L’Union européenne (UE) a lancé le 19 février une nouvelle opération, Aspides, visant à protéger la liberté de navigation dans le Nord-Ouest de l’océan Indien. Aux côtés de la Grèce, deux pays ont donné l’impulsion : l’Italie, qui assure le commandement de l’opération en mer et fournit le navire amiral, et la France, pays résident de l’océan Indien et disposant de deux bases dans la zone, à Djibouti et aux Émirats arabes unis.
Cela reflète tout d’abord l’importance du Nord-Ouest de l’océan Indien et de la mer Rouge en particulier en tant qu’interface entre la Méditerranée et l’Indopacifique, indispensable pour la prospérité de l’Europe. Cela reflète également la convergence d’intérêts et de priorités entre la France et l’Italie, qui ont toutes deux des enjeux majeurs dans la sécurité de la Méditerranée et un intérêt croissant pour l’Indopacifique. Paris et Rome ont en commun de considérer que la division entre ces deux espaces stratégiques est artificielle, tout en s’interrogeant sur leurs capacités respectives à les couvrir efficacement, au risque de l’éparpillement. Cela reflète enfin le fait que la France et l’Italie disposent des deux plus importantes marines, également parmi les plus intégrées, à l’échelle de l’Union européenne.
Malgré ces points communs, la coopération bilatérale entre la France et l’Italie demeure en-deçà de ses capacités, en raison notamment des vicissitudes de la relation politique, des divergences de vue sur certains sujets géopolitiques et d’une absence de réflexe de concertation sur les grands sujets stratégiques. C’est précisément ce que cherchait à corriger le traité du Quirinal, signé en 2021, avec des résultats mitigés à ce stade. Il existe bien une coopération technique et opérationnelle significative, qui continue de se développer, mais la marge de progrès demeure importante et les deux pays gagneraient à l’exploiter pleinement.
Cet article plaide pour que la France et l’Italie mettent de côté leurs divergences, au profit d’un agenda de partenariat ambitieux pour « l’Indo-Méditerranée », un concept géostratégique qui gagne en visibilité en Italie pour décrire le continuum de défis et d’intérêts qui lie l’espace méditerranéen et l’Indopacifique. Cela implique d’étudier comment les faiblesses et divergences structurelles au sein de la relation peuvent être rationalisées et converties en complémentarités. Un tel effort apparait d’autant plus nécessaire dans la perspective d’une accélération du « pivot » américain vers l’Asie et le Pacifique, aux dépens de la Méditerranée et de l’océan Indien, qui imposerait aux Européens de se positionner comme des fournisseurs de sécurité crédibles.
Un partenariat bilatéral au potentiel encore sous-exploité
La France et l’Italie sont globalement affinitaires sur les grands sujets stratégiques (projet européen, importance du lien transatlantique), mais la relation bilatérale est en dents de scie. Cela est notamment dû aux recompositions constantes du paysage politique italien, se traduisant par des relations très contrastées des gouvernements successifs avec Paris. Cela est également dû à un sentiment ancré en Italie que Paris prend Rome de haut, lui préférant Berlin ou Londres, que la France considère davantage comme ses égales, en termes de poids économique ou militaire.
Cette situation a en partie sous-tendu la signature en 2021 du traité du Quirinal, devant permettre aux deux pays de s’accorder sur une feuille de route conjointe imperméable aux aléas des vies politiques respectives.
Les deux pays disposent des deux plus importantes marines de l’Union européenne, avec lesquelles seule la Turquie peut rivaliser parmi les pays du pourtour méditerranéen. Elles sont les deux seules vraies marines océaniques et opératrices de porte-avions (Charles de Gaulle et Cavour) ainsi que d’une importante flotte de sous-marins. Les deux marines échangent ainsi quatre officiers de liaison (contre un pour les armées de Terre et aucun pour les forces aériennes). Des leaders industriels des deux pays se sont par ailleurs associés pour développer des capacités critiques à l’image du programme Horizon lancé en 1992 pour produire des frégates quasi-identiques et ainsi interopérables. Les groupes Fincantieri et Naval Group ont également développé à partir de 2005 le programme de frégates multi-missions (FREMM), devenu compétitif à l’export. Les deux entreprises se sont entendues en 2019 pour fonder Naviris, une joint-venture détenue à parts égales, avec un siège à Gênes et une filiale à Ollioules. La société commune est notamment à l’origine du projet de corvette européenne (Modular and Multirole Patrol Corvette, MMPC) développée dans le cadre de la Coopération Structurée Permanente (CSP) de l’Union européenne, et s’est vue attribuer en juillet 2023 le contrat de rénovation à mi-vie (RMV) des frégates de la classe Horizon.
La France et l’Italie ont également un historique solide de coopération industrielle en matière de défense aérienne, à commencer par les systèmes de moyenne portée SAMP/T ainsi que les missiles ASTER afférents, en service dans les deux armées, dont le développement a débuté dans les années 1980 et qui continue d’être amélioré par le consortium franco-italien EUROSAM (MBDA et Thales), avec la production d’une nouvelle génération depuis 2018.
À l’échelle européenne, le niveau des coopérations technique et industrielle n’a que peu d’équivalents dans le domaine naval et est relativement avancé dans les domaines terrestre, spatial et de la défense anti-aérienne. Mais il s’agit pour l’essentiel de projets relativement datés et installés. La relation bilatérale manque d’une ambition partagée de porter de nouveaux projets structurants, les deux pays se tournant davantage vers d’autres partenaires, au premier rang desquels le Royaume-Uni et l’Allemagne. Les annonces du 29 avril 2024 par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et son homologue italien, Guido Crosetto, d’un renforcement de la coopération industrielle en matière d’armements terrestres et de la création d’un pôle industriel européen de défense vont dans le bon sens. Ils gagneraient à être étendus à d’autres domaines de coopération et à être accompagnés d’un réel dialogue stratégique de sécurité et de défense.
Convergence d’intérêts mais divergences d’approches dans les espaces méditerranéen et indopacifique
L’Italie et la France ont un intérêt majeur à la sécurité et à la stabilité des voies de communication maritimes qui lient l’Indopacifique et la Méditerranée. Si ce continuum apparait évident dans la cartographie des voies d’approvisionnements et du commerce extérieur des deux pays, notamment pour l’Italie qui importe l’essentiel de son énergie depuis diverses sources réparties dans cet espace, cela ne s’est pas nécessairement traduit sur le plan stratégique.
La Marine italienne a promu dans les années 1990 le concept de « Méditerranée élargie » (Mediterraneo Allargato), remis au goût du jour par le Livre blanc de 2015 et réaffirmé par le ministère de la Défense en 2022. Il fait référence à un arc de défis et intérêts interconnectés qui s’étend du Golfe de Guinée jusqu’au Nord-Ouest de l’océan Indien, avec la Méditerranée en son cœur. Bien que pertinent dans un contexte français, moyennant une élongation au canal du Mozambique, le concept ne s’est jamais frayé de chemin parmi la communauté stratégique française, a fortiori depuis l’adoption précoce par Paris du concept d’Indopacifique qui lui permet de connecter ses différents territoires ultramarins. Côté italien, si l’intérêt pour l’Indopacifique est croissant, l’opportunité de présenter l’Italie comme un acteur de la région fait encore débat au regard de ses ressources limitées. Le concept d’Indo-Méditerranée, plus proche du rayon d’action effectif de l’Italie, semble gagner en vigueur dans ce contexte.
Indépendamment du calque stratégique apposé, la France et l’Italie sont toutes deux actives pour préserver la liberté de navigation ainsi que prévenir l’instabilité politique au sein de ce vaste espace, qui peut avoir des conséquences directes en matière de stabilité nationale, notamment sur le plan migratoire. Les deux pays sont ainsi d’actifs contributeurs à des efforts collectifs, que ce soit dans le cadre de l’ONU (principaux contributeurs de la FINUL au Liban), de l’OTAN (groupes maritimes permanents, exercices conjoints tel que Dynamic Manta tenu en mars au large des côtes siciliennes, contributions à la KFOR au Kosovo) ou, de manière plus significative encore, de l’Union européenne. La France et l’Italie sont en effet des contributeurs réguliers et actifs de l’opération EUNAVFORMED Irini, dont le cœur de mandat est de faire respecter l’embargo des Nations Unies sur les livraisons d’armes à destination de la Libye, ainsi que d’EUNAVFOR Atalanta, qui a joué un rôle majeur dans l’endiguement de la piraterie dans le nord-ouest de l’océan Indien (un phénomène qui refait toutefois surface dans le contexte d’instabilité dans la corne de l’Afrique et au Yémen). Ces opérations ont fait la démonstration des capacités européennes à combiner efficacement des équipements aériens, maritimes et spatiaux, tandis que les moyens déployés par la France et l’Italie dans le cadre d’Aspides se sont illustrés dans leurs ripostes aux attaques de drones et de missiles de la part des Houthis.
Toujours dans le nord-ouest de l’océan Indien, l’Italie s’est avérée être un soutien précoce et constant à l’initiative française de mission européenne de surveillance maritime dans le détroit d’Ormuz (EMASoH), tandis que les deux pays participent à deux des taskforces multinationales mises en place par les Etats-Unis : la CTF 153 axée sur les enjeux de sûreté maritime dans la mer Rouge et le golfe d’Aden, ainsi que la CTF 151 contre la piraterie. La collaboration entre la France et l’Italie, ou leur simple participation à ces initiatives soulignent l’attachement partagé à des efforts multilatéraux et intégrés en matière de sécurité maritime.
Toutefois, en dépit de ces affinités, la France et l’Italie divergent régulièrement dans la manière d’avancer et de sécuriser leurs intérêts dans l’Indo-Méditerranée. Sur le sujet du contrôle et de la gestion des migrations illégales, sensible sur les plans politique comme sécuritaire, Paris et Rome ont régulièrement des différends, notamment s’agissant des opérations de sauvetage en mer.
Le sujet de la Libye a régulièrement été une importante pomme de discorde bilatérale, plus particulièrement à partir de 2011 en raison de l’activisme de la France en faveur d’une intervention militaire contre le régime de Mouammar Kadhafi. Or la Libye, ancienne colonie de l’Italie fasciste, est un pays crucial pour les intérêts italiens : la major Eni contrôle 45% de la production libyenne d’hydrocarbures et le pays s’est progressivement établi comme l’une des principales routes migratoires depuis l’Afrique vers l’Europe, avec comme points d’entrée l’Italie et Malte. Dans le cadre de la guerre civile dans laquelle s’est progressivement enfoncé le pays, la France et l’Italie ont soutenu des parties opposées du conflit. Rome soutient le Gouvernement d’Unité nationale reconnu par les Nations unies et basé à Tripoli dans l’ouest du pays, en lien notamment avec la Turquie. Paris, de son côté, a été un soutien discret de l’Armée nationale libyenne conduite par le général Haftar depuis l’Est libyen. Les tensions bilatérales, qui ont pu être vives au plus fort de la crise, semblent toutefois être en voie d’atténuation, les deux pays privilégiant des approches plus pragmatiques. Paris affiche plus de distance avec le général Haftar, en partie en raison de ses liens croissants avec la Russie et la société militaire privée Wagner (désormais Afrika Corps depuis le décès de son leader Evgueni Prigojine), qui s’est employée à nuire aux intérêts français en divers points du continent africain. L’Italie cherche quant à elle à diversifier ses interlocuteurs, en vue de l’objectif d’un règlement inclusif du conflit.
Au-delà de la question du règlement politique du conflit, la Libye est un exemple parlant de tensions ou de compétitions plus larges entre l’Italie et la France. Il s’agit d’abord d’une illustration de la proximité entre l’Italie et la Turquie sur un certain nombre de sujets stratégiques, qui tend à compliquer la relation franco-italienne en raison des relations inversement tendues entre Paris et Ankara. Cette connivence italo-turque est renforcée par les intérêts énergétiques et commerciaux significatifs qui lient les deux pays, à l’image du « couloir commercial » Turquie-Italie-Tunisie agréé en 2019, et facilitée par une relation interpersonnelle favorable entre Giorgia Meloni et Recep Tayyip Erdogan. La France de son côté s’est considérablement rapprochée d’autres puissances méditerranéennes traditionnellement proches de l’Italie mais méfiantes vis-à-vis de la Turquie, telles que la Grèce et l’Égypte, devenues des débouchés majeurs pour l’industrie française de défense.
Ce « facteur turc » accentue ainsi le caractère compétitif de la relation franco-italienne, avec des répercussions sur nombre de dossiers sur lesquels la France et la Turquie ont des visions différentes, par exemple dans le Caucase où la France est, parmi les pays de l’UE, le principal soutien de l’Arménie, tandis que l’Italie est le pays de l’UE appelant à la plus grande indulgence envers l’Azerbaïdjan. Cette proximité avec la Turquie est toutefois un pari risqué pour Rome étant donné le fonctionnement transactionnel du leader turc, qui n’hésite pas à supplanter l’Italie dans ses propres zones d’influence, notamment la corne de l’Afrique, à l’image des accords énergétiques et de défense signés entre la Turquie et la Somalie en 2024.
Le deuxième axe de compétition franco-italienne qu’illustre bien la Libye est celle que les deux pays se livrent sur le continent africain. Rome ne cache pas ses intentions d’occuper l’espace laissé vacant par l’influence déclinante de la France, à l’image du Niger dont la France a été chassée par la junte qui a pris le pouvoir en aout 2023, mais où l’Italie a décidé de conserver son contingent de 250 militaires. La meilleure illustration de cette ambition italienne demeure le plan Mattei, annoncé par Giorgia Meloni lors de son investiture en 2022 et révélé en 2024 à l’occasion de la conférence Italie-Afrique de 2024. Le plan promeut une nouvelle forme de partenariat pragmatique, avec un angle assumé de lutte contre les migrations et la diffusion du radicalisme islamiste, dans des termes qui soient les plus bénéfiques possibles pour les pays africains (5,5 milliards d’euros d’investissements annoncés). Enrico Mattei, qui donne son nom au plan, est une figure qui assumait la compétition avec la France en Afrique dans le contexte de la décolonisation. Il est le fondateur d’ENI, connue notamment pour avoir soutenu les indépendantistes d’Algérie, pays qui demeure courtisé par Rome, notamment dans le cadre de la diversification de ses fournisseurs de gaz.
L’espace indopacifique apparait plus consensuel pour la relation franco-italienne. Comme en a témoigné la mise en place sans accrocs de l’opération Aspides, Rome et Paris ont toutes deux à cœur la stabilité de la mer Rouge et plus largement des voies maritimes qui connectent l’Europe et l’Asie. A cet égard, la France et l’Italie soutiennent activement le projet de corridor Inde – Moyen-Orient – Europe (IMEC) en tant que signataires de l’accord conclu en marge du sommet du G20 à New Delhi en septembre 2023, aux côtés de l’Allemagne et de l’UE pour la partie européenne. Bien que le projet soit aujourd’hui remis en cause par la guerre à Gaza, la France et l’Italie sont attachées à l’objectif stratégique poursuivi, comme le montre la nomination par la France de Gérard Mestrallet, ancien directeur d’Engie, comme Envoyé spécial de la France pour le projet. Le gouvernement Meloni a, de son côté, à cœur de montrer qu’elle a bel et bien tourné la page de sa participation à l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie, à laquelle elle a mis fin en décembre 2023 et dont IMEC se veut être un concurrent direct.
Les approches française et italienne dans l’Indopacifique gagneraient cependant à être davantage concertées au regard des affinités stratégiques. S’agissant des grands équilibres, les deux pays soutiennent la stabilité dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine du Sud, où ils déploient régulièrement des moyens navals – avec notamment un déploiement à venir du porte-avions italien Cavour. La France et l’Italie sont favorables à l’approche européenne de « de-risking » vis-à-vis de la Chine, à l’approfondissement des partenariats avec les organisations régionales telles que l’Association des Nations du Sud-est asiatique (ASEAN) ou l’Association des pays riverains de l’océan Indien (IORA), ainsi qu’au renforcement des relations avec les puissances régionales telles que le Japon, la Corée du Sud, l’Inde ou l’Australie.
Sur l’aspect partenarial précisément, les efforts pourraient être mieux coordonnés, pour éviter les risques de duplication voire de compétition. Le gouvernement Meloni s’emploie activement à développer ses relations avec l’Inde et les Émirats arabes unis, qui sont aussi deux des partenariats stratégiques les plus avancés de la France dans la région, au point d’avoir lancé en 2022 une initiative trilatérale, ou encore avec l’Indonésie, autre partenaire privilégié de Paris. À l’inverse, l’Italie semble avoir un temps d’avance par rapport à la France dans ses relations avec le Japon, à la faveur du projet de développement d’un programme aérien de sixième génération d’ici 2035, conjointement avec le Royaume-Uni (Global Combat Air Program).
La France et l’Italie ont ainsi à leur actif un historique solide de coopération et des objectifs stratégiques comparables, mais à leur passif des approches et des intérêts parfois divergents ou compétitifs sur des théâtres donnés. Bien que ce descriptif soit applicable à la plupart des relations bilatérales entre puissances occidentales, la relation franco-italienne fait apparaitre un réel potentiel sous-exploité sur l’espace Méditerranée-Indopacifique. Un effort sincère et partagé de concertation, voire de déconfliction pourrait permettrait de relancer une dynamique fructueuse et prometteuse.
Recommandations
1.Les réseaux parallèles de partenaires développés par la France et l’Italie devraient être utilisés de manière complémentaire plutôt que compétitive, afin que le tandem franco-italien puisse s’affirmer comme une force de stabilisation dans l’espace méditerranéen. Cela apparait d’autant plus nécessaire qu’une victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine pourrait accélérer le désengagement américain de la « Méditerranée élargie ». Ce scénario pourrait avoir pour effet d’enhardir des acteurs hostiles, tels que la Russie ou l’Iran, mais aussi de voir ressurgir un activisme turc en Méditerranée orientale comme lors du premier mandat de Donald Trump. La France et l’Italie auraient alors un rôle de premier plan comme fournisseurs de stabilité et de médiateurs dans la région. Un travail d’anticipation pourrait ainsi être conduit entre les deux capitales, tandis que des orientations pourraient être données aux ambassades des réseaux diplomatiques français et italien de favoriser un « réflexe franco-italien » dans leurs relations avec les autorités des pays de l’espace Méditerranée-Indopacifique. Ces sujets pourront en outre être abordés dans le cadre des réunions ministérielles en format Affaires étrangères/Défense prévues par le traité du Quirinal, qui ne se sont pas encore tenues à ce jour.
2. À la faveur des affinités stratégiques, il est dans l’intérêt de la France d’aider l’Italie à devenir un acteur de l’Indopacifique. La France pourrait ainsi associer l’Italie à certaines de ses initiatives, par exemple sur certains segments du partenariat trilatéral avec l’Inde et les EAU. Elle pourrait également embarquer des officiers ou des experts italiens dans le Pacifique Sud, auquel les Italiens sont moins familiers, en préambule a une coopération plus poussée dans la zone si l’Italie décide de s’y investir davantage.
3. L’importance de la relation bilatérale devrait être reflétée dans les documents stratégiques des deux pays ayant trait au continuum Med-Indo-Pac. La France pourrait ainsi rectifier l’absence de mention de l’Italie dans sa stratégie indopacifique, qu’elle est en train d’actualiser. L’Italie pourrait également de son côté souligner le potentiel de la relation si son intérêt croissant pour l’Indopacifique venait à être transcrit dans une stratégie dédiée. Les deux pays pourraient dans le même temps mettre à profit les dialogues informels entre officiels et/ou experts (track 1.5, track 2) pour proposer une vision commune ou une feuille de route pour les espaces « Méditerranée élargie », « Indo-Med » ou « Med-Indo-Pacifique », en fonction du concept géostratégique qui aura leur préférence.
4. Tirer profit des partenariats privilégiés respectifs avec le Royaume-Uni pour « trilatéraliser ». Il est significatif que, en dépit de leur proximité géographique, tant la France que l’Italie semblent désormais se tourner en priorité vers le Royaume-Uni pour des coopérations navales et industrielles : la France dans le cadre des traités de Lancaster House et à la faveur de coopérations telles que la force expéditionnaire conjointe (CJEF) ou les projets de missiles portés par MBDA (FC/ASW) ; l’Italie avec le projet Tempest/GCAP ou à travers le Dialogue militaire de Haut niveau récemment établi. En s’appuyant sur la coopération trilatérale existante sur la rénovation des stocks de missiles, de nouveaux projets de trilatéralisation pourraient être envisagés (pour mémoire, le groupe italien Leonardo est actionnaire de MBDA à hauteur de 25%). La France s’étant en outre engagée bilatéralement à coordonner ses déploiements navals tant avec l’Italie qu’avec le Royaume-Uni dans l’Indopacifique, des déploiements trilatéraux pourraient être favorisés, mobilisant par exemple les porte-avions des trois pays. De manière plus ambitieuse et à plus long terme, les trois pays apparaitraient indiqués pour prendre le leadership sur un projet régulièrement évoqué de « porte-avion européen ».
La France et l’Italie pourraient également envisager de répliquer entre elles le modèle de la CJEF franco-britannique, projet qui n’a pas encore eu d’occasion d’être activé mais qui demeure utile pour stimuler la coopération bilatérale et l’interopérabilité. Elles pourraient également s’inspirer du modèle de Joint Expeditionary Force multinationale que les Britanniques ont développé avec les pays nordiques, baltes et les Pays-Bas, pour échanger et coopérer sur la sécurité du septentrion européen, afin de voir si un dispositif similaire serait pertinent en Méditerranée (avec par exemple l’Espagne, Chypre-Grèce, la Croatie ou d’autres pays des Balkans occidentaux, etc.).
5. Établir un forum Med-Indo-Pac de haut-niveau, dans une approche similaire de « défragmentation géographique » à celle qui a présidé au lancement du format I2U2 en 2021 entre EAU, États-Unis, Inde et Israël. Avec un focus principal sur les enjeux de connectivité entre Europe et Asie, le forum pourrait dans le même temps aborder les défis stratégiques, énergétiques et économiques partagés afin de faire émerger des positions ou a minima une compréhension communes. Le forum pourrait se tenir autour d’un noyau en « format IMEC » (Allemagne, Arabie saoudite, EAU, France, Italie, UE), avec un point d’interrogation sur l’association des États-Unis au regard des incertitudes politiques, et pourrait être étendu à des partenaires clés tels que la Grèce, l’Egypte et Djibouti.
Dans le même esprit, des think tanks ou fondations des deux pays pourraient s’associer pour lancer un forum ou un dialogue ayant pour ambition de devenir un équivalent du Raisina ou du Shangri-La Dialogue pour l’espace Med-Indo-Pac.
Crédits photo : Wikipédia
Les commentaires sont fermés.