L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche pour un second mandat représente un défi majeur pour l’approche sécuritaire des pays du flanc oriental de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Alors que ces États ont commencé à revoir leurs priorités stratégiques après l’agression russe contre l’Ukraine, ils sont désormais confrontés à des incertitudes quant à l’engagement futur des États-Unis pour leur sécurité, sans mentionner un hypothétique rapprochement entre les États-Unis et la Russie.
Cette contribution propose d’aborder ces enjeux à travers une étude comparative des stratégies de sécurité nationale adoptées par quatre petites nations du flanc oriental de l’OTAN à la suite de l’agression russe de février 2022 : la Bulgarie, la République tchèque, l’Estonie et la Lettonie. Ces nations font partie des neuf pays du format dit de Bucarest qui fut établi en 2015 à l’initiative conjointe de la Pologne et de la Roumanie. Ce groupe inclut, outre ces deux pays, la Bulgarie, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, et la Slovaquie.
Leur sélection est justifiée par le fait que ces nations ont revu leur stratégie de sécurité nationale après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Leur répartition géographique au sein du flanc oriental de l’OTAN, sans compter les trajectoires que leurs relations avec la Russie ont prises, permet également de les analyser au prisme de différences et similarités quant à leurs approches stratégiques. Enfin, ces dernières peuvent être abordées sous l’angle de la catégorie analytique des petits États.
En tant que tels, ces petits États n’ont pas vocation à conduire les discussions stratégiques au sein de l’OTAN et de l’Union européenne (UE), mais leurs voix ne peuvent être complètement ignorées. En effet, ils comptent dans les processus décisionnels au sein des deux institutions régis par la règle de l’unanimité, d’autant qu’il faut prendre en considération leur vulnérabilité aux influences externes en vue de miner tout consensus en leur sein.
Cette contribution propose, dans une première partie, de comparer le contenu de leurs nouvelles stratégies de sécurité nationale et, dans une seconde, de discuter les implications des changements possibles dans l’orientation de la politique étrangère de la seconde administration Trump concernant la sécurité européenne.
Cet article suggère que ces changements, s’ils sont confirmés, peuvent placer ces petits États du flanc oriental de l’OTAN dans une position extrêmement délicate sur le plan sécuritaire ; de plus, ces pays manquent actuellement d’alternative crédible à l’engagement des États-Unis et de l’OTAN. En effet, tous ces États ont développé une politique d’attractivité envers les États-Unis pour assurer leur sécurité, sans avoir encore pleinement envisagé la possibilité d’une plus grande diversification de leur coopération sécuritaire au sein de l’UE.
Stratégies de sécurité nationale
La pratique visant à rendre publique sa stratégie de sécurité nationale est relativement récente. Elle a été instaurée aux États-Unis en 1986, lorsque le Congrès a exigé que chaque président publie une stratégie de sécurité nationale.
En Europe, la pratique n’est pas encore uniformément répandue. Par exemple, l’Allemagne a publié sa toute première stratégie nationale de sécurité en 2023. Dans d’autres pays, il n’existe pas de tradition systématique d’élaboration de telles stratégies. Généralement, le besoin d’une stratégie nationale de sécurité est déclenché par des évolutions importantes au niveau international. Par exemple, la crise russo-ukrainienne de 2014, puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 ont conduit plusieurs États membres de l’UE à adopter de nouvelles stratégies de sécurité nationale. Ces stratégies ont été adoptées par les gouvernements et font généralement l’objet d’un vote au sein des parlements nationaux. Parmi les stratégies analysées dans cette contribution, seule la stratégie nationale bulgare de 2025 n’a pas encore fait l’objet de vote au sein de l’Assemblée nationale.
Bien que la pertinence de ces documents soit parfois remise en question, ils remplissent néanmoins des fonctions importantes. Premièrement, ils offrent un cadre de compréhension commune des objectifs de sécurité nationale à tous les niveaux de gouvernement et de la bureaucratie. Deuxièmement, ils permettent de communiquer les priorités en matière de sécurité nationale aux alliés, mais aussi aux adversaires et ennemis potentiels. Troisièmement, ils partagent ces priorités avec différents acteurs non étatiques, comme les analystes, les experts et les universitaires, bien que ces documents attirent rarement l’attention du grand public.
Les petits États : entre logique d’attractivité et de diversification
Le concept de petits États fait l’objet de nombreuses discussions parmi les spécialistes en relations internationales. Une première approche les définit selon des critères quantitatifs liés à leurs ressources économiques et militaires. Une seconde approche privilégie des critères de nature plus qualitatifs découlant de leurs comportements sur la scène internationale. Nous entendons par « petits États » ceux qui combinent une prise de conscience de leur statut limité, ancrée dans leurs expériences historiques de dépendance vis-à-vis des grandes puissances, et un sentiment de vulnérabilité sur la scène internationale.
En tant que tels, ces États disposent de peu d’options stratégiques. Lorsqu’ils font partie d’un système d’alliance soutenu par une puissance tutélaire, comme l’Alliance atlantique, ils ont le choix entre renforcer leur coordination militaire avec les États-Unis et rechercher une plus grande autonomie stratégique, ou encore combiner les deux approches sur le court et le long terme. Ainsi, confrontée à la menace russe, la Pologne a poursuivi une logique d’attractivité, multipliant des gestes de soutien vis-à-vis des États-Unis durant le premier mandat de Donald Trump et recourant à l’achat d’armements américains au détriment de ceux en provenance d’Europe.
Une solution intermédiaire pour ces États pourrait résider dans une logique de diversification interne, consistant à varier leurs options sécuritaires à l’intérieur même de leur propre système d’alliance. Dans le cas de l’OTAN, cette logique consiste à privilégier les achats d’armements au sein des autres pays de l’Alliance et non uniquement en provenance des États-Unis.
Autrement dit, les petits États du flanc oriental de l’OTAN peuvent choisir entre ces différentes logiques. Le choix de la logique d’attractivité qui consisterait à tout miser sur les États-Unis peut s’avérer risqué s’ils commencent à douter de la fiabilité de leur protecteur, comme ce fut déjà le cas lors du premier mandat de Donald Trump. Ces doutes se sont considérablement accrus depuis l’arrivée de la nouvelle administration Trump.
Face à la menace russe, ces petits États du flanc oriental de l’OTAN pourraient alors opter, au lieu de cette logique d’attractivité, pour une logique de diversification interne – voire envisager une combinaison des deux : l’une à court terme, l’autre à long terme. Cette approche les conduirait, par exemple, à investir davantage de capital politique dans un système de sécurité ancré à l’Union européenne. Force est toutefois de constater que ces choix stratégiques s’avèrent plus difficiles pour certains pays, surtout s’ils ont décidé de privilégier leur relation avec les États-Unis, par le biais d’un renforcement de leur dépendance militaire vis-à-vis de ces derniers, au détriment d’un engagement plus prononcé en vue de la promotion d’un défense européenne autonome.
Analyse comparative des stratégies de sécurité nationale
Les quatre documents analysés ici sont : le Concept de sécurité nationale de l’Estonie, la Stratégie de sécurité de la République tchèque, le Concept de défense de l’État letton et la Stratégie de défense nationale de la Bulgarie. Le concept estonien, adopté en 2023, succède à celui de 2017. Les documents letton et tchèque datent également de 2023 et succèdent aux précédentes stratégies adoptées en 2015 pour les deux pays. La nouvelle stratégie de sécurité bulgare est la plus récente : elle a été publiée en mars 2025 et remplace celle adoptée en 2011.
À l’exception du cas bulgare – où la stratégie n’a pas encore été débattue au parlement –, ces documents ont été adoptés à une large majorité dans les assemblées des pays concernés. Dans le cas estonien, la nouvelle stratégie de sécurité nationale fut publiée à la veille des élections législatives de 2023. La campagne fut ainsi l’occasion pour le Parti populaire conservateur d’Estonie (EKRE, parti populiste d’extrême droite) de souligner ses divergences avec les priorités sécuritaires du pays, même si celles-ci demeurent assez consensuelles.
D’une manière générale, ces stratégies nationales, à l’exception des cas bulgare et tchèque, confirment les priorités adoptées dans les précédentes versions avec d’importantes nuances qui concernent essentiellement la montée de la menace russe, l’émergence de la menace chinoise et le retour de la prééminence des menaces conventionnelles.
Différences et identification des menaces
Les documents diffèrent dans la hiérarchisation de leurs domaines d’intervention. Le document bulgare met l’accent sur les capacités de défense et la modernisation militaire, en soulignant l’importance de la région de la mer Noire ainsi que la coopération avec les alliés de l’OTAN et de l’UE.
La stratégie tchèque insiste fortement sur la sécurité intérieure, la sécurité économique et la cybersécurité. Elle met en avant la nécessité de contrer les menaces hybrides, la désinformation et l’extrémisme. Le document estonien met l’accent sur la cohésion sociale et la résilience, la sécurité économique et la coopération internationale, en soulignant l’importance de l’indépendance énergétique, de la société numérique et de la cybersécurité, tout en épinglant les risques de guerre hybride menée par la Russie, susceptible de justifier le recours à l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.
Le document letton priorise la défense de l’ensemble de son territoire, la participation de la société à la défense nationale et le renforcement de ses forces armées. Il insiste sur la résilience, la capacité d’agir et la volonté de défendre l’État.
En résumé, bien que les quatre stratégies partagent une approche globale, un engagement envers la défense collective, une insistance sur la résilience et la reconnaissance des menaces majeures, elles diffèrent dans la priorisation de leurs axes d’intervention et dans l’importance relative attribuée aux rôles de l’UE et de l’OTAN dans leur sécurité.
En matière d’identification des périls, les quatre documents considèrent la Russie comme la menace principale. Elle est perçue comme une menace directe pour la République tchèque, l’Estonie et la Lettonie, affectant l’architecture de sécurité européenne, tandis que la Bulgarie mentionne la possibilité d’un affrontement entre la Russie et l’OTAN. L’identification de la menace russe est une nouveauté dans les stratégies de sécurité tchèque et bulgare. Dans le premier cas, le document précédent s’inscrivait encore dans le paradigme de la lutte antiterroriste des attentats de septembre 2001. Dans le second cas, le revirement est tout aussi marquant. En effet, en 2014, dans un document intérimaire rédigé à la veille du sommet de l’OTAN au pays de Galles, le gouvernement avait dû minimiser l’importance de la menace russe par rapport à une première version du texte. À l’époque, la politique étrangère bulgare était encore axée sur l’objectif de maintenir de bonnes relations avec la Russie, tout spécialement dans le domaine des fournitures de gaz et de pétrole.
En seconde position dans la hiérarchie des menaces, la République tchèque, l’Estonie et la Lettonie citent la Chine, mais bien après la Russie, tandis que la stratégie bulgare se limite à mentionner les actions chinoises dans la région indopacifique et son influence dans les Balkans occidentaux. La Bulgarie a en effet poursuivi une politique de renforcement des relations politiques et économiques avec la Chine. Cette politique est concrétisée par la signature, en 2019, d’un partenariat stratégique entre les deux pays. Il est à noter que la mention de la menace chinoise constitue une nouveauté dans les cas tchèque et bulgare par rapport à leurs précédentes stratégies nationales desquelles elle était absente.
Parmi les autres menaces évoquées figurent : les cybermenaces (République tchèque), les migrations et le terrorisme (Estonie, Bulgarie, Lettonie), la prolifération des armes de destruction massive (Bulgarie), les risques pesant sur la sécurité économique (République tchèque) et la dépendance économique vis-à-vis des régimes autoritaires (Estonie). La Lettonie mentionne également les menaces hybrides.
Concernant la prééminence des menaces, les quatre stratégies s’accordent à donner la priorité aux menaces conventionnelles par rapport aux menaces hybrides, bien que de manière nuancée. La stratégie bulgare reconnaît les menaces hybrides, mais met l’accent sur la préparation militaire, la défense collective au sein de l’OTAN et le développement des forces armées nationales. La stratégie tchèque souligne le danger d’un conflit armé tout en insistant sur la menace persistante de la guerre cybernétique, nécessitant une approche multifacette et globale. Le document letton priorise également les menaces militaires, bien qu’elles soient perçues comme faisant partie de la stratégie russe. Il évoque aussi le scénario d’une attaque militaire soudaine de la Russie pour s’emparer d’un territoire donné, qui pourrait être suivie de menaces d’utilisation d’armes nucléaires visant à dissuader l’implication des renforts de l’OTAN.
Les rôles des États-Unis, de l’OTAN et de l’Union européenne
Bien que les quatre stratégies soulignent l’importance de l’OTAN et de l’Union européenne pour leur sécurité, l’OTAN est priorisée comme la principale source de dissuasion. Le rôle de l’UE est largement considéré comme secondaire ; seules les stratégies tchèque et bulgare mentionnent la Boussole stratégique de l’UE en matière de sécurité et de défense.
Les quatre stratégies nationales considèrent le partenariat avec les États-Unis comme très important pour leur sécurité. Cette importance se manifeste principalement à travers leur appartenance à l’OTAN et la force du lien transatlantique. La stratégie lettone insiste particulièrement sur son partenariat stratégique bilatéral avec les États-Unis, incluant la nécessité d’une présence militaire américaine continue. La Bulgarie et l’Estonie soulignent également le rôle crucial des États-Unis au sein de l’OTAN et dans la coopération entre alliés. La République tchèque met l’accent sur l’unité transatlantique, au sein de l’OTAN et de l’UE, comme étant vitale pour ses intérêts de sécurité.
En ce qui concerne la dissuasion, toutes les stratégies soulignent la supériorité de la dissuasion offerte par l’OTAN par rapport à celle de l’UE. À ce sujet, la présence de troupes de l’OTAN sur leurs territoires est unanimement reconnue comme essentielle. Seule la stratégie lettone insiste davantage sur l’importance de la présence de troupes américaines et canadiennes sur son sol.
Toutes les stratégies insistent sur la nécessité d’augmenter les dépenses militaires, certaines fixant des objectifs précis : République tchèque : 2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2024, avec des hausses prévues par la suite, jusqu’à 3 % en 2030 ; Estonie : au moins 3 %, avec un objectif porté à 5 % d’ici 2026 ; Lettonie : 2,5 % en 2025, 3 % en 2027, puis 4 % dès l’année suivante.
Ces objectifs ont été augmentés à 5 % suite au sommet de l’OTAN qui s’est tenu à La Haye le 25 juin 2025, mais suivant des trajectoires différentes. La République tchèque a ainsi annoncé une augmentation de ses dépenses d’armement à 3 % d’ici 2030 pour atteindre 5 % au plus tôt en 2032 ; l’Estonie et la Lettonie ont annoncé atteindre 5 % dès 2026.
La Bulgarie, initialement réticente à s’engager sur des chiffres précis, a dû concilier ses objectifs de réduction du déficit public – condition pour rejoindre la zone euro – avec ses ambitions en matière de défense. Dans ce contexte, le nouveau gouvernement dirigé par Rossen Jelyazkov a évoqué une trajectoire de 2,5 % du PIB d’ici 2028 pour atteindre 5 % en 2035.
Autonomie stratégique et dépendance
Bien que l’autonomie stratégique ait été un thème central dans les discours de l’UE sur la défense et la sécurité depuis 2020, aucun des quatre pays ne souscrit pleinement à ce concept dans leurs stratégies nationales.
La République tchèque et l’Estonie mettent plutôt l’accent sur la réduction de leur dépendance aux États autoritaires, en particulier dans les secteurs économiques et énergétiques. La Bulgarie se concentre sur la diversification et l’indépendance énergétiques, tandis que la Lettonie met en avant la résilience économique et le développement de son industrie de défense.
En ce qui concerne les approvisionnements militaires, la Bulgarie et la Lettonie montrent une préférence plus marquée pour les armes fabriquées aux États-Unis plutôt que pour celles produites en Europe, en raison de leurs partenariats stratégiques et des programmes d’assistance financière. Ainsi, en 2024, la Lettonie a reçu un total de 80 millions de dollars américains pour l’achat de matériel militaire, notamment des systèmes HIMARS et des hélicoptères Black Hawk, sans compter l’acquisition de systèmes de missiles de défense côtière à hauteur de 105 millions de dollars. Les Bulgares ne sont pas en reste. En 2019, ils ont acquis huit F16 Block 70 pour leur force aérienne. En mars 2025, le parlement bulgare a approuvé l’achat de missiles antichars Javelin pour un montant de 82 millions de dollars américains.
Pour l’Estonie et la République tchèque, aucune option n’est explicitement priorisée. Dans le premier cas, le pays s’est illustré par une diversification plus grande de ses achats militaires. Pour l’année 2024, l’Allemagne figure ainsi comme le premier fournisseur d’armement de l’Estonie, loin devant les États-Unis et la France. Dans le second cas, la stratégie de sécurité nationale insiste sur la production de défense nationale tout en reconnaissant l’importance de l’interopérabilité des équipements acquis.
Conséquences d’un changement dans l’approche américaine de la sécurité européenne
Les prises de position de Donald Trump concernant l’OTAN, la présence américaine en Europe et la résolution de la guerre en Ukraine ont provoqué un choc majeur dans les pays du flanc oriental de l’OTAN. Ceux-ci se retrouvent dans une situation doublement délicate. D’un côté, leur dépendance assumée envers les États-Unis rend tout investissement dans une défense européenne extrêmement compliqué. D’un autre côté, en cas de divergence profonde entre les États-Unis et l’Union européenne vis-à-vis de la Russie, mais également de la Chine, ces petits États devraient faire face à des problèmes de double loyauté.
À vrai dire, les conséquences d’un changement de l’approche américaine de la sécurité européenne doivent être examinées à deux niveaux : le niveau stratégique et celui des politiques nationales.
Au niveau stratégique, l’importance accordée à l’OTAN, et secondairement aux États-Unis, en tant que pierre angulaire de leur sécurité, place les petits États du flanc oriental de l’OTAN face à un défi considérable. Les déclarations récentes de Donald Trump sur le parapluie nucléaire américain ont jeté un doute sur la dissuasion nucléaire de l’OTAN dans la région. Les annonces d’un retrait de la présence militaire américaine de ces pays sur fond de négociations de paix avec la Russie ne peuvent qu’exacerber les défis sécuritaires pour les quatre États étudiés. Pire, la nécessité de maintenir de bonnes relations avec les États-Unis, notamment pour l’Estonie et la Lettonie, pourrait les placer dans une position où elles seraient contraintes de choisir leur allégeance en cas de divergences profondes dans les choix politiques et stratégiques. Cela s’était déjà produit, en juillet 2021, dans le cas de la Lituanie, lorsque le pays avait accepté l’ouverture d’un bureau de représentation de Taïwan dans sa capitale en signe de soutien à la politique de l’administration américaine au détriment de l’approche de l’UE fondée sur le principe de la reconnaissance d’une seule Chine.
En revanche, la dissuasion offerte par l’Union européenne n’est pas jugée suffisante ni capable de remplacer celle de l’OTAN. L’UE est reconnue pour sa contribution à la sécurité, mais son rôle est généralement considéré comme complémentaire à celui de l’OTAN. Ses points forts résident dans sa capacité à répondre à un large éventail de menaces sécuritaires par des moyens civils et militaires, à promouvoir la stabilité régionale et à encourager la coopération entre États membres.
Cependant, l’influence de la politique de Donald Trump se fait sentir non seulement au niveau stratégique, mais affecte aussi l’opinion publique et les politiques intérieures de ces petits États du flanc oriental de l’OTAN. En effet, la cohésion nationale sur les questions de sécurité est loin d’être solide et le discours « trumpiste » résonne dans une partie non négligeable des leaders et des opinions publiques dans les pays d’Europe centrale et de l’Est.
La Lettonie et l’Estonie comptent des partis populistes de droite, l’Alliance nationale dans le premier cas et EKRE dans le second. EKRE, qui a terminé second aux dernières élections de mars 2023, a adopté des vues de plus en plus en phase avec celles du Kremlin tout en soutenant l’augmentation des dépenses militaires et non sans exprimer son désaccord sur la participation estonienne dans une hypothétique force européenne de réassurance en Ukraine. En Lettonie, l’Alliance nationale fondée par l’oligarque Ainārs Šlesers se réclame des idées défendues par la nouvelle administration Trump tout en maintenant des positions antirusses.
En République tchèque, des travaux de recherche indiquent que l’orientation européenne et internationale dominante entre 1990 et 2013 n’est plus aussi consensuelle ni acceptée depuis 2014. Par exemple, le parti ANO (« Oui » en tchèque) de l’ancien Premier ministre Andrej Babiš a adopté une rhétorique similaire à celle de Donald Trump concernant la résolution de la guerre en Ukraine.
En Bulgarie, la situation est plus complexe. Bien que le pays ait réorienté sa politique étrangère envers la Russie depuis 2021, ce virage reste inabouti et ne se retrouve pas dans l’opinion publique. De plus, les récentes déclarations de figures politiques de premier plan, dont l’ancien Premier ministre Boiko Borissov, montrent un soutien accru aux positions défendues par Washington, plutôt qu’à celles venant de Paris ou Berlin.
***
Les petits États du flanc est de l’OTAN sont particulièrement exposés au risque d’un changement dans l’approche américaine de la sécurité européenne. Tous partagent le sentiment d’une menace militaire russe directe qui ne pourrait que profiter d’un désengagement américain et d’un affaiblissement de l’Alliance atlantique. Cela met en évidence les limites de leur choix stratégique, qui repose presque exclusivement sur l’OTAN et les États-Unis pour assurer leur sécurité.
Dans le même temps, et comme le reflètent leurs stratégies respectives, aucun de ces pays n’a encore envisagé la possibilité d’une diversification interne au sein du système otanien. Une telle diversification consisterait, par exemple, en un investissement politique accru dans un système de sécurité fondé sur l’Union européenne. Jusqu’à présent, seule l’Estonie a fait montre d’une telle diversification, tant du moins du point de vue de ses achats militaires.
En ce qui concerne l’UE, aucun de ces pays ne la considère comme une option viable pour garantir leur sécurité en remplacement de l’OTAN, mais uniquement comme une entité complémentaire. Par ailleurs, il n’est pas certain que ces pays soient en mesure de soutenir pleinement des projets visant à renforcer un système de défense européen, en particulier si ces projets impliquaient de s’écarter des objectifs principaux des États-Unis.
En d’autres termes, dans l’hypothèse d’un retrait américain de la sécurité européenne et d’un affaiblissement de l’OTAN, toute alternative est actuellement perçue par ces petits États du flanc oriental de l’organisation comme susceptible de les placer dans une situation d’insécurité accrue face à la menace russe. Cela illustre très clairement les périls de la logique d’attractivité vis-à-vis des États-Unis que ces pays ont, jusqu’à présent, adoptée en matière de sécurité.
Crédit photo : Estonian Foreign Ministry via Wikimedia Commons
Les commentaires sont fermés.