Cet article est une traduction de « Operation Sindoor and the Evolution of India’s Military Strategy Against Pakistan », paru le 19 mai 2025 sur War on the Rocks.
Une fois de plus, l’Inde a frappé en territoire pakistanais en réponse à une attaque terroriste. Une fois de plus, les deux pays se sont livrés à une escalade – atteignant cette fois encore des niveaux sans précédent – avant de s’accorder sur un cessez-le-feu. Il est tentant de considérer cette dernière crise comme une version légèrement amplifiée de la précédente crise indo-pakistanaise de 2019. En réalité, elle constitue un tournant notable dans la stratégie militaire de l’Inde à l’égard du Pakistan, ce qui pourrait avoir de graves conséquences pour les conflits à venir.
La dernière crise en date a été déclenchée par une attaque terroriste à Pahalgam, le 22 avril – une attaque particulièrement provocante, et probablement conçue pour l’être – qui visait spécifiquement des hommes hindous exécutés à bout portant. Les tensions ont immédiatement augmenté, donnant lieu à des échanges continus de tirs d’armes légères de part et d’autre de la Ligne de contrôle (LoC) qui sépare les zones du Cachemire contrôlées respectivement par l’Inde et le Pakistan. Puis, peu après minuit le 7 mai, l’Inde a lancé sa riposte militaire, baptisée opération « Sindoor ». Elle a utilisé un arsenal d’armes de précision à longue portée, notamment des missiles aéroportés et des munitions rôdeuses, pour frapper neuf sites appartenant aux groupes terroristes Lashkar-e-Taiba et Jaish-e-Mohammed, tous deux fréquemment impliqués dans des attaques contre l’Inde, y compris à Pahalgam.
Le Pakistan a affirmé – des allégations encore débattues – avoir abattu des avions indiens, et a lancé des attaques de drones et de missiles en représailles. Les deux camps ont alors échangé des frappes de rétorsion à distance visant les installations militaires de l’autre. La violence s’est intensifiée les 9 et 10 mai, l’Inde frappant avec succès des bases clés de l’armée de l’air pakistanaise, suivies du lancement par le Pakistan de sa propre contre-offensive, baptisée opération « Bunyan Marsoos », qui a en grande partie été déjouée. Cette escalade a conduit à une intervention diplomatique des États-Unis, avant que les deux belligérants ne conviennent d’un cessez-le-feu dans l’après-midi du 10 mai. Malgré quelques violations mineures, le cessez-le-feu semble tenir et la crise semble désormais terminée. Pour l’Inde, cette crise marque une évolution importante de sa stratégie militaire vis-à-vis du Pakistan, passant de la formulation de menaces destinées à modifier le comportement pakistanais à l’imposition directe de coûts visant à affaiblir les capacités des terroristes. Cette nouvelle approche repose sur une logique convaincante, mais s’annonce difficile et risquée à mettre en œuvre lors des prochaines crises.
D’Uri à Balakot, jusqu’à Sindoor
Au cours de la dernière décennie, l’Inde a progressivement transformé sa réponse à la campagne terroriste menée par le Pakistan. Ses actions ont pris de l’ampleur, utilisant de nouvelles technologies, déclenchant des cycles de violence plus importants et visant des effets plus étendus.
Pendant des années, malgré de graves provocations, telles que l’attaque du parlement indien en 2001, les attentats de Bombay le 26 novembre 2008 ou encore diverses attaques de moindre envergure pendant le premier mandat du Premier ministre Modi, l’Inde s’est abstenue de toute réponse militaire. Cette retenue a pris fin en 2016, lorsqu’en réponse à l’attaque d’Uri, des forces spéciales indiennes ont mené un raid contre des camps terroristes au-delà de la LoC. Lors de la crise suivante, la réponse de l’Inde a été nettement plus agressive. En 2019, en réponse à une attaque à Pulwama, l’Inde a lancé une frappe aérienne ciblant un site terroriste à Balakot. Comme je l’ai écrit dans ces pages, la frappe aérienne de Balakot visait à dissuader le Pakistan en franchissant plusieurs seuils inédits – l’Inde a utilisé la puissance aérienne contre le Pakistan pour la première fois depuis 1971 et a frappé en territoire pakistanais non contesté, au-delà du Cachemire – et en générant délibérément un risque destiné à intimider le Pakistan. Cette frappe – malgré des effets tactiques discutables – a renforcé chez les décideurs indiens l’idée qu’ils pouvaient recourir à la force militaire pour punir le Pakistan sans provoquer une guerre ouverte ou une réponse nucléaire.
L’opération « Sindoor » pousse cette logique encore plus loin. L’Inde a ciblé un ensemble plus large de cibles initiales, avec plus de force et une plus grande diversité d’armements, y compris des missiles de croisière et des munitions rôdeuses. Alors qu’à Balakot, le recours à la puissance aérienne représentait une rupture radicale, dans l’opération « Sindoor », les armes de défense aérienne et terrestre sont devenues les principaux outils de l’Inde. New Delhi disposait déjà de certaines de ces capacités, comme les missiles de croisière BrahMos produits localement, les bombes guidées Spice et les drones Harop, de fabrication israélienne. Toutefois, depuis Balakot, l’Inde a fourni un effort soutenu pour renforcer ces capacités, notamment en achetant des chasseurs Rafale de fabrication française équipés de missiles de croisière Scalp. Ses défenses aériennes superposées et intégrées – y compris les missiles sol-air S-400 qu’elle a importés de Russie, à la grande consternation de Washington – se sont également révélées exceptionnellement efficaces.
L’ensemble de ces capacités a offert à l’Inde des options militaires en dessous du seuil de la guerre ouverte. Au cours de la dernière décennie, l’Inde a pu frapper le Pakistan à plusieurs reprises sans mobiliser ses grandes formations terrestres. Les débats épineux autour de l’ancienne doctrine militaire « Cold Start » et des groupements tactiques intégrés, constamment reportés, sont désormais devenus obsolètes. Les lourdes forces terrestres indiennes, mobilisées avec beaucoup de difficultés et à grand coût après l’attaque de 2001, plaçaient New Delhi face à un choix difficile : rester passive ou entrer en guerre. Or, une fois engagées dans une offensive, ces forces ne pouvaient pas être facilement désengagées, compliquant la résolution de la crise ou la fin des hostilités. À l’inverse, les missiles et les drones peuvent être lancés rapidement et sont plus faciles à calibrer. Comme l’a montré l’opération « Sindoor », les vagues successives de frappes peuvent être intensifiées ou modérées, offrant aux dirigeants la possibilité d’augmenter ou de réduire la pression en fonction des besoins. Pour toutes ces raisons, les armes à distance, déployées depuis plusieurs domaines, se sont imposées comme les instruments de prédilection de l’Inde.
En prolongeant également la dynamique des crises récentes, l’opération « Sindoor » a déclenché un cycle de représailles nettement plus intense. Conformément à ses frappes précédentes, l’Inde a immédiatement déclaré que son opération était mesurée et contenue. En dépit d’appels plus virulents à l’action, y compris de la part de parlementaires indiens, New Delhi est restée ferme : il s’agissait uniquement de rendre justice face au terrorisme, sans aucune volonté de s’en prendre à l’armée pakistanaise. La responsabilité d’une prolongation ou d’une escalade de la crise, affirmait-elle, incomberait entièrement au Pakistan. Toutefois, contrairement aux crises précédentes d’Uri et de Balakot, où le Pakistan pouvait nier de manière plausible toute perte et ainsi éviter la nécessité d’une riposte massive, l’Inde a cette fois immédiatement diffusé des vidéos prouvant l’efficacité de ses frappes, tandis que le Pakistan a immédiatement admis avoir subi des pertes. Dès lors, il devenait difficile pour Islamabad de ne pas réagir, et plus fermement encore qu’à la suite de Balakot. Il ne pouvait pas laisser l’Inde frapper son territoire en toute impunité. Ainsi, et de manière tout à fait prévisible, la crise a rapidement franchi le seuil d’une confrontation militaire, qui a duré quatre jours et qui a impliqué des deux côtés un volume d’armes et de cibles sans commune mesure avec les épisodes précédents.
L’évolution stratégique la plus marquante, d’Uri à Balakot puis à Sindoor, réside dans la nature des effets que l’Inde a cherché à produire à chaque étape. Dans chaque cas, elle a testé et repoussé les limites de ce qu’elle pouvait faire sans déclencher une guerre, et de ce qu’elle pouvait obtenir. Le raid mené après Uri avait pour seul objectif de symboliser la nouvelle volonté de l’Inde de recourir à l’action militaire, après des années d’inaction. La frappe aérienne de Balakot visait quant à elle à démontrer la capacité de l’Inde à mener des frappes en profondeur au sein du territoire pakistanais, ainsi que sa disposition à franchir des seuils jusque-là considérés comme infranchissables. Comme l’avait fait remarquer avec justesse un journaliste indien à l’époque, « si c’est Balakot aujourd’hui, ce pourrait être Bahawalpur ou Muridke demain », en faisant allusion aux bases des groupes terroristes. Et de fait, avec l’opération « Sindoor », l’Inde a précisément frappé ces sites, parmi d’autres, dans le cadre d’une riposte plus large destinée à infliger des dommages matériels réels à ces groupes.
L’évolution des réponses militaires de l’Inde a été cristallisée par Narendra Modi dans un discours de victoire prononcé le 12 mai. Il a déclaré que, dorénavant, l’Inde répondrait systématiquement par la force militaire aux actes de terrorisme, que les menaces nucléaires du Pakistan ne l’en dissuaderaient pas et qu’elle considérerait les terroristes et leurs soutiens militaires de la même façon. L’ensemble de ces positions marque une rupture nette avec la doctrine indienne d’il y a une décennie. Après plusieurs phases d’évolution progressive, l’Inde a mis en œuvre ce nouveau système dans le cadre de l’opération « Sindoor » et Narendra Modi a alors déclaré qu’il s’agissait d’un « nouveau point de référence dans le combat [de l’Inde] contre le terrorisme » et d’une « nouvelle normalité ».
Symboles, menaces et coûts
La nouvelle stratégie militaire de l’Inde à l’égard du Pakistan ne se contente donc plus du symbolisme manifesté par une posture agressive, comme à Uri, ni de la menace de représailles futures, comme à Balakot. Sa stratégie repose désormais sur l’imposition d’un coût direct au complexe militaro-terroriste pakistanais. La logique centrale de cette stratégie – sa théorie de la victoire – diffère de manière subtile, mais significative, de l’approche antérieure. L’Inde n’espère plus que la menace d’une réponse punitive majeure puisse dissuader les autorités pakistanaises de poursuivre leur soutien au terrorisme. Elle part au contraire du principe que l’intention pakistanaise est, dans les faits, inébranlable et cherche donc à affaiblir matériellement l’adversaire, à le maintenir sur la défensive et ainsi à neutraliser sa capacité offensive contre l’Inde.
Notre compréhension théorique commune de la dissuasion est profondément façonnée par les origines de cette notion, ancrées dans la rivalité nucléaire de la guerre froide. Dans ce contexte particulier, l’objectif de la dissuasion était d’éviter un holocauste nucléaire mutuellement destructeur en convainquant l’adversaire qu’un affrontement direct mènerait inévitablement à une destruction réciproque. Elle reposait sur la capacité à formuler des menaces crédibles selon lesquelles l’agression de l’autre partie conduirait à une escalade incontrôlable vers une guerre apocalyptique. Ainsi, des menaces crédibles de représailles étaient perçues comme le meilleur moyen d’assurer la paix. Cette conception traditionnelle de la dissuasion a également été appliquée à la prévention des conflits conventionnels, et a constitué la pierre angulaire de l’approche adoptée par l’Inde face au terrorisme basé au Pakistan, depuis la mobilisation de 2001 jusqu’à Balakot.
L’exécution de l’opération « Sindoor », ainsi que les explications fournies par Narendra Modi, laisse toutefois entendre que la réflexion stratégique indienne a évolué. Les menaces de représailles futures n’offrent aucune garantie de paix, car le complexe militaro-terroriste pakistanais ne peut être dissuadé. Pour l’armée pakistanaise et ses partenaires terroristes, la violence contre l’Inde n’est pas un simple instrument rationnel de politique, mais un principe structurant, au fondement même de leur identité et de leur légitimité politique. Ils poursuivront leur campagne de provocations subconventionnelles, quels que soient – voire, dans certains cas, en raison même – des risques de représailles indiennes. New Delhi semble désormais être parvenue à la conclusion que la stratégie la plus efficace face à un tel adversaire est celle de l’attrition. Puisque l’intention de l’adversaire ne peut être modifiée, l’imposition régulière de coûts matériels significatifs pourrait, à tout le moins, affaiblir sa capacité d’action.
Cette stratégie part du principe que l’Inde ne peut pas raisonnablement espérer la paix – c’est-à-dire l’absence d’attaques terroristes –, mais doit plutôt accepter que la rivalité violente et latente est prolongée et insoluble. De futures attaques sont inévitables. Toutefois, si l’Inde parvient à affaiblir efficacement l’ennemi – c’est-à-dire à la fois les réseaux terroristes et leurs soutiens au sein de l’armée –, alors les attaques futures pourraient a minima être moins destructrices et moins fréquentes. Ce concept stratégique suppose que l’Inde riposte rapidement et significativement à chaque attaque. Dans la dissuasion traditionnelle, c’est « la menace et non son exécution » qui maintient la paix – si l’adversaire a attaqué, alors la dissuasion a déjà échoué et il ne reste plus qu’à déclencher une violence mutuellement destructrice. Dans ce concept alternatif de coercition que l’Inde semble désormais adopter, c’est la riposte, plutôt que sa menace, qui constitue l’instrument de coercition – en infligeant des coûts tangibles qui obligent l’adversaire à réduire ou à raréfier ses attaques à l’avenir. Cette forme de coercition, parfois appelée « dissuasion cumulative », est particulièrement adaptée aux rivalités durables, où les deux parties s’attendent à un cycle continu de violence.
Il existe, bien sûr, des précédents à cette stratégie contre des rivaux. Le plus évident est le modèle israélien de conflits périodiques contre ses adversaires terroristes, en particulier le Hezbollah et – avant la destruction actuelle de Gaza – le Hamas. Israël a jugé depuis des décennies qu’il ne pouvait pas modifier l’hostilité de ses adversaires à son égard, mais qu’il pouvait « tondre la pelouse » pour affaiblir leurs capacités. Le partenariat stratégique croissant de l’Inde avec Israël s’est manifesté non seulement par des transferts d’armes très visibles, mais aussi, apparemment, par la transmission de ces concepts stratégiques.
Dans le cadre de l’opération « Sindoor », l’Inde semble avoir expérimenté ce concept. Son attaque initiale, le 7 mai, a visé neuf sites terroristes, au cours de laquelle elle affirme avoir tué plus de 100 terroristes, dont plusieurs hauts responsables. Les installations et le personnel peuvent être reconstitués facilement, mais les groupes terroristes devront également réagir de manière stratégique. Pour la première fois lors d’une crise, l’Inde a frappé sur l’ensemble du territoire pakistanais et des groupes comme Lashkar-e-Taiba et Jaish-e-Mohammed devront désormais consacrer de l’énergie et des ressources pour reconstituer leurs effectifs et développer de nouvelles installations cachées. Comme l’a proclamé Narendra Modi sur une base de l’armée de l’air indienne le 13 mai : « Il n’existe aucun endroit au Pakistan où les terroristes peuvent s’asseoir et respirer en paix. Nous entrerons dans leurs maisons et nous les tuerons. »
Désormais vulnérables à une action militaire directe, les terroristes basés au Pakistan devront consacrer une partie de leurs efforts à des préparatifs défensifs, ce qui pourrait détourner des ressources de la planification d’opérations en Inde. Les États-Unis ont appliqué exactement cette logique pendant des années en menant des attaques de drones contre les hauts responsables d’Al-Qaïda au Pakistan, éliminant non seulement des dirigeants importants, mais obligeant également leurs successeurs à consacrer leur énergie à leur survie plutôt qu’à la planification d’attaques. Au fil du temps et à travers de multiples opérations, de telles actions menées par l’Inde pourraient même semer le doute et la méfiance dans l’esprit des dirigeants terroristes quant à la fiabilité de leurs partenaires de l’armée pakistanaise.
L’Inde a peut-être – prétendument – déjà commencé à mettre en œuvre ce type d’action en temps de paix. Une série d’assassinats, perpétrés par des « hommes armés non identifiés », a éliminé plusieurs hauts responsables terroristes ces dernières années. Par ailleurs, le groupe séparatiste militant, l’Armée de libération du Baloutchistan, a intensifié ses attaques contre l’armée pakistanaise et des cibles chinoises au Pakistan. L’Inde pourrait apporter diverses formes de soutien à ces actions. À ce niveau déjà éprouvé de perturbations, elle pourrait désormais ajouter, de manière ponctuelle, des actions militaires directes de grande envergure afin d’imposer des coûts à son adversaire.
Une voie difficile et risquée
Si l’Inde s’en tient à cette nouvelle approche stratégique apparente, elle devra faire face à une nouvelle série de défis. Premièrement, Narendra Modi est probablement déjà tombé dans un piège d’engagement après Balakot – où la crédibilité de l’Inde dépendait d’une réponse militaire au terrorisme – et cela constitue désormais une promesse explicite, une question de doctrine. Cet engagement peut être nécessaire pour que ce concept fonctionne, comme je l’ai montré plus haut, mais il a un coût : il réduit la liberté d’action de New Delhi et lui lie les mains en cas de crise. Narendra Modi a pris soin de souligner que la réponse de l’Inde interviendrait au moment et de la manière de son choix – conservant ainsi une liberté tactique –, mais l’Inde a néanmoins cédé l’initiative aux terroristes. Si des groupes comme Lashkar-e-Taiba, Jaish-e-Mohammed ou l’armée pakistanaise estiment qu’un conflit est dans leur intérêt à l’avenir, l’Inde est désormais ouvertement engagée à satisfaire leurs souhaits.
Deuxièmement, l’Inde ayant déclaré qu’elle ne respecterait plus la ligne de démarcation entre les cibles terroristes et celles de l’armée pakistanaise, la prochaine crise entraînera très probablement une escalade quasi immédiate vers un conflit militaire réciproque. L’Inde s’est abstenue de franchir certaines limites importantes dans le cadre de l’opération « Sindoor », et le fait de les franchir accélérerait l’escalade. L’Inde n’a pas, par exemple, causé de pertes civiles massives ; elle a nié avoir frappé des installations nucléaires, malgré certaines allégations non confirmées en ce sens ; et elle n’a pas ciblé d’infrastructures à double usage d’importance nationale, telles que le port de Karachi, malgré certains rapports fallacieux à ce sujet. Ces seuils existent et constitueront des repères essentiels pour déterminer le degré de limitation ou d’escalade de la prochaine crise, mais ils demeurent moins clairs que l’affirmation faite par l’Inde le 7 mai selon laquelle elle n’a pas ciblé l’armée pakistanaise. Lors d’une prochaine crise, les affirmations et les contre-affirmations alimentées par la désinformation et les informations incomplètes compliqueront encore davantage la tâche de l’Inde en matière de contrôle de l’escalade.
Troisièmement, la mise en œuvre de ce concept – affaiblir les capacités de l’adversaire – exigera, à l’avenir, un niveau de compétence tactique dont l’Inde n’a pas encore fait preuve. Les quartiers généraux des groupes terroristes à Muridke et à Bahawalpur étaient des sites bien connus et les agences de renseignement indiennes disposent assurément d’une couverture étendue à l’ensemble du Pakistan – mais elles devront désormais redoubler d’efforts. Lors de chacune des crises, les terroristes sont connus pour évacuer leurs « bases de lancement » en prévision d’une éventuelle action de l’Inde. Mais l’opération « Sindoor » a désormais lancé un jeu du chat et de la souris dans lequel les terroristes, qui bénéficiaient auparavant d’un sanctuaire au Pakistan, prendront davantage de mesures pour se dissimuler en temps de paix et pour se terrer en période de crise. Ces groupes disposent également d’un vivier profond de cadres et de recrues ; en l’absence d’attrition massive, les services de renseignements indiens devront améliorer leurs compétences en matière de ciblage, tout comme Israël et les États-Unis l’ont fait récemment, afin d’identifier et de frapper des individus et des installations véritablement stratégiques.
Enfin, les décideurs indiens devront résister à la tentation de considérer cette stratégie d’imposition de coûts comme leur principal outil de lutte contre le terrorisme. La menace sécuritaire est trop vaste et profondément enracinée pour être traitée par un seul levier ; elle exige un large éventail d’instruments de politique nationale, incluant non seulement des opérations de renseignements en temps de paix, mais aussi des moyens de pression coercitifs, tels que le Traité des eaux de l’Indus, une diplomatie régionale habile pour isoler le Pakistan et une coordination internationale contre le financement du terrorisme. Les opérations militaires ne constituent qu’un effort de soutien pour gérer les crises. Face à des opérations militaires fulgurantes, gérer les attentes du public pourrait s’avérer un défi encore plus grand. L’opération « Sindoor » a enivré la population indienne d’une soif de vengeance – certains ont qualifié le conflit de « pur bonheur » et ont dénoncé le cessez-le-feu. Si ces passions publiques ne sont pas maîtrisées, elles se retourneront contre le gouvernement en générant des attentes irréalistes lors de la prochaine crise.
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En définitive, la population et le gouvernement indiens doivent reconnaître qu’un tel concept d’imposition des coûts est fondamentalement astratégique. Il ne fait pas progresser le pays vers une résolution durable de ses défis sécuritaires. Seule une capitulation (hautement improbable) ou une forme de processus politique pourrait y parvenir. En l’absence de solution politique, cette stratégie part du principe que le défi auquel l’Inde est confrontée ne pourra, au mieux, qu’être contenu – à condition qu’elle puisse faire preuve de l’habileté tactique nécessaire et gérer les risques croissants – mais qu’il ne prendra jamais fin.
Image : Bureau du Premier ministre indien via Wikimedia Commons.
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