L’attaque du pont de Crimée et les représailles russes : que dit le droit international ?

Le Rubicon en code morse
Déc 22

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« Il y a beaucoup de bruit autour de nos frappes sur les infrastructures énergétiques du pays voisin. Oui, nous le faisons. Mais qui a commencé cela ? Qui a frappé le pont de Crimée ? » s’est récemment exclamé le Président Poutine.

Depuis le 9 octobre, l’Ukraine est effectivement sous le feu continu de salves de missiles russes qui touchent ses infrastructures civiles, notamment énergétiques. Le Président Macron a décrit cette situation comme un « changement profond de la nature de cette guerre », tandis que les Nations unies et l’Union européenne ont qualifié les tirs de crimes de guerre. Ces frappes prennent toutefois place dans un contexte particulier marqué par l’attaque du 8 octobre contre le pont de Crimée surplombant le détroit de Kertch. Si l’Ukraine n’a pas revendiqué l’attaque, Vladimir Poutine a dénoncé un acte terroriste ukrainien qui « avait pour objectif de détruire des infrastructures civiles russes » et ajouté que « Laisser de tels crimes sans réponses est tout simplement impossible. (…) Nous avons lancé des tirs massifs avec des armes de précision visant des infrastructures militaires de communication ukrainiennes. ». Il s’agit donc de représailles de la part d’une Russie qui met en œuvre cette loi du Talion souvent décriée en raison de son caractère primitif et barbare.

Dans le langage courant, les représailles sont des actes de vengeance pris à titre de réciprocité. Toutefois, l’expression renvoie également à un instrument juridique précis que le droit international contemporain reconnaît bien qu’il l’encadre rigoureusement. En droit international général, les représailles sont, d’après une définition de l’Institut du droit international communément acceptée, des « mesures de contrainte, dérogatoires aux règles ordinaires du droit des gens [le droit international], décidées et prises par un État, en réponse à des actes illicites commis à son préjudice par un autre État, et ayant pour but d’imposer à celui-ci, par pression exercée, au moyen d’un dommage, le retour à la légalité ». Il s’agit de mesures, qui seraient normalement considérées comme illicites, prises pour faire cesser un acte illicite. L’avènement du système de sécurité collective des Nations unies prohibant le recours à la force a toutefois conduit à abandonner progressivement la notion de représailles, connotée à l’emploi de la force militaire, au profit du concept de contre-mesures. En effet, la Charte des Nations unies prohibant le recours à la force, les représailles armées s’en trouvaient dès lors interdites en temps de paix. Cependant, une telle interdiction générale n’existe pas lors d’un conflit armé. Le droit des conflits armés (DCA) prévoit seulement des limitations sectorielles comme l’interdiction de représailles contre les civils et les biens de caractère civils. Dans certaines conditions précises, des mesures de représailles armées peuvent donc se révéler conformes au DCA si elles visent par exemple un objectif militaire.

En l’espèce, c’est bien cette branche du droit international qui trouve pleinement à s’appliquer au conflit armé international opposant la Russie à l’Ukraine depuis 2014. Le DCA se compose de dispositions conventionnelles, essentiellement concentrées dans les Conventions de Genève de 1949 et les Protocoles additionnels de 1977, auxquelles s’ajoutent des règles de nature coutumières qui s’appliquent à l’ensemble des États. Ces règles de droit, comme toutes les autres, nécessitent souvent d’être interprétées pour être appliquées à une situation d’espèce, ce qui peut donner lieu à certaines critiques relatives à une instrumentalisation du droit Face aux déclarations russes qui justifient les récents tirs de missiles par l’argument des représailles, ce billet analyse la licéité de l’attaque contre le pont de Crimée et les mesures prises par la Russie en conséquence.

L’attaque contre le pont de Crimée : une cible stratégique et symbolique licite

Détonateur supposé des récentes vagues de missiles russes contre les infrastructures ukrainiennes, l’attaque du pont de Crimée concentre une forte dimension symbolique. Portée le lendemain des 70 ans de Vladimir Poutine, cette frappe a été menée contre un ouvrage pharaonique, le plus long pont d’Europe dont le coût de construction est estimé à 3 milliards de dollars. Il incarne l’annexion triomphante de la Crimée et plus largement le pouvoir du Président russe. Au-delà d’une perte militaire, d’aucuns ont ainsi pointé un revers personnel pour ce dernier qui avait inauguré le pont en 2018. La portée symbolique de l’attaque n’est pas sans conséquence sur le moral des troupes. Côté ukrainien, cela convainc qu’une victoire est possible et que les actions ne se limitent pas à la défensive, mais peuvent aussi viser la reconquête de territoires. En outre, c’est un signal fort pour l’Occident qui incite à renforcer l’aide militaire apportée à l’Ukraine. Côté russe, l’attaque est un élément de démotivation qui illustre un fait de guerre qu’il devient bien difficile de justifier alors que la Russie affirme que la situation est une « opération spéciale » et non un conflit armé. Les règles du droit des conflits armés (DCA) ne laissent cependant aucune place à cette dimension morale pour évaluer et justifier la licéité d’une attaque contre une telle infrastructure.

Le sort des ponts dans les hostilités est une question récurrente du DCA qui a souvent soulevé des débats en raison de leur utilisation clé à la fois pour les civils et les militaires. La règle fondamentale en la matière est le règle relative à la distinction, inscrite à l’article 48 du protocole additionnel 1 (PA 1) et qui est également de nature coutumière, selon laquelle il faut opérer une distinction entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires. Les premiers devant faire l’objet d’une protection tandis que des frappes contre les seconds sont autorisées. Mais quid des biens à dimension duale ? Est-il vrai, comme l’ont affirmé certains, que toute attaque contre des infrastructures telles qu’un pont est interdite ? En somme, les infrastructures utilisées par les civils seraient-elles par essence protégées contre les attaques ? Le droit international est bien plus nuancé sur ce point.

Les biens de caractère civil ne disposent pas d’une protection en raison de leur nature civile, mais plutôt, par la négative, s’ils ne représentent pas un objectif militaire. Tout bien peut donc devenir un objectif militaire et dès lors constituer une cible licite d’attaque. L’enjeu porte donc sur la définition des objectifs militaires. L’article 52 du PA 1 et le droit coutumier, précisent à ce titre que « les objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l’occurrence un avantage militaire précis ». Une brève analyse de cet article mérite d’être conduite.

Le premier enseignement à tirer est qu’un objectif militaire n’est pas nécessairement un bien de nature militaire, mais tout bien dont l’usage peut apporter une contribution effective à l’action militaire et qui procure un avantage militaire précis à celui qui l’attaque. Cela pose donc la question des biens dits à double usage, servant généralement aux civils, mais aussi aux militaires, à l’instar d’un pont ou de centrales électriques. Face à ce type de biens, il est impératif d’évaluer leur contribution effective à l’action militaire et l’avantage militaire qu’ils procurent. Le caractère effectif renvoie à l’idée que la contribution doit être concrète et ne pas reposer sur des hypothèses. Surtout, la contribution doit être relative à l’action militaire. En conséquence sont exclues des contributions d’ordre psychologique, symbolique, économique, politique ou social. En effet, prendre en compte ce type d’éléments laisserait une place démesurée à la subjectivité et reviendrait à transformer tout bien en cible potentielle. Seuls les avantages concrètement et directement militaires justifient de cibler un bien. En outre, il ne suffit pas de constater que le bien en question apporte une contribution effective à l’action militaire, mais que sa destruction ou sa neutralisation offre un avantage militaire précis. Ce second critère s’articule naturellement avec le degré de contribution requis par le premier. Si la contribution militaire d’un objet est faible, l’avantage de sa destruction s’atténuera également. L’avantage est par ailleurs qualifié de précis ce qui se traduit par un avantage substantiel et immédiat. Comme pour la contribution effective, l’avantage militaire ne doit pas être hypothétique et ne peut reposer que sur des considérations militaires.

La question des biens à double usage accentue l’attention qui doit être portée à une autre règle, celle relative à la proportionnalité de l’attaque. Selon cette règle coutumière, mentionnée par ailleurs aux articles 51§5)b), 57§2)a)iii) et 57§2)b) du PA 1, il est interdit de mener des attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes humaines civiles et/ou des dommages aux biens de caractère civil qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. Ainsi, dans le cas où une infrastructure civile serait utilisée militairement, cette dernière deviendrait potentiellement une cible licite d’attaque. Il y aura nécessairement des dommages civils compte tenu de la nature duale du bien, c’est-à-dire comprenant une composante civile à côté de sa contribution militaire, mais ces derniers ne devront pas excéder l’avantage militaire concret et direct attendu de l’attaque. Ici à nouveau l’avantage ne doit pas être autre que militaire, ni spéculatif. L’élément essentiel de l’analyse est le caractère excessif de l’attaque par rapport aux dommages anticipés. Il n’existe pas de seuil déterminé puisque cela dépendra de la valeur de la cible en question. Une infrastructure prodiguant un avantage militaire capital justifierait des pertes civiles collatérales importantes. On perçoit dès lors les difficultés relatives à la mise en œuvre de cette règle qui peut ouvrir la porte à la subjectivité et à des arguments contrefactuels bien qu’il devrait être appliqué de bonne foi.

Enfin, à l’aune des articles 57 et 58 du PA 1 et du droit coutumier, des mesures de précaution doivent être prises tant par l’attaquant que par l’attaqué. Ces mesures concernent par exemple la vérification des objectifs, le choix des moyens et méthodes de guerre ou l’évaluation des effets de l’attaque. Il ne s’agit pas là d’obligations absolues, mais contextuelles, l’article mentionnant « tout ce qui est pratiquement possible ». Respecter ces règles implique généralement des services de renseignements performants pour évaluer la contribution militaire d’un bien, l’avantage résultant de sa destruction ou les dommages collatéraux qu’il pourrait produire.

Dans le cas du pont de Crimée, l’attaque visait une infrastructure civile qui sert généralement aux déplacements de personnes civiles et de marchandises. Si les ponts sont considérés comme des objectifs militaires au sein de certains manuels militaires des États, il convient d’analyser le cas d’espèce pour attester du respect des règles du DCA. La licéité de l’attaque dépendra de la contribution effective à l’action militaire du pont ainsi que de l’avantage militaire qu’emporte sa destruction partielle. L’attaque du pont ne peut être justifiée par son utilisation commerciale, ni même par les éléments symboliques et psychologiques relatifs au moral des Russes ou la volonté de détruire un emblème de la puissance russe et de l’annexion de la Crimée. Cependant, différentes sources ont souligné les utilisations militaires du pont, le qualifiant d’axe stratégique. Ce dernier apparaît en effet comme la seule voie d’approvisionnement militaire reliant directement la Russie à la Crimée. Il permet notamment l’acheminement de combattants, de munitions, d’équipements et de carburant nécessaires au soutien des unités russes engagées dans les hostilités au sud de l’Ukraine. Des témoignages ont indiqué que ces dernières semaines la circulation sur le pont s’était intensifiée et que la Russie avait acheminé des tanks et des pièces d’artillerie vers les lignes de front dans la région occupée de Kherson. Par ailleurs, l’armée russe avait installé un dispositif de défense aérienne et terrestre important pour assurer la protection du pont. En conséquence, le pont doit être considéré comme à double usage, dont l’utilisation et la défense attestent une contribution à l’action militaire russe. Cette contribution apparaît bien effective en l’occurrence compte tenu des récents déplacements militaires sur le pont et de sa protection. Dès lors, la destruction partielle du pont (partielle car seules une voie routière et la voie ferroviaire ont été touchées) a selon toute vraisemblance apporté un avantage militaire visant à entraver et limiter les déplacements des forces armées russes et le ravitaillement des lignes de front. À l’issue de cette analyse, on conclut que le pont constituait un objectif militaire valide au regard de la règle relative à la distinction. En outre, la règle relative à la proportionnalité peut également être considérée comme respectée puisque la destruction du pont n’a emporté que des pertes et dommages civils très limités. La destruction partielle n’a pas privé l’usage du pont pour les civils et les personnes civiles décédées seraient les responsables de l’attaque qui ont péri dans l’explosion. Des précautions particulières semblent de surcroît avoir été prises par les auteurs de l’attaque pour atténuer les effets néfastes sur les civils comme la méthode utilisée, un camion piégé, ou le moment de l’attaque, à l’aube où le trafic est moins dense.

L’attaque du pont de Crimée est l’exemple caractéristique d’une attaque conforme au DCA menée contre une infrastructure civile devenue un objectif militaire en raison de son emplacement ou de son utilisation. Cette attaque est notable tant elle répond aux difficiles exigences et équilibres requis par ce droit. On pourrait imaginer que le silence relatif à la revendication de l’attaque résiderait dans les déclarations russes qui ont constamment indiqué que si ce pont venait à être attaqué des représailles féroces suivraient. Effectivement, la Russie, qui refuse de qualifier la situation de conflit armé, mais plutôt d’opération spéciale, n’a pas directement considéré cette attaque comme un acte de guerre licite, mais a dénoncé une attaque terroriste ukrainienne contre une infrastructure civile russe et a riposté en conséquence. Il est ainsi intéressant de noter que la Russie cherche absolument à attribuer cette attaque à l’Ukraine pour qualifier ses actes de représailles alors même que les seules représailles armées acceptées (et très encadrées) sont celles qui prennent place au sein d’une situation de conflit armé pourtant niée par la Russie.

Les représailles russes : une riposte illicite

Lorsqu’un général ukrainien avait abordé l’idée de frapper le pont de Crimée, l’ancien Premier ministre Dimitri Medvedev avait répondu que cela emporterait des représailles. Après, l’attaque du 8 octobre, la Russie a mis en œuvre sa promesse et fait abattre des dizaines de missiles sur l’Ukraine. Le Président Poutine a déclaré que « La Russie ne peut répondre à ce crime qu’en tuant directement les terroristes » et affirmé qu’une nouvelle étape de l’opération spéciale était mise en œuvre. Des tirs de missiles ont été réitérés tout au long du mois d’octobre. Dans les huit premiers jours de la riposte, 30% des centrales électriques du pays auraient été touchées. Le 28 octobre, il est estimé que 40% du réseau électrique du pays serait paralysé. Le 31 octobre, l’armée ukrainienne faisait encore état d’une cinquantaine de missiles lancés contre des infrastructures civiles, essentiellement des centrales électriques. Les différentes campagnes de tirs ne peuvent naturellement pas être toutes rattachées aux représailles annoncées par la Russie. L’attaque du pont apparaitrait plutôt comme l’élément déclencheur d’une nouvelle phase du conflit amorçait par les représailles. Les déclarations russes illustrent que la première semaine d’attaques contre des centrales sont des représailles, mais l’on peut estimer que les autres séries de tirs incarnaient plus cette nouvelle étape, dont l’attaque du pont était le seuil, que la continuation de représailles. Cela confirme en outre les critiques rapportées à l’égard des représailles qui favoriseraient les logiques d’escalade et tendraient à faciliter les violations du droit.

Ces tirs ont ainsi occasionné de graves perturbations dans des centaines de localités ukrainiennes. Des restrictions d’électricité ont été organisées par les autorités ukrainiennes et les civils ont appris à vivre avec des coupures d’électricité. Au-delà de l’accès direct des personnes à l’électricité, ce sont les services publics dépendants de cette énergie qui ont été temporairement touchés comme les transports publics, le chauffage ou la fourniture d’eau potable. En outre, la Russie a répondu agir en représailles à la destruction du pont, des voix se sont élevées pour dénoncer que les actions russes étaient prévues bien avant cet événement compte tenu de leur ampleur. On notera d’ailleurs que la Russie n’avait pas employé l’argument des représailles lorsque l’Ukraine avait endommagé plusieurs ponts stratégiques dans la région en août dernier. Cela mettrait donc hors de propos l’argument des représailles. Pour autant, la Russie cantonne désormais son discours à celui des représailles qui offre un vernis de légitimité à ses frappes. Sans chercher la vérité, qui semble difficile à atteindre, il sera ici analysé la licéité des représailles avancées par la Russie.

Il a été rappelé que les représailles sont des mesures, qui seraient normalement considérées illicites, prises pour faire cesser un acte illicite. La question qui se pose ici est de savoir si la Russie, estimant que l’attaque du pont de Crimée est une violation du droit international, était fondée à réagir par des représailles en violant elle-même certaines règles du DCA.

Si le mécanisme des représailles est reconnu en temps de paix, il fait l’objet de restrictions importantes durant un conflit armé. Les États, n’ayant pu parvenir à un consensus sur l’interdiction générale des représailles en temps de guerre, ont adopté une réglementation sectorielle des représailles. Des dispositions spécifiques conventionnelles et coutumières interdisent ainsi les mesures de représailles contre la population civile ainsi que les biens de caractère civil, notamment les biens indispensables à la survie de la population civile. Du fait de ces dispositions, même face à une attaque illicite, l’armée russe ne pouvait justifier les frappes contre les centrales électriques si ces dernières ne constituaient pas un objectif militaire et/ou apparaissaient être des biens indispensables à la survie de la population civile.

En revanche, en dehors de ces considérations humanitaires, certains actes de représailles demeurent autorisés même en situation de conflit armé. Ainsi, des représailles armées dirigées contre des objectifs militaires pourront être menées, et cela sans qu’il soit nécessaire de démontrer le caractère concret et immédiat de l’avantage militaire puisqu’il s’agit d’un acte qui déroge aux règles habituellement applicables. La Russie tiendrait ici un argument fort pour justifier ses frappes contre les centrales électriques, à condition de considérer qu’elles constitueraient des objectifs militaires. Agissant par représailles, elle ne serait pas liée par les critères d’effectivité et de précision, mais pourrait tout de même viser les centrales arguant un avantage militaire général, celui d’empêcher l’accès des forces armées ukrainiennes à l’électricité. Cette possibilité fait cependant face à des limites.

Dans le cas où la Russie affirmerait que l’attaque contre le pont était illicite et que les centrales électriques constituaient des objectifs militaires procurant un avantage militaire général, il convient toutefois d’examiner si cela serait conforme aux règles relatives aux représailles. Pour qu’une action en représailles soit licite, il faut que son seul but soit de ramener l’État adverse au respect du DCA, non un moyen de vengeance ou de punition. En outre, il faut que les représailles soient une mesure de dernier recours (ultima ratio) ; qu’elles soient proportionnées à la violation en question ; que la décision soit prise au plus haut niveau politique ou militaire et qu’elles cessent lorsque l’État en cause arrête de violer le droit international. Dans le cas d’espèce, même si la Russie considérait que l’attaque du pont était illicite, il aurait fallu qu’elle réponde de manière proportionnée. Or, il est assez douteux que les pertes humaines, les dommages aux biens de caractère civil, la mise hors service de 40% du réseau électrique et ses conséquences soient une réponse proportionnée à la destruction de deux voies de circulation sur un pont. En outre, on peut tout simplement s’interroger sur le bien-fondé du recours aux représailles qui visent à rétablir le respect du droit. Or dans le cas d’une attaque isolée comme celle du pont, la violation alléguée est terminée. Le but de faire respecter le droit ne peut plus être recherché. Le même raisonnement peut être tenu quant au critère de l’ultima ratio. Cela semble ainsi plus s’inscrire dans une logique de revanche.

Dès lors, la Russie ne pouvait arguer le recours à des mesures de représailles pour justifier ses frappes. Au-delà de ces considérations juridiques, les représailles ont également des répercussions stratégiques. Elles sont souvent critiquées pour leur incapacité à faire respecter le droit et, surtout, le risque d’escalade qu’elles induisent. Le recours à cet instrument des représailles oriente souvent les belligérants vers une spirale de représailles, vecteur de la violation et de la dépravation du droit. C’est ce tournant de la guerre vers un mépris du droit toujours plus important qui préoccupe particulièrement aujourd’hui, le Secrétaire général de l’ONU António Guterres dénonçant « une nouvelle escalade inacceptable de la guerre [où] comme toujours, les civils paient le plus lourd tribut ».

 

Crédits: UPI / Alamy Stock Photo

Auteurs en code morse

Louis Perez

Louis Perez (@louisprz) est doctorant en droit international au Centre Thucydide de l’Université Paris Panthéon-Assas et ATER à l’Université Paris-Nanterre.

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