Dix ans après la déclaration d’indépendance de l’Azawad, la gouvernance des anciens rebelles dans le nord du Mali

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Avr 15

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Le 6 avril 2022 a marqué le dixième anniversaire de la déclaration d’indépendance de l’État autoproclamé de l’Azawad. En janvier 2012, les rebelles touaregs du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) s’allièrent opportunément avec certains éléments affiliés aux groupes djihadistes ayant prêté allégeance à Al Qaïda pour chasser les forces armées du Mali de la partie nord du pays. En quelques mois, les villes de Tessalit, Aguelhok, Kidal, Tombouctou et Gao tombèrent dans l’escarcelle des groupes armés, provoquant le départ des fonctionnaires et le début d’une crise politique et sécuritaire sans précèdent dans le Sahel.

En juin 2015, l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger (« l’Accord ») fut signé entre le gouvernement et deux coalitions de groupes armés : la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme des mouvements d’autodéfense. La CMA se compose des indépendantistes du MNLA, du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA) et du Mouvement Arabe de l’Azawad (MAA). La Plateforme comprend essentiellement quant à elle des membres du Groupement d’Autodéfense des Touaregs Imghads et Alliés (GATIA) et du Mouvement pour le Salut de l’Azawad-Daoussahak (MSA-D), les deux groupes affichant leur loyauté vis-à-vis du gouvernement malien. L’Accord visait à établir la base et le calendrier des réformes institutionnelles allant dans le sens d’une plus forte autonomie des régions du nord du Mali.

La CMA a su dépasser les divisions fratricides, adoptant une position vis-à-vis de l’État malien et des membres de la Plateforme, qui au final lui a permis de tirer profit de l’espace politique qui s’était ouvert lors de la signature de l’Accord. Progressivement maitres d’un territoire devenu, selon la définition de Minassian, une « zone grise », les anciens rebelles ont pu, grâce à une décennie de vacance de l’État, établir un contrôle et imposer une gouvernance presque autonome sur un espace qui correspond au territoire revendiqué en 2012.

Carte issue de la publication de la FRS sur l’élection présidentielle de 2018 au Mali

Cet article vise à évaluer si, dix ans après la proclamation de l’indépendance du territoire de l’Azawad, le retrait de l’opération Barkhane du Mali dans un contexte d’absence de l’État malien signe une victoire a posteriori des anciens partisans de l’indépendance regroupés aujourd’hui dans la CMA. La restructuration de l’opération Barkhane décidée par le Président français a conduit au départ « volontaire » des forces françaises installées sur les bases de Tessalit, Kidal et Tombouctou à la fin de l’année 2021 alors que les développements politiques de 2022 ont précipité les départs « contraints » des bases de Ménaka, Gao et Gossi. Or ces bases couvraient justement une zone correspondant au territoire initialement revendiqué par les indépendantistes.

La rébellion de 2012 : victoire militaire, échec politique pour le MNLA.

Selon Olivier Corten, le principe de neutralité dont les Nations Unies sont censées se prévaloir dans le cadre des rébellions internes n’a pas été respecté au Mali en 2012 « en raison des liens entretenus entre les mouvements sécessionnistes avec des groupes considérés comme terroristes ». Pour cette raison, l’enjeu lors de la signature de l’Accord entre le gouvernement malien et les groupes armés fut de distinguer les groupes qui acceptaient de rejoindre le cadre politique de l’Accord – comme ce fut le cas pour la Plateforme et la CMA – de ceux qui refusaient de s’y plier, à l’instar du groupe Ansar Dine fondé par Iyad Ag Ghali. Les groupes signataires furent considérés comme des partenaires légitimes de la communauté internationale dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord quand les autres furent identifiés en tant que « Groupes Armés Terroristes » (GAT) et tombaient dans le viseur des opérations menées par Barkhane.

Néanmoins, les retards considérables dans la mise en œuvre de l’Accord dus notamment à la nature tripartite de cet accord et au manque de confiance et de volonté des parties, ont eu d’importantes conséquences. En l’absence des services de l’État et au gré des rivalités pour le contrôle des zones, le statu quo du processus de paix a alimenté la discorde entre les groupes signataires de la CMA et de la Plateforme, sur fond de tensions entre tribus Imghads, proportionnellement plus nombreuses, et Ifoghas, traditionnellement dominantes. À plusieurs reprises, ces groupes ont violé le cessez-le-feu et ont connu d’importantes divisions internes. Le MNLA a été affaibli par les créations successives du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA) et du Congrès pour la Justice dans l’Azawad (CJA) en 2016. En outre, cette situation a favorisé la constitution de nouveaux groupes armés cherchant à obtenir le statut de groupes signataires a posteriori pour des raisons notamment de visibilité et de gains financiers résultants des dividendes du processus de paix. Réunis dans la Coordination des Mouvements de l’Entente (CME), ces nouveaux groupes ont un peu plus divisé les groupes armés signataires de la CMA et de la Plateforme. Sur le plan politique, ces divisions ont joué en faveur du gouvernement malien qui apparaissait comme étant la partie la plus stable de l’Accord. Mais sur le terrain ces divisions ont profité aux groupes armés terroristes qui, sur la même période, annoncèrent la fusion de plusieurs groupes affiliés à Al Qaeda dans le cadre de la création du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) en 2017.

Une présence des Forces de Défense et de Sécurité erratique depuis 2012

Depuis les combats de 2012, la présence des Forces de Défense et de Sécurité du Mali (FDSM) au nord du pays n’a que très faiblement évolué. En 2013, à la suite de la signature de l’accord d’Ouagadougou, une partie de l’administration était revenue dans les villes du nord au bénéfice de la tenue des élections présidentielles d’aout 2013 (qui ont vu la victoire du Président feu Ibrahim Boubacar Keita). Néanmoins, comme l’expliquent Virginie Baudais et Gregory Chauzal, par contrainte politique et immobilisme, ce dernier ne fut pas en mesure de gérer la crise du nord et il fut débarqué lors du coup d’État d’aout 2020.

À ce titre, en 2013 les FDSM avaient repris quelques positions dans Kidal sans pour autant reprendre le contrôle de la zone. Une situation vécue comme une humiliation par les élites de Bamako et qui justifia une tentative de reprise du contrôle de ces zones par la force lors d’une visite du Premier ministre en mai 2014. Cette tentative se solda par un échec qui eut d’importantes répercussions politiques et qui réduisit à néant les avancées permises par l’accord d’Ouagadougou, notamment celles relatives à la présence de l’État dans la région de Kidal. Les retards dans la mise en œuvre de l’Accord, les atermoiements des parties signataires sur le programme de Désarmement Démobilisation et Réinsertion (DDR), le contexte politique tendu à Bamako et la situation sécuritaire au centre du pays sont ensuite devenus les principales causes du vide étatique qui sévissait au nord. C’est dans ce contexte que fut mis en scène le retour des forces armées du Mali à Kidal en 2020. Cette opération, accompagnée par les forces armées françaises et les Casques bleus de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies au Mali (MINUSMA), revêtit une très haute importance politique dans la réaffirmation de la souveraineté du Mali dans le fief de la rébellion. Ces images visaient également à faire cesser les rumeurs faisant état d’une interdiction faite par l’armée française de laisser entrer les forces armées du Mali dans la ville de Kidal depuis 2013. Ces rumeurs ont alimenté de façon constante le sentiment anti-français présent dans l’opinion publique malienne, laissant entendre que la France protégeait les groupes armés terroristes retranchés dans cette zone et oblitérant l’épisode de mai 2014.

Cette situation résulte d’un problème de définition du terme « terroriste » autour duquel une grande partie de l’opinion publique malienne qualifie les membres des groupes sécessionnistes alors que pour l’armée française, comme pour la communauté internationale, ces mêmes groupes sont devenus des interlocuteurs légitimes après la signature de l’Accord. Pour la communauté internationale ce sont les groupes djihadistes liés à Al-Qaeda et à l’État Islamique au Grand Sahara qui sont qualifiés de terroristes. Cette situation n’a eu de cesse d’envenimer les relations entre Paris et Bamako, même si du point de vue de l’armée française il n’a été question que d’une mise en garde faite aux FAMAs sur la réalité du rapport de force entre les groupes armés et l’armée malienne à cette période. Cette mise en garde mettait l’accent sur le fait que Paris ne souhaitait pas s’associer à une initiative qui allait à l’encontre des termes du cessez-le-feu signé en 2013 et qui présentait de forts risques humanitaires en raison des potentielles actions de représailles des militaires maliens sur les populations civiles touarègues. Ainsi, les FAMAs sont intervenus en mai 2014 à Kidal sans le soutien de l’armée française, ce qui alimentera pendant toute la présence de Barkhane au Mali les tensions au gré des actions de désinformation. Après la signature de l’Accord en 2015, Paris conditionna le soutien au retour de l’armée malienne à Kidal dans le strict respect de l’Accord, ce qui fut le cas en mai 2020 dans le cadre du redéploiement de l’armée dite reconstituée.

Au-delà du symbole, depuis 2020 les bataillons de l’armée malienne déployés à Kidal ne peuvent agir de façon autonome sans concertation préalable avec la CMA. Des progrès substantiels ont été enregistrés à partir de juin 2021 grâce à l’intégration au niveau du commandement d’éléments issus des rangs de la CMA dans le cadre des progrès du DDR. Mais malgré ces avancées, l’absence de l’État a conduit la CMA à occuper les espaces urbains et à s’ériger progressivement comme une force incontournable de sécurisation de ces zones en plus de devenir un interlocuteur central des forces internationales sur les questions de sécurité locale. La présence au sein du comité de direction de la CMA d’un éminent représentant de l’influente tribu Ifoghas – en qualité de Secrétaire général du HCUA et frère du chef traditionnel de l’Adagh, l’Amenokal – est indissociable du pouvoir et de l’assise dont dispose la CMA sur les populations de la région de Kidal. Enfin, cette situation a laissé la place à des tentatives de gouvernance locale de la CMA dans les centres urbains, notamment à Kidal où un bureau de gestion municipal fut mis en place par la CMA lors du départ des services de l’État en mai 2014, avec des sous-commissions thématiques en charge de l’éducation, la santé, l’aide humanitaire, les énergies et les mines. C’est dans ce cadre particulier que la CMA installa une police locale dénommée Comité de Sécurité Mixte à Kidal, la CSMAK. La CSMAK étant la seule force opérationnelle présente dans la ville, les forces internationales, Barkhane et MINUSMA, furent ainsi – et sont toujours – dans l’obligation de travailler avec elle pour obtenir des informations sur le plan sécuritaire, ce qui vient alimenter les déclarations des responsables politiques maliens accusant les forces internationales de faire le jeu des groupes armés et de la division du pays.

Kidal, Tessalit, Tombouctou et Ménaka sous contrôle des groupes armés

Face aux divisions internes qui ont ébranlé la CMA et la Plateforme au lendemain de la signature de l’Accord, la prise en compte des intérêts communs, notamment les revenus issus des trafics, permit aux groupes signataires de régler leurs différends par des arrangements communautaires et l’implication des chefs coutumiers, à l’instar de ce que furent les accords d’Anefis I, II. En favorisant des arrangements entre groupes armés sur la répartition du contrôle des principaux axes, ces accords contribuèrent à faire baisser les tensions. Ils constituèrent le socle sur lequel, en mai 2021, quasiment l’ensemble des groupes de la Plateforme et de la CMA se regroupèrent au sein du Cadre Stratégique Permanent, une initiative mise en place par l’ONG italienne Ara Pacis. Il ressort de ces arrangements que, selon les Nations Unies, malgré la quasi-absence effective des FDSM, les régions de Tombouctou et Kidal ne rassemblaient respectivement « que 6% et 7% des abus ou violations des droits de l’Homme au Mali ». Cette tendance a été confirmée par l’Expert indépendant mandaté par les Nations Unies, Alioune Tine, dans son dernier rapport.

Forte de son empreinte militaire et de son influence communautaire auprès des populations du nord, la CMA administre presque officiellement le fief historique des rébellions touarègues de façon autonome, décidant même régulièrement de certaines mesures relevant du pouvoir central, à l’instar des grâces des détenus régulièrement annoncées par la CMA. Des tentatives de gestion autonome ont été entreprises par la CMA à Kidal et Tessalit, avec quelques succès en matière d’organisation de l’exploitation de l’or. Cette autonomie se traduit également par des implications importantes sur la question de la gestion des ONGs locales, de l’enseignement et de la justice. À Kidal, en l’absence de justice étatique, les juges traditionnels jouent un rôle central et leurs jugements peuvent conduire à des périodes d’incarcération dans l’ancienne prison, devenue centre de rétention sous contrôle de la CMA. Développé en dehors de tout cadre légal formel, ce système ne semble pas être remis en cause par les populations locales et pose la question de l’adaptation de la justice traditionnelle au système judiciaire étatique. Dans la mesure où cette question constitue une partie intégrante de l’Accord à travers un projet de réforme de revalorisation du rôle des Cadis, les Nations Unies conduisent également des activités allant dans ce sens.

Ces tentatives furent justifiées par la CMA par une interprétation extensive du principe de « libre administration » consacré par l’Accord. Mais pour l’heure, ce principe ne renvoie à aucun texte légal et ne connait aucune définition exacte. En outre, ces tentatives d’autogestion restent confrontées à d’innombrables contraintes budgétaires et techniques en plus de la défiance du comité des sanctions de l’ONU sur le Mali qui a sanctionné un des responsables du comité de gestion de la ville au prétexte que ces actions obstrueraient le retour de l’administration malienne dans ces zones au détriment du processus de paix.

À Tombouctou, les forces de défenses et de sécurité du Mali et la CMA travaillent de façon coordonnée. À titre d’exemple, la CMA a pu organiser de véritables opérations de sécurisation pour mettre fin à des tensions liées au banditisme et aux conséquences de conflits intercommunautaires qui échappaient à l’État. Ces opérations sont les signes d’une professionnalisation des méthodes des groupes signataires qui résulte en partie d’une collaboration régulière avec les forces internationales comme l’a étudié le chercheur Tanguy Quidelleur. Cette collaboration passe principalement par des réunions de coordination entre les forces présentes sur le terrain, nationales, internationales et parties signataires, pour assurer la bonne exécution des mesures sécuritaires décidées dans le cadre des réunions des commissions techniques et de sécurité de l’Accord.

Lorsqu’il s’agit d’organiser des évènements d’ampleur nationale dans ces zones, à l’instar de la visite ministérielle du Premier ministre Boubou Cissé en mars 2020 ou de la réunion du Comité de Suivi de l’Accord à Kidal en février 2021, les autorités doivent sous-traiter la sécurité et l’organisation de ces évènements auprès de la CMA. En outre, la présence de représentants des groupes armés signataires de l’Accord au sein du gouvernement malien depuis juin 2020, une présence maintenue après le coup d’État d’août 2020, ainsi que les intentions affichées de la CMA de se muer en une organisation politique, indiquent que cette répartition des rôles entre les forces nationales et les groupes armés fait actuellement partie intégrante du fonctionnement du pays, même si cette situation constitue un sujet de tension au sein de l’opinion publique.

La CMA et les groupes terroristes, une complexe ambiguïté

Neuf années après leur déploiement et à la veille de leur retrait, les armées françaises ne pouvaient que témoigner des progrès limités en matière de redéploiement des fonctionnaires face à une empreinte croissante de la CMA dans cet espace. À ce sujet, les rapports trimestriels du Secrétaire Général des Nations Unies sur la situation au Mali font régulièrement état d’un taux de présence des cadres de l’administration dépassant rarement les 20%. À travers les entretiens régulièrement menés avec les représentants de la société civile dans le cadre des activités civilo-militaires de l’opération Barkhane, il ressort que les demandes des populations locales reflètent prioritairement le besoin d’accéder aux services sociaux de base, tels que l’accès à l’eau et la distribution de l’électricité plutôt que de disposer d’une présence militaire et policière plus affirmée de l’État. Ce constat fait écho aux souvenirs douloureux laissés par l’armée malienne lors de la répression sanglante du premier soulèvement touareg en 1963. Pour ces raisons, dans le nord du Mali les éléments de la CMA sont devenus aux yeux des populations les principaux pourvoyeurs de sécurité. Ils sont en général mieux intégrés, mieux renseignés, plus mobiles et sont, du fait de liens communautaires, moins visés par les groupes armés terroristes que ne le sont les forces de défense et de sécurité du Mali. Au-delà du champ sécuritaire, la CMA est également aux yeux des habitants la principale entité responsable vis-à-vis des affaires de la cité, notamment sur le plan commercial. Les liens privilégiés tissés au plus haut niveau entre les représentants de la CMA et les représentants algériens sont en effet la garantie de l’approvisionnement de l’essence et des biens de première nécessité pour les habitants de ces régions.

Les liens entretenus entre des membres de la CMA et des combattants de groupes djihadistes sont un sujet sensible qui renvoie au tournant de l’Accord, en 2015, lorsque les combattants eurent à choisir le groupe dans lequel se ranger vis-à-vis du processus de paix. Plusieurs quittèrent ainsi à cette occasion et par opportunisme les groupes terroristes pour se ranger du côté des groupes signataires de l’Accord. Mais parmi ces transfuges, ils sont peu à porter la conviction d’avoir à lutter frontalement contre leurs anciens frères d’armes, et souvent cousins ou membres de la même communauté. Certains ont volontairement continué à jouer sur les deux tableaux. Ces collusions entraînent encore aujourd’hui de lourdes conséquences sur la crédibilité de la CMA auprès de la communauté internationale, régulièrement accusée de ce fait de travailler avec les terroristes. En outre, cette porosité des frontières entre la CMA (et notamment sa composante du HCUA) et le GSIM (dans sa composante Ansar Dine) rendait le travail des soldats de l’opération Barkhane indémêlable lorsque des actions étaient engagées envers des combattants accusés d’agir pour le compte du GSIM et parallèlement affiliés à la CMA.

Cette question des liens existants entre la CMA et les groupes terroristes, notamment le GSIM avec qui les liens communautaires sont plus nombreux, reste une zone d’ombre délicate à évaluer. Les trois groupes armés qui composent la CMA ont des approches totalement opposées vis-à-vis du terrorisme. Idéologiquement, le MNLA se revendique comme un mouvement armé laïc. Politiquement, le HCUA a choisi une stratégie se situant à l’opposé du Jihad en acceptant de signer l’Accord et enfin, commercialement, le MAA ne s’encombre pas de considérations religieuses lorsqu’il s’agit d’affaires lucratives. Le MNLA s’est ainsi retrouvé à plusieurs reprises en première ligne face aux groupes armés terroristes, quand le HCUA et le MAA adoptaient une approche plus réservée, voire opportunément complice avec eux.

Néanmoins, depuis l’Accord, les groupes de la CMA se sont finalement rejoints sur une ligne claire, à savoir qu’il ne relève pas à la CMA de lutter contre le terrorisme. Cette lutte doit revenir en premier lieu à l’armée nationale et aux forces internationales. Les groupes armés qui se sont essayés à faire du contre-terrorisme, avec le soutien discutable de l’armée française, comme le MNLA en 2013 et le MSA-D et GATIA en 2016 ont payé un prix humain fort pour des gains politiques faibles et une détérioration du contexte sécuritaire. Néanmoins, la question de l’engagement des troupes de la CMA dans un conflit avec l’EIGS pourrait à nouveau se poser dans le contexte de fort regain de tension entre les groupes de la Plateforme et l’EIGS.

Pour asseoir son crédit politique, la CMA ne pouvait plus se permettre de contourner la question de son engagement face à l’ampleur du fait terroriste au Mali. Ainsi, à partir de 2018 une approche moins frontale fut choisie, basée sur les liens communautaires et avec l’appui de la haute autorité traditionnelle touarègue, l’Amenokal. Des campagnes de sensibilisation furent menées dans les zones reculées de la région de Kidal où les jeunes recrues du GSIM sont d’ordinaire nombreuses. Ces consultations visaient, sous couvert de rencontres communautaires, à faire entendre que les rangs de la CMA restaient ouverts aux fils de la région. Alors que la pression militaire de Barkhane au Nord était encore vive, cela permettait aux jeunes de sortir de l’ombre de la menace perpétuelle d’une frappe militaire, et pour la CMA cela lui assurait le recrutement de jeunes recrues pour ses opérations et potentiellement pour le programme national de DDR prévu par l’accord

Dix ans après la rébellion, une victoire en différé ?

En février 2021, lors du sommet du G5 Sahel, le Président français Emmanuel Macron avait appelé les États du G5 Sahel à un « sursaut civil », faisant valoir que la présence des forces internationales dans les zones où une certaine stabilité était de mise ne pouvait se substituer aux administrations nationales. Ainsi, la CMA étant de facto le principal pourvoyeur de sécurité sur une partie du territoire revendiqué en 2012, le retrait de l’opération Barkhane dans un contexte d’absence des fonctionnaires maliens constitue un élément d’une reconnaissance in situ de l’autonomisation de ces territoires.

Au regard de ces développements, si les clés symboliques des implantations militaires de l’opération Barkhane ont bien été officiellement remises à la MINUSMA à Kidal, et aux forces armées du Mali à Tessalit et Tombouctou, le contexte tend à indiquer que c’est à la CMA que le contrôle de ces villes a été légué. Ainsi, alors que les partenaires européens du Mali quittent progressivement le pays, que l’attention de la communauté internationale pour le Sahel est en net recul du fait du conflit en Ukraine et que la lutte d’influence entre partenaires occidentaux et russes bat son plein, les groupes armés réunis dans le Cadre Stratégique Permanent cherchent à profiter de l’espace ainsi laissé vacant.

La coalition des ex-rebelles pourrait ainsi profiter de cette conjoncture pour accélérer ses désirs d’avancer vers une fédéralisation du pays. En réaction, Bamako pourrait être tenté d’utiliser ses nouveaux alliés et de jouer sur la fibre nationaliste pour reprendre le contrôle de ces zones. Ces deux scénarios viendraient enterrer les progrès effectués depuis la signature de l’Accord. Cela réduirait de ce fait les perspectives d’ une solution politique visant à régler la question politique lancinante depuis l’indépendance du Mali de la gouvernance des régions nomades et mettre un terme à un cycle de rébellion décennale.

 

Crédit : MINUSMA/Marco Dormino

Auteurs en code morse

Bertrand Ollivier

Bertrand Ollivier (@BOlllivier) est doctorant en relations internationales au sein du Centre Thucydide de l’Université Paris II Panthéon-Assas et chercheur associé à l’Observatoire Boutros-Ghali du Maintien de la Paix. Depuis 2018, Bertrand Ollivier a successivement occupé des postes d’analyste et de chercheur pour l’organisation des Nations Unies en Afrique de l’Ouest. Il publie régulièrement sur le blog du centre Thucydide.

 Cette publication relève d’une démarche purement académique. Les idées qui sont exprimées n’engagent que leur auteur.

 

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