Ukraine & Union européenne : l’économie, c’est stratégique !

Le Rubicon en code morse
Avr 14

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Cet article trouve son origine dans une circonstance précise, à savoir la visite inattendue du président Zelensky à Londres le 8 février 2023. Fréquentant – avec modération – les chaînes d’information continue, j’étais ce jour-là invité en plateau et fus confronté à des commentaires soulignant l’attachement présumé du président ukrainien aux seuls alliés anglo-saxons, la capitale britannique venant après la visite à Washington du 21 décembre 2022, et à l’inexistence de l’Union européenne, le 24e sommet entre l’Union européenne et l’Ukraine tenu le 3 février à Kyiv n’entrant même pas dans l’équation. Naturellement, le format télévisuel ne permettait pas nécessairement l’approfondissement de ce sujet pourtant clé, mais les arguments entendus étaient révélateurs d’un double biais dans le traitement médiatique de ce conflit en France : l’accent est mis sur les armes et donc les États-Unis au détriment de l’économie et donc de l’Union européenne. D’où cet article de fond sur le rôle stratégique de l’Union européenne dans la guerre en cours.

Car, si le président Zelensky a dédié sa première visite officielle depuis l’offensive russe à Washington, le sommet entre l’Union européenne et l’Ukraine du 3 février 2023 constitue un événement de portée historique en se tenant pour la première fois dans une zone de guerre, à Kyiv, en présence de quinze commissaires européens. Et si la visite surprise du président Biden le 20 février 2023 dans la capitale ukrainienne représente un geste d’une force extraordinaire, elle s’équilibre avec l’émotion du président Zelensky lors de son ovation par le Parlement européen le 9 février à Bruxelles. Seuls l’Union européenne et les États-Unis font l’objet d’une attention aussi soigneuse et d’une égalité de traitement aussi étudiée de la part du chef d’État ukrainien. Ni le Royaume-Uni, ni la France, et encore moins l’Allemagne ne bénéficient d’une telle considération.

Bien sûr, les opérations captent l’attention à la fois par la tension qu’elles génèrent sur l’issue du conflit et par les images qu’elles produisent dans une société médiatisée comme la nôtre (le fameux « choc des photos » désormais étendu aux vidéos). Les budgets, l’économie et la logistique commerciale, plus austères sur le plan médiatique, sont moins traités, cette remarque valant d’ailleurs pour le média traditionnel qu’est la télévision comme pour des médias alternatifs (réseaux sociaux). Or, ils sont indispensables à la conduite stratégique de la guerre. À ce titre, l’attaque déclenchée par la Russie pose une question fondamentale : celle de la résilience de l’État ukrainien en tant qu’entité organisée. Après un an de guerre et malgré les destructions sur son sol, la ruine de son économie, le bombardement systématique de ses infrastructures critiques, pourquoi un effondrement de l’État par défaut de ressources ne s’est-il pas produit ? Comment l’État ukrainien parvient-il à continuer cette guerre en 2023 alors qu’il ne devrait plus en avoir les moyens économiques ?

Nous allons voir que l’Union européenne a joué un rôle stratégique dans la préservation de la continuité de l’État ukrainien. À cet effet, nous reviendrons sur l’exposition économique et commerciale de l’Ukraine avant de présenter les mesures de soutien prises par l’Union européenne depuis le 24 février 2022 et, enfin, de nous interroger sur la soutenabilité de cette approche au vu de la dynamique du conflit.

L’Ukraine : un partenaire économique important pour l’Union européenne et négligeable pour les États-Unis

Pour pleinement appréhender l’impact de la guerre sur l’économie ukrainienne, il convient d’avoir à l’esprit que le pays avait un PIB de 200 milliards de dollars en 2021 (France : 2.958 Mrds$). Le commerce avait représenté 41,9% du PIB du pays sur la période 2019-2021 (France : 31,7%). En 2020, l’Ukraine se positionnait au 32e rang mondial des pays exportateurs de marchandises (68 milliards de dollars) et au 31e rang des importateurs (72,5 milliards de dollars). Les exportations étaient constituées à 46,6% de produits agricoles (en valeur 27,8 milliards sur les 68, soit 41%) et à 12,2% de combustibles et de produits de l’extraction minière. Par ailleurs, l’exercice budgétaire 2021 de l’État ukrainien faisait état de 47,6 milliards de dollars de recettes et 53,1 milliards de dépenses, soit un déficit de 2,8% du PIB ; 22% des dépenses étant consacrés à la défense et à la sécurité. En pratique, cela représentait un besoin mensuel de 4,4 milliards de dollars pour assurer le fonctionnement de l’État.

Vis-à-vis de l’Union européenne, l’Ukraine était en 2021 son 15e partenaire commercial, représentant 1,2% des échanges européens. En miroir, l’Union européenne était de loin le premier partenaire commercial de l’Ukraine avec 39,5% de ses échanges commerciaux pour un montant de 52,4 milliards d’euros : un montant multiplié par deux depuis l’accord de libre-échange entré en vigueur en 2016. Les exportations ukrainiennes vers l’UE s’élevaient à 24,1 milliards d’euros, essentiellement composées de fer et d’acier (20,8%), de produits agricoles (15,8%) et de minerais (12,5%). L’Ukraine importait de l’Union européenne pour 28,3 milliards d’euros, essentiellement des biens manufacturés. Notons que les pays de l’Union européenne les plus largement importateurs de biens en provenance d’Ukraine étaient, dans l’ordre : la Pologne, l’Italie, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Hongrie. Ces cinq pays étaient également les plus larges exportateurs de biens européens vers l’Ukraine.

 

 

La Chine était le deuxième partenaire commercial de l’Ukraine avec 13,6%. En matière de destination des exportations ukrainiennes, la Russie n’arrivait en 2021 qu’en 4e position malgré la longueur de la frontière commune et les liens économiques hérités de l’intégration de l’époque soviétique, la guerre conduite depuis 2014 étant passée par là. Elle constituait en revanche le 3e pays d’origine des importations ukrainiennes (8,4%), suivi par la Biélorussie (6,7%).

En comparaison, l’Ukraine était au 67e rang des partenaires commerciaux des États-Unis, représentant 0,07% des échanges commerciaux de ce pays pour le modeste montant total de 3,7 milliards de dollars en 2019. On notera de manière révélatrice que la page consacrée à l’Ukraine sur le site du représentant au commerce des États-Unis d’Amérique n’a pas été mise à jour depuis novembre 2019 (dernière consultation le 16 mars 2023) et qu’elle classe l’Ukraine au sein de l’ensemble « Russie et Eurasie » en dépit des choix effectués par ce pays en 2013-2014 en faveur de l’Europe ainsi que nous le verrons infra.

Indépendamment de toute considération politique, l’Ukraine ne constituait donc pas un enjeu économique pour les États-Unis, alors qu’il s’agissait d’un partenaire relativement important pour l’Union européenne. Les chiffres révèlent la vulnérabilité du pays à un conflit armé : l’Ukraine est fortement exportatrice dans l’absolu et dépend donc de la liberté des voies de communication avec ses voisins, elle est de plus exportatrice de forts volumes (produits agricoles, fer et acier, minerais) qui demandent une logistique spécifique aux infrastructures nécessairement rares, et enfin ces exportations trouvent une majeure partie de leurs sources dans l’Est du pays (terres noires, bassin sidérurgique du Donbass) qui constitue le principal théâtre des combats.

La Banque mondiale a fourni les premiers éléments d’analyse sur l’impact de la guerre depuis février 2022, même si le conflit a été engagé antérieurement : chute du PIB de l’Ukraine de 35% en 2022 par rapport à 2021, 60% de la population sous le seuil de pauvreté national (18% en 2021), inflation à 30% (10% en 2021), baisse des salaires réels de 10%, chute des exportations de 60% et des importations de 40% en termes réels. Comme dans toute situation de guerre sur son territoire, la richesse nationale s’est effondrée, et avec elle les rentrées fiscales de l’État. À titre d’illustration des ravages de la guerre, la Banque mondiale, l’Union européenne et le gouvernement ukrainien ont publié une « Évaluation rapide des dommages et des besoins » le 9 septembre 2022, qui chiffre le coût de reconstruction à 349 milliards de dollars, mais pour les seules destructions opérées entre le 24 février et le 1er juin 2022, soit trois mois d’un conflit qui en a désormais dépassé treize.

Dès lors, l’Ukraine ne peut compter pour financer les dépenses croissantes de l’État en guerre que sur la création monétaire – la planche à billets –, l’endettement auprès d’institutions internationales et l’aide économique extérieure. Ainsi, fin octobre 2022, le président Zelensky soulignait le caractère insoutenable du déficit budgétaire de 38 milliards de dollars alors anticipé pour 2023 afin d’assurer la continuité des services publics de base. Ce besoin de financement de 3 à 4 milliards de dollars par mois a finalement été couvert par l’Union européenne et les États-Unis à hauteur de 3 milliards environ. Le budget 2023 de l’État ukrainien prévoit finalement 35,5 milliards de dollars de recettes et 71 milliards de dépenses – dont 43% en faveur de la défense, créant un déficit de 20,6% du PIB. Au 7 mars 2023, 10 milliards de dollars restaient à trouver pour financer l’année, vraisemblablement avec le Fonds monétaire international, la situation s’avérant toutefois plus stable et prédictible qu’en 2022.

Une intervention de l’Union européenne sur son cœur de métier : l’économie et le commerce

Dans ce contexte, quel rôle joue l’Union européenne ? Précisons que l’objet de cette analyse ne porte pas sur les mesures prises à l’encontre de la Russie par l’UE, les paquets de sanctions successifs constituant un sujet en soi, mais bien la stratégie économique de soutien mise en œuvre au bénéfice de l’Ukraine. Au 9 février 2023, l’aide à l’Ukraine fournie par l’Union européenne et ses États membres s’élevait à 67 milliards d’euros (73 milliards de dollars) dont 37,8 en assistance économique, 17 en aide aux réfugiés dans l’UE et 12 d’aide militaire. De manière révélatrice, l’assistance économique (dite macro-financière) et l’aide aux réfugiés sont prises en charge à respectivement 79% et 100% par l’Union européenne tandis que le soutien militaire relève à 70% des États membres. Bien entendu, ce sont in fine les États membres qui financent cet effort, mais les outils mobilisés expriment le degré d’intégration européenne atteint sur chaque dimension. En comparaison, et en ayant en tête les nombreux biais méthodologiques présents (notamment les modalités de valorisation financière des matériels militaires), les États-Unis ont fourni au 15 janvier 2023 73 milliards d’euros d’aide, dont 25,1 en assistance économique, 3,7 en aide humanitaire et 44,3 d’aide militaire selon le Kiel Institute for the World Economy. Toutefois, l’aide économique ne peut pas s’appréhender sur le seul plan budgétaire : ce sont bien les mesures en faveur de l’activité économique ukrainienne au sens large qui doivent être prises en compte dans l’analyse.

À noter que les chiffres pour l’Union européenne ne correspondent pas à ceux du Kiel Institute, qui cherche à retracer l’aide fournie à l’Ukraine. En effet, celui-ci a fait le choix méthodologique de ne pas prendre en compte l’aide fournie aux États membres qui accueillent des réfugiés sur leur territoire, au motif qu’elle n’intervient pas sur le territoire ukrainien. Cela génère un biais extrêmement fort dans les comparaisons internationales, notamment entre les États-Unis et l’Union européenne, tant du fait du montant (17 Mrds€ mobilisés à ce jour) que de la réalité du terrain : les pays de l’Union européenne accueillent plus de 90% des réfugiés ukrainiens et leur prise en charge constitue bien une aide à la population ukrainienne.

Premier élément, le financement de l’État. Avec le déclenchement des opérations russes, l’Ukraine a à la fois perdu ses sources de financement (fermeture de l’accès aux marchés financiers du fait du risque trop important et chute des recettes publiques consécutive à la chute des revenus privés) et vu ses dépenses croître très rapidement (dépenses militaires, situation humanitaire) tout en devant assurer la continuité des services publics. Comme nous l’avons vu, le bouclage du budget 2023 de l’État ukrainien n’a été permis que grâce à l’aide occidentale. À cet effet, l’engagement de l’Union européenne et de ses États membres s’élève au 9 février 2023 à 37,8 milliards d’euros, dont 80% (30 Mrds) par l’UE et 20% (7,8 Mrds) de manière bilatérale. Cet engagement s’est mis en œuvre de manière progressive : 1/ face à la montée de la menace et juste avant l’offensive russe, une assistance macro-financière d’urgence d’1,2 milliard d’euros avait été mise à disposition de l’Ukraine le 24 février 2022 – c’est ce qui s’appelle le sens du timing – et était donc immédiatement disponible, 2/ le Conseil européen des 23 et 24 juin 2022 a ensuite adopté sur proposition de la Commission une assistance macro-financière exceptionnelle de 9 milliards d’euros, 3/ le principal vecteur de cette aide est constitué du programme d’assistance macro-financière adopté lors du Conseil de l’Union européenne du 10 décembre 2022 pour un montant de 18 milliards d’euros. Ce dernier paquet législatif vise à sécuriser de manière structurelle le budget ukrainien pour 2023 à travers un financement régulier sur une base mensuelle.

Deuxième élément, le cadre commercial. Rappelons la sensibilité du sujet au regard du conflit russo-ukrainien : c’est le choix d’orientation des accords commerciaux de l’Ukraine qui conduit en novembre 2013 au mouvement de l’Euromaïdan, à la fuite du président Ianoukovytch et à l’intervention militaire russe en Crimée de février 2014. En effet, la conclusion d’un accord de libre-échange entre l’Ukraine et l’Union européenne rendait impossible l’intégration de la première à l’Union douanière eurasiatique promue par la Russie. Au Kremlin, Sergey Glazyev, alors conseiller de Vladimir Poutine sur ces questions, avait parlé de « démarche suicidaire » de l’Ukraine en cas de choix européen. Conséquence directe de ces événements, l’Accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne est signé dès le 21 mars 2014 pour ses dispositions politiques et le 27 juin 2014 pour ces dispositions économiques ; il entre définitivement en vigueur le 1er septembre 2017 après ratification par l’ensemble des parties à l’accord. Les dispositions économiques constituent un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), ou Deep and Comprehensive Free Trade Agreement (DCFTA), qui a pris effet en totalité le 1er janvier 2016. Il élimine la majeure partie des droits de douane : 98,1% du côté de l’Union européenne et 99,1% du côté de l’Ukraine, permettant de réorienter structurellement l’économie ukrainienne vers l’Europe avec les conséquences présentées dans la première partie de cet article. En 2022, et de la même manière que face à la crise du COVID-19, l’Union européenne a assoupli les règles commerciales en vigueur au bénéfice de l’Ukraine par décision du Conseil de l’UE du 24 mai 2022 : pour une durée d’un an, les échanges sont facilités par la suspension des droits à l’importation sur toutes les exportations ukrainiennes vers l’Union européenne. Par ailleurs, en juillet 2022, la Commission a autorisé les États membres à lever temporairement les droits de douane et la TVA sur les importations en provenance de pays tiers d’équipements vitaux destinés aux Ukrainiens touchés par la guerre (denrées alimentaires, couvertures, tentes, groupes électrogènes), facilitant leur acheminement et réduisant leurs coûts.

Troisième élément, les flux d’exportations. Au vu de la dépendance ukrainienne à ses exportations du fait de sa spécialisation, il était vital de rendre possible les flux commerciaux via l’Union européenne, le transport maritime par la mer Noire étant rendu impossible par le blocus russe. La Commission européenne a établi à travers sa communication du 12 mai 2022 un « plan d’action pour la création de corridors de solidarité UE-Ukraine en vue de faciliter les exportations agricoles et les échanges bilatéraux de l’Ukraine avec l’UE ». Concrètement, l’objectif était d’établir des couloirs logistiques alternatifs à ceux existants antérieurement. Début février 2023, les corridors de solidarité avaient permis d’exporter 23 millions de tonnes de grains, d’oléagineux et de produits associés, de même que 21 millions de tonnes de marchandises non agricoles pour un chiffre d’affaires de 20 milliards d’euros. À titre d’exemple, CMA-CGM propose une offre de transport Odessa-Trieste par rail en 6-7 jours, ce qui était inimaginable en janvier 2022. Soulignons-le, ces mécanismes si peu commentés constituent la seule possibilité pour l’Ukraine à la fois d’exporter des produits non agricoles et d’importer des marchandises de toute nature au bénéfice de sa population et de ses entreprises. Certes, un accord russo-ukrainien sur l’acheminement des céréales en mer Noire a été conclu le 22 juillet 2022 sous les auspices de la Turquie et des Nations unies, mais, valable seulement 120 jours et renouvelé depuis, il fait peser une épée de Damoclès permanente sur les exportations ukrainiennes en la matière. Sur les seuls produits agricoles, le bilan est d’ailleurs flatteur pour l’Union européenne : alors que 90% des exportations de céréales et d’oléagineux avaient été réalisées par bateau en 2021, seuls 40% (15,8 Mt) l’ont été depuis février 2022 contre 60% (23 Mt) par les corridors de solidarité de l’UE. Par ailleurs, les restrictions à l’entrée de poids lourds dans l’Union européenne ont été levées. Cette véritable ligne de vie de l’Ukraine a été mise en place par l’Union européenne en un temps record eu égard aux défis logistiques posés (disponibilité des wagons, écartement de rails différents, circulation de ce flux énorme sur le réseau ferré européen, cadre juridique du transport routier, fluvial et ferroviaire) et un milliard d’euros est prévu en 2023 pour améliorer la circulation de ces flux de marchandises.

Quatrième élément, l’énergie. Suite à l’offensive russe du 24 février 2022, le Conseil Énergie, qui regroupe les ministres concernés des 27 États membres, prend dès le 28 février la décision de synchroniser les réseaux électriques européens avec l’Ukraine (et la Moldavie). Jusqu’en 2014, l’Ukraine était synchronisée avec le réseau électrique russe et fonctionnait de manière autonome depuis. Les avantages de cette opération sont d’une part de rendre possibles les échanges commerciaux entre les pays et d’autre part d’offrir une grande souplesse de réponse à des difficultés d’approvisionnement. Dans la suite de travaux engagés depuis 2017, cette décision a pu être mise en œuvre dès le 16 mars 2022 et l’Ukraine a pu commencer à exporter son électricité vers l’UE dès juillet, source de revenus pour le secteur privé comme pour l’État : 1,5 milliard d’euros étaient projetés à fin décembre. Comme le déclarait le président Zelensky le même jour : « l’Ukraine est dans l’eurozone de l’énergie ». Les attaques massives de la Russie contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes à partir du 11 octobre ont interrompu ces exportations, appelant une nouvelle réponse de l’Union européenne. Le Mécanisme européen de protection civile institué dès 2001 qui dispose de réserves de moyens de sécurité civile (dispositif rescEU mis en place en 2019) a fourni 1400 générateurs à l’Ukraine en 2022 et instauré un hub énergétique en Pologne en janvier 2023 chargé d’en livrer 1000 autres

Un soutien économico-commercial de l’Union européenne unique et durable

En synthèse, l’Union européenne a, dès le premier jour de l’offensive russe, joué un rôle stratégique pour assurer la continuité de l’État ukrainien et la survie de son économie. Elle a su s’adapter aux circonstances et faire évoluer les modalités de son aide en fonction des difficultés rencontrées, comme dans le cas de l’énergie. Bien entendu, l’Ukraine n’aurait pu résister sans les succès de son armée, en partie liés à l’aide militaire fournie par les pays occidentaux. Ces succès n’auraient cependant pas été possibles sans la permanence de l’État et la capacité à financer ce colossal effort militaire. L’action de l’Union européenne sur le plan économico-commercial est à mettre sur un pied d’égalité avec celle des États-Unis sur le plan militaire, chacun se positionnant sur ce que l’autre n’était pas en mesure de faire pour des raisons tant géographiques que d’outillage politique. Les États-Unis n’avaient (et n’ont toujours) aucun moyen de sauver l’activité économique ukrainienne, son secteur privé : c’est le rôle exclusif de l’Union européenne et c’est vital pour l’Ukraine.

L’aide économico-commerciale de l’Union européenne constitue donc un enjeu stratégique dans la capacité de l’Ukraine à poursuivre la guerre, mais est-elle soutenable ? À court terme, le principal goulet d’étranglement auquel l’Ukraine doit faire face n’est plus économique, mais militaire avec la problématique de la fourniture de munitions et de matériels ; le budget 2023 table même sur une croissance du produit intérieur brut ukrainien de 3,2% et les recettes de l’État pour janvier 2023 sont supérieures aux attentes. À plus long terme, les mesures commerciales peuvent aisément s’inscrire dans la durée de la guerre, générant même de l’activité économique nouvelle au sein de l’UE à travers le report du trafic maritime de la mer Noire sur les voies terrestres ; l’infrastructure électrique du pays est fragilisée, mais peut être maintenue plusieurs années ; l’assistance macro-financière à l’État ukrainien, sécurisée pour 2023, est un point plus discutable. En effet, 30 milliards d’euros par an d’aide sont à la fois beaucoup dans l’absolu et peu au regard du produit intérieur brut de l’UE (14.476 milliards d’euros en 2021, soit 0,2%). La reconnaissance du statut de pays candidat accordé à l’Ukraine lors du Conseil européen du 23 juin 2022 tend à inscrire cet effort financier dans une logique d’investissement au profit d’un futur État membre. À cet égard, le soutien financier de l’Union européenne apparaît plus durable que celui des États-Unis, soumis aux échéances électorales américaines de 2024.

Conclusion

In fine, il est important de questionner en permanence les biais liés au traitement médiatique du conflit russo-ukrainien (et de tout autre) dans une société dominée par l’immédiateté de l’image. Bien entendu, ces biais existeront toujours : les austères données de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, de la Banque mondiale, de l’Organisation mondiale du commerce, du Fonds monétaire international ou des différentes institutions de l’Union européenne mobilisées dans cet article ne seront jamais en mesure de concurrencer visuellement tranchées, chars, avions de chasse, missiles et combats. Néanmoins, elles constituent bien l’autre face de la même pièce, l’un ne pouvant aller sans l’autre. Il est essentiel d’être conscient de cette déformation des perceptions dans l’analyse stratégique qui en découle, au risque d’en tirer des conclusions erronées.

 

Photo : CC-BY-4.0. Crédit : European Union. Source : EP.

 

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Olivier Sueur

Olivier Sueur (@SueurOlivier), expert en résilience et affaires stratégiques, est ancien sous-directeur OTAN, Union européenne et ONU au sein du Ministère des Armées. Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.

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