Les nouvelles armes hypersoniques : les inconnues connues

Le Rubicon en code morse
Jan 20

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La scène d’ouverture du film Top Gun 2 présente un essai en vol d’un jet hypersonique s’inspirant du SR-72. Ce prototype grandeur nature d’un avion furtif hypersonique de reconnaissance est actuellement développé par Lockheed Martin Skunk Works pour succéder à l’emblématique SR-71 Blackbird (il convient de préciser toutefois que le SR-72 est un avion sans pilote). Si la présence d’un pilote (Tom Cruise) et le témoignage de son audace relèvent des besoins du scénario, la scène souligne néanmoins les principaux problèmes auxquels sont confrontés les pays qui recherchent une capacité hypersonique. Atteindre Mach 10 s’est en l’espèce avéré fatal pour l’avion, qui s’est probablement désassemblé en raison de la friction élevée et de la chaleur qui est ainsi créée à sa surface, le rendant incontrôlable et finissant par le faire fondre.

Néanmoins, les attentes exagérées concernant la capacité hypersonique militaire – et à leur tour les lignes budgétaires gonflées garantissant l’investissement dans de nouvelles armes – aggravent l’environnement sécuritaire. Alors que les missiles balistiques existants franchissent déjà le seuil hypersonique de Mach 5, les nouvelles armes hypersoniques – à la fois les planeurs et les missiles de croisière – sont destinées à voler à des vitesses soutenues dans l’atmosphère tout en ayant la maniabilité nécessaire pour modifier leur trajectoire de vol. L’intense course à la technologie en la matière illustre le dilemme de sécurité à l’oeuvre entre les États-Unis, la Russie et la Chine. La Corée du Nord et l’Iran, eux aussi, informent à leur tour le monde du développement de leurs propres missiles hypersoniques. L’Australie, la Corée du Sud, l’Inde, la France, le Royaume-Uni et le Japon sont également en train d’explorer cette piste, afin d’éviter toute surprise stratégique ou tout retard.

Les armes hypersoniques peuvent renforcer les craintes d’attaques préemptives et modifier dangereusement les scénarios d’escalade des crises dans les années à venir. Cet argument repose sur l’idée selon laquelle leur trajectoire de vol imprévisible crée une ambiguïté en ce qui concerne la cible des missiles. En outre, le fait que les radars ne s’adaptent pas très bien à leur altitude inhabituelle et à leur vitesse extrême réduit l’intervalle du temps durant lequel l’État attaqué peut réagir. Étant donné que cette technologie émergente a acquis une réputation d’arme invincible et imparable, les pays tentent de s’affranchir de la perception de leur propre vulnérabilité en les faisant parader lors de salons militaires, en les utilisant dans des conflits en cours ou encore lors de tests d’armes.

La menace liée aux missiles russes a particulièrement augmenté en Europe avec la dénonciation du traité FNI (traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire) en 2019 et le déploiement de missiles aérobalistiques Kinzhals à Kaliningrad, l’enclave russe située à la frontière de la Pologne et de la Lituanie. De plus, le planeur hypersonique Avangard développé par la Russie a une portée stratégique capable de frapper le continent nord-américain. De ce fait, les systèmes d’armes hypersoniques en tant que nouveaux vecteurs d’ogives nucléaires et non nucléaires gagnent également en importance dans le contexte de la politique affirmée par la Chine visant à porter son arsenal nucléaire à 1 000 ogives avant la fin de la décennie.

Que devrait faire l’OTAN face à cette course à l’arme hypersonique ? L’Alliance élabore actuellement sa stratégie en l’espèce pour un dispositif identifié comme l’une des neuf technologies émergentes et perturbatrices. Cet article développe l’argument selon lequel cette stratégie devrait encourager les alliés de l’OTAN à travailler à une meilleure compréhension des armes hypersoniques en actualisant les outils de contrôle d’une telle technologie et en investissant dans la défense aérienne et antimissile de l’OTAN. Les enjeux de réduction des risques et d’amélioration de la transparence des programmes d’armes hypersoniques sont conformes aux objectifs de maîtrise des armements énoncés dans le concept stratégique 2022 de l’OTAN.

Premièrement, bien que les affirmations sur l’utilité militaire des armes hypersoniques soient prématurées, en particulier dans le cas des systèmes à longue portée, il reste nécessaire d’agir. S’il est en ce sens probable que les armes hypersoniques ne créent de nouveaux effets militaires qu’à des distances tactiques, principalement en raison de leur vitesse qui réduit le temps de réaction de l’État attaqué, l’application militaire de la technologie hypersonique doit en effet être contrée dans la mesure où il s’agit principalement d’armes « de communiqués de presse » (« press-released » weapons) et que les risques d’escalade sont réels. En outre, les trois principaux pays qui développent ces armes prévoient d’acquérir des armes hypersoniques de combat, ce qui contraste avec leur mission de dissuasion qui reste une priorité affichée.

Deuxièmement, l’exploitation des compromis entre la vitesse, la manœuvrabilité et l’altitude offre des moyens de renforcer les défenses contre la menace hypersonique. En outre, l’attention portée aux nouvelles armes hypersoniques en cours de fabrication empêche de prendre la mesure de la variété croissante des menaces aériennes à grande vitesse et manœuvrables. Les pays membres de l’OTAN ont besoin d’un réseau de défense intégré et à plusieurs niveaux pour faire face à toutes les menaces volant à des altitudes inhabituelles, y compris les petits drones armés volant à basse altitude et les munitions rôdeuses. Le défi consiste à trouver un équilibre entre la faisabilité opérationnelle et la rentabilité des solutions. Le développement d’une meilleure défense n’a que trop tardé.

Menace hypersonique en cours de fabrication

Les armes hypersoniques sont présentées comme une nouvelle classe de vecteurs qui peuvent voyager à des vitesses extrêmes (cinq fois la vitesse du son) dans l’atmosphère terrestre et ont une capacité de manœuvrabilité exceptionnelle. Concrètement, les développements et les travaux portant sur les armes hypersoniques se déclinent en deux variantes principales, reposant soit sur la technologie de « superstatoréacteur » (scramjet), soit sur la technologie de « rebond atmosphérique » (boost-glide). En premier lieu, les missiles de croisière hypersoniques (HCM, Hypersonic Cruise Missile) sont une version plus rapide des missiles de croisière existants, car ils sont propulsés par un statoréacteur à combustion supersonique, également appelé « superstatoréacteur ». Parce que les statoréacteurs obtiennent l’oxygène nécessaire directement de l’atmosphère, les missiles hypersoniques sont plus petits et plus maniables. Étant donné que les superstatoréacteurs sont utilisés dans des conditions extrêmes, il a fallu plusieurs décennies pour développer un moteur qui fonctionnerait à une vitesse hypersonique dans l’atmosphère. Toutefois en raison de défis techniques, il n’existe aujourd’hui aucun système d’armes d’ores et déjà déployé et en activité utilisant un superstatoréacteur.

En second lieu, les planeurs hypersoniques (HGV, Hypersonic Glide Vehicle) ne sont pas motorisés et dépendent d’une fusée pour être soulevés et libérés dans l’atmosphère à des altitudes comprises entre 40 et 100 kilomètres, après quoi ils volent sans moteur vers leur cible. Contrairement à la trajectoire facilement calculable des missiles balistiques, le concept de rebond atmosphérique rend les altitudes de rentrée des HGV imprévisibles et permet au planeur de manœuvrer le long de trajectoires alambiquées. La plupart des HGV en développement utilisent des missiles balistiques pendant la phase de propulsion. En 2021, la Chine a installé un planeur hypersonique sur une fusée en orbite, inspirée du système soviétique de bombardement orbital fractionné ou FOBS (opérationnel de 1969 à 1983). La nouveauté de ce système ne réside pas dans la combinaison d’un orbiteur et d’un planeur hypersonique. En effet, ce type de système existe depuis des décennies sous le nom de navette spatiale, un système propulsé par une fusée qui passe ensuite en mode de vol orbital, avant de revenir en planant vers la Terre. La nouveauté réside plutôt dans l’utilisation par la Chine d’ogives nucléaires sur ces systèmes.

Au surplus, la Russie et la Chine développent toutes deux des systèmes duaux, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité de transporter des ogives conventionnelles comme des ogives nucléaires. Par exemple, le missile de croisière hypersonique russe 3M22 Tsirkon d’une portée de 1 000 km (et d’une vitesse de pointe de Mach 9), le missile balistique chinois DF-17 (d’une portée 2 500 km), ainsi que le missile balistique intercontinental DF-41 associés à des planeurs hypersoniques sont à double usage. La capacité hypersonique offensive devrait donc ajouter une ambiguïté quant au type d’ogive utilisé et à l’identité de la cible.

Contourner les lois de la physique

L’état de la recherche technologique et les lois de la physique appellent à une certaine prudence. Du point de vue technique, la maîtrise de la capacité hypersonique, c’est-à-dire la capacité de voler à des vitesses hypersoniques dans l’atmosphère tout en conservant la navigabilité et la maniabilité, est une question relative à la science des fusées. La communauté scientifique estime que les HGV et les HCM ne seront pas opérationnels avant les années 2030 (pour les HGV) et 2040 (pour les HCM). L’état opérationnel des systèmes actuellement déployés, comme l’Avangard russe, est inconnu (ce qui en fait très probablement un système d’armement déployé prématurément et peu fiable) et n’a donc pas d’utilité militaire au-delà des effets psychologiques. Les affirmations d’autres gouvernements nationaux doivent être interprétées dans le contexte de la concurrence technologique. Les pays qui souhaitent déployer ces armes doivent encore résoudre quelques problèmes importants : il leur faudra notamment dépasser les difficultés rencontrées pour atteindre la vitesse hypersonique dans une atmosphère épaisse. En effet, la chaleur créée par la friction de l’air à des vitesses aussi élevées peut faire fondre le missile (ou le planeur), gâcher sa navigation ou le rendre visible aux capteurs infrarouges qui pourraient alors suivre le missile, ruinant ainsi le précieux effet de surprise des systèmes hypersoniques. En même temps, ces véhicules sont sensibles à toute imperfection ; par exemple, une fissure dans le panneau de carbone a provoqué l’accident de la navette spatiale Columbia lors de son retour. Non moins important, le vol hypersonique motorisé est plus demandeur en carburant que le vol supersonique, car le véhicule doit traverser l’atmosphère. Cela augmente le coût opérationnel de ce système d’armes. Fait important et plutôt surprenant, deux points sont généralement omis dans les débats publics sur les armes hypersoniques : leur utilité militaire discutable et la possibilité de contre-mesures.

Faisable et utilisable dans une certaine mesure

Premièrement, bien que les armes hypersoniques puissent être techniquement réalisables, leur utilité militaire, en particulier à des distances stratégiques, reste incertaine. Du point de vue militaire, la question de savoir quel problème les nouveaux systèmes d’armes hypersoniques tentent de résoudre reste sans réponse. Les missiles hypersoniques existent depuis plusieurs décennies, ils sont simplement mieux connus sous le nom de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). Techniquement, tous les missiles balistiques d’une portée supérieure à quelques centaines de kilomètres sont hypersoniques puisqu’ils peuvent voler plus vite que Mach 5. Par exemple, le Minuteman III américain, opérationnel depuis 1970, peut parcourir plus de 9 600 kilomètres pour atteindre Mach 23. Des études fondées sur la modélisation informatique ont montré que la vitesse et la portée des planeurs hypersoniques sont comparables, sinon inférieures, aux ICBM existants et aux missiles balistiques lancés par sous-marin. De plus, il n’existe aujourd’hui aucune solution pour se défendre face à une attaque complexe par saturation d’ICBM.

L’avantage stratégique des armes hypersoniques risque donc d’être minime. En effet, pour la Russie, les planeurs hypersoniques à longue portée ont une nouvelle qualité qui leur permettrait de surmonter les défenses intérieures américaines. Même si l’avantage des armes hypersoniques est plus faible lorsqu’elles parcourent des distances intercontinentales, elles représentent, pour la Russie, une stratégie de couverture. Toutefois, la défense du territoire nord-américain est préparée à faire face aux menaces nord-coréennes et iraniennes, des États avec lesquels les États-Unis refusent techniquement de reconnaître une quelconque vulnérabilité mutuelle. En revanche, la Chine a développé des armes hypersoniques pour projeter davantage sa puissance en mer de Chine méridionale et au-dessus de Taïwan en contournant les défenses antimissiles américaines dans la région Asie-Pacifique. La crainte chinoise d’une frappe préventive américaine qui désactiverait la capacité nucléaire de la Chine et priverait la Chine de sa capacité de riposte semble être le motif qui justifie l’équipement de son DF-41 avec plusieurs planeurs.

Cependant, la Chine et la Russie ont déjà la capacité d’atteindre le sol américain avec leurs ICBM et leurs missiles balistiques lancés par des sous-marins nucléaires. En outre, les défenses antimissiles continentales contre les missiles balistiques à longue portée existants ne sont pas connues pour leurs performances éblouissantes. Pourtant, l’obsession de déjouer le réseau américain de défense aérienne et antimissile a conduit à une situation quelque peu extrême où la Chine a testé un planeur hypersonique à partir de l’espace. Inspirée par les FOBS, la Chine a démontré qu’elle pouvait échapper complètement aux défenses antimissiles américaines en survolant le pôle Sud. Cependant, le test d’un tel système de planeur à propulsion orbitale pourrait n’être qu’un signal de la Chine qui montre son accès à l’espace, et une distraction de l’utilisation potentiellement plus conséquente d’armes hypersoniques à des distances tactiques.

Les effets hypersoniques se feront très probablement sentir au niveau sous-stratégique. Cela peut inclure la capacité de contrecarrer les défenses locales et de fournir des capacités de frappe rapide contre les forces armées déployées localement, en particulier dans la guerre navale, et contre des cibles de grande valeur, urgentes ou encore des cibles renforcées. La Russie et la Chine ont ainsi l’intention d’acquérir des missiles antinavires, tels que le Tsirkon russe 3M22 et le Starry Sky-2 (ou Xing Kong-2) chinois, qui sont capables de rendre même des porte-avions vulnérables. Ces systèmes hypersoniques peuvent avoir des implications stratégiques en raison de la capacité duale de leurs vecteurs. On passe à côté de l’essentiel lorsque tente de déterminer si un État déploie des armes nucléaires à des vitesses supersoniques ou hypersoniques : le type d’ogive fait la différence, pas la vitesse.

L’interception des missiles hypersoniques

Deuxièmement, les missiles hypersoniques peuvent être arrêtés. Bien que la lutte contre les menaces hypersoniques soit difficile en raison de leurs vitesses élevées, de leur maniabilité et de leurs altitudes de vol, leur signature infrarouge et des vulnérabilités liées au vol hypersonique dans l’atmosphère rendent l’interception de la phase de vol plané réalisable. Cependant, il faudrait une amélioration majeure de l’architecture des capteurs spatiaux et de nouvelles capacités d’interception pour tenir compte des altitudes de fonctionnement (20-100 kilomètres), de la trajectoire imprévisible et de la vitesse des armes hypersoniques.

Les systèmes de défense améliorés devront articuler plusieurs strates de capteurs et permettre l’intégration de toutes les données, et ce, sur tout le continent. Ils devront aller au-delà des défenses antimissiles balistiques classiques. Les systèmes de défense aérienne et antimissile existants reposent principalement sur les radars terrestres et maritimes pour l’alerte précoce, et ces radars ne sont pas équipés pour suivre les armes hypersoniques de manière efficace. On s’attend à ce que les armes hypersoniques volent à des altitudes plus basses, c’est-à-dire inférieures à l’altitude des intercepteurs de missiles balistiques et suffisamment basses pour que la courbure de la Terre les rende indétectables par la détection radar au sol tout en étant au-dessus de l’altitude des défenses aériennes les plus basses. Des systèmes de défense aérienne et antimissile efficaces devraient connecter les parties thermiques des capteurs infrarouges avec les capacités d’interception de la couche supérieure à l’extérieur de l’atmosphère et les capacités d’interception de la couche inférieure dans l’atmosphère pour une capacité globale de détection et de suivi d’une menace hypersonique. En effet, l’Agence américaine de défense antimissile (MDA), en collaboration avec l’Agence de développement spatial, a développé une constellation de satellites de surveillance en orbite basse avec des capteurs pour indiquer et avertir d’un lancement. Ces deux agences ont prévu de lancer deux prototypes de satellites en mars 2023. La MDA a également lancé des efforts pour réaliser un Glide Phase Interceptor, un nouveau prototype de missile qui sera associé au système de défense antimissile balistique Aegis.

Les signatures infrarouges et le plasma autour des véhicules hypersoniques pourraient déjà permettre aux systèmes de défense Patriot et THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) de détecter les armes hypersoniques pendant la phase de vol plané lorsqu’elles opèrent à l’intérieur de l’atmosphère et à des vitesses plus faibles. En adaptant les logiciels et la propulsion, il sera possible d’intercepter les missiles lors de cette phase à une courte distance. En effet, si ces systèmes de défense peuvent être adaptés pour intercepter les armes hypersoniques, ils ne peuvent couvrir que de petites zones et il serait excessivement cher de les utiliser pour la défense continentale. Pourtant, toute défense efficace contre des missiles extrêmement rapides et manœuvrables en Europe devrait probablement s’organiser à l’échelle du continent. Cela nécessitera une coopération entre les alliés et, en fin de compte, une intégration par le biais de l’intelligence artificielle, car les nouveaux systèmes de défense nécessiteront de nouveaux outils logiciels pour traiter au plus vite des données de renseignement multiples, détecter les lancements d’armes et suivre les menaces imminentes.

L’étape cruciale consistera à articuler efficacement deux aspects de la défense : d’une part, les nouvelles strates/couches (en cours de développement) de capteurs spatiaux d’alerte précoce qui détecteront et suivront la signature thermique (cette signature étant plus forte au début des phases de vol) ; d’autre part, des effecteurs qui s’appuient soit sur les capacités d’interception de la couche supérieure, tel qu’elles sont fournies par les systèmes adaptés Aegis et THAAD, soit sur les capacités d’interception de la couche inférieure (dans l’atmosphère), tel qu’elles sont fournies par les systèmes Patriot et SAMP/T. Étant donné que les armes hypersoniques opèrent dans un entre-deux, entre les domaines aérien et spatial, les armes hypersoniques peuvent avoir un impact significatif sur l’efficacité des systèmes de défense aérienne et antimissile.

La place de la technologie hypersonique dans la compétition géopolitique

Compte tenu des limitations technologiques persistantes, l’effet actuel des armes hypersoniques a été principalement psychologique du fait d’une signalisation stratégique, d’une projection de statut, d’une volonté d’intimidation des adversaires et d’une propagande. Par exemple, à la veille de la Journée de l’armée chinoise le 1er août, Pékin a présenté publiquement et pour la première fois une vidéo de lancement de son missile DF-17. Ce missile est connu pour sa capacité à transporter un planeur hypersonique. Bien que l’on sache peu de chose sur l’état opérationnel de cette arme, la vidéo de lancement est intervenue quelques jours avant la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, et avant son test du système de missile DF-17 lors d’un exercice de tir réel dans le détroit de Taiwan.

Alors que la Russie est empêtrée dans une guerre d’attrition, le président Poutine a annoncé que les forces navales russes allaient être équipées de missiles de croisière hypersoniques Tsirkon. L’utilisation très médiatisée du missile Kinzhal en Ukraine en mars 2022 (prétendument la première arme hypersonique utilisée en temps de guerre) traduit une tentative russe d’utiliser un soi-disant missile hypersonique afin d’afficher un prétendu sentiment de confiance. Kinzhal est cependant essentiellement une arme de propagande, ou pour être plus exact un missile balistique air-sol présenté comme un système d’arme hypersonique sans qu’aucune capacité de manœuvre exceptionnelle n’ait été documentée. Plus précisément, il s’agit d’une version modifiée du missile balistique tactique Iskander-M sol-air, lancée à partir d’un avion intercepteur supersonique MiG-31, qui propulse le missile pour qu’il atteigne des vitesses plus élevées à une altitude inhabituelle pour un missile balistique et ainsi étende sa portée.

En somme, les armes hypersoniques, et les technologies émergentes en général, sont devenues un outil politique des gouvernements qui les utilisent à des fins de propagande grâce à leur réputation d’arme invincible destinée à intimider et à contraindre l’adversaire. La Russie aurait en ce sens déployé son Kinzhal en 2017 et son premier planeur hypersonique Avangard en décembre 2019. En 2020, la Chine a déclaré que son planeur hypersonique DF-17 était opérationnel. Les États-Unis, de leur côté, ont affirmé qu’ils n’avaient, pour l’instant, testé que des prototypes d’armes et qu’ils mettraient en service leurs armes hypersoniques en 2023. Même si les États-Unis avaient déjà investi dans l’hypersonique dans le cadre du programme Conventional Prompt Global Strike (frappe planétaire rapide) dans les années 2000, l’augmentation du budget de la recherche hypersonique au cours des dernières années (de quelques centaines de millions à plus de quatre milliards de dollars US en 2023) s’est effectuée en réaction aux progrès technologiques russes et chinois dans la mise en service de systèmes d’armes hypersoniques. Cela reflète une perception de manque de progrès des États-Unis dans le développement de nouvelles armes hypersoniques offensives, plutôt qu’une volonté de combler une lacune réelle dans leurs capacités militaires.

À supposer que les armes hypersoniques soient techniquement possibles dans les deux prochaines décennies, la disponibilité technique et la faisabilité technologique ne produisent pas automatiquement des effets militaires réels si elles ne sont pas accompagnées d’une doctrine solide. Par conséquent, les armes hypersoniques restent en l’état des armes « de communiqués de presse ». Le bruit médiatique au sujet de ces armes apparaît alors plus dangereux que la technologie elle-même, principalement pour deux raisons. Il perpétue d’abord la croyance en des armes révolutionnaires invincibles alimente la rivalité entre grandes puissances. L’utilisation de la réputation des armes hypersoniques comme outil politique pour rappeler son statut de grande puissance, en particulier à une époque où les normes de contrôle des armements disparaissent, crée de l’instabilité et augmente les risques d’escalade. L’hypervitesse n’est ensuite qu’une des caractéristiques qui façonneront la guerre future dans les domaines aérien et spatial. L’attention médiatique met l’accent sur la vitesse, alors qu’elle devrait le mettre sur la manœuvrabilité. Cela masque donc le fait que le spectre des menaces liées aux missiles s’élargit et qu’il existe des missiles avec différents degrés de manœuvrabilité. Par exemple, au lieu de planeurs hypersoniques sensationnels, mais mal définis, il serait plus exact de parler d’une nouvelle génération de vecteurs de rentrée manœuvrable (MARV), qui améliorent la manœuvrabilité et étendent la portée d’un missile tout en restant dans l’atmosphère pendant la majeure partie de leur vol. En fin de compte, la politisation des armes hypersoniques a créé un fossé entre la compréhension des menaces hypersoniques et la capacité réelle des systèmes d’armes hypersoniques. Les grandes puissances ne se contentent pas de se copier technologiquement, mais exagèrent délibérément les capacités de systèmes d’armes qui sont encore en développement, et exploitent ces perceptions déformées à des fins de propagande.

Quelles implications de ces systèmes d’arme hypersonique pour l’OTAN ?

Pour contrer le déterminisme technologique, qui se manifeste dans l’attention médiatique qui s’accompagne d’une fausse promesse d’une arme hypersonique révolutionnaire, l’OTAN a besoin d’une stratégie solide. Pour traiter la menace hypersonique, les forces armées transatlantiques ont besoin d’une doctrine accompagnée de capacités hypersoniques afin de dissuader les potentielles menaces. L’OTAN devrait s’efforcer de développer une meilleure compréhension des armes hypersoniques au sein des communautés épistémiques, chez les dirigeants politiques, les militaires et les industriels. L’immense réservoir d’experts scientifiques des pays membres de l’OTAN peut contribuer à éclairer les efforts visant à mieux réglementer le développement et l’utilisation de la technologie hypersonique à des fins militaires. En coordonnant les positions de ses pays membres et en élaborant sa politique sur les technologies émergentes et les technologies de rupture, l’OTAN devrait réexaminer les exportations de missiles afin de fixer les mesures de transparence et de prévenir la prolifération des armes hypersoniques. Le régime de contrôle de la technologie des missiles (Missile Technology Control Regime – MTCR) pourrait être la principale instance permettant de clarifier et d’actualiser la réglementation au fur et à mesure de l’évolution de la technologie des missiles hypersoniques, au même titre que l’accord de Wassenaar sur les technologies à double usage et le code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques. Les débats se poursuivent sur la manière dont ce régime de contrôle pourrait restreindre les planeurs hypersoniques, en s’appuyant sur une analogie des MARV. Le traité New START (Strategic Arms Reduction Treaty) couvre également les planeurs hypersoniques à portée stratégique. Leur prolifération n’est attendue que parmi les pays qui possèdent déjà des missiles balistiques, nécessaires à leur phase de propulsion. En revanche, le développement des missiles de croisière hypersoniques est plus lent, car la propulsion hypersonique est coûteuse en carburant et en ressources, et l’attention politique qu’elle requiert est moins urgente.

En définitive, une fois que la technologie hypersonique sera arrivée à maturité, permettant aux systèmes d’armes de devenir opérationnels et de produire une plus-value du point de vue militaire, la capacité hypersonique représentera un facteur majeur dans la détection et l’interception des menaces de missiles. Les futures défenses continentales devront mettre l’accent sur des systèmes de défense de zone qui soient multicouches et intégrés, composés de capteurs terrestres et spatiaux bien connectés avec des intercepteurs air-sol et air-air pour une détection rapide et un suivi constant. En effet, les nouvelles menaces de missiles se déplaceront dans les domaines aérien et spatial, en étant davantage manœuvrables et en atteignant des vitesses extrêmes et des altitudes inhabituelles. Il est essentiel que les gouvernements investissent également des ressources dans de nouveaux intercepteurs. En outre, les capacités d’interception hit-to-kill pourraient être complétées par des contre-mesures électromagnétiques (micro-ondes pour endommager l’électronique interne du missile) et cybernétiques (brouillage). Toutefois, en raison de la température de surface élevée des missiles hypersoniques, il est peu probable que les lasers puissent représenter un moyen efficace d’arrêter la menace. En outre, la prise en compte de cette menace dans la gouvernance technologique mondiale devrait s’accompagner d’une reconnaissance de la possibilité d’un double usage des technologies émergentes. Le contrôle de l’arsenalisation de la technologie hypersonique ne devrait pas empêcher les gouvernements d’investir dans la propulsion hypersonique afin de construire une infrastructure plus durable pour la poursuite de l’exploration spatiale.

 

Cet article est une version modifiée de la note stratégique de Dominika Kunertova « New Hypersonic Weapons: Same but Different » paru le 3 décembre 2022 sur le Réseau d’Analyse Stratégique.

 

Crédits photos : REUTERS / KCNA

Auteurs en code morse

Dominika Kunertova

Dominika Kunertova (@DominiKunertova) travaille en tant que chercheuse au Centre des études de sécurité, ETH Zürich. Ses intérêts de recherche portent sur l’armement des technologies émergentes et perturbatrices, les tendances de la robotique militaire, l’innovation dans la maîtrise des armements, la coopération transatlantique en matière de défense et de sécurité, et la dynamique des armements en Europe. Son expérience professionnelle antérieure comprend la prospective stratégique au Commandement Allié Transformation de l’OTAN à Norfolk, le développement des capacités au siège de l’OTAN à Bruxelles, et les systèmes sans pilote militaires au Centre d’études sur la guerre au Danemark.

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