« Sadly, we have taken the ocean for granted, and today we face what I would call an “Ocean Emergency.” » Par ces mots sans détour, prononcés à l’ouverture de la deuxième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC) à Lisbonne en juin 2022, António Guterres, secrétaire général des Nations unies, posait un diagnostic sans appel : l’océan, régulateur du climat et colonne vertébrale des échanges mondiaux, est aujourd’hui soumis à des pressions anthropiques qui menacent ses fonctions vitales et, avec elles, l’équilibre global de la planète et des sociétés. Accélération des émissions de gaz à effet de serre, acidification et réchauffement des eaux, surpêche industrielle, destruction des habitats côtiers, pollution plastique, déversements d’hydrocarbures : les atteintes à l’océan se sont diversifiées, intensifiées et globalisées. Loin de se limiter à des impacts environnementaux localisés, elles affectent les capacités de l’océan à jouer son rôle de régulateur climatique, de réservoir de biodiversité, et de ressource alimentaire. La dégradation des écosystèmes marins menace non seulement les équilibres du système Terre, mais aussi la résilience des sociétés humaines, en particulier celles qui dépendent directement de l’océan pour leur sécurité alimentaire ou économique. À cela s’ajoute une vulnérabilité physique accrue, notamment dans les zones côtières tropicales, où la disparition des récifs coralliens prive les populations d’une barrière naturelle essentielle contre les tempêtes et les submersions marines. Pourtant, face à cette urgence, la gouvernance internationale de l’océan demeure marquée par la fragmentation des cadres juridiques et la multiplication d’initiatives sectorielles souvent cloisonnées.
De la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) aux organisations régionales de gestion des pêches, en passant par les mécanismes liés à la biodiversité ou aux négociations climatiques, les cadres s’accumulent sans toujours s’articuler, laissant apparaître des zones grises, des lacunes, voire des contradictions entre ambitions affichées et pratiques effectives. C’est dans ce contexte de complexité institutionnelle qu’ont émergé, depuis 2017, les conférences des Nations unies sur l’océan, avec pour ambition de fédérer États, organisations internationales, acteurs scientifiques, société civile et secteur privé autour de la mise en œuvre de l’Objectif de développement durable no 14 (ODD 14) consacré à la « conservation et à l’exploitation durable des océans, des mers et des ressources marines ». Plateformes de mobilisation collective, ces conférences entendent offrir un espace de dialogue et d’engagement, où grandes orientations politiques croisent initiatives financières et avancées scientifiques. Cette superposition de régimes reflète un héritage juridique fondé sur une conception permissive de l’océan, reposant sur la primauté des libertés – de navigation, d’exploitation – et sur des limitations sectorielles, dictées par la nécessité et ajoutées au cas par cas : sécurité maritime, prévention des pollutions, gestion des ressources halieutiques, etc. Pourtant, à mesure que les pressions s’intensifient et que les transformations biophysiques de l’océan s’accélèrent, cette architecture montre ses limites. Dans un contexte où les mécanismes de régulation internationale sont eux-mêmes fragilisés, les UNOC n’ont pas de mandat normatif ou contraignant, mais elles entendent contribuer à faire émerger des coalitions, susciter des convergences et porter sur la scène internationale les termes d’un débat nécessaire : jusqu’où – et comment – limiter les libertés en mer pour préserver un bien commun ?
À l’approche de sa troisième édition, qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin 2025, les attentes sont considérables. Pourtant, si l’UNOC a contribué à inscrire l’océan au cœur de l’agenda international et à susciter un foisonnement d’engagements volontaires, la question de son efficacité demeure : que reste-t-il des promesses formulées lors des deux premières éditions ? Les outils déployés suffisent-ils à inverser les tendances de dégradation ? Plus qu’un moment diplomatique, cette conférence est attendue comme un point d’inflexion, tant il ne s’agit plus seulement de multiplier les annonces, mais bien de renforcer la cohérence des initiatives, de consolider les cadres existants et d’insuffler une dynamique collective. Dès lors, c’est bien la capacité de ce processus à dépasser ses propres limites et à s’imposer comme un levier structurant face aux défis politiques, économiques et scientifiques contemporains qui mérite d’être interrogée.
Un catalyseur d’une dynamique internationale en faveur de l’océan
Depuis son lancement en 2017, le processus des conférences des Nations unies sur l’océan a contribué à inscrire durablement l’océan au cœur des agendas internationaux et à structurer progressivement un espace multilatéral dédié à la gouvernance maritime. La décision de créer cette enceinte diplomatique trouve son origine dans la résolution A/RES/70/226 de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée en décembre 2015, qui convoquait une conférence internationale visant à soutenir la mise en œuvre de l’ODD 14. Cette initiative, portée conjointement par les gouvernements des Fidji et de la Suède, répondait à un constat partagé : malgré des engagements internationaux récurrents, la gouvernance de l’océan souffrait de fragmentation et d’un déficit de coordination. La création de l’UNOC est ainsi apparue comme une tentative de pallier l’absence d’un forum multilatéral spécifiquement consacré à l’océan en offrant un cadre propice au dialogue.
La première édition, organisée à New York en 2017, puis la deuxième, tenue à Lisbonne en 2022, ont joué un rôle déterminant dans la reconnaissance politique de l’urgence océanique. Par le biais de sessions plénières, de dialogues interactifs thématiques et d’espaces d’engagement multiacteurs, ces conférences ont non seulement favorisé la convergence des agendas internationaux, mais ont également contribué à renforcer des réseaux jusque-là dispersés. Elles ont ainsi participé à renforcer l’inscription de la question océanique comme une priorité dans d’autres enceintes multilatérales, notamment au sein du G7, du G20, des négociations climatiques ou sur la diversité biologique. Par ailleurs, ces rendez-vous ont servi de catalyseurs à une mobilisation sans précédent autour des engagements volontaires, avec plus de 1 300 engagements enregistrés à l’occasion de la première conférence et près de 700 supplémentaires à Lisbonne. Ces engagements reflètent la diversité des initiatives : extension et gestion d’aires marines protégées (AMP), lutte contre la pollution plastique – plus de 20 gouvernements avaient par exemple annoncé lors de l’UNOC de Lisbonne qu’ils rejoindraient l’Engagement mondial pour une nouvelle économie des plastiques –, stratégies de restauration des écosystèmes côtiers, ou encore plans de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).
Parallèlement, la dynamique de financement en faveur de l’océan a connu une accélération notable au cours de la dernière décennie. La Banque mondiale, à travers son fonds multidonateurs ProBlue, ainsi que la Banque européenne d’investissement (BEI) et plusieurs banques régionales de développement ont annoncé le renforcement de leurs portefeuilles et initiatives dédiés à l’océan et à l’économie bleue. Cette mobilisation publique a été relayée par l’émergence d’initiatives privées, à l’image de l’Ocean Risk and Resilience Action Alliance (ORRAA) autour du développement de solutions innovantes pour la résilience côtière et la gestion des risques liés aux changements climatiques. La finance bleue, encore marginale il y a quelques années, s’est progressivement imposée comme un domaine stratégique, avec les premières émissions d’« obligations bleues » souveraines (« blue bonds »), à l’image de celles des Seychelles en 2018. Par ailleurs, les discussions au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI) sur l’instauration d’une taxe mondiale sur les émissions du transport maritime témoignent d’une volonté d’inscrire le financement de la transition maritime et de la résilience de l’océan au cœur des politiques climatiques internationales.
L’ensemble de ces initiatives publiques et privées contribue donc à structurer un écosystème financier dédié à l’océan, qui pourra accompagner la mise en œuvre des engagements pris dans le cadre de l’ODD 14 et répondre aux défis systémiques qui pèsent sur les espaces maritimes – c’est-à-dire aux pressions interconnectées et de grande ampleur, telles que le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la pollution, ou encore les déséquilibres économiques et sociaux liés à la gouvernance des ressources marines.
Enfin, l’un des apports majeurs du processus réside dans la consolidation d’une interface science-politique plus structurée. Si l’UNOC n’a pas vocation à produire de la science, elle contribue à valoriser et à intégrer les savoirs scientifiques dans les dynamiques diplomatiques. La collaboration avec la Commission océanographique intergouvernementale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (COI-UNESCO) et les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – notamment le rapport spécial de 2019 consacré à l’océan et à la cryosphère – ou de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ont permis d’ancrer les décisions politiques dans des diagnostics scientifiques solides. La reconnaissance de ce besoin d’expertise nourrit désormais une volonté d’articulation plus étroite entre sphères scientifique et diplomatique. Cette ambition trouvera un prolongement inédit à Nice, avec l’organisation, en amont de l’UNOC, du One Ocean Science Congress, du 4 au 6 juin.
Des fragilités structurelles persistantes
Si les conférences des Nations unies sur l’océan ont été créées pour remédier à l’éclatement des cadres institutionnels et offrir un espace de coordination global et ont permis d’ancrer la question océanique dans les agendas internationaux, elles n’en demeurent pas moins confrontées à des limites structurelles qui en réduisent l’efficacité et la portée. Elles s’inscrivent, en effet, dans une configuration institutionnelle caractéristique des grandes arènes de la gouvernance environnementale. Comme dans le champ climatique, les dynamiques à l’œuvre témoignent d’une difficulté à organiser la coopération multilatérale dans des espaces où les intérêts divergent, les régulations s’entrecroisent et les mécanismes de mise en œuvre peinent à s’imposer. Ces logiques se traduisent par un éparpillement des initiatives, une faible coordination des cadres existants et un déséquilibre persistant entre ambitions affichées et leviers concrets d’action.
L’une des faiblesses de ces conférences réside dans l’absence de tout mécanisme juridiquement contraignant. Les engagements volontaires et les déclarations politiques, qui constituent le socle du dispositif, reposent exclusivement sur la volonté des acteurs et ne s’accompagnent d’aucune obligation de résultat ni de mécanisme institutionnalisé de redevabilité (accountability). À ce jour, aucun système de suivi rigoureux n’a été instauré pour évaluer la mise en œuvre effective des engagements pris à New York et Lisbonne. Ce constat, déjà relevé dans le rapport du département des Affaires économiques et sociales des Nations unies sur l’évaluation des impacts des engagements volontaires, est également souligné par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) et observateurs du processus, qui pointent le décalage entre la multiplication des annonces et la faiblesse des instruments de suivi et de vérification.
À cette première limite s’ajoute la complexité institutionnelle qui caractérise aujourd’hui la gouvernance maritime internationale. Les UNOC, bien qu’ambitieuses dans leur volonté de soutenir la mise en œuvre de l’ODD 14, évoluent dans un paysage fragmenté qui complique considérablement la cohérence des efforts internationaux. La multiplication des cadres – CNUDM, OMI, Convention sur la diversité biologique (CDB), organisations régionales de gestion des pêches (ORGP), Autorité internationale des fonds marins (AIFM), traité sur la biodiversité en haute mer (communément appelé traité BBNJ), conventions régionales telles que la Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est (OSPAR) ou la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR), mais aussi conventions sectorielles (sur les espèces migratrices, par exemple), etc. – contribue à un enchevêtrement normatif complexe, souvent marqué par des chevauchements. Les négociations menées dans des enceintes parallèles progressent à des rythmes inégaux et sans mécanisme de convergence. Ainsi, cette fragmentation limite-t-elle la portée des annonces volontaires et rend leur concrétisation d’autant plus incertaine. Elle expose également la gouvernance océanique à un risque de dilution des efforts, où les ambitions de conservation entrent en contradiction avec des intérêts économiques concurrents. Cette architecture institutionnelle morcelée se révèle souvent incapable de répondre à la rapidité des dynamiques de dégradation, laissant les urgences environnementales sans réponse adaptée et affaiblissant, de ce fait, la crédibilité des engagements internationaux.
Source : Robert Blasiak et Joachim Claudet pour Annual Review of Environment and Resources.
Enfin, si les conférences des Nations unies sur l’océan peuvent contribuer à structurer davantage l’interface entre science et politique, elles illustrent aussi les difficultés persistantes à intégrer pleinement les avancées scientifiques dans les enceintes décisionnelles internationales. En dépit des efforts de structuration, les processus d’intégration demeurent inégaux, freinés par des inerties politiques, des asymétries de capacités entre États et un décalage persistant entre expertise et arbitrage. Bien que les rapports du GIEC ou de l’IPBES aient acquis une reconnaissance mondiale, leurs préconisations sont rarement traduites de manière contraignante dans les textes adoptés à l’issue des conférences multilatérales. La lenteur des négociations contraste avec l’urgence des diagnostics et les seuils critiques identifiés par la communauté scientifique, pourtant connus et documentés, continuent de se heurter à des arbitrages politiques prudents et à l’absence de mesures contraignantes à la hauteur des alertes. Par ailleurs, un fossé demeure entre les pays disposant des capacités scientifiques et technologiques permettant d’accéder aux données, aux outils d’observation et aux modèles prédictifs nécessaires à la mise en œuvre de politiques efficaces, et ceux qui en sont dépourvus.
Cette asymétrie se manifeste notamment dans la lutte contre la pêche INN : là où certains États s’appuient sur des technologies satellitaires avancées et des dispositifs d’analyse automatisée pour surveiller leurs zones économiques exclusives (ZEE), d’autres doivent composer avec des moyens humains et techniques très limités, entravant leur capacité à détecter, documenter et sanctionner les infractions. Les inégalités dans l’accès à ces outils, combinées à la faiblesse des mécanismes internationaux de transfert de compétences et de technologies, constituent un frein majeur à la construction d’une gouvernance réellement inclusive et efficace de l’océan, qui soit donc capable de refléter la diversité des contextes nationaux, de garantir une participation équitable aux processus décisionnels et de permettre à chaque État de mettre en œuvre les politiques nécessaires à la protection et à la gestion durable de ses espaces maritimes. Si la décennie des sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030), portée par l’UNESCO, vise précisément à combler ces écarts, la traduction concrète de ces ambitions dans les forums décisionnels reste encore embryonnaire.
En somme, les limites des conférences des Nations unies sur l’océan tiennent autant à la nature volontaire du dispositif qu’à la complexité institutionnelle à laquelle il entend répondre et au retard persistant dans l’articulation entre savoir scientifique et décisions politiques. Ces fragilités pèsent sur la capacité de l’UNOC à devenir un véritable moteur d’action collective.
Nice 2025, vers une inflexion politique ?
Alors que la gouvernance internationale de l’océan demeure fragilisée par l’écart persistant entre ambitions déclarées et actions concrètes, la Conférence des Nations unies sur l’océan de Nice (UNOC 3) intervient dans un contexte de multiplication des alertes scientifiques, d’intensification des tensions géopolitiques sur les espaces maritimes et d’accélération des négociations multilatérales liées à l’agenda océanique. Elle se présente comme une séquence appelée à consolider les acquis des deux premières éditions, tout en tirant les leçons des limites du processus.
Depuis Lisbonne, plusieurs jalons juridiques majeurs ont été posés, sans que leur concrétisation soit encore assurée. Le traité BBNJ, adopté en 2023, constitue une avancée historique pour la gouvernance des zones situées au-delà des juridictions nationales. Son entrée en vigueur reste toutefois conditionnée à sa ratification par 60 États – seuls 28 l’avaient ratifié début juin 2025, malgré 115 signatures depuis l’ouverture en septembre 2023. L’UNOC 3, en tant que plateforme diplomatique de haut niveau, pourrait contribuer à franchir ce seuil à travers une mobilisation politique ciblée. De même, l’accord de 2022 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les subventions à la pêche destructrice – qui figure parmi les réussites tangibles de l’ODD 14 – attend la ratification des deux tiers des États membres. Enfin, les négociations du traité international juridiquement contraignant sur la pollution plastique, engagées depuis 2022 sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), devraient entrer dans leur phase finale en 2025, avec pour objectif la conclusion d’un traité juridiquement contraignant. L’UNOC pourrait, là aussi, jouer un rôle stratégique de mobilisation politique en faveur d’un accord ambitieux, alors même que les discussions se heurtent à l’opposition d’États producteurs et à des désaccords sur la portée contraignante du futur texte. Plus largement, des lignes de fracture profondes persistent autour d’enjeux sensibles, comme l’exploitation minière des grands fonds marins. Alors que l’AIFM fait face à une pression croissante pour statuer sur les premières demandes d’exploitation, notamment avec la soumission attendue le 27 juin 2025 d’une demande de permis conjointe de Nauru et The Metals Company, les tensions s’exacerbent. Cette demande, qui porterait sur l’exploitation de nodules polymétalliques dans la zone Clarion-Clipperton, cristallise l’opposition entre, d’une part, les États et acteurs favorables à une ouverture rapide à l’exploitation – souvent soutenus par des intérêts industriels – et, d’autre part, ceux appelant à un moratoire ou à une pause de précaution, en l’absence de garanties scientifiques et réglementaires suffisantes sur les impacts environnementaux.
Les enjeux de cette édition ne relèvent cependant pas uniquement du registre normatif : ils sont également politiques, scientifiques et opérationnels. L’organisation pour la première fois, en amont de la conférence, d’un congrès scientifique international d’envergure – le One Ocean Science Congress – symbolise une volonté d’ancrer les discussions politiques dans les résultats les plus récents de la recherche océanographique, d’encourager une appropriation plus large de l’ODD 14 et de faire progresser des initiatives structurelles, comme le projet français d’un International Panel for Ocean Sustainability (IPOS). Ce dernier, inspiré du GIEC ou de l’IPBES, viserait à institutionnaliser une expertise scientifique collective et indépendante sur l’état de l’océan au service des politiques publiques. Il pourrait également contribuer à structurer de futurs mécanismes de régulation internationale fondés sur la science, à la hauteur des défis écologiques contemporains.
Au-delà de ces jalons scientifiques et juridiques, l’UNOC 3 a pour ambition de renforcer les synergies entre les multiples agendas internationaux liés à l’océan : climat, biodiversité, commerce, sécurité alimentaire, économie bleue. Dans cette perspective, la conférence pourrait être l’occasion d’avancer vers une meilleure articulation entre les échelles régionales et globales, de renforcer les dialogues intersectoriels et de poser les bases d’une gouvernance plus cohérente et inclusive afin de structurer plus efficacement la réponse collective autour de l’ODD 14. Il s’agit également d’améliorer la lisibilité et la transparence des engagements pris, en encourageant la mise en place de mécanismes partagés de suivi, de reporting et d’évaluation, à même de favoriser une responsabilisation mutuelle des acteurs et de consolider, à terme, une culture commune de redevabilité. En parallèle, la pression croît pour réduire les asymétries d’accès aux données, aux outils d’observation et d’analyse, et aux moyens de surveillance et de contrôle, qui entravent encore l’appropriation effective des politiques maritimes par de nombreux pays.
Dès lors, Nice 2025, dans sa portée symbolique autant que stratégique, est pensée comme un moment d’inflexion. Pour autant, les premiers éléments du zero draft de la déclaration politique laissent entrevoir une aspiration somme toute modeste. Jugé insuffisamment ambitieux par de nombreux observateurs et ONG, le texte reflète une prudence diplomatique susceptible de limiter la portée de la conférence. Encore largement général, il reste en retrait sur plusieurs points clés – mécanismes de mise en œuvre, financement, activités à fort impact écologique – et ne reflète pas suffisamment l’urgence scientifique ni les transformations nécessaires pour atteindre les objectifs de l’ODD 14. La faiblesse du texte initial nourrit ainsi les inquiétudes quant à la capacité de l’UNOC 3 à marquer une réelle inflexion. Dans ce contexte, de nombreuses voix appellent à un rehaussement significatif du niveau d’ambition d’ici l’ouverture de la conférence, afin d’éviter qu’elle ne se réduise à un exercice de communication diplomatique, déconnecté de l’urgence des enjeux.
Au-delà des lignes programmatiques, l’UNOC 3 s’annonce aussi comme le théâtre de jeux d’influence plus discrets, où s’opposeront des visions concurrentes de la gouvernance de l’océan, par exemple entre partisans d’une régulation contraignante fondée sur des principes de justice environnementale et ceux privilégiant des approches volontaires et incitatives, entre États favorables à un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins et ceux qui souhaitent en encadrer le développement, ou encore entre pays exigeant des règles de transparence sur les subventions à la pêche et ceux défendant la souveraineté de leurs politiques sectorielles. Des désaccords sont d’ores et déjà perceptibles sur la ratification des traités, les mécanismes de financement, ou encore les niveaux d’ambition à adopter sur la pêche ou la décarbonation du transport maritime. Dans ce contexte, la capacité des États les plus engagés à entraîner une coalition ambitieuse sera décisive.
Un levier pour le leadership maritime français
En tant que pays hôte et coorganisatrice aux côtés du Costa Rica, la France portera une responsabilité politique majeure. Elle entend faire de cette conférence un levier pour affirmer son leadership maritime, dans un contexte où les rivalités autour des ressources marines, des routes stratégiques et des technologies et infrastructures sous-marines s’intensifient. Cette posture s’inscrit dans une stratégie plus large : forte de la deuxième zone économique exclusive mondiale, d’une présence maritime dans tous les bassins océaniques et d’un tissu scientifique de référence, la France entend jouer un rôle moteur dans les recompositions en cours de la gouvernance de l’océan.
À l’occasion du sommet SOS Océan, organisé les 30 et 31 mars 2025 à Paris, Emmanuel Macron a ainsi présenté huit priorités pour l’UNOC 3 :
- Finaliser les ratifications du traité BBNJ ;
- Renforcer la lutte contre la pêche INN et soutenir la transition vers une pêche et une aquaculture durables ;
- Mobiliser sur l’objectif 30×30 du cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, en encourageant les États à annoncer de nouvelles aires marines protégées et un meilleur encadrement des activités dans celles déjà existantes ;
- Soutenir la décarbonation du transport maritime, à travers notamment les négociations en cours à l’OMI sur l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 ;
- Faire avancer les discussions sur le traité contre la pollution aux côtés des États les plus ambitieux ;
- Promouvoir de nouveaux mécanismes de financement pour l’océan et l’économie bleue ;
- Renforcer la lutte contre le changement climatique en déployant des actions locales ;
- Défendre la science comme levier de coopération internationale et de décision éclairée.
Si le sommet a surtout joué un rôle de visibilisation et de mobilisation politique, il n’a donné lieu qu’à peu d’annonces concrètes. L’on peut toutefois noter comme un signal encourageant l’inscription dans le manifeste qui en est issu du principe de protection qui affirme que la préservation de l’océan doit devenir la norme, et non plus l’exception.
En accueillant cette conférence, la France ne souhaite pas se contenter d’un rôle logistique ou symbolique, mais bien se positionner comme architecte d’une diplomatie océanique renouvelée, capable de tisser des alliances Sud-Nord, de fédérer les dynamiques scientifiques et de poser les premiers jalons d’une gouvernance plus cohérente, plus équitable et plus ambitieuse de l’océan global. Cette ambition s’inscrit en outre dans un contexte national porteur, avec la désignation de 2025 comme « Année de la mer ». Ce cadrage symbolique confère à la conférence une portée supplémentaire, en offrant une occasion de renforcer la sensibilisation du grand public aux enjeux maritimes, de promouvoir une véritable culture océanique et d’ancrer l’UNOC dans une dynamique de mobilisation qui dépasse les seuls cercles diplomatiques, en impliquant la société civile, les territoires littoraux et les mondes académiques et éducatifs.
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Loin de n’être qu’un moment diplomatique, l’UNOC 3 cristallise les tensions, ambitions et limites d’un processus multilatéral en quête de structuration. Depuis 2017, les conférences des Nations unies sur l’océan ont su poser les jalons d’une diplomatie océanique mondiale plus visible, plus lisible et plus mobilisatrice. Il s’agit cependant d’un modèle fragile face à l’urgence écologique, à l’accélération des dynamiques géopolitiques et à la lenteur des convergences institutionnelles. Surtout, il peine encore à dépasser une vision morcelée de l’océan, pensé par fragments – espaces, secteurs, enjeux –, à l’image d’une gouvernance internationale elle-même cloisonnée entre régimes juridiques différenciés, logiques sectorielles et dynamiques diplomatiques parallèles. Cette trajectoire ne pourra se concrétiser que si elle s’accompagne d’une redéfinition des équilibres entre volontarisme et contrainte, entre expertise et décision, entre aspirations globales et capacités locales. Cette exigence implique de poursuivre les efforts d’institutionnalisation, de renforcer l’inclusivité – notamment par une meilleure reconnaissance des savoirs autochtones, des communautés côtières et des petits États insulaires – et d’inscrire durablement l’océan dans l’architecture décisionnelle internationale. Elle suppose aussi de faire vivre, au-delà de l’événement, une forme de culture océanique collective : une compréhension partagée des interdépendances humaines avec les systèmes marins, un engagement à long terme pour leur préservation, et une capacité à penser l’océan comme bien commun plutôt que comme un espace d’exploitation fragmentée. Alors que l’océan s’impose désormais comme un espace central des recompositions du système international, l’enjeu n’est plus uniquement de mieux le gérer, mais de repenser, à travers lui, nos modes de coopération, de solidarité et de responsabilité globale.
Crédits photo : yanjf
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