Approvisionnement par procuration : comment les juntes sahéliennes acquièrent des équipements auprès des partenaires sécuritaires évincés

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Mai 09

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Cet article est une traduction de « Procurement by Proxy: How Sahelian Juntas acquire Equipment from Ousted Security Partners », publié le 26 mars 2024 par le Egmont Institute.

 

Au cours des trois dernières années, des juntes militaires ont pris le pouvoir dans quatre États sahéliens différents : Mali, Tchad, Burkina Faso et Niger. Deux de ces États ont connu des coups d’État dans les coups d’État, c’est-à-dire un deuxième coup d’État avant qu’un gouvernement constitutionnel n’ait été rétabli. Ainsi, avec six coups d’État réussis en moins de trois ans, la région du Sahel illustre l’idée de la « contagion » ou de l’« épidémie » de coups d’État qui affecte plus largement le continent.

L’arrivée au pouvoir des juntes militaires a entraîné plusieurs changements interdépendants dans plusieurs États. D’une part, un changement de gouvernance vers des régimes plus autoritaires, avec moins d’espace pour les droits de l’homme et la liberté d’expression, illustré par la répression violente des manifestations et la censure des médias. D’autre part, un changement dans la lutte contre les groupes armés non étatiques, avec des décisions délibérées de contourner les règles internationales relatives aux conflits armés visant à protéger les civils et à faire respecter le droit international. Cette évolution a été rendue possible par un changement de partenaires en matière de sécurité, passant des organisations multilatérales et des partenaires occidentaux aux forces russes, et par une collaboration militaire accrue entre les trois juntes dans le cadre d’une alliance de défense nouvellement créée.

Cet article commence par analyser et contextualiser les demandes de départ des juntes, avant d’explorer les départs effectifs de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et d’EUCAP Sahel Niger. Nous concluons que ces exemples illustrent l’imprévisibilité de la collaboration avec des gouvernements militaires qui sont arrivés au pouvoir en contournant les règles et les règlements. Plus généralement, ceci soulève d’autres questions concernant l’assistance aux forces de sécurité, y compris la manière de s’assurer que les missions ne deviennent pas involontairement des « mandataires d’approvisionnement » en fournissant des équipements à des rivaux dans le cadre de la compétition mondiale actuelle pour le pouvoir.

Demandes de départ sans délai

Les forces françaises ont été évincées dans trois des quatre États du Sahel qui ont connu des coups d’État depuis 2020, et au Mali et au Niger, les opérations internationales ont été invitées à se retirer à la suite d’une période de détérioration des relations.

Au Mali, après l’échec des relations politiques entre les autorités françaises et la junte malienne au début de l’année 2022, le départ de l’opération antiterroriste française Barkhane et de la Task Force Takuba, forte de 5 000 hommes, a été annoncé en février par le président Macron. La décision de retrait a été prise à l’issue d’une collaboration de plus en plus difficile, entachée par plusieurs incidents, dont le départ forcé de troupes danoises pour la Task Force Takuba et l’expulsion de l’ambassadeur de France par les autorités maliennes de transition.

Ainsi, alors que la junte malienne avait implicitement poussé au départ par une série d’obstructions et de réinterprétations des accords précédents, elle a toujours affirmé que le retrait signifiait une violation des accords militaires entre la France et le Mali et a demandé un « départ sans délai » que les Français ont négocié à un délai de retrait de six mois. Un cauchemar logistique s’ensuivit, les troupes françaises étant contraintes de fermer plusieurs bases et de rapatrier des tonnes de matériel avant la fin de l’été 2022. Néanmoins, selon des sources officielles françaises, le retrait s’est déroulé de manière ordonnée et structurée. Pour autant, toutes les bases défensives et les infrastructures construites par les Français au cours des neuf dernières années ont été remises aux Maliens.

La mission de l’ONU au Mali, la MINUSMA, a été confrontée à un environnement opérationnel plus difficile après le départ de Barkhane, car la junte a interdit à cette dernière de continuer à fournir un certain soutien logistique à la mission de l’ONU après son départ. De plus, l’espace politique et opérationnel de la mission a été sévèrement limité par l’imposition de différentes obstructions par la junte. Par exemple, la junte a établi des zones d’interdiction de vol pour les avions de l’ONU couvrant presque la moitié du pays en janvier 2022 et a ensuite exigé un préavis de 48 à 72 heures pour les vols de la MINUSMA, ce qui a sérieusement limité la possibilité pour la mission de remplir son mandat car une grande partie des demandes de vol ont été soit refusées, soit laissées sans réponse de la part des autorités maliennes.

Un épisode particulièrement difficile s’est produit en avril 2022, lorsque les autorités de transition ont également restreint l’accès des enquêteurs de l’ONU chargés des droits de l’homme à Moura, un village où un massacre a eu lieu pendant plusieurs jours en mars 2022 au cours d’une opération présumée de lutte contre le terrorisme. Plus d’un an après, l’ONU a finalement publié un rapport affirmant que plus de 500 personnes avaient été tuées par l’armée malienne et des « troupes étrangères », très probablement du groupe Wagner. Ce rapport a précédé la demande du ministre malien des Affaires étrangères, un mois plus tard, de voir la mission de l’ONU quitter le pays « sans délai ». Cette situation sans précédent, dans laquelle les autorités de facto, et non de jure, d’un État hôte ont demandé le retrait de l’ONU, a placé cette dernière dans une position difficile, avec un nombre limité d’options. En fin de compte, elle a été contrainte de créer un précédent problématique en retirant la mission conformément à la demande de la junte. Le départ de l’ONU impliquait la fermeture de 9 bases en six mois, en plus du rapatriement de l’équipement, du matériel et du personnel dans un contexte de détérioration sécuritaire rapide, ce qui posait de nouveaux risques pour les soldats de la paix, une question qui sera examinée plus en détail ci-dessous.

Au Niger voisin, la nouvelle junte a décidé de suspendre la collaboration militaire avec la France une semaine après sa prise de pouvoir, lui demandant de retirer ses 1 500 soldats dans un délai d’un mois. Après cinq semaines de tensions croissantes entre les deux pays, la France a entamé des négociations avec les autorités de transition et un nouveau processus de retrait rapide a commencé au début du mois d’octobre. Des convois vers le Tchad voisin et les ports de Cotonou ont été organisés et, à la fin du mois de décembre, les dernières troupes françaises ont quitté le pays tandis que l’ambassade de France était fermée. Une fois encore, les autorités françaises ont indiqué que le retrait s’était déroulé de manière ordonnée et structurée, et ont laissé les bases défensives et l’infrastructure aux autorités hôtes. Cependant, avant que les dernières troupes françaises ne quittent le pays, la junte a décidé de se débarrasser d’une autre mission extérieure : EUCAP Sahel Niger.

La mission civile de l’UE dans le cadre de la PSDC était présente au Niger depuis plus de 11 ans lorsque la junte nigérienne a décidé de l’évincer en même temps que la mission militaire de partenariat de l’Union européenne (UE) au Niger (EUMPM Niger) récemment déployée et suspendue en décembre 2023. L’annonce par la junte de la fin des deux missions a coïncidé avec une visite dans le pays du vice-ministre russe de la Défense et a donc été perçue par les observateurs comme un changement hautement symbolique des partenaires sécuritaires. Juste une semaine avant la suspension, la junte a révoqué une loi de 2015 promulguée pour freiner le trafic de migrants d’Afrique vers l’Europe via le Niger, une loi que l’UE avait contribué à mettre en place et à soutenir. La révocation de la loi a été perçue comme une nouvelle démonstration de force de la part de la junte, désireuse de souligner un changement dans l’équilibre des pouvoirs entre les acteurs internes et externes, et de punir l’UE pour avoir imposé des sanctions au pays. Si la décision d’évincer la mission de longue durée de l’UE n’était pas totalement inattendue, le fait qu’elle ait été annoncée sans aucune négociation préalable avec les fonctionnaires de l’UE en a fait une nouvelle éviction abrupte d’une mission extérieure.

Le 16 mars 2024, un autre partenaire occidental en matière de sécurité a été expulsé du Niger, la junte ayant déclaré que l’accord militaire de 2012 entre les États-Unis et le Niger était « illégal et violait toutes les règles constitutionnelles ». Il n’est pas certain que l’ironie ait été voulue par les autorités militaires qui, moins d’un an auparavant, avaient suspendu la constitution et pris le pouvoir illégalement. L’interruption de l’accord est intervenue après qu’une délégation américaine de haut niveau, comprenant le secrétaire d’État adjoint aux affaires africaines et le commandant du Commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM), le général Michael Langley, se soit rendue à Niamey et ait rencontré plusieurs membres de la junte, bien que le général Tchiani, chef de la junte, ait snobé la délégation en prolongeant son séjour d’un jour. Dans sa déclaration, la junte nigérienne a regretté que la délégation américaine n’ait pas laissé le peuple nigérien choisir ses partenaires dans la lutte contre le terrorisme, faisant une référence peu subtile à la collaboration intensifiée du Niger avec la Russie et l’Iran et aux efforts explicites des États-Unis pour empêcher l’entrée des troupes russes. La décision d’évincer les États-Unis constitue une volte-face de la part de la junte dont le Premier ministre déclarait, il y a trois mois à peine, que les États-Unis représentaient un partenaire historique en matière de sécurité et qu’ils restaient les bienvenus au Niger.

Tout laisser derrière soi : obstruction aux départs et à l’acquisition de matériel

Les juntes malienne et nigérienne ont introduit de nouveaux types d’obstacles pour les missions et le personnel après avoir exigé le départ de la MINUSMA et EUCAP Sahel Niger. Les obstacles et les départs précipités ont facilité l’acquisition de matériel et d’équipement par les juntes, car les missions ont été forcées de se retirer rapidement.

MINUSMA : un départ précipité

Quelques semaines seulement après l’annonce de la décision du gouvernement malien de transition d’expulser la mission de l’ONU dans le pays, les luttes pour le contrôle du territoire et des bases d’où la MINUSMA s’est retirée ont donné lieu à de nouveaux combats entre l’armée malienne et les séparatistes Touaregs dans le nord du pays.

Ces combats ont accru les risques pour la sécurité du retrait de l’ONU et ont contraint la mission à accélérer son calendrier, déjà très serré. Les risques ont été exacerbés par le refus de la junte malienne d’autoriser les vols de l’ONU et par d’autres restrictions de mouvement, notamment le blocage de 200 camions qui sont restés bloqués à Gao pendant plus d’un mois. La mission n’a pas pu collecter et transporter du matériel depuis les trois bases de la MINUSMA dans la région de Kidal, comme le prévoyait le plan initial. Le retrait a ainsi eu lieu dans un contexte d’intensification du conflit armé. La base de Ber n’a pas été un cas à part, et lorsque la mission des Nations unies a quitté la base deux jours plus tôt que prévu en raison des combats, les convois ont été attaqués à deux reprises, faisant deux blessés parmi les soldats de la paix.

Lors d’un incident ultérieur, un avion de la MINUSMA avait été touché par des tirs d’armes légères lors de son atterrissage à Tessalit, tandis qu’un convoi contenant plus de 800 soldats de la paix quittant Kidal a dû parcourir plus de 350 kilomètres en direction de Gao dans des véhicules pour la plupart non blindés et dans un environnement extrêmement hostile. En raison de l’espace limité, le convoi n’a pas pu faire le plein de rations, d’eau et de carburant, et n’a été réapprovisionné par deux hélicoptères de la MINUSMA que près d’une semaine plus tard, ce qui a ajouté des risques supplémentaires pour les soldats de la paix. Au total, le convoi a subi six explosions de mines, blessant 37 personnes et endommageant sept véhicules. La priorité accordée par les Nations unies aux personnes plutôt qu’aux équipements a eu pour conséquence que des véhicules, du matériel, des générateurs de munitions et d’autres biens considérés comme ‘sensibles’, qui auraient dû être restitués aux États contributeurs de troupes ou redéployés vers d’autres missions de maintien de la paix, ont été détruits conformément à la réglementation des Nations unies.

En raison de la manière abrupte dont le mandat de la MINUSMA a pris fin, la mission a dû élaborer et mettre en œuvre son plan de fermeture et de liquidation simultanément pendant la période de retrait, un processus qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, est toujours en cours dans les bases de Gao et de Bamako. Selon des personnes impliquées dans le processus, de nombreux membres des autorités maliennes de transition avaient initialement négligé le processus de liquidation, car ils s’attendaient à pouvoir hériter de la plupart des armes et équipements de la mission. La mauvaise foi exprimée par la junte à l’égard de la mission s’est également manifestée dans les discussions internes, lorsque les autorités maliennes de transition ont demandé à l’ONU de remettre en état la piste d’atterrissage et les routes de Mopti, largement utilisées par la mission, ce qui a obligé cette dernière à consacrer du temps à la préparation d’une liste soulignant les millions de dollars dépensés par l’ONU pour de nombreux projets d’infrastructure à travers le Mali au cours de son cycle de vie[1].

En plus d’hériter des infrastructures, telles que les installations et les équipements des aérodromes, les bâtiments et les ponts construits par l’ONU, la junte malienne a également hérité de plus de 100 conteneurs de matériel lié au programme de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) qui ne pouvait pas être transportés hors du pays[2]. Comme mentionné précédemment, une grande partie du matériel a toutefois été détruite sur les bases pour éviter qu’il ne tombe entre les mains des rebelles, tandis qu’une autre partie a été prise en charge directement par les troupes maliennes lorsqu’elles se sont installées dans les bases. De manière quelque peu ironique, après avoir évincé la mission de manière abrupte et lui avoir demandé de partir sans délai, les autorités maliennes ont accusé l’ONU d’avoir précipité son départ pour laisser la place aux « terroristes », alors que la mission avait accéléré son retrait en raison des combats et des obstructions. La destruction de matériel et d’équipement dans les différentes bases du Nord n’a pas seulement impliqué une perte de matériel qui pourrait être utilisé pour de futures missions de l’ONU, mais elle a également entraîné un coût financier inattendu pour l’ONU, car l’organisation est chargée de rembourser les États contributeurs de troupes pour leur équipement perdu. Étant donné le processus en cours, il est difficile d’obtenir des estimations complètes, mais certains observateurs estiment que les remboursements pour deux camps seulement pourraient atteindre 60 à 80 millions de dollars, ce qui rendrait le montant total beaucoup plus élevé[3].

EUCAP Sahel Niger : Perquisition et saisie

Après que la junte nigérienne a demandé à EUCAP Sahel Niger de quitter le pays en décembre 2023, des discussions informelles visant à maintenir la collaboration et la mission ont été entamées entre l’UE et les autorités de transition, mais elles n’ont pas abouti à un changement de décision.

Au lieu de cela, la junte a décidé de rendre les derniers mois du séjour de la mission de l’UE plus difficiles en refusant l’entrée dans le pays à certains membres du personnel et, surtout, au Chef de mission. Le 26 janvier, la junte a d’abord décidé d’expulser 15 membres du personnel civil d’EUCAP deux jours après leur retour au Niger, sous prétexte qu’ils étaient des militaires et que les autorités n’avaient pas été informées de leur arrivée, ce que les membres d’EUCAP ont contesté. Deux jours plus tard seulement, la junte a refusé à la Chef de mission de rentrer dans le pays, la forçant à repartir avec le même avion qu’à son arrivée. Deux semaines plus tard, elle a été autorisée à entrer à nouveau sur le territoire nigérien, mais seulement après avoir obtenu un laissez-passer spécial du ministre de l’Intérieur[4].

En plus de refuser l’accès au pays aux membres d’EUCAP de retour, les autorités de transition nigériennes ont également obtenu – c’est-à-dire saisi – du matériel et des équipements de la mission lors de plusieurs perquisitions inopinées au siège d’EUCAP ainsi que lors du retrait de la mission du bureau local d’Agadez. Alors que le vol d’EUCAP en provenance d’Agadez est arrivé à Niamey le 19 février 2024, les autorités ont saisi le matériel, y compris l’équipement létal, sous prétexte que l’arrivée du matériel était inopinée, alors que selon les membres d’EUCAP, elle faisait partie du plan de retrait négocié. Le même jour, des cadres d’EUCAP ont été convoqués à une réunion avec le Premier ministre et le ministre de la Défense au sujet du retrait, pour découvrir à leur retour au siège de la mission que les forces de sécurité nigériennes menaient une perquisition inopinée, saisissant une grande quantité d’armes, de munitions et d’autres équipements de la mission, y compris des fusils, des pistolets d’horlogerie, des drones, des casques militaires et des gilets pare-balles[5]. De nouvelles perquisitions et saisies inopinées ont eu lieu plus tard la même semaine, tandis que les réseaux sociaux locaux faisaient état de la découverte de caches d’armes et d’arsenaux de guerre appartenant à l’UE et à des ressortissants de l’UE. Alors que la plupart des autres membres du personnel d’EUCAP ont quitté le pays à la fin du même mois dans un climat de plus en plus tendu, le Chef de la mission et le Chef des opérations n’ont été autorisés à quitter le pays que près d’un mois plus tard, ce qui est paradoxal.

Les troupes françaises, la MINUSMA et EUCAP Sahel Niger ont été contraintes à des départs précipités et, dans certains cas, dangereux du Mali et du Niger, rendus plus difficiles par les obstructions imposées par les juntes. De nombreuses infrastructures, dont plusieurs bases militaires et casernes, construites et financées par les acteurs extérieurs ont été remises aux autorités, tandis que des équipements et du matériel ont été soit laissés sur place, soit saisis par ces dernières. Les semaines à venir décideront de la forme que prendra le départ présumé des États-Unis du Niger. Si les États-Unis sont contraints de se retirer, ils devront quitter la base de drones d’Agadez, une base construite par les États-Unis pour 200 millions de dollars, à partir de laquelle les États-Unis ont exécuté différents types de missions, y compris des vols de reconnaissance. Un accord de dix ans, renouvelé automatiquement, garantissait aux États-Unis un accès continu à la base, mais la situation actuelle remet en question la poursuite de cet accord. De même, l’avenir des troupes européennes restées au Niger fera l’objet de discussions au fur et à mesure que les tensions s’accroîtront. Les départs forcés examinés sont dignes d’intérêt en soi, mais ils devraient également être considérés dans une perspective plus large, clarifiant le fonctionnement des juntes au Sahel et les changements qui peuvent être discernés à l’échelle mondiale.

Conclusion

Les décisions des gouvernements militaires d’évincer les missions multilatérales et les partenaires de sécurité occidentaux au Sahel ont eu lieu dans un contexte d’intensification de la concurrence mondiale entre la Russie et les États occidentaux.

Les coups d’État des dirigeants sahéliens et le changement de partenaires qui s’en est suivi doivent donc être envisagés dans le contexte d’une tendance plus large à la montée de l’autoritarisme dans le monde, où les coups d’État représentent le premier et non le dernier recours, et où l’influence occidentale et le multilatéralisme sont en déclin. Cette évolution a imposé des réflexions plus approfondies et, en fin de compte, des dilemmes à des acteurs tels que les Nations unies, l’Union européenne et ses États membres, qui doivent déterminer où rester engagés, avec qui et comment. Les missions d’assistance des forces de sécurité ont montré leurs limites dans des régions comme le Sahel, où les groupes djihadistes continuent de s’étendre malgré une décennie de soutien externe à la sécurité et où le passage à des régimes autoritaires a intensifié cette expansion. Il est donc absolument nécessaire de repenser la manière de répondre et de lutter contre l’augmentation des groupes armés non étatiques.

Comme les dirigeants sahéliens semblent avoir accepté les « kits de survie du régime » proposés par la Russie, il est peu probable qu’il y ait un transfert vers des autorités civiles ou une gouvernance démocratique dans un avenir proche. Plutôt que de placer leurs espoirs dans de telles transitions démocratiques, les dirigeants occidentaux et les organisations multilatérales devront réfléchir à ce qu’ils sont prêts à offrir – le cas échéant – à des gouvernements autoritaires à court et à moyen terme. Alors que la collaboration en matière de sécurité avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso semble actuellement dans une impasse, il est nécessaire de réfléchir à la relation avec le Tchad. Si une offre potentielle peut servir de carotte, il faut également réfléchir aux mesures qui pourraient servir de bâton. Ces décisions doivent être prises en gardant à l’esprit que le développement et l’aide humanitaire ne soutiendront pas seulement les populations dans le besoin, mais contribueront également à rendre les régimes anticonstitutionnels plus durables, tandis que les équipements de sécurité fournis à ces États peuvent transformer les fournisseurs en « mandataires d’approvisionnement » pour les adversaires.

 


[1] Discussion avec la personne 1 ayant une connaissance du retrait de la MINUSMA, mars 2023.

[2] Discussion avec la personne 2 ayant une connaissance du retrait de la MINUSMA, mars 2023.

[3] Discussion avec la personne 2 ayant une connaissance du retrait de la MINUSMA, mars 2023.

[4] Discussion avec la personne 1 ayant eu un aperçu du processus de retrait d’EUCAP, mars 2023.

[5] Discussion avec la personne 2 ayant eu un aperçu du processus de retrait d’EUCAP, mars 2023.

L’auteure tient à remercier Arthur Boutellis, Delina Goxho et Gene Germanovich pour leurs commentaires sur les versions antérieures de ce papier.

 

Crédit photo : Nina Wilén

Auteurs en code morse

Nina Wilén

Nina Wilén est directrice du programme Afrique à l’Institut royal Egmont des relations internationales et professeure associée au département de science politique de l’Université de Lund. Elle est aussi Global Fellow à Peace Research Institute Oslo (PRIO).

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