaient perçus par les capitales baltes comme « déconnectés de la réalité et donc dangereux ».

La référence au « potentiel » du projet d’une Europe autonome (ou souveraine) à affaiblir l’engagement américain pour le continent permet de souligner un aspect important de ce projet, souvent négligé tant dans les discussions politiques que dans les milieux académiques. En matière de défense, le message politique concernant la notion d’autonomie stratégique peine en effet à l’articuler en des termes concrets, en dehors de la base industrielle et technologique. Il peut être intéressant de rappeler, par exemple, que la communication de la Commission européenne de 2013, qui consacre l’« autonomie stratégique », fait référence à cette dernière dans un contexte qui est précisément celui de l’industrie de défense.

Le soutien ferme de la France au projet d’une Europe autonome a ainsi souvent le désavantage d’être perçu dans les capitales baltes comme une tentative du pays de promouvoir les intérêts de son industrie de défense (qu’elle soit purement française – Dassault, Thalès – ou plus généralement européenne tel Airbus ou encore MBDA). Le « pilier européen au sein de l’OTAN » que le président français a évoqué à Bratislava est aussi important dans ce contexte. Pensé désormais par le chef de l’État comme compatible avec la notion d’autonomie stratégique, il a gagné rapidement en importance dans le discours du président en raison de son potentiel à renforcer la base industrielle de défense européenne, domaine où l’industrie française joue un rôle majeur. Pour les pays baltes, si ce pilier était à construire, il devrait d’abord être défini en des termes non pas économiques, mais stratégiques.

Même lorsque le chef de l’État reconnaît que la défense antiaérienne de l’Europe est « un sujet stratégique avant d’être un sujet de capacité industrielle », il lui est difficile d’évacuer les intérêts de l’industrie de défense française. Ainsi, la forte réticence française vis-à-vis du projet européen de défense antiaérienne Sky Shield peut être interprétée comme une critique portant sur les acquisitions d’équipements réalisées par les pays participants. Les acquisitions en cours ou envisagées excluent le système antimissile franco-italien SAMP-T et reposent au contraire sur les systèmes de défense américains Patriot. Pour les États baltes, qui participent tous au projet Sky Shield et y attribuent une valeur stratégique en matière de sécurité, la réaction française risque en effet de paraître comme étroitement liées à la volonté de la France de promouvoir les intérêts de son industrie de défense. De plus, la posture de défense nucléaire française, reste pour le moins ambigüe en ce qui concerne l’engagement de la France pour la défense extranationale, ce qui renforce la perception de l’attachement de Paris à ses seuls intérêts souverains.

Pour autant, la réticence, cette fois-ci, des États baltes à considérer l’autonomie stratégique européenne comme un projet politique ne les empêche cependant pas de s’engager concrètement dans les avancées en matière de défense européenne, notamment depuis 2016. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie sont par exemple toutes impliquées dans la Coopération structurée permanente (PESCO), qui leur permet de faire valoir leur expertise. Le projet dirigé par la Lituanie a notamment conduit au développement d’une capacité en matière de cybersécurité, qui a été la première à être activée en 2022. La mobilité militaire est un autre aspect clé de la défense européenne, apprécié par les pays baltes, d’autant plus que cette initiative est parfaitement compatible avec le dispositif de l’OTAN et contribue à renforcer ce dernier. La Facilité européenne pour la paix (FEP), instrument financier, est elle aussi un exemple particulièrement pertinent, car elle encourage le transfert d’armes depuis les États membres de l’UE vers Kyiv.

Il serait effectivement difficile pour les capitales baltes de mettre en question les avancées en matière de défense européenne ou d’en négliger l’importance pratique. Ces avancées ont permis aux États membres de l’UE de se concentrer sur leurs propres besoins de défense et de sécurité, comme en témoigne, en plus des exemples précités, le Fonds européen de défense, qui vise à renforcer la compétitivité et l’innovation de l’industrie européenne de la défense en facilitant la mise en commun des ressources et une coopération transnationale plus étroite. Plus la base industrielle et technologique de défense européenne est performante, plus elle contribue au renforcement de la défense européenne, et, par extension, de la défense assurée par l’OTAN. Ce sujet est relativement peu développé sur le plan académique, si ce n’est, récemment, dans le champ de l’économie politique.

L’émergence de pratiques communes et la convergence des mentalités en matière de défense européenne s’imposent comme une réalité incontournable, y compris pour les États baltes. Cette construction de la défense européenne « par le bas » n’est pas incompatible avec le projet d’autonomie stratégique de l’Europe et peut constituer un terrain de rapprochement effectif franco-balte.

 

Quels moyens pour renforcer la sécurité européenne ?

Le deuxième sujet porte sur les modalités pour renforcer la sécurité en Europe. De manière générale, et particulièrement dans le contexte de la guerre en Ukraine, pour les États baltes, cet enjeu est directement lié à leurs intérêts vitaux, notamment la prévention d’une éventuelle agression russe. Il n’est donc pas surprenant que ce groupe de pays soutienne la posture stratégique la plus ferme de l’OTAN envers Moscou, y compris en exprimant leur soutien à la concrétisation des étapes d’adhésion de l’Ukraine dans l’Alliance. De plus, pour ce groupe de pays, l’action internationale devrait s’efforcer de rendre la Russie vulnérable sur le plan militaire et de la maintenir isolée sur d’autres fronts. La fermeté de la position des pays baltes se manifeste par leur refus de considérer les intérêts de Moscou. Or durant une grande partie de la guerre, la France semblait quant à elle privilégier une approche fondée sur sa tradition diplomatique de dialogue et de médiation.

Dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine, le président Macron s’est en effet distingué par une ouverture politique plus marquée que celle des autres États européens (ou des États-Unis). Il s’est montré disposé à écouter et à dialoguer avec Poutine. Plus encore, il partageait les inquiétudes du président russe concernant les conséquences potentiellement néfastes d’une supposée humiliation de la Russie, et évoquait la crainte exprimée par Poutine de voir l’OTAN se rapprocher de ses frontières. Les incohérences de cette position, qu’elle mette l’accent sur l’humiliation ou les craintes de Poutine envers l’OTAN, ont déjà été vivement contestées par nombres d’analystes et d’universitaires. Le dialogue voulu par le président français avec Moscou renforce donc la thèse sur l’ambition de Paris d’assumer un rôle d’interlocuteur égal aux côtés des puissances américaine et russe.

Cependant, à Bratislava, la position du président Macron semble avoir évolué. Certains observateurs l’ont décrit comme étant plus ferme, dans la mesure où il a parlé de la nécessité de « garanties de sécurité tangibles et crédibles » pour l’Ukraine et d’« une voie vers l’adhésion [à l’OTAN] » pour Kyiv. Entre autres, il a également évoqué l’éventualité d’une « contre-offensive efficace » de l’Ukraine comme condition indispensable pour parvenir à une paix « choisie et donc durable » en Europe. Le « [s]outien fraîchement exprimé de la France à l’élargissement de l’UE », y compris le souhait du président Macron de voir l’élargissement se produire « le plus vite possible », a été identifié comme un autre élément important d’une position française renouvelée. Le discours de Bratislava se démarque en fait de ce que l’on croyait savoir sur la position du président français concernant la sécurité de l’Europe de l’Est, car il offre un aperçu global de sa vision sur la région.

Il s’agit là de considérations politiques importantes, notamment en ce qui concerne les pays baltes. Plus les garanties de sécurité accordées à l’Ukraine ainsi qu’au flanc est sont significatives et crédibles, plus la Russie apparaîtra affaiblie (et isolée) aux yeux des pays de l’Europe de l’Est plus généralement. La position de la France en faveur de l’extension des garanties de sécurité à l’Ukraine, y compris son potentiel engagement à prévenir toute future agression de la Russie, promet de rapprocher Paris des préoccupations du flanc oriental. Or c’est « le soutien explicite » de la France pour l’adhésion de Kyiv à l’OTAN qui signalerait une prise en compte entière des préoccupations des pays baltes, ceux-ci s’estimant les plus vulnérables face à la menace russe. La question des garanties de sécurité, d’ailleurs, revêt une importance cruciale en raison de la totale perte de crédibilité de la Russie quant au respect de ses engagements internationaux.

De plus, la perspective d’une UE élargie semble cohérente avec la position selon laquelle l’élargissement est devenu une « nécessité géopolitique » : il est essentiel de dissuader la Russie de considérer tout territoire se trouvant entre l’UE et elle-même comme une « zone grise ». Les éléments théoriques proposés par Pierre Haroche fournissent une perspective éclairante, permettant de considérer les « élargissements de l’UE et de l’OTAN à l’Ukraine » comme des investissements de plus en plus judicieux, car « la valeur de l’Ukraine pour l’Occident » a considérablement accru depuis le début de la guerre menée par la Russie. En effet, Kyiv a efficacement assuré la protection de l’Europe, une réalité qui a été également appréciée par le président français à Bratislava.

Or les mots doivent se traduire en des actions. La question se pose, par exemple, sur la cohérence de la position française. Par rapport à l’année 2019, où le président Macron considérait l’OTAN comme étant en « état de mort cérébrale », Bratislava représente une étape positive. Mais il est encore difficile de savoir si le Forum GLOBSEC illustre une « véritable évolution », et non un simple un « coup » diplomatique. Quand le président Macron suggère que l’Europe n’a « pas engagé la Russie dans un dialogue de sécurité », ayant « délégué ce dialogue à l’OTAN », et que cela « n’était pas sans doute le meilleur moyen », sa crédibilité s’affaiblit dans la région. Car, pour les États baltes, c’est grâce aux garanties de sécurité de l’OTAN qu’ils sont protégés contre une invasion de la Russie. La longue liste de menaces (y compris le flanc oriental, mais aussi la Méditerranée, le cyber, le spatial, ou le maritime), que le président français a énumérées lors de son discours, risque de diminuer la priorité de l’engagement de Paris en matière de renforcement des dispositifs alliés. À la suite de la guerre en Ukraine, la France est effectivement devenue la nation-cadre d’un bataillon multinational de l’OTAN en Roumanie. Elle a également envoyé des troupes supplémentaires en Estonie et déployé, sur une base rotative, des Rafales afin de renforcer la mission de police aérienne en Lituanie. Cependant, les effectifs des troupes françaises sur le flanc oriental demeurent nettement inférieurs à ceux déployés par l’Allemagne, et encore plus limités par rapport aux troupes américaines.

 

Quel ordre multipolaire ?

Le dernier sujet relève de la vision française d’un monde multipolaire, considéré comme inclusif et « fécond » par Paris. Cette vision pose problème pour un rapprochement entre la France et les États baltes, car, comme déjà mentionné précédemment, ces derniers sont attachés au système international dit « unipolaire », caractérisé par la puissance américaine. En plus, l’idée de multipolarité pourrait être considérée comme l’une des sources qui favorisent l’émergence de points de convergence entre Paris et Moscou.

Pendant la Guerre froide, la vision française d’un monde multipolaire s’exprimait à travers le discours sur l’indépendance. De Gaulle en était la figure  emblématique, incarnant la possibilité d’une politique étrangère singulière, celle qui permettait au pays de se démarquer des actions des deux blocs. La France occupait effectivement une position privilégiée pour s’engager politiquement avec des régions et des pays éloignés.

Pourtant, la quête, par la France, d’une multipolarité après l’effondrement de l’URSS n’a pu être articulée que par opposition à l’« hyperpuissance » américaine, d’où une dérive curieuse : ainsi, selon l’expression du président Chirac, « La France et la Russie partagent une vision commune de l’avenir […], une vision particulière d’un monde multipolaire qui tient pleinement compte de la fin de la guerre froide et de [la] réunification du continent européen ». Au début des années 2000, la France, forte de son capital singulier en politique étrangère, a pu mener aux Nations Unies la campagne contre l’intervention américaine en Irak, se retrouvant à promouvoir indirectement un « axe Paris-Berlin-Moscou-Pékin » (des plus incertains et nébuleux). Or la politique étrangère de la France n’a jamais été anti-américaine.

Ces quelques rappels, quoique connus du public français, sont intéressants, car ils permettent d’avancer l’hypothèse suivante : pour la France, bien que son « génie » national fût une condition nécessaire, il était cependant insuffisant pour prétendre au statut d’une « puissance d’équilibre(s) » (ce terme, objet de critiques, est utilisé ici pour désigner le discours politique français et renvoie plus largement à l’idée de l’exceptionnalisme français en matière de politique étrangère). Le statut d’une telle puissance était également le résultat de l’ordre mondial, en particulier de sa stabilité (relative).

Dans ce contexte de stabilité, la France pouvait solliciter des soutiens afin de peser sur des questions internationales importantes. En 2015, Philippe Perchoc a fait une interprétation pragmatiste des relations franco-russes. En effet, l’objectif de Paris consistait selon lui à obtenir le soutien de grandes ou moyennes puissances, y compris la Russie, afin de préserver son influence comme un acteur majeur sur la scène internationale. Or, comme je l’ai analysé ailleurs, cette ligne de raisonnement était devenue problématique déjà bien avant la guerre en Ukraine. La thèse sur le pragmatisme suppose l’absence d’intérêts contraires et considère la Russie comme un partenaire potentiel qui ne nuirait pas aux intérêts français. La politique agressive de la Russie envers la Géorgie, l’Ukraine, sur le continent africain ou en Méditerranée, ainsi que les campagnes de désinformation menées par Moscou et l’ingérence russe dans affaires intérieures françaises ont rendu cette prémisse inopérante.

Le révisionnisme de la Russie s’inscrit dans le contexte d’un ordre mondial en changement. La stabilité du monde unipolaire, où les États-Unis jouaient un rôle dominant dans les affaires internationales, n’est plus d’actualité. La France ne s’est peut-être pas encore pleinement adaptée à cette nouvelle réalité. Effectivement, cette idée rejoint l’argument d’Olivier Schmitt qui met en évidence un « écart croissant » entre, d’une part, la rhétorique de la France en matière de politique de sécurité, axée sur les notions d’autonomie et/ou de souveraineté « héritées de la Guerre froide », et, d’autre part, les mesures concrètes de politique de sécurité qui correspondent aux pratiques de sécurité transatlantiques et qui, en réalité, sont étroitement intégrées aux structures alliées. Alors que l’analyse d’O. Schmitt s’articule dans le cadre de la notion d’unipolarité, le contexte international actuel ne présente plus la certitude d’un monde unipolaire. Le manque de stabilité qui en découle fait de l’ambiguïté politique de la France un pari risqué.

Il y a des leçons à tirer des dynamiques mondiales également pour les pays baltes. Pour eux, des relations transatlantiques solides et stables ont assuré leur sécurité et leur prospérité économique. Il y a quelques années, certains pensaient qu’ils étaient sur le point de se retrouver « entre le marteau et l’enclume », car la coopération entre l’Europe et les États-Unis semblait s’éroder sous la présidence du président Trump. La guerre menée par la Russie a démontré que cette coopération continue d’être indispensable tant pour les capitales européennes que pour Washington, et ceci sur différents fronts, qu’il s’agisse de l’aide militaire à l’Ukraine, de sanctions économiques contre Moscou, ou de la défense de la démocratie libérale. Cependant, la prise de conscience chez les États baltes de la nécessité d’une Europe plus forte dans la relation transatlantique marque une évolution. En théorie, cela prédispose ce groupe de pays à un rapprochement avec la France.

 

Conclusion

En matière de sécurité et de défense, la position de la France et celle du trio balte continuent à diverger sur certains aspects qui ne sont pas négligeables. Pour les pays baltes, la France est le pays européen le plus sceptique vis-à-vis de l’OTAN et, surtout, elle est connue pour avoir fait preuve d’une indulgence excessive à l’égard de la Russie. Pour Paris, le trio balte est souvent trop « atlantiste » et peu disposé à construire une Europe autonome.

L’autonomie stratégique européenne en matière de défense, la sécurité future de l’Europe et la vision de la France d’un monde multipolaire représentent, chacune à sa façon, des défis pour un rapprochement sécuritaire entre les pays baltes et la France. Cependant, ces trois axes et les défis qui en découlent ne se situent pas sur le même plan, que ce soit d’un point de vue analytique ou politique.

La question de l’autonomie stratégique, telle qu’elle est articulée au niveau politique, notamment par la France, relève d’une logique économique importante, qui s’éloigne conceptuellement des préoccupations sécuritaires stratégiques des États baltes. Ces dernières sont indispensables pour la défense collective, ce qui devrait aussi orienter la position de la France au sein de l’UE. Si l’on considère que certains États d’Europe centrale et orientale, notamment la Pologne, pourraient prendre des mesures entraînant la désintégration de la base industrielle de défense européenne, les pays baltes peuvent même se révéler des partenaires précieux pour construire la défense européenne « par le bas ».

La vision française d’un ordre mondial représente un enjeu à plus ou moins long terme. La cohérence entre le discours et les actions devrait ici être le mot d’ordre pour Paris. À plus court terme, cela rappelle l’importance des mots en politique. Aujourd’hui, la question des garanties de sécurité pour l’Ukraine et, de manière plus générale, celle du renforcement de la sécurité européenne (par exemple, sous la forme d’une défense avancée renforcée de l’OTAN sur le flanc oriental) se posent comme cruciales. Un engagement significatif et contraignant de la part de la France serait une prolongation logique du discours du président français à Bratislava. Ce serait un héritage historique propre au président Macron pour la France de demain.

 

Crédits photo: Parlement européen

Auteurs en code morse

Ringailė Kuokštytė

Ringailė Kuokštytė est titulaire d’un doctorat en science politique (Université Panthéon-Sorbonne) et est chercheuse au sein du groupe de recherche sur la politique de sécurité de l’Académie militaire générale Jonas Žemaitis de Lituanie. En 2022, elle a été chercheuse invitée Fulbright à l’université A&M du Texas. Ses recherches portent notamment sur les politiques de défense et la politique européenne de défense. Jusqu’en 2018, elle a été diplomate et s’est occupée de questions multilatérales.

Suivez-nous en code morse