Depuis les années 1950, l’Iran a progressivement transformé son programme nucléaire, qui était initialement civil et soutenu par les États-Unis dans le cadre du projet « Atoms for Peace », en un instrument stratégique à visée duale. Si la révolution islamique de 1979 a momentanément suspendu cet effort au nom de principes religieux, les traumatismes ainsi que l’antagonisme qui a émergé lors de la guerre Iran-Irak, marquée par l’usage d’armes chimiques, ont conduit l’ayatollah Ruhollah Khomeini à relancer le programme sous l’angle de la dissuasion. Ce revirement a inauguré une trajectoire technologique continue, dont l’intensification, à partir des années 1990, s’est traduite par l’établissement de sites d’enrichissement nucléaire non déclarés à Natanz et Arak, révélés au monde en 2002.
Depuis, les efforts internationaux pour contenir cette ambition oscillent entre sanctions, compromis diplomatiques – comme l’accord de Vienne sur le nucléaire iranine, ou JCPoA, en 2015 – et inquiétudes croissantes. À cet égard, le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de février 2025 souligne que Téhéran dispose de suffisamment d’uranium enrichi à 60 % pour fabriquer plusieurs armes nucléaires en quelques semaines. De plus, la maîtrise du cycle du combustible place l’Iran dans une posture de « latence nucléaire », lui permettant ainsi de s’approcher du seuil sans le franchir formellement.
Dès lors, l’Iran vise-t-il seulement la dissuasion ou cherche-t-il à remodeler l’ordre régional ? Cette analyse soutient que le programme nucléaire iranien ne relève plus d’une simple logique défensive. Il s’agit d’un projet stratégique fondé sur l’ambiguïté, l’autonomisation technologique et l’exploitation des failles d’un ordre sécuritaire régional affaibli. En combinant capacités balistiques, dissuasion graduelle et manœuvres diplomatiques, l’Iran teste les lignes rouges de la communauté internationale tout en s’imposant comme un acteur au seuil nucléaire capable de reconfigurer les rapports de force dans la région et au-delà.
De la dissuasion à la provocation stratégique
L’Iran ne se limite plus à une posture défensive fondée sur la dissuasion technologique. Sa trajectoire actuelle laisse entrevoir une bascule vers une provocation stratégique assumée, combinant développement balistique accéléré, rhétorique offensive et démonstrations de force dans des zones sensibles, telles que le Moyen-Orient et la mer Rouge. Cette stratégie, qui instrumentalise la dissimulation opérationnelle nucléaire comme levier de coercition, vise à tester les lignes rouges occidentales tout en renforçant les leviers de pression régionaux. Cette évolution doctrinale s’inscrit dans une logique de seuil nucléaire , selon laquelle Téhéran entretient volontairement l’incertitude sur ses intentions. Parallèlement, il développe des capacités techniques suffisantes pour dissuader ses adversaires sans franchir officiellement le point de bascule. Dans un contexte de fragmentation régionale, cette posture accroît l’instabilité stratégique et érode la crédibilité du système mondial de non-prolifération.
Face à un acteur combinant opacité doctrinale, militarisation progressive et expansionnisme régional, certains acteurs – Israël, dans le cadre de la doctrine Begin, ou des cercles influents à Washington favorables à un containment révisé – sont susceptibles d’envisager un changement de régime comme seule option durable. Sur ce point, la simple dissuasion traditionnelle ne suffit plus à contenir un Iran qui redéfinit les rapports de force.
Téhéran compense l’érosion de son influence asymétrique – affaiblie par la perte de figures clés du Hezbollah, de milices chiites, ainsi que du Hamas – en renforçant une capacité nucléaire latente. Ce bouclier technologique lui permet de maintenir sa stature régionale sans franchir ouvertement le seuil de la prolifération.
Au-delà de la seule problématique de non-prolifération, le programme nucléaire iranien incarne une quête assumée de statut stratégique, portée par une perception sécuritaire d’hostilité partagée tant par l’Armée de la République islamique d’Iran (Artesh) que par les Gardiens de la révolution (Pasdarans), deux organes qui se positionnent au sommet d’un organigramme politico-militaires. Cette ambition, adossée à une stratégie d’autonomisation technologique et de projection d’influence, pourrait, si elle débouche sur l’arme nucléaire, bouleverser profondément les équilibres régionaux et entraîner des répercussions géopolitiques à l’échelle mondiale.
C’est dans ce brouillage doctrinal savamment entretenu que réside toute la puissance du concept de seuil nucléaire, que Téhéran instrumentalise comme un levier géopolitique multiscalaire. Le cas japonais, souvent cité comme l’archétype d’une puissance nucléaire latente, offre un cadre de comparaison éclairant pour analyser la posture de l’Iran. Le Japon utilise en effet son potentiel technologique dual à des fins diplomatiques, en cultivant une capacité non déclarée mais crédible, dans le respect des engagements du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). À l’inverse, l’Iran semble s’orienter vers une forme de latence nucléaire plus contestée, voire instrumentalisée comme levier de pression stratégique, dans un contexte de défiance vis-à-vis du système international de non-prolifération. Si Tokyo s’appuie sur sa latence comme outil de stabilité, Téhéran en fait un vecteur d’ambiguïté, entre dissuasion défensive et potentiel de rupture, brouillant ainsi les lignes entre usage civil légitime et ambition militaire latente. De ce fait, l’AIEA a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations concernant le manque de coopération de l’Iran, notamment son refus d’accorder l’accès à des sites non déclarés.
Depuis février 2021, Téhéran a substantiellement réduit les accès de l’AIEA en cessant d’appliquer les mesures de vérification prévues par le JCPoA et le Protocole additionnel à son Accord de garanties généralisées. Cette situation a conduit à une résolution critique adoptée par le Conseil des gouverneurs de l’AIEA en novembre 2024, appelant l’Iran à améliorer sa coopération et à fournir un rapport exhaustif sur ses activités nucléaires. Malgré ces appels, l’Iran a activé de nouvelles centrifugeuses pour l’enrichissement de l’uranium, exacerbant les tensions diplomatiques et compliquant les efforts de négociation. En effet, l’agence a même signalé une perte de continuité de la connaissance concernant la production et l’inventaire actuels des centrifugeuses, des rotors et des soufflets.
L’opacité persistante du programme nucléaire iranien compromet de manière significative la capacité de la communauté internationale à évaluer la véracité des déclarations de Téhéran. Selon William Burns, ancien directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), le programme nucléaire iranien progresse à un « rythme inquiétant », accentuant les préoccupations internationales quant aux intentions réelles de Téhéran. Depuis 2020, l’Iran a réalisé des avancées techniques significatives dans son programme nucléaire, le plaçant en position d’atteindre rapidement le seuil de production d’armes nucléaires en cas de décision stratégique. Parallèlement, Téhéran a restreint l’accès de l’AIEA à ses installations, suscitant des inquiétudes quant à la transparence de ses activités nucléaires.
En novembre 2024, l’Iran a annoncé la fabrication de nouvelles centrifugeuses avancées, malgré les critiques de l’AIEA concernant son manque de coopération. De plus, les négociations visant à rétablir le JCPoA sont actuellement dans l’impasse, réduisant les perspectives d’une solution diplomatique. Cette stagnation, combinée aux progrès nucléaires de l’Iran, augmente le risque d’escalade et complique les efforts de non-prolifération. En mars 2025, le président américain Donald Trump a adressé une lettre à l’Iran pour relancer les négociations, mais les réponses de Téhéran restent mitigées, reflétant les tensions persistantes entre les deux nations. Ainsi, la combinaison de l’avancement du programme nucléaire iranien et du blocage diplomatique actuel suggère que la fenêtre de résolution négociée se referme rapidement, augmentant la probabilité d’approches plus conflictuelles.
Des lanceurs aux ogives : la trajectoire ambiguë du programme spatial iranien
L’accélération du programme spatial iranien alimente les inquiétudes américaines, qui y voient une menace directe pour l’architecture mondiale de non-prolifération. Les services de renseignement américains estiment que Téhéran dispose désormais de l’infrastructure et de l’expertise nécessaires pour produire en quelques jours une quantité suffisante de matière fissile à usage militaire. À cela s’ajoute la crainte que ses lanceurs spatiaux – en violation de la résolution 2231 de l’ONU – servent de paravent au développement de technologies à double usage, raccourcissant le temps nécessaire à la mise au point d’un missile balistique intercontinental (ICBM). Dans un contexte d’érosion des mécanismes de vérification, cette convergence technologique renforce l’ambiguïté stratégique iranienne et affaiblit la capacité d’anticipation occidentale. Téhéran peut à tout moment faire basculer son programme civil en programme balistique militaire, réduisant drastiquement les délais d’alerte.
Dans une lecture sécuritaire approfondie, la stratégie nucléaire de l’Iran ne peut être dissociée de sa posture balistique. Comme le démontre Henrik Hiim dans sa remarquable étude sur le « nuclear hedging » appliqué au cas iranien, Téhéran a méthodiquement investi dans un arsenal de missiles à portée intermédiaire et longue, tout en s’abstenant – du moins officiellement – de franchir le seuil de la fabrication d’une arme nucléaire. Ce positionnement ambigu n’est pas le fruit du hasard ; il s’agit d’une stratégie délibérée visant à conserver une capacité latente de dissuasion, sans provoquer frontalement les mécanismes de sanction collective. Cette approche permet à l’Iran de rester dans les marges du TNP, tout en consolidant sa capacité à basculer rapidement dans une posture de puissance nucléaire si le contexte stratégique l’exige.
Cette posture confère ainsi à Téhéran une flexibilité doctrinale, une marge de manœuvre régionale et une redoutable efficacité dans la gestion de l’incertitude, notamment vis-à-vis d’acteurs comme Israël, les États-Unis ou l’Arabie saoudite. Cette « dissuasion à seuil variable » complexifie toute réponse militaire ou diplomatique, en maintenant un flou stratégique soigneusement entretenu. De fait, cette capacité à construire une infrastructure nucléaire duale, adossée à des vecteurs balistiques crédibles, fait de l’Iran un cas d’école de la prolifération furtive au xxie siècle.
La montée en puissance simultanée de ses capacités d’enrichissement et de ses lanceurs suggère une trajectoire déterminée, au-delà de tout objectif purement civil. Certes, le régime revendique une doctrine défensive, mais l’association entre progrès techniques, militarisation progressive du spatial et affaiblissement de ses relais asymétriques dans la région, dessine les contours d’une dissuasion élargie, à visée coercitive. L’Iran semble ainsi utiliser son programme nucléaire non seulement comme une assurance contre les menaces extérieures, mais également comme un levier de reconfiguration stratégique régionale.
Dans cette même logique, cette stratégie repose sur une opacité tactique maîtrisée : Téhéran assemble méthodiquement les briques technologiques du seuil sans le franchir formellement, se ménageant une latitude stratégique. En modulant ses signaux politico-militaires selon le contexte, il alimente la suspicion d’un programme parallèle. Sous couvert d’objectifs civils, la rhétorique belliqueuse et le manque de transparence révèlent une volonté de brouiller les lignes pour maximiser l’effet de levier.
Quand l’Iran regarde vers Ctésiphon : l’histoire comme moteur stratégique
Cela étant, une lecture strictement offensive de la posture nucléaire iranienne négligerait sa complexité doctrinale. Derrière une prudence apparente, Téhéran construit méthodiquement une capacité latente à visée coercitive, destinée à remodeler les équilibres régionaux. En cultivant l’ambiguïté, il instrumentalise l’opacité comme levier de pression, opérant dans une zone grise entre légalité et intimidation stratégique. Cette dissuasion, désormais proactive, s’inscrit dans une logique de confrontation calibrée, où l’arme en devenir devient un outil de négociation par la menace. Comprendre cette dynamique exige de remonter aux racines historiques de la stratégie iranienne.
Au-delà des considérations purement nucléaires, le projet stratégique de l’Iran s’inscrit dans une lecture longue de l’histoire, où la géopolitique contemporaine s’enracine dans une mémoire impériale non résolue. Le régime chiite iranien nourrit une ambition régionale qui dépasse la simple dissuasion : il cherche à reconstruire un arc d’influence s’étendant du Golfe à la Méditerranée, dans une logique de revanche civilisationnelle face à l’héritage arabe sunnite dominant. Cette vision puise ses ressorts dans les fractures fondatrices de l’Islam, opposant depuis le viie siècle les partisans de la maison du Prophète aux califes omeyyades, et dans la mémoire persistante des guerres entre les empires perses sassanides et les armées arabes musulmanes. Téhéran se projette ainsi comme l’héritier d’un espace perse-mésopotamien confronté à une hégémonie arabe sunnite jugée illégitime, réactivant une rivalité géopolitique millénaire à travers le prisme des alliances confessionnelles, des milices transnationales et de cette capacité non-déclarée. Cette lecture historique permet de comprendre que l’arme nucléaire, dans la stratégie iranienne, est aussi un symbole d’ascension civilisationnelle autant qu’un instrument de survie.
Néanmoins, dans cette situation délétère, les pays du Golfe, tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, pourraient également initier leurs propres programmes nucléaires en réponse, potentiellement avec le soutien de la Chine, du Pakistan ou de la Russie. Un tel scénario déclencherait une course aux armements nucléaires au Moyen-Orient, transformant la région en une zone nucléaire hautement instable et dangereuse. Ainsi, l’acquisition d’armes nucléaires par l’Iran pourrait affaiblir les alliances traditionnelles des États-Unis au Moyen-Orient, les puissances régionales recherchant d’autres garanties de sécurité.
Dans ce sens, l’émergence d’un Iran doté de l’arme nucléaire menacerait directement l’architecture sécuritaire régionale façonnée depuis des décennies autour des garanties sécuritaires américaines. Une telle évolution risquerait de fragiliser les dispositifs d’interdépendances géostratégiques des États-Unis avec des partenaires clés tels que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte ou encore Israël, ces derniers pouvant remettre en cause la crédibilité de la dissuasion élargie américaine. Dans un climat de défiance croissante, ces puissances régionales pourraient être tentées de diversifier leurs partenariats stratégiques – en se tournant vers la Chine, la Russie, ou en poursuivant des programmes autonomes de dissuasion –, ce qui inaugurerait une nouvelle ère de fragmentation et de compétition sécuritaire au cœur du Moyen-Orient.
Par ailleurs, une dissuasion nucléaire iranienne offrirait un « parapluie stratégique » aux proxies de Téhéran, notamment le Hezbollah et les milices soutenues par les Gardiens de la révolution en Irak, en Syrie et au Yémen. Forts d’un sentiment d’immunité, ces acteurs non étatiques pourraient accroître leur agressivité et leur liberté d’action, intensifiant l’instabilité régionale. Un Iran nucléaire renforcerait ainsi la capacité d’expansion et l’audace des Gardiens de la révolution islamique, déjà moteurs de déstabilisation au Moyen-Orient.
Bras armé idéologique et opérationnel du régime iranien, les Pasdarans incarnent la colonne vertébrale de la stratégie de déstabilisation régionale de Téhéran. À travers un réseau structuré de milices chiites transnationales – du Hezbollah au Liban aux Houthis au Yémen, en passant par les milices irakiennes et les réseaux syriens – les Gardiens de la révolution exercent une influence directe sur les équilibres de sécurité au Moyen-Orient. Ainsi, la montée en puissance nucléaire de l’Iran fournirait aux Pasdarans une couverture stratégique, leur permettant d’agir avec une audace renforcée et un sentiment d’impunité croissant. Les services de renseignement américains alertent sur le risque d’une radicalisation doctrinale, où les Gardiens de la révolution deviendraient les vecteurs d’une coercition régionale adossée à la dissuasion nucléaire, capable de menacer directement les intérêts américains et ceux de leurs alliés.
Cette dynamique ne se limite plus au Moyen-Orient : elle s’étend désormais à l’Afrique, dans des formes souvent sous-médiatisées mais géopolitiquement sensibles. Au Nigéria, le Mouvement islamique du Nigéria (IMN), dirigé par le cheikh Ibrahim Zakzaky, agit comme un relais idéologique du chiisme révolutionnaire iranien, avec une organisation structurée et des affrontements réguliers avec l’État central. Au Sénégal, l’institut Mozdahir International diffuse le chiisme à travers des activités éducatives et sociales. En Afrique de l’Ouest, des réseaux financiers liés au Hezbollah sont actifs, notamment en Côte d’Ivoire et au Liberia, exploitant les diasporas libanaises pour collecter des fonds, blanchir de l’argent et renforcer la pénétration chiite régionale. En Afrique de l’Est, les communautés khojas chiites duodécimaines entretiennent des liens étroits avec les centres théologiques iraniens, tandis qu’en Algérie, en Tunisie et en Égypte, le chiisme progresse discrètement à travers des canaux religieux et culturels, parfois surveillés de près par les autorités.
L’Iran, catalyseur d’une reconfiguration sécuritaire sur le flanc sud de l’OTAN
Toutefois, la portée stratégique du programme iranien dépasse largement son environnement régional immédiat. Une mutation silencieuse est en cours sur le flanc sud de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), en Afrique du Nord, devenu le théâtre d’une expansion discrète mais résolue de la stratégie indirecte de Téhéran. Par l’implantation de réseaux religieux, logistiques et parfois paramilitaires, l’Iran cherche à étendre son influence au-delà du Moyen-Orient, en tirant parti des vulnérabilités institutionnelles et sécuritaires africaines. Cette dynamique s’inscrit de plus en plus en conjonction avec celle de son partenaire russe, dont les opérations hybrides au Sahel, en Libye ou en Méditerranée orientale convergent avec les objectifs iraniens de contournement de l’influence occidentale. Ensemble, Moscou et Téhéran façonnent un arc d’instabilité stratégique, exploitant les brèches dans les zones d’influence euro-atlantiques pour imposer des rapports de force asymétriques, affaiblir les alliances traditionnelles des États-Unis et fragiliser la profondeur défensive sud de l’OTAN.
Le flanc sud de l’OTAN serait également en danger, dans un autre registre. L’Iran pourrait établir des bases avancées ou des partenariats avec des acteurs étatiques, comme avec l’Algérie et la Tunisie, et non étatiques, au Soudan ou en Libye. Au-delà de son voisinage immédiat, Téhéran déploie désormais les leviers de sa stratégie indirecte dans des espaces géopolitiques sous tension, notamment en Afrique du Nord, où ses ambitions prennent une dimension transrégionale.
Ainsi, une présence militaire iranienne en Afrique du Nord étendrait la portée stratégique de Téhéran, menaçant directement la géopolitique de la Méditerranée et créant potentiellement de nouvelles voies de projection de puissance et d’influence, notamment en Afrique. D’ailleurs, en octobre 2024, lors d’une session du Comité spécial des Nations unies pour la décolonisation, l’Iran n’a pas hésité à afficher son soutien au front séparatiste du Polisario, s’inscrivant ainsi dans une dynamique géopolitique portée par l’Algérie, qui cherche à asseoir son influence régionale en promouvant la création d’un État satellite dans la région sahélo-maghrébine, servant de levier stratégique dans la redéfinition des équilibres de pouvoir au Maghreb et en Afrique. Cette prise de position dépasse le cadre diplomatique et révèle une connexion stratégique plus profonde entre l’Iran, l’Algérie et le Polisario. Des rapports indiquent que des combattants armés du front Polisario ont été impliqués dans le conflit syrien, bénéficiant d’un soutien logistique et opérationnel orchestré par l’Iran avec l’appui de l’Algérie. Cette triangulation témoigne d’une convergence d’intérêts entre Téhéran et Alger, visant à étendre leur influence dans la région tout en instrumentalisant le Polisario comme levier d’instabilité au Maghreb, et plus largement dans le Moyen-Orient élargi. L’acquisition potentielle par l’Iran de l’arme nucléaire ne se limiterait pas à bouleverser les équilibres de sécurité au Levant et dans le Golfe, mais provoquerait également une déstabilisation significative en Afrique du Nord.
Cette région, déjà fragilisée par des vulnérabilités politiques et sécuritaires chroniques, notamment dans la zone sahélienne, pourrait voir ses tensions exacerbées par une telle évolution. Cette dynamique ouvrirait une brèche stratégique à proximité immédiate du flanc sud de l’Europe. Le développement continu des capacités balistiques de l’Iran pourrait permettre à Téhéran de projeter sa puissance au-delà de son environnement régional immédiat. D’ailleurs, la grande attaque menée en avril 2024, au cours de laquelle l’Iran a lancé plus de 300 drones et missiles contre Israël, illustre cette capacité croissante. Dans ce contexte, l’Europe de l’Ouest – en particulier la France, l’Espagne et l’Italie – pourrait devenir vulnérable à un arc de pression stratégique mêlant menaces balistiques, ingérences hybrides et instrumentalisation des conflits en Afrique du Nord. De plus, l’établissement potentiel d’une base avancée iranienne dans cette région proche de l’Europe renforcerait la capacité de Téhéran à menacer directement la sécurité européenne et celle de l’OTAN, en projetant sa puissance militaire à proximité immédiate du continent européen.
En outre, dans la nouvelle grammaire des conflits asymétriques, l’Iran ne cherche plus à affronter directement, mais à fracturer latéralement. En activant des foyers de tension périphériques comme le détroit de Gibraltar via des proxies tels que le Polisario, Téhéran pourrait transformer chaque espace stratégique en levier d’influence, et chaque silence diplomatique en vulnérabilité exploitable.
Ces positions pourraient menacer la sécurité maritime en Méditerranée, les infrastructures énergétiques européennes et offrir à Téhéran un levier de pression sur les pays occidentaux via des crises migratoires ou terroristes. La capacité de l’Iran à projeter sa puissance en Afrique du Nord pourrait être utilisée pour exercer une pression sur l’Europe par des moyens non conventionnels, créant de nouveaux défis de sécurité à l’échelle internationale. Pour y faire face, l’OTAN pourrait renforcer sa posture en Méditerranée et accélérer l’intégration de partenaires stratégiques, comme le Maroc, dans ses réseaux de défense. Cela passerait par un partage accru des technologies de pointe, l’adoption de protocoles opérationnels communs, ainsi que le développement de concepts d’emploi harmonisés, en vue de renforcer l’interopérabilité interarmées. Une telle coopération permettrait une meilleure coordination tactique et stratégique face aux menaces émergentes dans le voisinage sud de l’Alliance. Cela pourrait inclure l’interopérabilité des systèmes de communication et de surveillance, ainsi que la participation à des exercices de cyberdéfense. De ce fait, l’expansion de l’influence iranienne en Afrique du Nord pourrait contraindre l’OTAN à revoir sa posture sécuritaire sur son flanc sud. Ainsi, un redéploiement renforcé en Méditerranée orientale, dans le golfe Arabo-Persique et sur l’axe sud-est de l’Alliance, accompagné de partenariats opérationnels ciblés, constituerait les premiers leviers d’une réponse dissuasive à cette montée en puissance.
Dans cette logique, l’OTAN serait amenée à articuler une posture combinant dissuasion nucléaire élargie, engagement accru de ses capacités de défense antimissile – telles que les batteries Aegis Ashore, les intercepteurs SM-3 ou les systèmes sol-air moyenne portée/terrestre SAMP/T – et consolidation du pilier transatlantique de sécurité à travers le partage de renseignement, la surveillance aéroportée (Airborne Warning and Control System, AWACS) et la préparation d’une réponse graduée à toute escalade régionale. La nouvelle administration Trump pourrait radicaliser cette posture alliée, accentuant la pression sur Téhéran tout en testant la cohésion diplomatique et doctrinale de l’Alliance. À la lumière de ses enjeux géostratégiques, l’Iran deviendrait alors un révélateur des équilibres internes et externes de l’OTAN. En interne, en exposant les lignes de fracture entre États membres quant à la nature de la menace ; en externe, en forçant un redéploiement stratégique sur les théâtres méditerranéen, levantin et nord-africain.
De plus, la dégradation progressive des relations entre la Russie et l’OTAN, exacerbée par des tensions structurelles et des confrontations géopolitiques, a des répercussions notables sur les équilibres de sécurité au Moyen-Orient. En quête de marges stratégiques face à l’encerclement occidental, Moscou consolide ses partenariats régionaux avec des acteurs comme l’Iran, favorisant une synergie tactique autour d’intérêts communs. Cette dynamique contribue à complexifier la donne nucléaire iranienne, en lui offrant un levier d’influence supplémentaire face aux puissances occidentales et en renforçant les lignes de fracture au sein de l’architecture sécuritaire régionale. De fait, le dossier iranien s’inscrit ainsi dans une reconfiguration plus large des rapports de force mondiaux, où le Moyen-Orient devient le prolongement opérationnel des rivalités systémiques entre grandes puissances.
À cela s’ajoutent des tensions latentes avec certains membres orientaux de l’Alliance, notamment la Turquie, dont les relations ambivalentes avec l’Iran et la Russie dans le Caucase, en Syrie et en mer Noire complexifient l’élaboration d’une réponse unifiée. De surcroît, l’expansion iranienne ne se limite d’ailleurs plus au Moyen-Orient. Dans le conflit actuel au Soudan, l’Iran s’est invité dans la guerre en faisant des livraisons de drones Mohajer-6 à des forces paramilitaires actives au Soudan illustrent ainsi l’extension tactique de sa stratégie asymétrique vers l’Afrique de l’Est, renforçant ainsi les inquiétudes sur le flanc méridional de l’OTAN.
Par ailleurs, les récentes manœuvres militaires conjointes entre l’Iran et l’Arménie, conduites en avril 2025, illustrent une reconfiguration discrète mais significative des alliances régionales que Téhéran active pour renforcer sa profondeur stratégique. Présentées sous le prisme de la lutte contre le terrorisme et de la stabilisation frontalière, ces exercices traduisent en réalité une volonté de projeter une puissance militaire flexible, capable d’ancrer ses ambitions au-delà du golfe Persique. En s’adossant à Erevan, Téhéran construit, dans un contexte de tensions croissantes avec Bakou et de rivalités entre puissances régionales, un arc de coopération bilatérale qui vient complexifier l’équation sécuritaire au Sud-Caucase. Cette dynamique, bien que périphérique au dossier nucléaire, vient renforcer la stratégie de dissuasion graduée iranienne, en densifiant ses partenariats tactiques et en consolidant un environnement géopolitique favorable à la poursuite de ses objectifs technico-militaires. Elle participe ainsi à entretenir le flou stratégique qui entoure son programme nucléaire, en multipliant les signaux d’autonomie, de résilience régionale et de capacité à faire évoluer l’équilibre de puissance en sa faveur.
Devant cette situation géopolitique mouvante, vient la lettre de Trump au Guide suprême, combinant ouverture diplomatique et menace ciblée, s’inscrit dans une stratégie de « pression maximale » pour forcer l’Iran à réviser ses ambitions nucléaires. La réponse mesurée de Téhéran, évoquant une « évaluation des menaces et opportunités », révèle des calculs stratégiques complexes. Ce positionnement s’explique par une architecture institutionnelle cloisonnée, dominée par les Pasdarans, qui constituent le véritable centre de gravité politico-sécuritaire. Investis d’une légitimité religieuse et d’un pouvoir opérationnel croissant, ils orientent la stratégie nationale au détriment des institutions étatiques classiques. Cela impose de distinguer deux trajectoires distinctes dans la prise de décision stratégique dans ce pays. D’une part, l’une institutionnelle et étatique, l’autre idéologique et sécuritaire, portée par les Pasdarans, d’autre part. Dès lors, il y a l’Iran-État, rationnel dans la défense de ses intérêts vitaux, distinct de l’Iran-Révolution, moteur idéologique d’une projection régionale structurée. Ignorer cette dualité reviendrait à sous-estimer la plasticité stratégique du régime et à affaiblir toute réponse diplomatique ou sécuritaire cohérente.
Nucléaire iranien : les scénarios du pire ?
L’acquisition potentielle de l’arme nucléaire par l’Iran risquerait d’alimenter une dynamique de prolifération dite « horizontale », marquée par la tentation, chez certains acteurs régionaux, de rééquilibrer le rapport de force par des moyens similaires. Dans un contexte de rivalités régionales exacerbées, des puissances comme l’Arabie saoudite, l’Égypte ou la Turquie pourraient être amenées à reconsidérer leur posture stratégique, notamment en explorant des options de dissuasion nationale, qu’elles soient technologiques, doctrinales ou fondées sur des alliances implicites. Riyad, qui dispose de réserves d’uranium significatives et entretient une relation de long terme avec Islamabad, figure parmi les puissances les plus susceptibles de suivre cette trajectoire. Si des considérations économiques, diplomatiques et sécuritaires demeurent des facteurs de retenue, elles n’annulent pas pour autant la logique d’anticipation stratégique que pourrait susciter un Iran nucléarisé.
Dans ce sens, l’activation récente du programme nucléaire civil saoudien – soutenu par des coopérations technologiques visibles avec les États-Unis, la Chine, et dans une moindre mesure la Russie – suscite déjà des inquiétudes régionales et internationales. À cette dimension officielle s’ajoute un partenariat stratégique implicite avec le Pakistan, historiquement lié à l’Arabie saoudite depuis les années 1980, lorsque le royaume aurait apporté un soutien financier décisif au programme nucléaire pakistanais. Bien qu’aucun accord formel n’existe à ce jour, Islamabad est souvent perçu comme un fournisseur potentiel de dissuasion nucléaire en cas de franchissement du seuil par Téhéran, dans une logique de parité stratégique différée. Cette convergence latente renforce les craintes que le programme civil saoudien ne puisse évoluer vers une « dissuasion miroir », en réponse directe à l’ambiguïté stratégique entretenue par Téhéran.
De son côté, la Turquie d’Erdogan pourrait également emprunter cette voie, dans le cadre d’une politique d’affirmation régionale croissante. Ce scénario ferait entrer le Moyen-Orient dans une ère de compétition nucléaire aux implications géopolitiques majeures. Dans un tel scénario, la présence de plusieurs États dotés de l’arme nucléaire au sein d’une région hautement instable amplifierait considérablement le risque d’escalade incontrôlée, rendant l’hypothèse d’un recours – même limité – à l’arme nucléaire bien plus plausible. Israël pourrait également revoir sa doctrine de « flou nucléaire » et déployer ouvertement ses armes, alimentant une prolifération verticale et potentiellement une course aux missiles hypersoniques. Par ailleurs, l’implication croissante de puissances extérieures, telles que la Russie et la Chine dans les programmes nucléaires de pays du Moyen-Orient risque de compromettre durablement les efforts internationaux en matière de non-prolifération, tout en accélérant la reconfiguration des alliances géopolitiques régionales. Cette dynamique est d’autant plus préoccupante que la coopération militaire entre Moscou et Téhéran s’est intensifiée depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, notamment à travers des transferts de drones iraniens utilisés sur le front ukrainien en échange d’un appui technologique susceptible de renforcer le programme nucléaire iranien. L’interpénétration croissante des agendas stratégiques russe et iranien contribue ainsi à brouiller davantage les lignes entre sécurité régionale, prolifération nucléaire et rivalités globales. Ces puissances pourraient y voir une opportunité d’étendre leur influence régionale au détriment des États-Unis. Elles pourraient également instrumentaliser la crise iranienne pour accélérer la dédollarisation des échanges internationaux et promouvoir des mécanismes de paiement alternatifs portés par les BRICS+, à condition toutefois que ces pays parviennent à surmonter leurs divergences, notamment les réserves persistantes exprimées par l’Inde quant à une orientation commune en ce sens.
Plusieurs scénarios de crise pourraient découler de l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran. Un scénario possible est une attaque préventive israélienne sur les sites nucléaires iraniens, qui pourrait entraîner une riposte via le Hezbollah et les Houthis (avec des milliers de roquettes sur Israël) et un blocage du détroit d’Ormuz, impliquant potentiellement les États-Unis et provoquant un effondrement des marchés pétroliers. Une action préventive israélienne, même pensée comme un levier de dissuasion face à l’avancée nucléaire de l’Iran, pourrait réorganiser les lignes de fracture régionales, mobiliser les proxies iraniens sur plusieurs fronts, et provoquer une réponse asymétrique susceptible d’impliquer indirectement les États du Golfe et les grandes puissances, exacerbant ainsi les tensions dans un espace stratégique déjà saturé.
Scénarios d’escalade et dilemmes internationaux
Ces dynamiques multiples ouvrent la voie à une série de scénarios d’escalade, qui posent aux puissances internationales un dilemme stratégique aux conséquences incalculables. L’arsenal nucléaire iranien pourrait devenir un instrument de coercition redoutable, transformant la région en un théâtre de tensions exacerbées. Téhéran, fort de sa capacité de dissuasion, pourrait orchestrer des opérations déstabilisatrices, telles que l’incitation à un coup d’État au Bahreïn, une île stratégique abritant la cinquième flotte américaine, pivot de la puissance navale américaine au Moyen-Orient. Un tel coup d’État, soutenu par l’Iran, menacerait directement la présence militaire américaine dans le Golfe et pourrait contraindre les États-Unis à une réponse décisive. Parallèlement, l’Iran pourrait exiger le retrait des forces américaines de la région, créant un vide sécuritaire propice à l’expansion de son influence régionale. Dans cette optique, l’arme nucléaire ne serait pas nécessairement employée, mais plutôt brandie comme une menace implicite, un levier de « diplomatie coercitive ». L’Iran pourrait exploiter la crainte d’une escalade nucléaire pour contraindre ses adversaires à céder à ses exigences, qu’il s’agisse de modifications territoriales (tensions territoriales avec les Émirats arabes unis et l’Azerbaïdjan), d’accords politiques ou de concessions économiques.
Toutefois, cette modélisation met crûment en évidence les failles d’une stratégie nucléaire dans une région aussi fragmentée et inflammable que le Moyen-Orient. À cet égard, si Téhéran espère faire de la dissuasion nucléaire un levier d’influence, cette logique de diplomatie coercitive pourrait rapidement se retourner contre lui. En instrumentalisant la menace nucléaire dans des cadres asymétriques ou indirects, l’Iran s’expose à un isolement diplomatique aggravé, y compris de la part d’alliés opportunistes comme la Russie, davantage préoccupée par la stabilité de ses sphères d’influence que par la rhétorique révolutionnaire. À mesure que la frontière s’efface entre dissuasion stratégique et interventions régionales offensives, le risque émerge d’un équilibre de terreur instable, où toute erreur de calcul pourrait précipiter une escalade incontrôlable. Dans un tel environnement, l’arme nucléaire devient moins un gage de sécurité qu’un multiplicateur d’incertitude, catalysant une reconfiguration régionale aux effets imprévisibles.
Un troisième scénario est celui d’une prolifération incontrôlée, où l’Arabie saoudite, la Turquie et l’Égypte acquerraient l’arme nucléaire, entraînant une crise de confiance avec Washington, un alignement stratégique entre Riyad et Pékin et une militarisation accrue de la Corne et du Nord de l’Afrique. En ce sens, une prolifération incontrôlée au Moyen-Orient pourrait conduire à un remodelage fondamental de la dynamique du pouvoir mondial et potentiellement entraîner des puissances extérieures dans de nouveaux conflits.
Face à l’acquisition potentielle de l’arme nucléaire par l’Iran, la communauté internationale pourrait réagir de manière disparate. Les États-Unis envisageraient probablement un renforcement des sanctions économiques, ciblant notamment le secteur pétrolier et l’accès au système financier international SWIFT, ainsi que des opérations de cyberdéfense et de cyberattaque. De plus, la récente déclaration du président Trump, menaçant explicitement l’Iran de frappes préventives en cas de poursuite de son programme nucléaire, constitue un tournant stratégique à prendre au sérieux. Cette posture, en rupture avec l’approche graduée des administrations précédentes (Obama et Biden), renoue avec une doctrine de dissuasion active, qui place Téhéran devant un dilemme stratégique : ralentir son programme au risque de perdre l’effet de levier, ou poursuivre au prix d’une confrontation militaire directe.
Cependant, l’option militaire comporte des limites structurelles. Une frappe conjointe des États-Unis et d’Israël contre les infrastructures nucléaires iraniennes – y compris les sites fortifiés en profondeur et les centres de commandement – est envisagée par certains comme un moyen de freiner, voire de neutraliser, les ambitions nucléaires de Téhéran. Toutefois, une telle intervention risquerait d’avoir des effets inverses : elle pourrait inciter l’Iran à accélérer la militarisation de son programme en invoquant la légitime défense, tout en consolidant le soutien interne au régime. Un recours à la force impliquerait également un engagement militaire soutenu, avec un risque élevé d’escalade régionale, notamment par l’activation des réseaux de proxies iraniens au Liban, en Syrie, en Irak, en Afrique ou au Yémen. Ce schéma d’évolution poserait de sérieuses questions quant à sa viabilité stratégique, sa compatibilité avec les priorités sécuritaires occidentales et son coût diplomatique à long terme. En ce sens, les gains tactiques immédiats pourraient être largement éclipsés par les retombées géopolitiques, soulignant la nécessité d’une approche plus globale, alliant dissuasion, dialogue et renforcement des mécanismes de non-prolifération.
L’Union européenne, quant à elle, pourrait adopter une approche plus nuancée, privilégiant la voie diplomatique et la recherche d’un compromis, tout en explorant des mesures de dissuasion ciblées. Cette crise pourrait accélérer la tendance vers un ordre mondial multipolaire, la Chine et la Russie cherchant à contester la domination des États-Unis et de leurs alliés. Un « plan B » régional pourrait voir l’Égypte et les Émirats arabes unis former une coalition sunnite avec le soutien tacite d’Israël, créant une sorte d’« OTAN arabe » contre l’axe chiite. Les puissances régionales pourraient prendre leur propre sécurité en main en formant de nouvelles alliances pour contrer la menace perçue d’un Iran nucléaire, ce qui pourrait entraîner une polarisation et des conflits supplémentaires au Moyen-Orient. Bien que les sanctions et la diplomatie restent des outils essentiels, leur efficacité pour empêcher l’Iran d’acquérir des armes nucléaires est de plus en plus remise en question compte tenu des progrès de Téhéran.
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En ce sens, le temps diplomatique s’épuise face à une réalité stratégique désormais inévitable : l’Iran nucléaire est en passe de devenir un fait accompli. Cette métamorphose structurelle, loin d’être marginale, constituerait un perturbateur systémique pour le Moyen-Orient, accélérant les logiques de prolifération mimétique et fragilisant l’ensemble des régimes de non-prolifération. Comme l’a récemment analysé le Centre for Strategic and International Studies (CSIS), les signaux stratégiques émanant de Téhéran indiquent une volonté de franchir des seuils technologiques critiques, tout en exploitant les marges d’ambiguïté offertes par la diplomatie multilatérale. Les précédents sont connus : la prolifération nord-coréenne, l’impasse syrienne devenue un théâtre de rivalités croisées, ou encore l’abandon progressif du Sahel aux dynamiques terroristes. Conséquemment, l’Iran au seuil nucléaire ne poserait pas seulement un défi régional, mais inaugurerait un ordre nucléaire à géométrie variable, aux risques globalisés. Il revient aujourd’hui aux décideurs internationaux d’opérer un sursaut de lucidité stratégique. Car entre passivité et surenchère, la fenêtre d’une diplomatie crédible, articulée à une dissuasion cohérente, se referme à grande vitesse. En devenant une puissance au seuil nucléaire, l’Iran ne change pas seulement les règles du jeu, il redessine le terrain lui-même, entraînant avec lui un Moyen-Orient aux équilibres incertains, une Afrique du Nord vulnérable à l’effet domino et un ordre mondial soumis à une dissuasion fragmentée. À l’aune de tout cela, le seuil nucléaire n’est plus une ligne rouge. Il est devenu un espace d’ambiguïté géopolitique dans laquelle Téhéran redéfinit l’équilibre mondial.
Crédit photo : geneward2
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