Une menace latente pour 2024 : dans quelle mesure une crise constitutionnelle violente risque-t-elle de se produire aux États-Unis ?

Le Rubicon en code morse
Avr 07

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La tentative de Donald Trump de contester les résultats de l’élection de 2020, qui a culminé avec le soulèvement du 6 janvier 2021, a engendré des questionnements importants dans la perspective de la prochaine élection présidentielle en 2024 et d’une potentielle nouvelle crise. Quelles sont les risques qu’une crise constitutionnelle violente se produise aux États-Unis en 2024 ? Ce que j’entends par crise constitutionnelle, c’est un épisode dans lequel le résultat de l’élection présidentielle est contesté par des acteurs politiques clés, et des groupes armés utilisent ou menacent de recourir à la violence pour influencer la façon dont le différend est résolu. Je m’empresse d’ajouter qu’il semble presque inévitable que quelqu’un conteste toute victoire du Parti démocrate, au moins dans une certaine mesure. La question ici est de savoir à quel point cette crise pourrait s’aggraver. S’agit-il seulement de quelques illuminés qui contestent les résultats, mais qui ne sont pas pris au sérieux? Ou s’agit-il d’une répétition du 6 janvier 2021, qui pourrait s’avérer pire encore, avec des manifestations à grande échelle, des milices mobilisées et une flambée de la violence ? Et en particulier, une telle crise pourrait-elle attirer la participation de membres des forces de sécurité – police et soldats ? Une crise grave est un risque latent, peu probable, mais suffisamment réaliste pour être pris au sérieux.

Un bon point de départ serait de considérer ce qui pourrait conduire à une « situation révolutionnaire » selon les termes de Charles Tilly : une situation dans laquelle il y aurait deux revendications de souveraineté simultanées, mutuellement opposées et suffisamment soutenues pour remettre sérieusement en question l’ordre existant. Dans le cas américain, cela inclurait quatre aspects :

  • Deux candidats à la présidence revendiquent la victoire lors d’une élection, c’est-à-dire que le candidat manifestement perdant refuse de céder (la revendication de souveraineté) ;
  • Des acteurs armés soutiennent cette revendication de victoire (c’est-à-dire le risque d’actes de violence) ;
  • L’affirmation semble plausible pour une partie importante de la population (ce qui équivaut à changer les motivations des élites politiques et des militants non-violents, et permettre à une insurrection de prendre l’apparence d’une action démocratique) ;
  • Il semble possible de rejeter le résultat en instrumentalisant un moment clé, en faisant pression sur un petit nombre de personnes par exemple (ce qui signifie que l’action insurrectionnelle pourrait ainsi ressembler à une stratégie gagnante).

Réunir ces différentes conditions a, au moins dans une certaine mesure, conduit au 6 janvier 2021. Trump avait refusé de concéder ; la plupart des Républicains croyaient que la victoire de Biden était illégitime, bien qu’il y ait eu un large consensus dans la presse et parmi les indépendants sur le fait que Biden avait gagné ; Trump avait le soutien de milices telles que les Oath Keepers (« Gardiens du Serment ») et les Proud Boys (« Les Garçons Fiers ») ; et la stratégie du 6 janvier était de faire pression sur le Congrès et le vice-président Mike Pence afin qu’ils n’acceptent pas le résultat. C’était un espoir farfelu, mais il est difficile de savoir ce qu’il se serait passé si Pence avait cédé à la pression.

Des risques qui sont toujours présents : des candidats négationnistes, un soutien violent

Pour 2024, les deux premières conditions restent plausibles. Premièrement, il est probable que le candidat républicain conteste une défaite. Il pourrait très bien s’agir à nouveau de Trump, bien que certains sondages et groupes de discussion suggèrent que les électeurs du GOP pourraient favoriser quelqu’un d’autre. Quant au gouverneur de Floride, Ron DeSantis, qui, selon beaucoup, a acquis un avantage majeur sur Trump avec les élections de mi-mandat, il refuse de concéder que Biden a remporté l’élection de façon équitable et il courtise le soutien des négationnistes. Il ne le fait pas aussi bruyamment que Trump lui-même, et son soutien au négationnisme est peut-être un simple moyen stratégique de courtiser les partisans de Trump tout en offrant une alternative plus acceptable. Toutefois, être prêt à nier la légitimité d’une élection à des fins personnelles suggère que, par rapport à un John McCain ou un Mitt Romney, il est difficile d’être sûr que DeSantis acceptera les résultats en cas de défaite.

En ce qui concerne la deuxième condition, les acteurs violents, les enquêtes et les poursuites semblent avoir sérieusement affaibli les milices. Plus particulièrement, le leader des Oath Keepers, Stewart Rhodes, a été reconnu coupable de complot séditieux en novembre 2022. Les plus de 900 actes d’accusation émis à l’encontre des insurgés du 6 janvier et la désillusion à l’égard du 6 janvier lui-même ont remis en question la capacité de certaines milices à survivre en tant qu’organisations. Cela marque un changement majeur par rapport au manque relatif d’efforts de l’administration Trump dans la lutte contre l’extrémisme de droite et, comme le soutient Daniel Byman, est de bon augure pour 2024 (si on compare avec 2020).

Cependant, les milices d’extrême droite restent actives. Les armes à feu sont maintenant monnaie courante lors des manifestations politiques. Le projet ACLED (Armed Conflict Location and Event Data) a révélé que l’activité d’extrême droite a en fait augmenté entre 2021 et 2022. En outre, cette activité est concentrée sur un plus petit nombre de groupes, ce qui suggère un niveau d’organisation plus élevé (bien que ces groupes soient potentiellement plus vulnérables face aux forces de l’ordre).

Outre le potentiel de violence des milices, nous devons prendre au sérieux la possibilité d’implication des forces de l’ordre, voire du personnel militaire dans une crise, par la défection ou par le refus de s’opposer aux acteurs violents. En général, les ruptures militaires deviennent beaucoup plus probables dans les pays où les règles du jeu politique ne sont pas bien établies. À cet égard, il faut rappeler la remise en cause de normes démocratiques clés avant, pendant et après la présidence Trump – refuser d’accepter un résultat électoral, appeler à l’emprisonnement des opposants politiques et à l’utilisation de la violence lors des rassemblements, tenter de soutenir la police et les forces armées en tant que groupes politiques et faire des nominations clés des forces de l’ordre et de l’armée en tenant compte des loyautés personnelles –. Elle pose la question de la possibilité d’une action partisane de la part des forces de l’ordre ou du personnel militaire en cas de crise constitutionnelle. Si cela se produisait, la crise deviendrait beaucoup plus grave. Même si la grande majorité du personnel faisait son travail et respectait son serment à la Constitution (ce qui est très probable), la puissance de feu des insurgés pourrait augmenter considérablement avec des défaillances des forces de sécurité à petite échelle.

Malheureusement, une telle défaillance reste possible, même si la probabilité que cela arrive est faible. Les groupes extrémistes recrutent activement (et de plus en plus) de personnel policier et militaire, actif comme à la retraite. Cela signifie toutefois que relativement peu de policiers et de soldats en service actif sont également membres d’organisations d’extrême droite. Le département de la Défense a mis en place certaines mesures pour remédier à ce problème, en mettant l’accent sur la mise à jour de ses définitions des activités interdites et l’amélioration de la formation et de la collecte de données (ce qui est nécessaire, mais les progrès sont lents). Cependant, le risque de rupture dépasse la frange radicale, car même les partisans ordinaires peuvent être prêts à agir au nom du négationnisme électoral. Après tout, les Républicains n’ont pas besoin d’être extrémistes pour croire que Joe Biden est un président illégitime. Ainsi, les études sur le personnel militaire américain révèlent qu’ils s’identifient de plus en plus comme partisans et croient de plus en plus qu’il est acceptable pour eux de s’engager dans une activité politique partisane. Dans le même temps, les politiciens civils (notamment Trump lui-même) ont de plus en plus tenté de se servir des forces armées pour atteindre des objectifs de politique partisane. Le personnel chargé de l’application de la loi semble – en grande proportion – disposé à imposer sa propre autorité contre la loi fédérale et étatique. Dans le cas d’une crise où de nombreux partisans pensent que l’élection est volée et donc que l’identité de celui qui détient légitimement le pouvoir exécutif n’est pas claire, les chaînes de commandement de la police et des forces armées (si elles sont déployées) pourraient en souffrir.

Crise autour d’un seul État : un scénario moins probable mais toutefois possible

Le négationnisme républicain en 2024 peut donc rassembler à la fois des dirigeants et des partisans volontaires. S’agira-t-il d’une stratégie viable ? C’est là où les élections de mi-mandat ont eu un impact. Un changement clé réside dans le quatrième critère de crise : la plausibilité de rejeter le résultat par une action concertée au moment d’un point de basculement. Ceci est particulièrement probable si le vainqueur de l’élection de 2024 l’emporte avec un seul État d’avance. Dans un tel scénario, les revendications républicaines selon lesquels leur candidat est le véritable gagnant sembleront plus plausibles que si la marge était de plusieurs États. En outre, quelques représentants de l’État en question pourraient subir des pressions pour jeter le doute sur le résultat, faire traîner le processus, pousser de faux électeurs et déplacer la compétition dans des tribunaux qui leur seraient favorables ou vers la Chambre des représentants des États-Unis (qui décide des élections en l’absence d’une majorité au Collège électoral). L’État en question deviendrait probablement un point focal pour la mobilisation politique, les manifestations et les déploiements de milices. Plus le temps d’attente pour que le résultat soit clarifié est grand, plus les gens risquent de douter du résultat affiché (ce qui est le troisième critère d’une crise) ; et plus les manifestations, les émeutes et les milices risqueront de se déclencher.

Ici, les élections de mi-mandat ont eu un impact significatif.  Surtout, avec la défaite de  la plupart  des candidats refusant les résultats des élections à des postes d’administration électorale dans des États clés, une crise constitutionnelle concentrée dans l’un de ces États semble maintenant moins menaçante. C’était un scénario particulièrement inquiétant : un secrétaire d’État en Arizona ou au Michigan, ou un gouverneur en Pennsylvanie, qui abuserait de son pouvoir et qui multiplierait les signes de défi face à une victoire démocrate dans cet État (et donc la présidence). Ces fonctionnaires ont les moyens de perturber et de retarder la certification des résultats électoraux. Dans une élection serrée avec une apparente victoire démocrate avec une marge d’un seul État, ces responsables seraient alors en mesure de semer le doute sur le résultat de manière concrète.

Les candidats pour des postes-clés dans des États fortement contestés qui ont refusé le plus ouvertement les résultats des élections de 2020 ont perdu les élections de mi-mandat de novembre. Je base cette évaluation sur les sept États avec une marge inférieure à 3% aux élections de 2020 et sur les évaluations du niveau de négationnisme du New York Times et du States United Democracy Center.  D’autres « négationnistes électoraux » ont gagné ailleurs, mais ils sont dans des États où n’importe quel Républicain gagnerait probablement de toute façon.

Certaines préoccupations subsistent dans certains États très contestés. Le nouveau gouverneur du Nevada, Joe Lombardo, a adopté une position quelque peu ambiguë à propos de la victoire de Biden, mais son influence sera contrebalancée par un secrétaire d’État et un procureur général démocrates. En Caroline du Nord, bien qu’il n’y ait pas eu d’élection pour les rôles exécutifs de l’État et que les postes clés restent aux mains des démocrates, les deux victoires républicaines ont fait basculer la Cour suprême. C’est crucial pour les résultats de l’élection dans cet État. En février 2022, la Cour a rejeté, avec une seule voix d’écart, une carte électorale manifestement trafiquée. Cette Cour a maintenant demandé une nouvelle audience dans cette affaire et une deuxième sur l’identification des électeurs. En d’autres termes, la Cour suprême de Caroline du Nord est clairement disposée à jouer un rôle partisan.

Les bons résultats pour la démocratie n’éliminent pas totalement le scénario d’une crise dans un seul État contesté. S’il apparaît que le candidat démocrate est en tête dans un État charnière après le jour du scrutin, il est fort probable que les Républicains qui refusent les résultats passeront à la vitesse supérieure, même s’il n’y a pas de négationnistes électoraux dans les bureaux locaux d’administration des élections. Ils peuvent jeter le doute sur le résultat par un discours public incessant, monter des contestations juridiques et exercer une pression sur les représentants républicains de l’État en question et sur le système judiciaire de l’État pour qu’ils s’impliquent dans la contestation. Les manifestants et les milices pourraient également se mobiliser pour ajouter à la pression par l’intimidation et même la violence. Le scénario de crise décrit ci-dessus pourrait encore se produire.

Cela dit, cependant, les mauvais résultats des négationnistes dans les élections de 2022 les privent de certains outils essentiels pour retarder la confirmation du résultat, provoquer un doute officiel ou renvoyer la décision devant des tribunaux qui leur seraient favorables. Plus le délai avant qu’une victoire démocrate ne soit publiquement confirmée par les responsables électoraux et les tribunaux est court, plus il est probable qu’une telle escalade soit étouffée dans l’œuf et que ces acteurs négationnistes cèdent effectivement et rentrent chez eux. Les pertes subies par les responsables négationnistes des élections sont donc clairement une bonne nouvelle pour éviter de violentes crises constitutionnelles.

Le négationnisme général montre que la crise est une option qui pourrait se concrétiser

D’autre part, le négationnisme électoral est maintenant relativement répandu dans la vie politique américaine. Il aura un rôle majeur dans la Chambre des représentants contrôlée par les Républicains (et dans cet esprit, il est difficile de conclure que les élections de mi-mandat ont été une victoire sans faille pour la démocratie ; elles ont dépassé les attentes, mais ces attentes étaient faibles). Au cours des nombreux scrutins pour élire le président de la Chambre, Kevin McCarthy (Californie) a cédé aux demandes des plus membres les plus extrêmes du GOP. Ainsi, des personnalités autrefois marginales comme la représentante Marjorie Taylor Greene (Géorgie) – qui a déclaré que si elle avait été en charge de l’insurrection du 6 janvier, elle aurait été armée et elle aurait gagné, et qui a appelé à un « divorce national » entre les États républicains et démocrates – bénéficieront d’un temps de parole important pour pousser  le « Big Lie » (« Gros Mensonge ») selon lequel Trump aurait gagné en 2020. À la suite de la lutte pour la présidence, la représentante Greene est maintenant très proche de McCarthy, et ses sièges aux comités sur la sécurité intérieure et sur la surveillance et l’imputabilité (Committees on Homeland Security and on Oversight and Accountability) lui donnent une plate-forme pour mener son action perturbatrice.

Le déni électoral est maintenant plus puissant parmi les membres républicains du Congrès qu’il ne l’était en 2020.  Les négationnistes des élections pourront utiliser et abuser des rôles d’enquête et de surveillance des comités de la Chambre pour promouvoir un récit sur la corruption démocrate.  Plus grave encore, la Chambre a maintenant créé un comité chargé d’enquêter sur la « militarisation » du gouvernement fédéral, revendiquant le pouvoir d’exiger la production de documents par le ministère de la Justice sur des enquêtes en cours et des documents hautement classifiés.  Le représentant Jim Jordan (Ohio), président de ce comité et du Comité judiciaire de la Chambre, a joué un rôle de premier plan dans les tentatives de Trump de contester l’élection. Cette décision soulève donc la crainte de voir le comité être utilisé pour entraver les enquêtes du ministère de la Justice sur les activités insurrectionnelles. Celui-ci a fermement résisté à l’ingérence du Congrès dans les enquêtes en cours dans le passé, mais la façon dont cet inévitable différend juridique sera résolu est encore incertaine. D’une manière ou d’une autre, cependant, le nouveau comité « Jordan » existe fin de promouvoir le récit selon lequel l’administration Biden et son utilisation du pouvoir sont illégitimes. En d’autres termes, les élections de mi-mandat ont donné au Congrès le pouvoir de refuser les élections.

Il est toujours intéressant de se demander si les résultats étonnamment médiocres du GOP changeront la stratégie républicaine en matière de déni. Parmi les candidats perdants qui avaient nié les élections de 2020, nombreux sont ceux qui ont reconnu leur défaite aux élections de mi-mandat. Cela suggère que nier la victoire de Biden était dans certains cas davantage une tactique pour apaiser les Trumpistes qu’une conviction antidémocratique (mais cela n’apporte pas beaucoup de réconfort, et des personnes comme Kari Lake, battu au poste de gouverneur de l’Arizona, peuvent encore construire leur profil national en niant les résultats). Il y a eu des menaces et des perturbations du processus électoral, mais pas autant qu’on ne le craignait ; les efforts pour contester les résultats ont échoué. L’état d’esprit du GOP au lendemain de l’élection était celui de l’abattement (acceptant implicitement ses défaites) plutôt que du déni des résultats de mi-mandat eux-mêmes. Il existe des preuves prima facie que le négationnisme lui-même a nui au Parti républicain, en particulier à la marge. Selon mes calculs, sur les 50 courses à la Chambre classées par le site FiveThirtyEight.com comme les plus compétitives, il y avait 19 négationnistes républicains tels que définis par le Washington Post, dont trois ont gagné. Ces résultats sont mauvais quand ils sont comparés aux 14 victoires parmi les 31 candidats républicains non-négationnistes. Certaines voix ont émergé au sein du Parti républicain considérant Trump – et potentiellement le négationnisme qu’il représente – comme un frein électoral. Cela peut annoncer un tournant contre le négationnisme. Si le Parti républicain commence à croire que le  négationnisme trumpiste nuit plus qu’il n’aide et ajuste sa rhétorique et ses nominations en conséquence, cela affaiblira bon nombre des facteurs sous-jacents à une éventuelle crise constitutionnelle.

Cependant, d’autres facteurs indiquent que le négationnisme continuera à animer le Parti républicain pendant un certain temps.  Le soutien républicain aux insurgés du 6 janvier a augmenté au fil du temps. En octobre 2022, seuls 22% des Républicains étaient d’accord pour dire que Biden avait été légitimement élu ; seuls 40% ont confiance dans le fait que les votes soient exprimés et comptés avec précision. L’analyse de ces résultats suggère que, bien que ces points de vue soient plus présents chez les Républicains particulièrement motivés par l’idéologie, le simple fait d’être républicain est un indicateur fort du négationnisme électoral de 2020 et ce, même parmi les modérés. Ceci est peut-être lié à une découverte similaire, selon laquelle vivre dans un district fortement républicain est un indicateur fort du négationnisme – un phénomène de chambre d’écho. Ces résultats ne conduisent pas à l’optimisme quant au déclin du négationnisme. En effet, loin de conclure que le négationnisme était une stratégie perdante, le GOP a proposé de se pencher encore davantage sur les allégations de fraude électorale.

Tout cela signifie que, même si la marge est de plusieurs États en 2024, une crise constitutionnelle est toujours possible. La machine à nier les élections commencera probablement à tourner dans le cas d’une victoire démocrate présumée. De nombreuses voix républicaines remettraient probablement en question le résultat, élaborant toutes sortes de scénarios conspirationnistes dans les États séparant les deux candidats. Ces doutes seraient moins farfelus dans le cas d’une marge de victoire d’un seul État. En revanche, les extrémistes n’auraient pas de point de basculement clair à cibler ; les réformes juridiques ont maintenant clarifié le rôle du vice-président et ont relevé le seuil pour les membres du Congrès qui s’opposent à la liste des électeurs d’un État.

La démocratie américaine est toujours menacée

Je me suis largement concentré sur une crise qui aurait lieu en 2024, durant laquelle le GOP contesterait une victoire démocrate et une violente crise constitutionnelle émergerait. Cependant, en dehors de ce scénario, la démocratie peut s’éroder de bien d’autres façons. Les législatures des États tenues par les Républicains continuent d’adopter des projets de loi visant à limiter le droit de vote, notamment pour les Afro-Américains et pour d’autres groupes électeurs qui votent traditionnellement démocrate. La Cour suprême, dominée par les conservateurs, pourrait, dans sa décision sur l’affaire clé Moore c. Harper, approuver la théorie de la législature indépendante des États. Certains craignent que cette théorie ne donne à une législature d’État le pouvoir d’annuler les résultats d’une élection en nommant une nouvelle liste d’électeurs, mais cela demeure très douteux, car les États doivent toujours se conformer à la loi fédérale en la matière et le Congrès a maintenant refermé la faille. Cependant, l’arrêt Moore c. Harper crée d’autres problèmes. Plus précisément, la Cour suprême pourrait rendre les manipulations partisanes non révisables par les tribunaux des États (elle a déjà statué sur le fait que la constitution fédérale n’interdisse pas de telles manipulations). Cela créerait de nouvelles opportunités pour les législatures des États du Wisconsin ou de la Caroline du Nord de verrouiller les majorités républicaines. Enfin, il est encore tout à fait possible qu’un candidat républicain remporte une élection en 2024, en particulier avec un terrain de jeu aussi favorable qu’il l’est actuellement. Surtout si ce candidat est Trump, il y a de bonnes raisons de croire qu’il utiliserait sa présidence avec plus de détermination pour consolider son pouvoir, par exemple en ciblant les journalistes ou en promouvant les loyalistes dans l’exécutif (comme il l’a fait vers la fin de son dernier mandat).

Le 8 novembre 2022, la stabilité démocratique aux États-Unis a donc connu une meilleure nuit que ce que beaucoup craignaient. Mais elle n’est pas pour autant tirée d’affaire.

 

 

Crédits photo : AFP

Auteurs en code morse

Theodore McLauchlin

Theodore McLauchlin (@TheoMcLauchlin) est professeur agrégé au Département de science politique à l’Université de Montréal et directeur du Centre des études sur la paix et la sécurité internationale (CEPSI). Ses recherches, dans les domaines de la sécurité et des conflits internationaux et internes, portent sur l’organisation et la vie politique des forces militaires étatiques et non étatiques et sur les relations internationales des guerres civiles. Son travail a notamment été publié dans les revues International Studies Quarterly, Journal of Conflict Resolution, Journal of Peace Research, Comparative Politics et Security Studies. Il est l’auteur de Desertion: Trust and Mistrust in Civil Wars (Cornell University Press, 2020).

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