Comprendre les implications des défaillances de la dissuasion dans le détroit de Taïwan

Le Rubicon en code morse
Avr 18

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Cet article est une traduction de « Understanding the deterrence gap in the Taiwan Strait » publié le 12 février 2024 sur War on the Rocks.

 

Qu’est-ce qui empêche la Chine d’envahir Taïwan ? Dans le passé, il était pris pour acquis que Pékin n’utiliserait pas la force pour imposer la réunification. Non seulement la Chine n’avait pas les moyens d’effectuer une conquête rapide et décisive de l’île, mais les dirigeants chinois étaient aussi convaincus depuis 1979 qu’une réunification pacifique était à la fois possible et largement préférable à des solutions militaires. Aujourd’hui, cependant, l’équilibre des forces militaires a changé, permettant une invasion amphibie du point de vue des capacités dans un avenir assez proche, tandis que les perspectives d’unification pacifique se sont évanouies. C’est pourquoi il est aujourd’hui communément admis qu’une invasion chinoise est devenue plus probable qu’improbable.

Nous souscrivons à ces évaluations pessimistes. Bien entendu, aucun analyste ne peut dire avec certitude quand ou pourquoi une guerre à propos de Taïwan pourrait être déclenchée. Ceux qui l’estime inévitable en 2025 ont tort de le faire. Mais l’évolution de la situation géopolitique autour de Taïwan ne peut être ignorée. C’est uniquement parce que la dissuasion à travers le détroit de Taïwan était forte que les crises passées concernant le statut politique de l’île ont pu se dérouler sans provoquer d’invasion. Maintenant que la dissuasion s’est affaiblie, il n’y a plus vraiment de garde-fous pour empêcher les crises actuelles ou futures de dégénérer en une véritable guerre.

Il s’agit d’une situation explosive qui mérite une attention urgente de la part des dirigeants taïwanais et américains. Pour que Taïwan retrouve la sécurité, il faut combler le déficit de dissuasion et réduire les risques d’émergence de crises déstabilisantes.

Qu’est-ce qui rend la guerre plus probable ?

L’équilibre des forces de part et d’autre du détroit de Taïwan limitait autrefois fortement la liberté de manœuvre de la Chine. Dans le passé, les forces armées de Taïwan – en particulier son armée de l’air – constituaient un obstacle important à une invasion chinoise. Pas plus tard qu’en 2002, le rapport du ministère de la Défense au Congrès sur la puissance militaire chinoise estimait que l’armée de l’air taïwanaise jouissait d’une « domination de l’espace aérien au-dessus du détroit de Taïwan » et conservait « un avantage qualitatif » sur son voisin chinois. Mais ce n’est plus le cas.

Certes, la Chine a toujours des raisons de craindre une intervention militaire américaine dans une guerre contre Taïwan, mais la menace d’une telle intervention a été délibérément rendue incertaine. Il serait faux de rejeter l’« ambiguïté stratégique » comme moyen de dissuasion inefficace. Mais il devient de plus en plus évident qu’elle pourrait ne pas suffire à elle seule à dissuader une invasion. En effet, les stratèges chinois ont eu des décennies pour se préparer à cette éventualité. Par conséquent, les États-Unis n’ont plus une domination claire en matière d’escalade. La doctrine de l’Armée populaire de libération est optimiste en ce qui concerne la gestion de l’escalade, ce qui augmente peut-être la probabilité d’une première frappe contre des actifs américains déployés à l’avant en Asie de l’Est, du type de celles qui pourraient miner de manière significative les capacités des États-Unis à stopper une invasion. Et, bien sûr, il est toujours possible que la Chine, dotée de l’arme nucléaire, parvienne à dissuader Washington de participer à un conflit sur Taïwan, comme l’a fait la Russie en Ukraine.

Diverses « mesures d’auto-dissuasion » qui retenaient autrefois la Chine se sont également affaiblies. Par exemple, les dirigeants de Pékin craignaient que l’absorption de Taïwan par la République populaire ne pose d’importants problèmes sociaux, politiques et économiques – à tel point que l’unification était parfois considérée comme ne pas valoir le coup, du moins à court terme. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Parallèlement à l’évolution de l’équilibre des forces, les incitations du gouvernement chinois à la retenue se sont également érodées. Ceux qui parlent de dissuasion mettent généralement l’accent sur la crédibilité et la puissance des menaces proférées à l’encontre d’un agresseur potentiel, c’est-à-dire sur les attentes d’un adversaire quant à ce qu’il arrivera s’il commet un acte indésirable. Mais ces contraintes ne constituent qu’une partie du calcul global d’un agresseur potentiel quant à l’opportunité de recourir à la force. Les États prennent également en considération ce qui arrivera à leurs intérêts politiques, sociaux et économiques s’ils ne recourent pas à la force.

La stratégie de défense nationale 2022 a placé les incitations à la retenue au cœur du concept de dissuasion :

« La dissuasion est renforcée par des actions qui réduisent la perception qu’a un concurrent des avantages de l’agression par rapport à la retenue. Pour que la dissuasion soit efficace, le ministère doit tenir compte de la manière dont les concurrents perçoivent les enjeux, l’engagement et la crédibilité au combat des États-Unis, des alliés et des partenaires, de leur perception de leur propre capacité à contrôler les risques d’escalade et de leur vision de l’évolution du statu quo – en partie en raison des actions des États-Unis, des alliés et des partenaires – s’ils ne recourent pas à la force. »

Cette compréhension approfondie de la dissuasion est directement applicable à l’évaluation du processus décisionnel du gouvernement chinois aujourd’hui. Quel est le coût pour la Chine de l’exercice de la retenue ? En ce qui concerne Taïwan, nous pensons que quatre variables clés permettent de répondre à cette question : la force et la résistance du cadre discursif de la « Chine unique » ; le taux de croissance économique en Chine ; la trajectoire des « guerres technologiques » impliquant les États-Unis, Taïwan, la Chine et d’autres économies concernées ; et la perception par la Chine d’une fenêtre d’opportunité qui se referme pour résoudre le différend sur Taïwan dans des conditions favorables.

Première variable de retenue : « une seule Chine »

Depuis le communiqué de Shanghai en 1972, les relations américano-chinoises reposent sur le principe d’une « Chine unique ». Bien entendu, il n’y a jamais eu d’accord sur la signification exacte du concept. Pékin a un principe de Chine unique, par exemple, tandis que les États-Unis maintiennent une politique de Chine unique – chacun ayant des interprétations très différentes s’agissant du statut de Taïwan. Pour autant, le langage commun de la « Chine unique » a servi de cadre discursif utile pour contribuer à la médiation de la profonde distanciation qui définissait les liens entre les États-Unis et le parti communiste chinois avant 1972. Le cadre de la Chine unique a fonctionné dans le passé parce que toutes les parties ont toléré – parfois plus, parfois moins – l’ambigüité qui accompagnait le compromis.

Depuis 2016, l’idée d’une seule Chine est de plus en plus dénuée de sens pratique. Cela a commencé avec le président élu Donald Trump parlant au téléphone avec la présidente de Taïwan, mais depuis lors, une pratique bipartisane s’est ici affirmée et elle est devenue la norme dans la politique américaine. Dans notre nouvelle monographie, Deterrence Gap : Avoiding War in the Taiwan Strait, nous comptons 27 « premières » depuis 1979 qui se sont produites depuis l’appel téléphonique de Trump avec Tsai Ing-wen en 2016. Ces « premières » vont de la visite du chef d’état-major général de Taïwan à la Maison-Blanche, à celle des secrétaires adjoints à la défense à Taïwan, en passant par la levée par le département d’État des restrictions antérieures sur les contacts entre le gouvernement américain et les responsables taïwanais.

Pour être clair, pour beaucoup de ces développements, des cycles d’action-réaction sont en cours. Nous ne tenons pas le gouvernement chinois pour innocent dans le processus de destruction du statu quo. Bien au contraire. Mais ce qui importe est que les analystes chinois craignent de plus en plus que les États-Unis ne reviennent sur leur politique de Chine unique et ne créent une alliance de défense de jure ou de facto avec Taïwan. Cela rend la paix – et la retenue – moins bénéfique pour la Chine à court et à moyen terme et incite fortement la Chine à rechercher une solution non pacifique au différend taïwanais avant que la situation (du point de vue du parti communiste chinois) ne se détériore davantage.

Deuxième variable de retenue : tendances économiques

Le parti communiste chinois dirige la Chine en combinant des stratégies de cooptation et de coercition avec des revendications de légitimité. Au cours de la dernière génération, celle-ci était directement liée aux performances économiques. Toutefois, certains observateurs soupçonnent fortement que la croissance économique de la Chine a atteint un plateau. Cela représente un danger pour les relations entre les deux rives du détroit. En effet, bien que nous soyons sceptiques quant aux arguments de pure « guerre de diversion », le ralentissement de la croissance est important pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, parce que l’érosion de la compétence économique en tant que marque de fabrique du parti communiste pourrait inciter les dirigeants chinois à se montrer plus indulgents à l’égard des pressions nationalistes afin de consolider leur soutien interne. Deuxièmement, parce que le ralentissement de la croissance signifie qu’il y a de moins en moins de chances que les citoyens de Taïwan choisissent de rejoindre la République populaire pour un quelconque avantage économique – ce qui était au moins plausible dans un passé pas si lointain.

Enfin, le ralentissement économique de la Chine menace les dépenses militaires alors que l’État chinois risque de se trouver au bord du gouffre fiscal d’ici le milieu de ce siècle. Cela signifie que le temps ne résoudra pas tous les problèmes de la Chine vis-à-vis de Taïwan. Au contraire, il se peut que le temps presse et qu’il faille agir sur Taïwan tandis que les conditions sont favorables pour l’économie chinoise.

Troisième variable de retenue : la guerre des technologies

Les contrôles américains à l’exportation des semi-conducteurs et des technologies connexes visent à empêcher la Chine de prendre le pas sur la puissance militaire, scientifique et technologique des États-Unis. En fait, Washington a lancé un défi direct à la stratégie de « développement axé sur l’innovation » du gouvernement chinois. La logique de ces contrôles semble simple : pourquoi l’économie et l’armée chinoises devraient-elles bénéficier de technologies largement conçues en Occident et fabriquées à Taïwan ?

Toutefois, de manière contre-intuitive, les contrôles à l’exportation pourraient avoir des conséquences inattendues, notamment en diminuant les coûts nets d’une invasion chinoise de Taïwan à court terme tout en faisant pression sur Pékin pour qu’il agisse avant que l’armée américaine ne puisse récolter les fruits de la révolution militaro-technologique émergente. Ces effets secondaires dangereux de la guerre technologique ont été presque universellement négligés malgré l’abondante littérature de relations internationales sur l’interdépendance économique et les coûts attendus de la guerre.

Dans le passé, l’un des moyens de dissuasion qui protégeait Taïwan d’une invasion était ce que l’on appelait le « bouclier de silicium ». L’essentiel de ce bouclier était que la position de Taïwan au cœur de l’industrie mondiale des semi-conducteurs ajouterait un coût économique énorme à une invasion chinoise. Bien que ce bouclier soit en soi insuffisant pour dissuader une telle invasion, il faisait partie d’un ensemble de mesures de dissuasion qui fonctionnaient de manière concomitante et se chevauchaient, garantissant que les coûts probables d’une invasion l’emporteraient sur les avantages perçus. Or, la restriction des exportations de semi-conducteurs de Taïwan vers la Chine va totalement à l’encontre du bouclier de silicium. En effet, la Chine doit supporter en temps de paix des coûts qu’elle n’aurait subis qu’en temps de guerre.

Pire encore, les contrôles à l’exportation imposent des contraintes de temps supplémentaires à la Chine dans son ensemble. Les coûts de recréation des technologies impliquées dans la lithographie dans l’ultraviolet extrême sont énormes. Comme l’a dit un ancien directeur adjoint du Bureau de la politique scientifique et technologique de la Maison-Blanche, « à un moment donné, on reproduit toute la civilisation humaine ». L’attrait de s’emparer de ces machines, dont la majorité se trouve à Taïwan, peut sembler plus simple.

Une autre forme de cette pression est militaire, car l’Armée populaire de libération observe les autres – qui ont un accès facile à l’informatique massive – « intelligentiser » plus rapidement qu’elle, contribuant à une dynamique de « mieux vaut maintenant que plus tard », que nous considérons comme une dernière variable clé réduisant la retenue chinoise.

Quatrième variable de retenue : l’équilibre futur des pouvoirs

Le contexte général d’une fenêtre d’opportunité qui pourrait se refermer est défini par le plafonnement de l’économie chinoise et la probabilité qu’elle ne soit pas en mesure d’exploiter pleinement la révolution militaro-technique actuelle en raison des contrôles à l’exportation. Ces tendances suggèrent qu’à long terme, le temps pourrait ne pas jouer en faveur de la Chine. Qu’en est-il à plus court terme ? Il y a de bonnes raisons de penser que la puissance militaire chinoise relative atteindra son apogée au cours de cette décennie. En dépit de l’inquiétude croissante qui anime les analystes militaires et civils, certains indicateurs montrent que la puissance militaire américaine est en fait en déclin au cours de cette décennie, en raison de l’état d’avancement des cycles de modernisation des États-Unis.

C’est particulièrement vrai pour la marine. Selon le Congressional Budget Office, qui a analysé trois plans possibles soumis au Congrès par le ministère de la défense pour 2023 : « la létalité de la flotte, mesurée en partie par le nombre total de cellules de missiles, diminuerait de 13% jusqu’en 2032 ». Ce chiffre comprend à la fois les cellules de lancement vertical et les tubes lance-torpilles. Les chiffres en baisse pour cette décennie contrastent particulièrement avec les chiffres projetés après les années 2020, lorsque « le nombre de tubes lance-torpilles augmenterait de 40 à 50% par rapport à la flotte actuelle ».

L’armée de l’air, en revanche, n’est pas confrontée à une baisse aussi radicale de sa létalité, mais le système le plus important dans lequel elle investit pour la guerre moderne d’égal à égal, le B-21, ne sera pas disponible en masse avant les années 2030. Le B-21 permet de recapitaliser des capacités qui se sont atrophiées au fil des décennies, l’armée de l’air s’étant concentrée sur des chasseurs à courte portée qui n’étaient pas particulièrement adaptées à l’arrêt d’une invasion chinoise de Taïwan.

Pour leur part, le corps des Marines et l’armée de terre sont en train de moderniser leurs structures de forces et leur entraînement afin d’être mieux adaptés au « scénario d’accélération » de Taïwan et, d’ici les années 2030, ils devraient tous deux posséder de nouvelles formations et capacités importantes. Dans le même temps, les résultats du passage des dépenses de défense du Japon de 1% du PIB à 2% commenceront à se faire sentir, tout comme l’augmentation des budgets de défense et l’allongement de la durée de la conscription à Taïwan.

Bien entendu, le gouvernement chinois ne restera pas inactif tout au long des années 2020. Il est certain que d’autres croiseurs Renhai et chasseurs J-20 seront mis en service. Mais ces progrès progressifs chinois ne changeront pas la tendance générale, à savoir que la Chine a pratiquement achevé un cycle de modernisation entamé à la fin des années 1990, alors que les États-Unis sont encore en plein milieu d’un autre cycle. Une marine américaine revigorée, de plus en plus axée sur les sous-marins et les petits bâtiments de combat au lieu de porte-avions extrêmement coûteux et potentiellement vulnérables, une armée de l’air dotée de bombardiers à long rayon d’action et un corps des marines et une armée de terre dotés de missiles à long rayon d’action et de capacités de dispersion représentent une menace bien plus importante pour une force d’invasion chinoise que celle qui existe aujourd’hui – ou au cours de la présente décennie.

Dans l’ensemble, la combinaison de l’érosion des contraintes et du relâchement des restrictions est un mélange toxique, ce qui implique que ce qui aurait pu faire le gros du travail pour dissuader les dirigeants chinois d’envahir Taïwan dans le passé n’est probablement plus en vigueur aujourd’hui. Compte tenu de la forte probabilité de provocations majeures liées à la question de Taïwan à l’avenir, en particulier au moment où le Parti démocrate progressiste de Taïwan entame un troisième mandat présidentiel consécutif sans précédent, et du fait que deux sondages récents suggèrent que plus de la moitié de la population chinoise est déjà favorable à l’unification armée, le résultat est que les dirigeants chinois sont de moins en moins susceptibles d’agir avec retenue par rapport au passé.

Rétablir la dissuasion

Dans un précédent article publié dans Parameters, nous avons proposé une stratégie pour que Taïwan puisse dissuader une invasion chinoise, et qui ne dépendrait pas d’une intervention militaire américaine incertaine. Cette stratégie comportait quatre éléments principaux : une campagne de résistance planifiée à l’avance, des sanctions économiques multilatérales, un comportement d’équilibre régional et une campagne ciblée de technologie « brûlée » qui verrait Taïwan menacer de détruire ou de mettre hors service son industrie des semi-conducteurs si la Chine devait l’envahir. Il s’agit là de moyens de dissuasion que Taïwan et ses amis pourraient développer rapidement. Même s’ils ne sont pas aussi sévères qu’une menace américaine d’intervention au nom de Taïwan, ce sont des moyens de dissuasion crédibles en ce sens que la Chine pourrait avoir un degré élevé de confiance dans le fait que ces menaces seraient effectivement mises à exécution en réponse à une attaque armée.

Au-delà de ces idées, que peut-on faire d’autre pour réparer la dissuasion, renforcer la réassurance et éviter la guerre ?

Le point le plus important, comme nous l’affirmons dans notre monographie, Deterrence Gap, est que Taïwan et ses partenaires ne doivent pas répéter les erreurs du passé en supposant que la dissuasion est fixe et immuable. Ce n’est pas le cas. Toutes les dissuasions se dégradent avec le temps, et la dissuasion de part et d’autre du détroit sera dans un état de dégradation maximale au cours de cette décennie. Taïwan et ses amis doivent prendre conscience de la gravité de la situation. Ils ont besoin de solutions rapides – des moyens de dissuasion puissants et crédibles qui amèneront les dirigeants chinois à remettre en question leur capacité à s’emparer de Taïwan dans le cadre d’un fait accompli. Parier trop lourdement sur des moyens de dissuasion qui seront mis en place au cours de la prochaine décennie pourrait en fait accroître le risque au cours de la présente décennie en créant une dynamique du « mieux vu vaut maintenant que plus tard ». Toutes les parties concernées devraient éviter de céder aux sirènes du symbolisme, qui provoque, plutôt qu’à celles de la substance, qui dissuade.

Au cours de cette décennie, il est encore quelques pistes à exploiter. Les dirigeants politiques taïwanais devraient envisager d’autoriser l’armée de l’air taïwanaise à modifier sa doctrine d’interception afin qu’elle n’épuise pas ses pilotes et ses cellules en interceptant tous les vols chinois dans sa zone d’identification de défense aérienne. L’armée de l’air taïwanaise pourrait également donner la priorité à sa mission de défense aérienne : priver l’armée de l’air de l’Armée populaire de libération de la maîtrise de l’espace aérien serait vital en cas de conflit, et les lanceurs basés au sol seront plus adaptés à cette tâche que les coûteux chasseurs. De même, l’acquisition et l’entraînement de tous les services pour réaliser des tirs de précision en masse seront essentiels pour défier les systèmes défensifs de la République populaire de Chine en cas d’invasion.

Malheureusement, compte tenu du coût élevé et du long délai d’entrée en service, le programme de sous-marins de Taïwan, qui a fait couler beaucoup d’encre, ne fera probablement que détourner l’attention de l’essentiel, à savoir le développement du matériel et des logiciels nécessaires à la mise en place d’une « anti-marine » efficace. Les forces armées taïwanaises devraient plutôt donner la priorité à l’acquisition, à la production et à l’utilisation de mines, de drones et de missiles. Les mines seront probablement le meilleur moyen pour Taïwan de « gagner du temps » avec un risque minimal pour les forces armées taïwanaises, tandis que les drones pourraient faire des ravages sur une force d’invasion, et que les missiles – en particulier s’ils sont mobiles sur route – combinent résilience et létalité. La guerre menée par la Russie en Ukraine a montré que de tels systèmes devraient être accessibles en masse (c’est-à-dire par milliers et non par dizaines).

Taïwan devrait également continuer à développer l’accès à un réseau fiable de satellites en orbite basse pour préserver sa capacité de communication en cas de blocus ou d’invasion, mais devrait donner la priorité à la résilience des systèmes dans le cadre de ce processus. Toutes ces actions sont réalisables dans les prochaines années. La seule chose à faire est d’établir des priorités.

Enfin, les puissances régionales – en particulier le Japon, mais aussi la Corée du Sud, les Philippines et l’Australie – devraient être plus claires quant à leurs réactions probables à une attaque chinoise contre Taïwan. Ce sont ces États qui ont le plus à perdre d’une tentative chinoise de renverser le statu quo. S’il n’est pas réaliste d’attendre des gouvernements de la région qu’ils annoncent des engagements fermes en faveur de la sécurité de Taïwan, il serait certainement utile à la stabilité de l’Asie de l’Est qu’ils annoncent leur volonté d’imposer des sanctions économiques et politiques et d’augmenter les dépenses de défense en réponse à une invasion.

Pour que la paix soit possible dans le détroit de Taïwan dans les années 2020, Taïwan et ses amis devront prendre des mesures radicales pour limiter à court terme l’action de la Chine, mais aussi chercher des moyens d’encourager la retenue interne parmi les décideurs chinois, ce qui nécessitera de reconnaître pratiquement ce que le ministère de la Défense a reconnu théoriquement : si la Chine en vient à considérer l’évolution du statu quo en termes de plus en plus négatifs, ses incitations à ne pas recourir à la force seront réduites d’autant.

 

Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l’armée de l’air américaine, du ministère de la défense ou du gouvernement des États-Unis.

 

Crédit photo : Wirestock

Auteurs en code morse

Jared M. McKinney et Peter Harris

Jared M. McKinney est professeur adjoint de sécurité internationale à l’Air War College de l’Air University, Maxwell Air Force Base, Alabama.

Peter Harris est professeur associé de science politique à l’Université d’État du Colorado et chercheur non résident auprès de Defense Priorities.

Ensemble, ils sont les auteurs de Deterrence Gap : Avoiding War in the Taiwan Strait (Strategic Studies Institute, US Army War College, janvier 2024).

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