L’OTAN face à l’éventualité d’une crise à Taïwan

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Mai 29

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Cet article est une traduction de l’article « NATO and a Taïwan contingency », publié le 2 février 2024 par le NATO Defense College [NDC Outlook 02-2024]. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l’OTAN ou du NATO Defense College.

L’OTAN s’intéresse de plus en plus à l’évolution de la situation dans la région Indo-Pacifique à une époque où l’on s’inquiète de la menace que la République populaire de Chine (RPC) fait peser sur la sécurité de Taïwan. Une crise concernant Taïwan aurait non seulement un impact dévastateur sur l’économie mondiale, mais pourrait également impliquer les États-Unis dans un conflit direct avec un concurrent proche (et doté de l’arme nucléaire). Le Conseiller américain à la sécurité nationale des États-Unis, Jake Sullivan, a souligné le lien – et en fait l’interdépendance – entre la sécurité en Europe et la sécurité dans l’Indo-Pacifique :

« We are also growing the connective tissue between US alliances in the Indo-Pacific and in Europe…allies in the Indo- Pacific are staunch supporters of Ukraine, while allies in Europe are helping the United States support peace and stability across the Taiwan Strait. »

Cet article présente les différents scénarios dans lesquels l’éventualité d’une crise concernant Taïwan pourrait affecter l’Alliance, à la fois sur le plan juridique, en déclenchant l’application de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, et sur le plan politique, en demandant aux États-Unis de soutenir leurs alliés de l’OTAN dans une campagne mondiale contre Pékin. Dans quelle mesure l’OTAN peut-elle s’impliquer dans une situation de crise à Taïwan dans le cadre de ses engagements actuels et à quoi cette implication pourrait-elle ressembler ? La première partie examine la base juridique permettant à l’OTAN d’agir dans une situation d’urgence à Taïwan. La deuxième partie examine les scénarios opérationnels dans lesquels les États-Unis et Taïwan pourraient demander le soutien de l’OTAN, et fait mention d’un exercice d’élaboration de scénario sur la manière dont un conflit pourrait commencer. La dernière partie aborde les implications politiques de cette analyse.

La marge de manœuvre juridique de l’OTAN pour répondre à une situation de crise à Taïwan

La possibilité d’invoquer l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord dans le cas d’une éventualité de crise concernant Taïwan est limitée mais pas nulle. L’article 6 stipule que l’article 5 peut être invoqué en cas d’attaque armée :

  • sur le territoire de l’une des parties en Europe ou en Amérique du Nord, sur les départements algériens de la France, sur le territoire de la Turquie ou sur les îles placées sous la juridiction de l’une des parties dans la zone de l’Atlantique Nord au nord du tropique du Cancer ;
  • sur les forces, navires ou aéronefs de l’une des parties, lorsqu’ils se trouvent sur ou au-dessus de ces territoires ou de toute autre zone en Europe où des forces d’occupation de l’une des parties étaient stationnées à la date d’entrée en vigueur du Traité, ou de la mer Méditerranée ou de la zone de l’Atlantique Nord au nord du tropique du Cancer.

Pour des raisons de facilité (et de clarté), cet article fera référence au premier point comme étant le scénario de crise numéro 1 et au deuxième point comme étant le scénario de crise numéro 2. Le scénario de crise numéro 1 consiste en quatre phases distinctes :

  1. sur le territoire de l’une des parties en Europe ou en Amérique du Nord ;
  2. sur les départements algériens de la France ;
  3. sur le territoire de la Turquie ;
  4. ou sur les îles placées sous la juridiction de l’une des parties dans la zone de l’Atlantique Nord au nord du tropique du Cancer.

La première phase mérite une attention particulière. Elle définit le champ d’application de l’article 5 comme incluant le territoire de l’une des parties en Amérique du Nord (alors que la quatrième phase se réfère aux îles sous leur juridiction dans la zone spécifiée). La question essentielle est de savoir si la portée géographique d’une éventualité de crise à Taïwan pourrait s’étendre à l’Amérique du Nord. Un wargame récent du Center for A New American Studies, qui simulait une crise concernant Taïwan, a révélé que « la Chine voulait cibler des installations militaires sur le territoire continental des États-Unis, mais ne disposait pas des forces nécessaires pour le faire ». Un résumé des résultats pour l’émission Meet the Press de NBC News a précisé que cela impliquait des frappes de missiles chinois contre Hawaï, l’Alaska et la Californie (et même l’explosion d’une arme nucléaire de la RPC dans l’atmosphère au large des côtes californiennes). Le wargame a également révélé qu’une crise concernant Taïwan était beaucoup plus longue et conduisait à une escalade beaucoup plus importante que ce que les États-Unis ou la Chine avaient anticipé. Bien qu’il ne s’agisse que d’une simulation et que la Chine ne se soit pas montrée capable d’effectuer toutes les frappes de missiles prévues dans ce jeu de guerre, cela renforce l’idée qu’un scénario de crise à Taïwan pourrait conduire à une attaque de la RPC contre Hawaï et la côte ouest des États-Unis. La Chine ayant récemment effectué une patrouille conjointe avec la Russie au large des côtes de l’Alaska, ce scénario devient de plus en plus plausible.

Une attaque contre toute partie du territoire continental des États-Unis constituerait clairement une attaque contre l’Amérique du Nord et déclencherait donc l’application de l’article 5. Mais une attaque contre Hawaï serait plus ambiguë. Si les États-Unis sont un pays d’Amérique du Nord, la désignation d’Hawaï n’est pas claire. La division des statistiques des Nations Unies inclut l’ensemble des États-Unis dans sa définition de l’« Amérique du Nord » (qui, avec les Caraïbes et l’Amérique centrale, fait partie de l’« Amérique du Nord »).

L’article 274 (h)(3)(A) du 26 US Code définit la « zone nord-américaine » comme « les États-Unis, leurs possessions et le territoire sous tutelle des îles du Pacifique, ainsi que le Canada et le Mexique ». Il s’agit d’une définition extensive qui, si elle est appliquée au Traité de l’OTAN, signifie que l’article 5 pourrait être invoqué en cas d’attaque armée contre Hawaï et même Guam. En 2017, Sir Alan Duncan (alors ministre d’État pour l’Europe et l’Amérique du Nord du Royaume-Uni) a déclaré ce qui suit lors d’un interrogatoire à la Chambre des communes :

« Article 6 of the Washington Treaty defines the geographical scope of Article 5 primarily as ‘the territory of any of the Parties in Europe or North America’ or ‘islands under the jurisdiction of any of the Parties in the North Atlantic Area north of the Tropic of Cancer.’ However, any attack against the United States, whether directed against Hawaii, Guam, or another US state or territory, is likely to be part of a major conflict. In such a case, either the consultation provisions of Article 4 or the collective defence provisions of Article 5 would plainly apply, and the decision of the North Atlantic Council would determine the response of the Alliance. »

Le fait qu’un haut fonctionnaire du gouvernement britannique – qui a envoyé des pilotes de la Royal Air Force (RAF) s’entraîner avec leurs homologues américains et australiens dans le cadre de l’exercice Red Flag afin de simuler une campagne aérienne coordonnée contre les forces aériennes de l’Armée populaire de libération (APL) – ait approuvé cette interprétation des articles 4, 5 et 6 est en soi significatif. Néanmoins, il y a aussi des raisons de douter que l’OTAN soit directement impliquée dans une situation de crise à Taïwan. L’article 274 (h)(3)(A) du 26 US Code n’est pas nécessairement applicable au Traité de l’Atlantique Nord, puisqu’il précise que la portée de la définition ci-dessus est applicable à la sous-section (h) de l’article 274 du 26 US Code (qui régit la question relativement banale de la « participation à des conventions », etc.)

En outre, en 1965, le Secrétariat de l’OTAN a publié un avis juridique indiquant que les articles 5 et 6 du Traité ne s’appliquaient pas à Hawaï parce que ce pays faisait partie de l’Union en tant qu’« État » américain et non en tant que « territoire » américain. Le raisonnement de cet avis juridique est discutable : la référence au « territoire de l’une des parties en Europe ou en Amérique du Nord » dans l’article 6 n’exclut pas les États américains (et il semble raisonnable de supposer que si le traité s’applique aux territoires américains, il devrait également s’appliquer a fortiori aux États américains). La vraie question est de savoir si Hawaï peut être considéré comme faisant partie de l’Amérique du Nord.

Même si une attaque de la RPC contre Hawaï déclenchait l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, le champ d’action des Alliés serait relativement limité. Le Traité de l’Atlantique Nord se distingue par le fait que l’article 5 précise le résultat (end state) ou l’état final recherché (EFR) que l’action des Alliés est censée atteindre : « rétablir et maintenir la sécurité de l’OTAN ». Cela signifie qu’en cas d’attaque armée contre l’Amérique du Nord, les parties ne seraient pas tenues d’aider les États-Unis dans la région Indo-Pacifique. En revanche, elles seraient tenues de maintenir la sécurité de la zone de l’Atlantique Nord, probablement dans le contexte d’un redéploiement significatif des ressources américaines hors du théâtre des opérations, et éventuellement face à des actions d’exploration russes visant à tester l’état de préparation de l’Alliance. Pour éviter une escalade dans le conflit entre Israël et le Hamas, les États-Unis ont déployé l’USS Dwight D. Eisenhower et son groupe aéronaval dans la zone de responsabilité (AOR) du Commandement central (CENTCOM) peu de temps après leur déploiement dans l’AOR du Commandement européen (SACEUR). Dans une situation de crise à Taïwan, cela se produirait à une échelle beaucoup plus grande, créant une pression sur l’OTAN pour qu’elle réagisse dans de brefs délais. Le résultat pourrait être similaire à la mobilisation de l’OTAN après la guerre de Corée, destinée à empêcher Moscou et ses satellites d’ouvrir un second front en Europe.

Opérations militaires en cas de crise à Taïwan

Il ressort de cette analyse du Traité de l’Atlantique Nord que la portée juridique de l’implication de l’OTAN dans une situation de crise à Taïwan dépend essentiellement de l’étendue de la zone de combat. Si les hostilités se limitent au voisinage immédiat de Taïwan ou de la première chaîne d’îles, il est peu probable que l’article 5 soit invoqué. Si les hostilités s’intensifient et que les combats s’étendent à la troisième chaîne d’îles, le déclenchement de l’article 5 est possible. Si les hostilités s’intensifient encore et que les combats s’étendent à la zone continentale des États-Unis (ou du Canada), le déclenchement de l’article 5 est certain. Par conséquent, l’OTAN ne peut pas exclure la possibilité de participer à la défense de Taïwan, comme l’a récemment suggéré un porte-parole de l’Élysée en affirmant que le champ d’action de l’OTAN se limitait à l’Atlantique Nord. Un conflit entre les États-Unis et la Chine dans le Pacifique occidental pourrait exposer l’Amérique du Nord à un risque d’attaque armée, ce qui obligerait l’OTAN à se préparer dès le début du conflit.

Selon le Département de la Défense (DoD) américain, les scénarios dans lesquels Pékin pourrait recourir à la force contre Taïwan sont les suivants :

  • Blocus aérien et maritime ;
  • Force limitée ou options coercitives ;
  • Campagne aérienne et de missiles ;
  • Assaut amphibie de Taïwan ;
  • Saisie d’une petite île ;

À l’exception des « options de force limitée ou coercitive », ces scénarios ne s’excluent pas mutuellement. Pékin pourrait planifier un assaut amphibie de Taïwan en imposant d’abord un blocus aérien et maritime, et un assaut amphibie de Taïwan n’exclut pas la possibilité que Pékin tente d’abord de s’emparer des îles périphériques de Taïwan afin de tester les capacités et la détermination taïwanaises et américaines. Par conséquent, même si l’analyse juridique ci-dessus considère principalement des scénarios impliquant une invasion à grande échelle par l’APL, les autres scénarios pourraient également avoir des implications pour l’OTAN. Par exemple, si Pékin tente d’imposer un blocus aérien et maritime à Taïwan, les États-Unis pourraient subir des pressions pour redéployer leurs ressources hors de l’AOR de l’US CENTCOM pour soutenir les forces dans la zone de responsabilité du commandement Indo-Pacifique. Les États-Unis pourraient également demander à leurs alliés de l’OTAN d’imposer des sanctions contre la Chine, tout comme ils ont imposé des sanctions contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine.

Les pays de l’OTAN pourraient également être directement impliqués dans l’éventualité d’une crise à Taïwan, même si l’Alliance ne s’engage pas dans une consultation formelle au titre de l’article 4. Les pays de l’OTAN ayant engagé des patrouilles navales régulières dans la région Indo-Pacifique ces dernières années, ils pourraient être invités par les États-Unis ou Taïwan à apporter leur soutien en cas d’hostilités avec Pékin. À défaut de devenir eux-mêmes des combattants, ce soutien pourrait impliquer d’aider les marines américaine et taïwanaise à briser un blocus, ou d’aider Taïwan à évacuer ses citoyens de ses îles périphériques. Les pays de l’OTAN doivent envisager la possibilité que Pékin cible les ressources navales qu’ils auraient déployées dans l’Indo-Pacifique au début d’une situation d’urgence. Pékin a déjà critiqué les propositions visant à créer un bureau de liaison de l’OTAN au Japon, les qualifiant de tentative « d’incitation à la confrontation entre blocs ». Si le Parti communiste chinois considère les navires de guerre alliés dans l’Indo-Pacifique comme une extension de la flotte américaine du Pacifique, il existe un risque que l’APL lancera des attaques aveugles contre les forces navales occidentales dans et autour du détroit de Taïwan. Ce risque a été mis en évidence en juin 2023, lorsqu’un navire de guerre chinois a effectué une manœuvre dangereuse en passant devant un destroyer américain, manquant de provoquer une collision lors d’un exercice naval conjoint entre les États-Unis et le Canada dans le détroit de Taïwan. Même si l’OTAN, en tant qu’alliance, n’est pas en guerre contre la Chine lors d’une crise à Taïwan, les membres de l’OTAN pourraient très bien l’être.

Une crise pourrait commencer sans avertissement. L’analyse de John Culver sur la façon dont Pékin pourrait se préparer à un conflit suggère que les signes seraient clairs bien avant le début des hostilités, mais cela ne serait que dans le scénario d’un assaut amphibie. Il y aurait beaucoup moins d’avertissements préalables en cas de campagnes aériennes et de lancements de missiles, et encore moins d’avertissements en cas de blocus. Et même dans le scénario d’un assaut amphibie, Pékin pourrait décider que prendre des mois ou des années pour mobiliser ses forces donnerait également aux États-Unis le temps de mobiliser leurs propres forces, ce qui amènerait la Force des missiles de l’APL à engager une salve d’ouverture en lançant des frappes de missiles contre les pays occidentaux ou les forces navales dans l’Indo-Pacifique. Même si Pékin ne décide pas de se lancer dans un assaut amphibie, il pourrait imposer un blocus en désignant soudainement l’ensemble de Taïwan et ses eaux territoriales comme interdites au trafic maritime et aérien, tout en brandissant la menace d’emploi de la force. Il appartiendrait alors aux forces armées taïwanaises, et potentiellement à la septième flotte américaine, de briser le blocus avant que Taïwan ne soit à court de munitions, de carburant, de nourriture et d’autres provisions essentielles. Cela pourrait impliquer de fournir une escorte navale aux pétroliers civils et aux navires de secours. Si les États-Unis décident d’intervenir, ils pourraient également transporter par avion des équipements et provisions depuis leurs bases au Japon et aux Philippines vers les aérodromes de Taipei, Kaohsiung et Pingtung. Les pays de l’OTAN opérant dans la région Indo-Pacifique (comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et le Canada) pourraient être invités à jouer un rôle de soutien dans ces opérations. Même s’ils ne le font pas, ils devront décider s’ils se conforment au blocus de Pékin et sacrifier leur droit à la liberté de navigation, ou s’ils contestent le blocus au risque d’une confrontation militaire.

Implications politiques

Étant donné que les pays de l’OTAN ont encore une capacité limitée à projeter leur puissance dans la région indo-pacifique, ils joueront probablement un rôle de soutien dans le cas d’une crise à Taïwan. Les exigences d’un conflit cinétique avec un concurrent proche créeront une pression sur les États-Unis pour qu’ils concentrent leurs actifs dans l’Indo-Pacifique, surtout si le conflit se prolonge. Dans ces circonstances, il sera essentiel pour les autres membres de l’OTAN de maintenir la posture de force requise pour compenser l’engagement réduit des États-Unis.

Si les Alliés européens ne peuvent pas maintenir une dissuasion crédible sans les États-Unis, alors deux scénarios pourraient se produire : 1) la concentration des actifs américains dans l’Indo-Pacifique pourrait créer une fenêtre de vulnérabilité en Europe que la Russie chercherait à exploiter ; 2) ou bien les États-Unis, soucieux de créer une ouverture à une nouvelle agression russe, auraient les mains liées en Europe et seraient incapables de mener un conflit contre la Chine dans le détroit de Taïwan. Ainsi, l’OTAN peut contribuer à la paix et à la sécurité dans le détroit de Taïwan en étant prête à maintenir leurs positions en Europe pendant que les États-Unis sont engagés dans l’Indo-Pacifique, empêchant ainsi l’ouverture d’un deuxième front.

L’OTAN peut également contribuer à la sécurité de Taïwan en soutenant les efforts américains visant à doter Taïwan des moyens de défense. Par exemple, il a été récemment rapporté que les États-Unis avaient accepté d’aider Taïwan à mettre à niveau sa liaison de données tactiques du L-16 au L-22 de l’OTAN, ce qui a amené les analystes à déduire que les États-Unis avaient réussi à obtenir l’approbation d’autres pays de l’OTAN. Certains pays de l’OTAN ont également fourni des composants et des technologies clés à l’armée taïwanaise. Ainsi, le gouvernement britannique a autorisé les entreprises britanniques à exporter des composants et des technologies de sous-marins vers Taïwan, qui a récemment déployé son premier sous-marin indigène. GEOSAT Aerospace and Technology, une société taïwanaise, a récemment conclu un accord pour acquérir des drones JACKAL (capables d’emporter les missiles « Lightweight Multirole » de Thales) produit par la société turque Fly BVLOS via Flyby Technology, une société britannique. Des entreprises françaises et taïwanaises ont signé un accord pour fabriquer conjointement des drones de surveillance, ce qui pourrait avoir des retombées positives alors que Taïwan cherche à fabriquer ses propres drones. Ces exemples mettent en évidence l’implication actuelle des pays de l’OTAN dans l’économie de défense de Taïwan. Même si ces formes d’assistance peuvent être modestes en comparaison aux ventes d’armes américaines à Taïwan, elles peuvent néanmoins améliorer le niveau de préparation de Taïwan à une crise.

Trois séries d’implications politiques découlent de cette analyse.

  • Premièrement, les États-Unis devraient envisager de s’engager dans une planification d’urgence avec leurs alliés de l’OTAN afin de déterminer des scénarios plausibles de conflit entre les États-Unis et la Chine dans le détroit de Taïwan, les exigences opérationnelles et tactiques que ces scénarios imposeraient à la posture de force des États-Unis, ainsi que les capacités des Alliés de l’OTAN à « remplacer » les États-Unis en Europe.
  • Deuxièmement, l’OTAN devrait envisager de mener des études de faisabilité sur la façon dont l’Alliance pourrait répondre à une crise à Taïwan dans divers scénarios et à différents niveaux d’escalade, y compris une attaque contre l’Amérique du Nord qui déclencherait l’article 5. L’objet de ces études pourrait aller des sanctions contre la Chine aux opérations conjointes dans l’Indo-Pacifique.
  • Troisièmement, l’OTAN devrait envisager de mettre en place un processus pour coordonner le transfert de systèmes d’armes et de technologies militaires vers Taïwan, afin de garantir que les mesures prises par chaque État membre soient conformes au concept global de la posture de défense de Taïwan. Il y a déjà eu une coordination apparente entre les États-Unis et le Royaume-Uni sur le transfert de technologie pour aider au développement du programme sous-marin de Taïwan, et cette coordination devrait être institutionnalisée au niveau de l’OTAN.

Conclusion

Le Traité de l’Atlantique Nord fournit un titre juridique pour ces actions. L’article 4 stipule que « les Parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’entre elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des Parties est menacée » (c’est nous qui soulignons). Aucune disposition sur le champ d’application ne restreint cette consultation aux évolutions en Europe ou en Amérique du Nord (l’article 6, qui précise un champ d’application géographique, s’applique « aux fins de l’article 5 » sans mentionner l’article 4). De plus, l’article 4 peut être invoqué chaque fois qu’une menace est perçue, et pas seulement après la survenance d’une attaque armée. Le DoD américain a identifié la République populaire de Chine comme son « pacing challenge », et une crise à Taïwan comme « pacing scenario ». Cela signifie que Washington considère que Pékin peut constituer une menace pour sa sécurité, en particulier dans le contexte d’une crise à Taïwan. Les États-Unis peuvent donc demander une consultation des parties à l’OTAN au titre de l’article 4 pour décider de la manière de répondre à la menace de Pékin contre Taïwan.

 

Crédit photo : RichieChan

Auteurs en code morse

James Lee

James Lee est chercheur adjoint à l’Institut d’études européennes et américaines de l’Academia Sinica à Taïwan. Ses recherches en études stratégiques portent sur la politique étrangère des États-Unis et la sécurité de Taïwan.

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