Cet article a été initialement publié en anglais par le Foreign Policy Research Institute le 22 Août 2023 sous le titre « Can West Africa Survive the Niger Coup ».
Le 26 juillet, une junte militaire a pris le pouvoir au Niger, arrêtant le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum, et suspendant la constitution. Quelques heures plus tard, des milliers de Nigériens, arborant des drapeaux russes et nigériens, sont descendus dans les rues pour exprimer leur soutien aux putschistes et demander la fin de la présence de la France dans le pays. Comme prévu, diverses organisations régionales et internationales, dont l’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les Nations Unies, ainsi que de nombreux pays, ont condamné le coup d’État et ont évacué certains de leurs ressortissants.
À la suite du coup d’État, la CEDEAO a émis la possibilité d’une intervention militaire contre la junte, a imposé des sanctions économiques et a coupé une partie de l’approvisionnement en électricité du Niger. Abdel-Fatau Musah, commissaire de la CEDEAO aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité, a déclaré que l’option militaire ne serait envisagée qu’en dernier recours, mais que des préparatifs seraient faits au cas où cela deviendrait nécessaire.
Bien que les véritables raisons du coup d’État demeurent floues, les putschistes ont avancé la mauvaise gouvernance, la pauvreté, ainsi que les campagnes militaires infructueuses contre l’insurrection djihadiste comme justifications. Au cours des dernières années, le nombre croissant de coups d’État en Afrique, en particulier en Afrique francophone, suscite de vives préoccupations pour le bloc ouest-africain quant à l’avenir de la démocratie dans la région.
Le Niger, avec une population de plus de 26 millions d’habitants, était un exemple prometteur de démocratie émergente dans la région. Il occupe une position stratégique cruciale pour les puissances occidentales dans leur lutte contre le terrorisme. Les États-Unis comptent environ 1 000 soldats américains stationnés dans le pays et la France possède une base militaire à Niamey et plusieurs postes avancés sur le territoire.
Malgré leurs vastes ressources naturelles, de nombreux pays d’Afrique francophone, dont le Niger, sont confrontés à des problèmes d’extrême pauvreté, de clientélisme et de corruption, et la population locale ne perçoit souvent pas les avantages de l’exploitation de leurs ressources naturelles. « Ils ont exploité toutes les richesses de mon pays comme l’uranium, le pétrole et l’or. Les Nigériens les plus pauvres ne peuvent pas manger trois fois par jour à cause de la France », a affirmé un homme d’affaires nigérien.
La réalité française non désirée face au mirage russe
Alors que de nombreux pays occidentaux ont condamné le coup d’État, la Russie s’est contentée d’exprimer des préoccupations concernant la situation au Niger. Dmitri Peskov, porte-parole du président russe, a déclaré : « Nous appelons à un rétablissement au plus vite de la légalité dans le pays, à la retenue de toutes les parties afin d’éviter d’en arriver à des pertes humaines ». Cependant, le soutien de la Russie à d’autres pays non démocratiques de la région, tels que le Mali et le Burkina Faso, remet en question cette déclaration.
Le récent sommet Russie-Afrique a montré clairement l’intention de la Russie de promouvoir ses intérêts sur le continent, en particulier en Afrique francophone. Bien que le nombre de pays participants ait été inférieur à celui du sommet de 2019, l’événement a tout de même souligné l’engagement de la Russie envers l’Afrique. Les objectifs de la Russie en Afrique de l’Ouest convergent avec ceux de ses alliés de la région : la fin de la présence française dans la région et son remplacement par la Russie. Les images montrant des drapeaux russes brandis lors des manifestations en faveur du coup d’État, ainsi que des drapeaux français brûlés récemment au Niger, et auparavant au Mali et au Burkina Faso, ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, et la Russie pourrait utiliser ces alliés afin d’atteindre ses objectifs.
La situation en Afrique francophone est préoccupante. Malgré soixante ans d’indépendance et la vente de milliards de dollars de ressources naturelles, la majorité de la population vit dans une pauvreté extrême, dépourvue de produits de première nécessité, comme l’électricité et une alimentation adéquate. Le chômage est endémique, et de nombreuses personnes ont été déplacées ou tuées lors d’attaques terroristes. Malheureusement, il n’existe pas de plan de développement clair en place capable d’insuffler de l’espoir et une vision d’avenir à la population. Le sentiment anti-français a pris de l’ampleur en raison de décennies de stagnation socio-économique, amplifié par le sentiment au sein de la population que leurs dirigeants leur sont imposés. Le soutien de la France à des régimes dynastiques douteux et son attitude méprisante à l’égard des préoccupations des Africains n’ont fait qu’alimenter ce ressentiment. Dans ce contexte, de nombreux Africains considèrent la Russie comme un allié plus fiable en raison de son soutien pendant la période de décolonisation et de l’incohérence perçue dans l’approche des pays occidentaux à l’égard des questions internationales. Cela inclut la condamnation de la Russie pour des violations des droits de l’homme tout en passant sous silence des transgressions similaires commises par leurs propres alliés, comme l’Arabie saoudite.
Toute forme de propagande, y compris la propagande russe, constitue une grave menace pour l’Afrique et ses aspirations à construire un continent fort, développé et moderne. La cause profonde de la vulnérabilité de l’Afrique aux ingérences extérieures réside dans l’incapacité de nombreux dirigeants africains à reconnaître l’importance de leurs responsabilités, à tracer un chemin clair pour le développement du continent sans dépendre de l’aide étrangère, et à s’opposer fermement aux règles et politiques internationales qui ne servent pas les intérêts de l’Afrique. Cela a conduit à une résurgence du sankarisme, qui prône une idéologie pragmatique panafricaniste et anti-impérialiste. Cette idéologie ne cesse de gagner du terrain, non seulement parmi la population civile, mais aussi parmi les militaires, prêts à risquer leur vie pour explorer des alternatives non démocratiques en vue de créer un avenir meilleur pour leur pays.
Le faux pas de la CEDEAO pourrait conduire à son implosion
La création de la CEDEAO en mai 1975 a été initiée par le général Yakubu Gowon, le chef de l’État nigérian, et Gnassingbé Eyadema, son homologue togolais. Ces dirigeants ont reconnu les avantages de l’intégration régionale. Depuis sa création, la CEDEAO a joué un rôle crucial dans la promotion de la stabilité, de la paix et de l’intégration économique dans la région. Elle a réussi à faciliter des pourparlers de paix pour résoudre des conflits, comme en Guinée-Bissau, et a également utilisé la force par le passé, notamment au Libéria et en Sierra Leone. Cependant, de nombreux Africains de l’Ouest perçoivent la CEDEAO comme un club de présidents dont les objectifs ne correspondent pas sincèrement aux aspirations des peuples.
La question des deux poids, deux mesures dans la gestion des coups d’État dans la région de l’Afrique de l’Ouest, qu’il s’agisse d’une prise de pouvoir militaire ou d’une « révolution de palais », est une question cruciale. La CEDEAO a décidé de recourir à la force militaire au Niger si les efforts diplomatiques échouent dans la réinstauration du président démocratiquement élu. Bien que cette décision puisse sembler noble, elle pourrait également potentiellement conduire à son implosion. De plus, la position du Mali et du Burkina Faso, qui considérent toute intervention militaire contre le Niger comme une déclaration à leur encontre, met en lumière non seulement la fragilité de l’union, mais aussi les visions politiques divergentes au sein de l’union.
Actuellement, deux groupes s’affrontent au sein de cette entité régionale. Le premier groupe est composé de dirigeants anti-coup d’État, pro-occidentaux, mais pas véritablement démocrates. Il est principalement constitué de civils élus, tels que les présidents du Nigeria et de la Côte d’Ivoire. Le deuxième groupe est composé de panafricanistes pro-russes et principalement de jeunes soldats, comme les chefs des juntes au Mali et au Burkina Faso. Ces derniers semblent bénéficier d’un plus grand soutien au sein de la population de leurs pays respectifs. L’issue de la décision de la CEDEAO de recourir ou non à une action militaire aura des conséquences significatives sur la stabilité de la région.
Le refus des putschistes au Niger de rendre le pouvoir à Bazoum et la décision de la CEDEAO d’utiliser la force militaire pourraient conduire à la scission de l’organisation régionale en deux entités. Une fédération regroupant le Mali, le Burkina Faso, le Niger et éventuellement la Guinée pourrait émerger, défiant les membres restants de la CEDEAO. Cette option pourrait entraîner davantage d’instabilité et aggraver les souffrances des populations de la région. Cependant, si la CEDEAO décide de ne pas intervenir militairement, le Mali et le Burkina Faso pourraient gagner davantage d’influence dans la région, et malheureusement, d’autres coups d’État pourraient suivre. Il s’agit d’un dilemme que la CEDEAO doit résoudre.
Pour regagner véritablement la confiance des Africains de l’Ouest, la CEDEAO doit comprendre la nouvelle réalité politique actuelle dans certains de ses États membres. Au lieu d’être utilisée par des nations puissantes et par des présidents qui craignent d’être victimes de coups d’État à l’avenir en raison de la mauvaise gouvernance dans leurs pays, la CEDEAO devrait donner la priorité au dialogue et aux approches pacifiques au Niger, et se demander qui bénéficiera de l’intervention militaire, de la mort de milliers d’Africains et d’une éventuelle dissolution de l’union. Transformer le Niger en une sorte d’Ukraine avec des combats entre pro-Russes et pro-Occidentaux n’est pas la solution.
Conclusion
L’Afrique de l’Ouest est confrontée à divers défis qui entravent son développement et sa stabilité, notamment l’instabilité politique, le terrorisme, des élections pseudo-démocratiques, le changement climatique, le chômage des jeunes et un ressentiment généralisé envers les pays occidentaux, en particulier la France. La réponse de la CEDEAO à toute crise devrait privilégier les intérêts des populations plutôt que les caprices des dirigeants. Une CEDEAO démocratique devrait œuvrer à résoudre les problèmes de sa population plutôt qu’à en créer de nouveaux. La CEDEAO ne devrait accepter ni les coups d’État militaires ni les changements inconstitutionnels. Tant que la CEDEAO ne résoudra pas les défis qui sapent sa crédibilité aux yeux de ses citoyens, les méthodes plus violentes pour provoquer le changement persisteront. L’Afrique évolue, et les populations africaines francophones en ont assez de vivre dans l’extrême pauvreté depuis des décennies. Les États-Unis devraient agir intelligemment pour promouvoir les objectifs de stabilité régionale en Afrique de l’Ouest.
Le Niger est un pays indépendant et souverain, tout comme l’Ukraine. Le pays appartient à son peuple, et non à une autre nation ou institution internationale. Pour aborder la situation au Niger, la communauté internationale doit adopter une approche constructive et diplomatique. Une solution digne peut être recherchée par la diplomatie, par exemple en établissant un calendrier de résolution de la crise en quatre étapes, dirigé par une équipe à moitié militaire et à moitié civile, avec une période de transition d’un an. Les quatre étapes, après la courte période de transition, comprendront une nouvelle élection présidentielle sans la candidature du leader du coup d’État, un référendum sur la présence de troupes militaires étrangères dans le pays, une conférence pour fournir une aide financière et sécuritaire aux Nigériens avec la participation des partenaires internationaux, et enfin, une réconciliation nationale pour promouvoir la paix et l’unité. La durée des quatre étapes devrait être décidée par les Nigériens (acteurs politiques, militaires, religieux, et de la société civile), la CEDEAO et les partenaires internationaux choisis par les Nigériens.
Les menaces, les sanctions et les fermetures de frontières sont contre-productives, et les interventions militaires de la CEDEAO pourraient ne pas produire les résultats escomptés. De telles actions pourraient nourrir le sentiment anti-français et favoriser les points de vue pro-russes au Niger et au-delà. Plutôt que d’adopter une approche conflictuelle, la CEDEAO devrait analyser les causes sous-jacentes des récents coups d’État et comprendre pourquoi de nombreuses personnes dans les pays concernés soutiennent les auteurs de ces coups. L’organisation régionale doit reconsidérer sa position et collaborer avec les populations d’Afrique de l’Ouest, y compris les élites, la société civile et l’armée, pour créer une nouvelle vision de la démocratie et de la prospérité pour tous. Sinon, la CEDEAO risque de perdre sa légitimité et de disparaître dans les années à venir.
Crédit photo : Foreign Policy Research Institute
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