Les enjeux maritimes dans l’Europe du Nord

Le Rubicon en code morse
Jan 31

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L’arrêt récent du gazoduc Balticconnector en raison d’une fuite et de dommages ayant également touché un câble de télécommunication fait suite aux sabotages des gazoducs Nord Stream en 2022. Il met à nouveau en exergue l’importance et l’intérêt commun occidental pour les mers et les fonds marins de l’Europe du Nord. Ces évènements soulignent la nécessité d’avancer dans la stratégie européenne de sûreté maritime pour la mer du Nord et la mer Baltique. Contrairement à l’image d’une mer Baltique comme « lac otanien », la maîtrise occidentale de cet espace et de la mer du Nord n’est pas incontestée, surtout dans le domaine sous-marin. Compte tenu de l’expertise suédoise dans le domaine sous-marin développée au fil des ans et de la longue histoire française d’océanographie, la stratégie attendue devrait reposer sur une collaboration étroite entre la France et la Suède. Une collaboration approfondie contribuerait à la sûreté régionale et pourrait, par l’entremise de la stratégie française des fonds marins, également participer à la sûreté maritime au niveau mondial. Dans ces conditions, il serait bienvenu de rajouter la Suède à la liste de partenaires dans le domaine sous-marin.

Bien que la mer du Nord et la mer Baltique soient de taille limitée, elles constituent néanmoins un espace clé où se confrontent des intérêts stratégiques. Le 10 mars 2023, la Commission européenne, dans une communication conjointe, effectuait une mise à jour de la stratégie de sûreté maritime de l’Union européenne (SSMUE). Vu la détérioration de la situation sécuritaire et l’évolution des menaces depuis son lancement initial ces dix dernières années, il était temps de réviser et développer cette stratégie. Dans ce contexte et ainsi illustré par la Boussole stratégique, la Russie a une position à part. Depuis une quinzaine d’années, Moscou manifeste un flagrant mépris de l’ordre sécuritaire européen avec une tendance à agir sans scrupules pour achever ses objectifs. Le régime du Kremlin n’hésite pas à recourir à un ensemble de moyens et d’outils pour le déstabiliser. Outre des mesures d’intimidation ou d’ordre économiques, énergétiques et même en lien avec les flux migratoires, Moscou ne se prive pas de mener des actions hybrides, d’entretenir des guerres par procuration et même d’initier une guerre de haute intensité (ainsi que le montre l’invasion de l’Ukraine). Pour faire face à cet ensemble de menaces, une stratégie « compréhensive » est nécessaire. Face à ces enjeux multidomaines et alors que la Suède reste « bloquée » dans une sorte d’antichambre – antichambre entretenue uniquement par le Premier ministre hongrois et le président turc – dans le cadre de sa demande d’adhésion à de l’OTAN, l’UE doit au plus vite mettre en œuvre la stratégie de sûreté maritime dans la mer du Nord et la mer Baltique afin d’être en mesure de répondre à toutes contingences. Comme l’a rappelé l’amiral Vandier dans le podcast Périscope, « ce qu’il se passe n’est pas l’inévitable, mais l’imprévisible ». La stratégie maritime serait un point de départ approprié avec ses interdépendances, ce que l’amiral Castex appelle servitudes, parmi les autres stratégies sous le parapluie de la stratégie générale. Cette compréhension multistratégique est particulièrement pertinente dans le cadre de conflits sous le seuil de la guerre. Les marges de manœuvre y sont plus larges, surtout pour un acteur méprisant toutes règles et conventions. En missions extérieures, j’ai vu de près ce que permettent les capacités complémentaires en termes d’effort concerté pour maîtriser des situations compliquées. Je tenterai ci-dessous de décrire les enjeux maritimes des mers de l’Europe du Nord selon leurs caractéristiques physiques, économiques et sécuritaires, et en quoi cela implique d’élaborer en urgence une stratégie commune et une coopération franco-suédoise. 

Caractéristiques physiques

Différentes des grands océans, la mer du Nord et la mer Baltique sont relativement bien cartographiées, en conséquence d’une multitude d’activités intenses. Donnant au Nord sur l’Océan Atlantique, la mer du Nord est bordée par le continent européen au sud-est, les îles britanniques à l’ouest et la Scandinavie au nord-est. Ses 750 000 km2 sont principalement situés sur le plateau continental de l’Europe du Nord-Est. Elle est majoritairement peu nivelée et d’une profondeur d’environ 90 mètres en moyenne. À l’est, dans le Skagerrak et les détroits de la mer Baltique, le relief est accidenté et avec une profondeur maximale de 750 mètres. La température ainsi que la salinité varient sur un rythme annuel et saisonnier, influencés par les influx d’eau de l’Atlantique et de la mer Baltique, affectant la capacité des senseurs sous-marins et donc la possibilité de contrer un agresseur. Dues aux conditions géologiques et hydrologiques, les marées sont parmi les plus fortes du monde. Des phénomènes météorologiques avec des vents violents et des houles fortes sont en outre assez réguliers.  La mer du Nord est reliée avec la mer Baltique par les bras de la Petite et Grande Belt et de l’Öresund, tous traversés par un fil de ponts routières et ferroviaires. La faible profondeur et la hauteur sous des ponts fixes limitent le passage aux navires marchands et bâtiments de guerre d’une certaine taille.

Frontières et profondeurs. Source : Örjan Wallers, Forces armées suédoises. Données de Natural Earth.

Agglomérations et profondeurs. Source : Örjan Wallers, Forces armées suédoises. Données de Natural Earth

La mer Baltique est étroite et divisée en plusieurs bassins comme les golfes de Botnie, de Finlande et de Riga. Elle est quasiment fermée et reliée avec la mer du Nord par les détroits baltiques. Sa taille n’est que de la moitié de sa voisine à l’ouest (370 000 km2). L’échange d’eau avec la mer du Nord est limité. Comme la mer Baltique reçoit un afflux d’eau douce par des fleuves, son eau est saumâtre. La salinité est faible à l’extrême nord et monte progressivement vers le sud-ouest. Similaire à la température, la salinité connaît une forte variation saisonnière par suite des échanges avec la mer du Nord et les crues du printemps. Le gel hivernal produit une couverture de banquise s’étendant sur les extrêmes nord et dans les archipels. L’extension de la couverture de la banquise hivernale varie d’année en année. Avec le changement climatique qui est plus rapide vers le pôle Nord, celle-ci tend à se réduire. Cependant, cette couverture de la banquise qui diminue rend la navigation plus difficile quand les vents et les courants amassent des blocs de glace amoncelée, difficiles à briser. La mer Baltique est peu profonde, de 57 mètres en moyenne avec quelques creux isolés qui atteignent jusqu’à 459 mètres. Le relief est fortement accidenté, avec une topographie compliquée. La composition du fond est variable de roche et des sédiments de différentes qualités d’argile et de sable. La côte est suédoise ainsi que la côte ouest finlandaise sont caractérisées par des archipels. Les grandes îles sont stratégiquement placées : des îles d’Åland dans le nord, Gotland, Hiiumaa et Saaremaa vers le centre et Bornholm au sud-ouest. 

A la suite des deux guerres mondiales, de grandes quantités de munitions chimiques et explosives ont été rejetées dans ces deux mers. De plus, les fonds contiennent des dizaines de milliers de mines désamorcées et d’autres restes d’explosifs, certains datant de la première guerre du Schleswig de 1848, les plus récents remontant à la Guerre froide. Représentant une menace considérable pour l’environnement, pour la pêche et pour le transport maritime, les états côtiers se sont engagés à améliorer la situation sécuritaire et environnementale. Parmi les principaux fora se trouvent Helsinki Commission (HELCOM) et Oslo Paris Convention (OSPAR) pour la maîtrise environnementale, y compris la menace des munitions, de la mer Baltique et la mer du Nord respectivement. Outre ces deux fora, les États côtiers ont établi la Baltic Ordnance Safety Board (BOSB) pour l’analyse et le déminage de la mer Baltique.

En dépit du fait que la mer du Nord soit marquée par la pollution et des activités humaines intenses, elle garde une des plus hautes productivités halieutiques au monde. Pour le moment, la situation environnementale générale est stable, mais elle n’en est pas moins fragile. L’exploitation des stocks de poisson est tenable, mais à un niveau plus réduit qu’auparavant du fait d’un écosystème de plus en plus affaibli. La pollution, l’eutrophisation et une forte pression de pêche font de la mer Baltique l’une des plus atteintes, en dépit de plusieurs initiatives internationales pour régler la situation environnementale. Touchés par ces menaces combinées, les stocks de poisson de la mer Baltique ne cessent de diminuer.

Aspects économiques

Les deux mers connaissent un vaste spectre d’activités, les deux principales et plus anciennes étant l’exploitation de ressources halieutiques et l’utilisation comme route commerciale pour les matières premières des États riverains. La prospection des gisements d’hydrocarbures dans les fonds marins de la mer du Nord a commencé dans les années 1960. L’extraction a rapidement augmenté et est alors devenue une grande valeur économique, particulièrement pour la Norvège et le Royaume-Uni. 

Actuellement, outre l’exploitation de ressources pétrolières, plusieurs activités sont en lien avec l’extraction de réserves de gaz. Depuis février 2022 et l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, les intérêts économiques et sécuritaires se sont superposés. D’un coup, l’exploitation de toutes formes d’énergie des mers s’est accélérée : une forte expansion en éolien offshore ainsi que de nouveaux investissements en énergie hydrolienne et marémotrice comme des voies menant vers une plus grande autonomie européenne en production d’énergie et une décarbonation. Étant donné la faible profondeur, la construction de champs d’éoliennes fait l’objet de plusieurs initiatives pour une installation à grande échelle. De plus, les avancées technologiques créent de nouvelles capacités d’extraction des minéraux, particulièrement dans des régions riches et accessibles.

Les moyens de transfert d’information et d’énergie sont également importants, ceux-ci comprenant les câbles sous-marins de communication, les lignes d’électricité à haute tension ainsi que les oléoducs et gazoducs. Ces infrastructures critiques traversent les deux mers pour relier les États côtiers et les territoires au-delà, et nécessitent protection. Le réseau de câbles à fibre optique sous-marin permet la grande majorité des échanges numériques, indispensable pour la communication, pour l’économie comme pour une vaste gamme d’activités de la société moderne. 

Infrastructures sous-marines. Source : Örjan Wallers, Forces armées suédoises. Données de EMODNet (Cables en vert, hydrocarbures en rouge)

Étant donné que l’essentiel des échanges commerciaux mondiaux sont effectués par voie maritime, le trafic maritime dans les deux mers est intense. Depuis la région sont exportés des hydrocarbures et produits pétroliers, des minerais de métaux, des produits forestiers et des ressources halieutiques. Avec un important échange de commerce, les pays nordiques sont également dépendants d’importation et de « Just-in-time deliveries ». Les flux de trafic maritime sont particulièrement concentrés sur l’axe est-ouest par Kattegat vers la mer du Nord. 

 

Densité du trafic maritime. Source : Örjan Wallers, Forces armées suédoises. Données de Natural Earth

Bien que les deux mers soient principalement entourées par des États membres de l’OTAN et de l’Union européenne, elles sont également des zones de transit puisqu’elles sont pour la Russie le débouché vers l’Atlantique. Les ports dans la mer Baltique sont les seuls en Russie occidentale navigables toute l’année et ont jusqu’au déclenchement de la guerre en Ukraine constitué l’axe principal d’imports et exports de la Russie occidentale. Les sanctions occidentales ont eu pour conséquence de remplacer les pays européens par l’Inde, la Turquie et la Chine comme importateurs de pétrole et gaz russes. Les ports dans le Baltique servent maintenant des destinataires plus lointains, mais le flux reste stable. Au premier trimestre 2023, un quart des exportations russes de pétrole émanait des ports russes en mer Baltique. L’importance économique du commerce maritime reste considérable comme voie principale pour la Russie pour garder des flux financiers sous les régimes de sanction ainsi que pour relier l’exclave russe Kaliningrad surtout pour le matériel militaire. Par conséquent, la mer Baltique et la mer du Nord gardent actuellement une importance économique vitale pour la Russie. 

Néanmoins, la fonte de la banquise, une expansion des ports dans l’océan Arctique, ainsi qu’une réorientation des exportations vers l’Asie permettront à la Russie de réduire sa dépendance de la mer Baltique. Due à la caractéristique insulaire de la région, cette possibilité n’est pas ouverte aux autres États côtiers. Par conséquent, un déséquilibre pourra évoluer où la dépendance occidentale des liens maritimes de la mer du Nord par la mer Baltique jusqu’aux pays nordiques et baltes sera plus grande et donc plus vulnérable – pour le commerce, la subsistance et le renforcement militaire. À long terme, avec la substitution commerciale russe de la mer Baltique au profit de l’Arctique, la marge de manœuvre russe s’accroîtra. 

La dimension sécuritaire

Le délitement de l’ordre international et la dégradation de la situation sécuritaire générale a profondément affecté cette région clé, où les grandes puissances se font face. Contrairement à la Convention de Montreux pour le Bosphore, le Traité pour l’abolition des droits du Sund et des Belts de 1857 n’impose aucune limite sur le passage en mer Baltique de bâtiments de guerre sauf pour les sous-marins qui doivent refaire surface. En outre, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) accorde sous l’article 17 même aux navires d’État le droit au passage inoffensif à travers les eaux territoriales, à condition de ne pas engager des activités potentiellement menaçantes. Les acteurs enclins à contourner les règles ou à se servir de dispositifs asymétriques sous le seuil d’agressions armées abusent de ces libertés et exploitent la réticence occidentale à répondre à des actions non réglementaires. Comme le domaine maritime en général, les deux mers sont propices à des approches hybrides, étant donné le grand nombre d’installations facilement accessibles en surface, en combinaison avec les difficultés à surveiller et donc à attribuer ces évènements. Dans des eaux intenses en trafic et activités maritimes, sur comme sous la surface, les possibilités de dissimulation sont grandes, comme cela a été montré en septembre 2022 lors des sabotages des gazoducs Nord Stream. En 2021, un câble sous-marin a été déplacé dans la mer Norvégienne, non loin de la mer du Nord. En 2022, un des câbles de fibre optique vers le Svalbard, transmettant entre autres des données recueillies par satellites, a été rompu. Ces évènements ont tous été causés par des actions humaines, mais à ce jour sans attribution. Le 8 octobre 2023, une fuite a été détectée sur le gazoduc reliant la Finlande avec l’Estonie. Même si la cause a été établie avec certitude, une ancre traînée par le navire chinois Newnew Polar Bear, la présence d’un motif reste inconnue. Néanmoins, l’incident rappelle la vulnérabilité du système d’énergie européen et la crainte d’actions hybrides.

À l’exception de la Suède, en attente de ratification finale de sa procédure d’adhésion à l’OTAN, et de la Russie bien évidemment, tous les États côtiers et détenteurs de ZEE de la mer du Nord et la mer Baltique sont membres de l’OTAN. Cependant, la mer Baltique n’est pas un « lac otanien », comme elle est fréquemment et incorrectement qualifiée. Cette vision résulte d’un postulat selon lequel la situation actuelle dénierait complètement à la marine et à l’armée de l’air russe la possibilité d’influencer les évènements dans la région. Or, non seulement les activités militaires en dessous et au-dessus de la surface ont augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine en 2014, mais celles-ci se sont même accrues après le déclenchement de l’invasion de février 2022. En une dizaine d’années, la posture russe est passée d’une passivité à une présence projetée pour s’imposer à travers les deux mers et au-delà, exigeant une réponse active et équilibrée des Occidentaux. La Russie s’engage au quotidien dans des patrouilles continues, des manœuvres et des exercices de tir, surtout dans la mer Baltique, et pratique un marquage systématique des exercices occidentaux dans la zone. Cela a provoqué plusieurs incidents, notamment des approches risquées dans les airs comme en mer. À ceci s’ajoute le fait que des armes navales à longue portée comme le missile Kalibr peuvent toucher des cibles autour de la mer Baltique à partir de la mer Blanche, participant à une stratégie de déni d’accès et d’interdiction de zone (A2/AD).

Les conditions topographiques, géologiques et hydrologiques prises ensemble font des deux mers un environnement opérationnel difficile à maîtriser, surtout sous la surface. Les détroits et la faible profondeur les rendent particulièrement convenables pour la guerre de mines. Avec des munitions à guidage de précision modernes et la « capacité d’engagement coopérative » (Cooperative Engagement Capacity) permettant d’engager des cibles par détecteur et tireur séparés, les deux mers sont entièrement à portée de missiles depuis la côte. La présence de moyens d’action complémentaires fait de la mer du Nord, les détroits et la mer Baltique des lieux pour les stratégies A2/AD. Cependant, malgré des senseurs à haute capacité, le trafic maritime et le nombre d’installations industrielles rendent plus difficile la possibilité de distinguer des cibles légitimes et prioritaires parmi les activités inoffensives. Dans le cadre d’une crise ou d’un conflit en Europe du Nord, il serait probablement nécessaire pour les Occidentaux de renforcer les pays ayant une frontière avec la Russie et la Biélorussie. Une grande partie de ces renforts devront arriver par la mer Nord et la mer Baltique, nécessitant évidemment de fortes protections. Les détroits menant à la mer du Nord à partir de la mer Baltique jouent un rôle primordial et l’OTAN a un fort intérêt de les sécuriser. Par conséquent, il serait dans l’intérêt de la Russie de les fermer, ce qui risque de provoquer des actions préventives, surtout envers le seul État hors l’alliance : la Suède. L’importance des garanties de sûreté et des coopérations militaires, avec la France entre autres, ne peut donc pas être surestimée.

De plus, la faible profondeur invite à des actions menées contre les installations sous-marines comme à des opérations visant à surveiller ou cibler la surface à partir du fond. Cela rend particulièrement pertinent le constat que « celui qui maîtrisera les fonds aura un avantage certain sur toute la masse d’eau qui les recouvrent ». La Suède, à cheval entre la mer du Nord et la mer Baltique et jusqu’à nos jours hors d’alliances militaires, a historiquement profité de sa position géographique pour développer des compétences et des technologies singulières pour les opérations dans ces deux mers. L’agence suédoise de recherche pour la défense a depuis longtemps développé une compétence spécialisée dans le domaine sous-marin et en eau saumâtre en particulier. Par conséquent, la Suède a une production de senseurs, d’armes et de navires – y compris de systèmes sous-marins – avec des capacités uniques. Le domaine sous-marin est également une spécialité russe, en particulier par la Direction principale de la recherche en eaux profondes (« GUGI »). Celle-ci est considérée comme capable de mener des opérations pouvant mener à des ruptures des câbles et oléoducs sous-marins. Cette capacité et ses usages depuis la Guerre froide font de facto de la Russie la principale suspecte des nombreuses incursions sous-marines en Suède et en Finlande.

Moscou, agresseur en Ukraine, perturbateur de l’ordre international et coupable de nombreux actes d’agression internationale, maintient en dépit de sa guerre en Ukraine une importante capacité dans la région, avec la Flotte de la Baltique et ses forces armées basées dans le bastion de Kaliningrad et en Russie même. Indéniablement, ses forces terrestres paraissent réduites, mais les forces nucléaires maintiennent toujours la dissuasion et d’autres éléments militaires restent probablement capables de mener des opérations limitées. Le manque de succès sur le champ de bataille ukrainien risque d’ailleurs de pousser le régime russe à des actions encore plus irrationnelles, imprévisibles et téméraires, augmentant ainsi les menaces pesant sur la sécurité régionale.

De la nécessité de coordonner les stratégies

L’analyse ci-dessus donne une esquisse sur les enjeux multiples et juxtaposés, où les caractéristiques physiques, économiques et sécuritaires expliquent pourquoi les mers de l’Europe du Nord représentent des intérêts stratégiques. Au niveau international, l’OTAN représente ici un format de coopération militaire. L’Union européenne, union politique et supranationale d’après les compétences qu’elle porte sur les différents domaines concernés, rassemble une large panoplie d’instruments nationaux de pouvoir : diplomatiques, informatiques, militaires et économiques. Les interdépendances stratégiques et les exigences de la situation sécuritaire régionale face aux approches hybrides et aux menaces de guerre font de la sûreté maritime dans l’Europe du Nord un intérêt commun et urgent. Il est donc grand temps de coordonner ces stratégies sous le parapluie de la stratégie de la sûreté maritime de l’Union européenne (SSMUE). 

La Suède, ayant le plus long littoral et la plus grande ZEE de la mer Baltique, dispose d’une expertise singulière en eaux étroites comme dans le domaine sous-marin. Elle doit donc assumer une responsabilité particulière et un rôle central. La France y contribue depuis longtemps avec une présence navale, qu’elle a récemment augmentée, et a formulé la première stratégie des fonds marins du monde. La stratégie comprend une liste de partenaires clés, à laquelle je maintiens que la Suède devrait être ajoutée. Profitant d’avoir servi aux côtés de collègues français en missions extérieures, je suis convaincu qu’en approfondissant la coopération franco-suédoise, il serait possible de tirer parti des expertises complémentaires au bénéfice de la région entière par un engagement conjoint pour réaliser la stratégie de la sûreté maritime dans la mer Baltique et la mer du Nord.

Crédits photo : Pierlet T

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Peter Thomsson

Le Capitaine de frégate Peter Thomsson (Marine suédoise).

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