Cet article est une traduction de « The Ides of November: Navigating the Shifting Sands of Iraq’s 2025 Electoral Landscape », publié sur War On The Rocks le 2 mai 2025.
Quelle pourrait être la composition du prochain gouvernement irakien, alors qu’un drame géopolitique continue de se jouer au Moyen-Orient ?
À l’approche des élections législatives décisives prévues en Irak le 11 novembre, un climat d’attente et de vigilance règne dans le pays. Dans un contexte de volatilité régionale, de fragmentation de l’axe de la résistance mené par l’Iran et de divisions inédites au sein de la majorité chiite, ces élections revêtent une importance majeure pour l’avenir du pays, 20 ans après les élections historiques de 2005, surnommées « purple finger » (la couleur de l’encre utilisée pour apposer une empreinte digitale sur le registre de vote, ndlr). Pourtant, malgré l’agitation entourant la campagne électorale et l’enregistrement des listes partisanes, le véritable enjeu se situe après le scrutin, lorsque les rapports de force et les alliances commencent à se structurer.
Les candidats représentant chacun des trois principaux blocs ethniques et confessionnels irakiens – chiites, sunnites et kurdes – manœuvreront pour gagner en influence, conclure des accords et forger un consensus à l’approche des élections. Si tous les politiciens, toutes tendances confondues, prendront part à cette course, la compétition sera sans doute la plus intense au sein du bloc chiite (al-bayt al-shi’i).
Les dernières élections législatives irakiennes, qui se sont tenues en octobre 2021, ont donné lieu à un processus de formation du gouvernement tumultueux qui a duré 12 mois. Cette période a été marquée par une tentative infructueuse de former un gouvernement majoritaire excluant une grande partie des parlementaires (et des partis) chiites, la démission en nombre des députés sadristes (chiites, soutiens de Moqtada al-Sadr, ndlr) et la formation finale d’un gouvernement dirigé par le Premier ministre Mohammed Chia al-Soudani, non sans affrontements armés entre les partisans sadristes qui tentaient de prendre d’assaut le bâtiment du parlement et les factions paramilitaires liées aux autres partis chiites. Espérons que la formation du prochain gouvernement se déroulera dans un climat moins violent.
Pour cet article, nous avons interrogé plusieurs observateurs bien informés en Irak afin d’obtenir un point de vue privilégié sur le paysage électoral dans les semaines et les mois qui précéderons et suivront les élections de novembre 2025.
La question kurde
Les Kurdes d’Irak ont tenu leurs élections régionales en octobre 2024, après de nombreux reports. Ce scrutin a pu être considéré comme un test décisif pour les élections nationales attendues cet automne. Le parlement du gouvernement régional du Kurdistan (KRG) compte 100 sièges, ce qui rend le nombre de sièges et les pourcentages identique. Lors des élections régionales, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) a remporté 39 sièges, soit 6 de moins que lors des dernières élections, tandis que son rival, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), en a remporté 23, soit 2 de plus. Le Mouvement de la nouvelle génération (MNG), dans l’opposition, a remporté 15 sièges et les islamistes kurdes en ont obtenu 7. Les sièges restants ont été attribués à des partis plus petits et à des minorités.
À moins d’un événement géopolitique majeur au printemps ou à l’été, comme une attaque américaine contre l’Iran, on peut s’attendre à une répartition similaire des sièges kurdes à l’automne 2025. Le PDK obtiendra probablement, une fois encore, environ une fois et demie plus de sièges que l’UPK, tandis que les partis d’opposition et islamistes devraient, ensemble, recueillir un nombre de sièges équivalent à la moyenne des deux principaux partis.
Deux facteurs majeurs peuvent expliquer le rôle des Kurdes dans la négociation d’accords de partage du pouvoir. Premièrement, il semble de plus en plus probable qu’un gouvernement régional soit annoncé à Erbil avant les élections nationales de novembre. La répartition des postes au sein de ce gouvernement régional devrait faire l’objet d’un accord entre le Parti démocratique du Kurdistan et l’Union patriotique du Kurdistan concernant le partage de la « part » kurde au sein du gouvernement national. Ainsi, dans la frénésie de la formation du gouvernement qui suivra les élections, le « grand compromis » kurde ajoutera une couche supplémentaire à la phase de marchandage au niveau national.
Une deuxième question est de savoir si les Kurdes formeront un bloc uni pour la formation du gouvernement. Bafel Talabani, président de l’UPK, a publiquement proposé un bloc kurde uni lors de son discours à la conférence « Bagdad Dialogue » le 23 février 2025. Ce serait un revirement par rapport au dernier cycle électoral de 2021, lorsque le PDK s’était allié aux sadristes et au parti Taqadum (Parti du progrès, TAK) de Mohamed al-Halboussi, pour tenter de former un gouvernement majoritaire. Dans l’opposition, l’Union patriotique du Kurdistan s’était jointe à un groupe de partis arabes chiites et sunnites désireux d’entraver cette initiative de gouvernement majoritaire. Un bloc kurde unifié aurait plus de poids dans la formation du gouvernement national et pourrait avoir une voix décisive pour choisir le bloc de partis arabes irakiens majoritaires qui serait chargé de le former. Cela permettrait vraisemblablement aux Kurdes d’obtenir davantage de concessions politiques, notamment en matière de répartition durable des salaires et de participation aux décisions concernant les exportations de pétrole de la région du Kurdistan. Néanmoins, malgré les signaux optimistes émis lors de la dernière réunion stratégique du 16 mars entre Bafel Talabani et le Premier ministre du gouvernement régional du Kurdistan, Masrour Barzani, ainsi que la dernière déclaration de Talabani sur la conclusion d’un accord de gouvernance avec le Parti démocratique du Kurdistan, les tensions entre les deux principaux partis kurdes pourraient empêcher cette évolution pourtant logique.
La composante sunnite
Si l’on devait résumer en une seule question la politique électorale de cette année pour les Arabes sunnites d’Irak, ce serait peut-être : « Quelle part du pouvoir le parti Taqadum de Halboussi cédera-t-il aux petits partis ? »
Les élections de 2021 ont confirmé Halboussi comme la figure de proue de la communauté arabe sunnite. Avec 37 sièges, soit près de trois fois plus que son plus proche concurrent sunnite (l’Alliance Azem de Khamis al-Khanjar et Muthanna al-Samarrai, avec 14 sièges), Halboussi occupe une place de choix en tant que leader du plus grand bloc sunnite (là encore, de loin) et en tant que président du parlement, qui représente la branche sunnite du système des « trois présidences » irakien.
Cette primauté s’est effondrée pour Halboussi en novembre 2023, lorsqu’il a été démis de ses fonctions parlementaires à la suite d’une décision judiciaire controversée, pour avoir prétendument falsifié la lettre de démission d’un autre député qui avait été également destitué par la justice. Bien que Mohamed al-Halboussi reste à la tête de son parti – sans fonction ni capacité à accorder des faveurs, attribuer des postes ou signer des contrats –, son pouvoir est indéniablement affaibli. La question est donc de savoir dans quelle mesure et à quel point.
Selon des observateurs bien informés, les blocs sunnites rivaux devraient grignoter le nombre total de sièges de Halboussi, lui laissant le plus grand nombre de sièges sunnites, mais avec une majorité moins écrasante qu’en 2021. En effet, nos sources sur le terrain prévoient que l’Alliance Azem gagne quelques sièges en novembre 2025, tandis que la liste « Réforme décisive » du ministre de la Défense Thabet al-Abassi devrait passer de trois à cinq ou sept sièges. En outre, la nouvelle liste du chef tribal de Salahaddin, Yazan al-Jubouri, associé à l’ancien président Salim al-Jabouri et aux chefs tribaux d’al-Anbar (dont Sattam Abou Richa, le fils du principal partenaire américain pendant le « réveil d’Anbar »), pourrait remporter cinq à huit sièges. Ces gains se feront probablement au détriment des candidats Taqadum de Halboussi. Une dispersion du pouvoir entre les listes sunnites pourrait ainsi compliquer la formation d’un gouvernement de manière imprévisible.
La chambre chiite
Avec la rupture du cessez-le-feu négocié à Gaza, les factions pro-iraniennes en Irak se disputent la suprématie tout en cherchant à conserver leur statut de champions de la résistance islamique contre Israël. Ces groupes, vaguement alignés au sein du Cadre de coordination chiite (Shia Coordination Framework), luttent pour se recentrer sur la préservation de leurs acquis chèrement acquis au sein de l’État irakien. Cet équilibre entre résistance transnationale et politique intérieure s’inscrit dans un contexte politique en pleine évolution, marqué par le renversement sans précédent du régime de Bachar el-Assad en Syrie, autrefois un allié essentiel. Le succès électoral du président anti-Hezbollah Joseph Aoun et du Premier ministre Nawaf Salam au Liban souligne encore davantage la position précaire des forces soutenues par l’Iran. Ces forces se trouvent à la croisée des chemins, conscientes que la ferveur révolutionnaire doit céder la place à une approche plus astucieuse de la gouvernance et de la diplomatie si elles souhaitent conserver le contrôle.
Parmi ces acteurs figure Nouri al-Maliki, un politicien chiite chevronné qui se sent de plus en plus menacé par Mohammed Chia al-Soudani, pourtant qualifié de protégé de Maliki voire d’« intendant ». Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et la campagne de représailles d’Israël contre Gaza, Soudani navigue dans les eaux tumultueuses de la politique irakienne, s’efforçant de maintenir le pays à l’écart des tensions géopolitiques entre Washington et Téhéran, tout en gérant les relations avec les interlocuteurs américains et iraniens. Alors que des défis redoutables se profilent, notamment au regard des débats sur les modifications de la loi électorale, une question cruciale se pose aux élites dirigeantes irakiennes issues du Cadre de coordination : quel scénario représente la plus grande menace pour leurs intérêts à long terme ? Est-ce la perspective d’un second mandat pour un Soudani politiquement renforcé ou une nouvelle résurgence surprise des sadristes, qui pourraient obtenir in extremis le soutien des sunnites et des Kurdes mécontents ?
Moqtada al-Sadr a annoncé de manière inattendue qu’il se retirait de la vie politique et refusait de participer aux prochaines élections législatives en raison de ce qu’il considère comme un paysage politique corrompu et partisan. Après avoir initialement interdit à ses partisans de voter ou de se présenter aux élections, Sadr les a néanmoins exhortés à mettre à jour leurs cartes d’électeur « même en cas de boycott » des élections.
Selon certaines informations, les sadristes seraient désireux de tirer les leçons des erreurs stratégiques commises lors de la crise qui a suivi les élections de 2021 et qui a empêché la formation d’un gouvernement. Selon une source bien informée qui a souhaité rester anonyme, ils pourraient être enclins à accueillir les cadres désabusés de l’alliance plus large du Cadre de coordination, à condition qu’ils ne soient pas perçus comme corrompus. Cela correspondrait à l’accent mis publiquement par les sadristes sur la réforme et la transparence, même s’ils ne sont pas étrangers aux pratiques clientélistes.
Historiquement, les sadristes ont toujours préféré jouer la carte de l’opposition tout en tirant profit du système politique existant. S’il participait et remportait les élections, Sadr pourrait soutenir un candidat extérieur à son mouvement pour le poste de Premier ministre, ce qui lui permettrait d’obtenir des postes bureaucratiques de haut rang pour ses alliés, notamment au niveau des vice-ministres, afin de revitaliser ses réseaux clientélistes affaiblis. Selon qu’il décide de faire un retour surprise ou d’utiliser son influence de manière indirecte, Sadr pourrait mener les négociations post-électorales afin de surmonter l’obstacle du tiers de blocage qui a entravé les efforts de son bloc d’unité nationale pour choisir un président du parlement en 2022. Toutefois, il n’est pas certain que les politiciens kurdes et sunnites qui soutenaient initialement Sadr se rallieront à lui – après l’épisode de juin 2022 au cours duquel ses députés ont démissionné du parlement – dans le cas improbable où il déciderait de soutenir une liste électorale. Les dirigeants du Parti démocratique du Kurdistan, relativement favorables à Mohammed Chia al-Soudani ont exprimé leur frustration face à ses tentatives de négocier des accords pétroliers au Royaume-Uni sans leur consentement. La capacité de Netchirvan Barzani et de Soudani à régler le différend sur les revenus pétroliers entre le gouvernement régional du Kurdistan et Bagdad aura donc une incidence sur la réaction du Parti démocratique du Kurdistan à une éventuelle main tendue de Sadr.
Dans ce contexte politique tendu, des personnalités telles que Qais al-Khazali et son réseau Asaïb Ahl al-Haq (AAH) apparaissent comme des acteurs clés, exerçant une influence considérable sur la politique électorale irakienne. La nébuleuse de Khazali comprend une branche politique, Al-Sadiqoun, des brigades militaires enregistrées auprès des Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi ou PMF) et toute une série d’institutions sociales et culturelles.
Leur capacité collective à jouer les faiseurs de rois et les courtiers du pouvoir pourrait déterminer le sort de la coalition au pouvoir en Irak à l’approche des élections nationales. Alors que les discussions sur des modifications importantes de la loi électorale irakienne se poursuivent, Khazali a apporté des éclaircissements lors d’une interview publique le 2 mars concernant son mouvement politique, Al-Sadiqoun.
Après avoir envisagé la possibilité de former une alliance avec certaines factions du Cadre de coordination, Khazali a déclaré que son mouvement avait décidé de participer aux prochaines élections avec une liste indépendante de candidats sous le nom d’Al-Sadiqoun. Auparavant, Khazali avait pourtant laissé entendre que le Cadre de coordination pourrait présenter des candidats sur plusieurs listes tout en laissant la porte ouverte à une coordination postélectorale afin de former des coalitions gagnantes.
Un autre atout majeur dans l’arsenal de Khazali est le lien qu’il entretient avec Bafel Talabani, qui le considère comme un allié précieux. Leurs efforts conjoints lors des élections municipales de décembre 2023 ont considérablement renforcé la position de l’Union patriotique du Kurdistan dans la ville politiquement disputée de Kirkouk.
En outre, Khazali a affirmé que Soudani avait tout à fait le droit de briguer un nouveau mandat malgré les efforts de Maliki pour freiner ses ambitions. Cela suggère que Khazali n’écarte pas totalement la possibilité de s’allier à Soudani si celui-ci parvient à mieux se positionner pour une réélection. Il convient de noter qu’avant qu’un récent scandale d’écoute n’implique des membres du cabinet de Soudani dans le piratage d’appareils appartenant à d’éminents politiciens du Cadre de coordination, dont Khazali lui-même, les deux dirigeants entretenaient une relation mutuellement bénéfique. Soudani s’appuyait sur l’influence de Khazali au sein des Unités de mobilisation populaire, tandis que Khazali tirait profit de son association avec le Premier ministre, se présentant comme un homme d’État défendant la souveraineté et la stabilité de l’Irak.
Le partenariat entre Khazali et Soudani a été renforcé par leur rivalité commune avec Maliki. Bien qu’ils semblent alignés, Khazali et Maliki se disputent en effet l’influence sur les services de renseignement irakiens et les Unités de mobilisation populaire depuis l’arrivée au pouvoir de Soudani. Ce dernier s’est également efforcé de se distancier de Maliki, tentant de se repositionner comme plus qu’un simple intendant des affaires de l’État, contrairement à ce qui est souvent dit de lui en Irak comme en Occident.
Même la frustration commune de Khazali et Maliki face au scandale des écoutes téléphoniques, qui jette le doute sur la complicité potentielle de Soudani, ne permet pas de présumer que les deux hommes travailleront ensemble pour former un nouveau gouvernement. Il n’est donc pas surprenant que Khazali envisage de coopérer avec Soudani à l’avenir.
Pour comprendre l’évolution de la situation, il est important de noter qu’au début du mois de janvier, une photo de Soudani, Maliki et Khazali avait circulé dans les médias irakiens, suscitant des spéculations sur une possible réconciliation entre les trois rivaux politiques. Cela ne signifie pas pour autant que leurs efforts respectifs visant à saper les perspectives politiques des autres vont cesser.
Maliki s’est imposé comme l’un des principaux partisans de la modification de la loi électorale visant à diviser les provinces en plusieurs districts. Il avait ainsi plaidé en faveur d’une clause qui aurait interdit aux titulaires de fonctions officielles de se présenter aux élections, à moins de démissionner au moins cinq mois avant la date du scrutin. Si de nombreux politiciens et militants qui soutiennent généralement l’approche multi-circonscriptions estiment qu’elle pourrait profiter aux partis politiques plus modestes et moins bien établis, certains reconnaissent publiquement que la volonté actuelle de réformer ce mode de scrutin ne vise pas uniquement à renforcer ces listes marginales. En outre, l’ancien président du barreau irakien, Diaa al-Saadi, a appelé le législateur irakien à « s’opposer aux modifications de la loi électorale si elles visent à restreindre la liberté de choix ou à créer des obstacles qui profitent à certains partis ou groupes politiques ».
Les inquiétudes de Maliki concernant les perspectives électorales de Soudani sont fondées. Avant le scandale des écoutes téléphoniques, la popularité de Soudani semblait gagner du terrain, en particulier après les élections provinciales, où certains observateurs prédisaient qu’il pourrait obtenir au moins 50 sièges lors des prochaines élections en vertu de l’indice de Sainte-Laguë modifié. Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 et dans un contexte de récents changements de pouvoir en Syrie et au Liban, Soudani a souligné l’engagement de l’Irak en faveur de la paix et de la stabilité dans la région. Il a promu les efforts du gouvernement pour placer les armes sous le contrôle exclusif de l’État et passer d’une présence de la coalition dirigée par les États-Unis à un partenariat bilatéral en matière de sécurité. Lors de ses visites en Iran et au Royaume-Uni, Soudani a réitéré la volonté de l’Irak de servir de médiateur dans les dialogues régionaux clés entre les puissances rivales. En outre, il a intensifié ses contacts avec les partenaires et voisins du Golfe, approuvant la visite fin décembre du chef des services de renseignement irakiens, Hamdi Shatri, en Syrie, où il a rencontré le controversé dirigeant syrien Ahmed al-Charaa. Reste à voir si Charaa assistera au sommet de la Ligue arabe à Bagdad en mai 2025, vu ses liens présumés avec le terrorisme. Khazali et Maliki s’opposent tous deux à la participation de Charaa au sommet.
Toutes ces initiatives soutenues par le gouvernement suggèrent que Maliki craint que Soudani, potentiellement allié au président des Unités de mobilisation populaire Falih Faisal Fahad al-Fayyadh – qui jouit d’une popularité considérable parmi plusieurs chefs tribaux sunnites de Ninive et d’Anbar –, puisse sérieusement compromettre ses plans pour les prochaines élections. Pour contrer l’influence de Fayyadh, Maliki s’est à nouveau associé à Khazali afin de faire adopter une loi globale sur le service et la retraite des Unités de mobilisation populaire qui fixe à 60 ans l’âge de la retraite pour le personnel de ces forces, ce qui obligerait automatiquement Fayyadh à démissionner de la présidence de cette milice paramilitaire.
Dans le même temps, Maliki doit également tenir compte du retour, improbable mais pas impossible, des sadristes dans la course électorale, après leur précédente tentative infructueuse de former un gouvernement majoritaire avec leurs alliés sunnites et kurdes. Maliki et ses alliés se trouvent donc face à un dilemme. Si la modification de la loi électorale avec les clauses proposées peut potentiellement réduire les chances de Soudani, l’introduction d’une répartition multi-districts pourrait profiter de manière disproportionnée aux sadristes, qui ont démontré leur habileté à faire campagne et à tenir en échec leurs rivaux lors des élections de 2021. Cela suscite des inquiétudes au niveau national, car toute modification visant à affaiblir Soudani pourrait en fait renforcer les chances de succès de Sadr s’il décidait de se représenter à la dernière minute.
Par conséquent, la compétition pour façonner la loi électorale avant les élections révélera probablement qui, du mouvement de Sadr (même s’il est temporairement mis à l’écart) ou une faction rivale au sein de leurs propres rangs, Maliki et ses alliés du Cadre de coordination considèrent comme la plus grande menace pour leur mainmise sur l’État. Quel que soit le résultat des élections, le système de partage du pouvoir fondé sur des quotas, le muhasasa, permettra une représentation proportionnelle au sein du gouvernement des factions partisanes ethno-sectaires du pays. Ainsi, le nombre de voix détermine rarement qui gouverne. Au contraire, une coalition au pouvoir émerge d’une interaction complexe entre coercition calculée, incitations et négociations en coulisses. Des institutions telles que le pouvoir judiciaire peuvent être utilisées comme arme ou cooptées pour légitimer les gains de certains partis tout en abusant des règles politiques pour geler le processus.
En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, l’influence du juge Faiq Zaidan sur une scène politique dominée par les chiites ne doit pas être négligée. D’après nos entretiens, les personnes sur le terrain rapportent qu’il est toujours désabusé par Soudani en raison du scandale des écoutes téléphoniques et qu’il pourrait donc rechercher une forme de coopération avec Maliki. Néanmoins, l’implication supposée de Zaidan dans le retour de l’ancien Premier ministre Moustafa al-Kazimi sur la scène politique nationale profite toujours largement à l’administration Soudani, qui souhaite tirer parti des liens que Kazimi entretiendrait avec plusieurs décideurs politiques américains afin de protéger l’Irak de la « campagne de pression maximale » menée par le président Donald Trump contre l’Iran. Compte tenu des liens de Kazimi avec les services de renseignement américains en tant qu’ancien directeur des services de renseignement nationaux irakiens et de son attrait pour les décideurs politiques occidentaux, il pourrait nourrir l’ambition d’être plus qu’un simple pion dans les stratégies de politique étrangère des partis alignés sur l’Iran. La récente rencontre de Kazimi avec le leader du courant Al-Hikmah (National Wisdom Movement), Sayyed Ammar al-Hakim, laisse entendre qu’il pourrait chercher à s’aligner avec des factions modérées et réformatrices, telles que la nouvelle coalition du Rassemblement civil national irakien annoncée par Iyad Allaoui. Cela dit, malgré son mandat écourté en tant que Premier ministre, Kazimi est – selon nos conversations avec des initiés en politique – toujours considéré comme étant « cramé », sans base politique propre et donc trop faible pour défendre les intérêts nationaux irakiens contre les pressions étrangères, principalement iraniennes.
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Les ramifications des alliances stratégiques entre les différentes factions sectaires et les manœuvres partisanes façonneront considérablement le paysage politique irakien au cours des prochains mois. La capacité des principaux acteurs – notamment Soudani, Maliki, Khazali et les sadristes – à naviguer dans ce réseau d’intérêts déterminera non seulement qui sortira vainqueur des élections, mais aussi qui contrôlera les leviers du pouvoir à leur suite.
À l’approche des élections nationales en Irak, la dynamique des ambitions, des rivalités et de l’opportunisme entre les factions partisanes du pays se déroulera dans un contexte d’instabilité régionale et de complexités internes. Que ce soit par le biais d’alliances officielles ou de sabotages secrets, chaque faction sunnite, kurde et chiite cherchera à consolider sa position et à maintenir ses réseaux de clientèle. Dans cet environnement polarisé, les enjeux sont sans précédent et le chemin vers la domination politique est semé d’embûches et d’opportunités pour ceux qui sont prêts à naviguer dans le paysage complexe des marchandages politiques irakiens. Prédire les résultats des élections irakiennes et la formation du gouvernement est une tâche impossible, mais connaître les acteurs influents et leurs intentions aide à comprendre les enjeux à mesure que les événements se déroulent.
Crédits photo : Zoheir Seidanloo via Wikimedia Commons.
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