La Russie peut-elle gagner la guerre en Ukraine ?

Le Rubicon en code morse
Nov 22

Abonnez-vous

La question ne laissait pas de place au doute en février 2022, compte tenu des longs préparatifs des unités et du volume de forces massé sur la frontière, de l’inventaire militaire et des capacités de mobilisation russes, le tout présentant un rapport de forces extrêmement favorable à la Russie. Même le président du comité des chefs d’état-major américain ne donnait pas plus de quelques semaines à l’Ukraine avant que sa défense ne s’effondre. L’objectif de Moscou était clairement de décapiter le régime en place à Kyiv, en submergeant les défenses ukrainiennes au moyen d’une offensive à axes multiples. L’affaire devait être enlevée par une guerre éclair empêchant toute réaction des Occidentaux, afin de mettre en place un régime fantoche entièrement inféodé à la Russie et de rallier les russophones ukrainiens. Pourtant, la résistance acharnée des Ukrainiens démontra que l’issue du conflit n’était pas inéluctable, ce qui déclencha un soutien concret de la part des Occidentaux : fourniture d’armements et de munitions, soutien financier, imposition d’un train de sanctions jamais égalé jusqu’alors et renoncement aux hydrocarbures russes. Tout cela devait permettre à l’Ukraine de continuer à encaisser les coups, tout en évitant une montée aux extrêmes qu’une implication directe des armées de l’OTAN pourrait provoquer.

 

Des résultats en demi-teinte

Aux cris de « l’Ukraine se bat pour sa liberté, mais aussi la nôtre », ce schéma d’union sacrée tint bon pendant toute l’année 2022 et une bonne partie de 2023, en dépit des tensions causées par l’interruption de la fourniture de gaz russe, et malgré l’inflation dans des économies qui peinaient encore à se remettre du COVID. L’Union européenne se démena pour trouver des sources d’énergie alternatives, avec son plan de Re-Power EU, et les crises sociales tant redoutées n’eurent finalement pas lieu, même si la grogne restait présente. En somme, en dehors du trublion hongrois, toute l’UE constituait un bloc uni face à l’agresseur russe et se félicitait d’avoir enfin pris la réalité géopolitique à bras le corps. Quant à l’OTAN, toutes les mesures prises au cours des huit années précédentes lui permirent de se mettre en posture défensive renforcée dès les premiers instants du conflit. Les déboires initiaux russes, leur échec à s’emparer de la capitale et à éliminer le gouvernement ukrainien, leurs erreurs tactiques de débutant, les exactions commises par leurs soldats, la violation flagrante du droit international, tout cela ne pouvait que conforter les dirigeants occidentaux dans leur soutien inébranlable à l’Ukraine.

Ainsi, les déclarations se succédaient aussi bien à l’OTAN qu’à l’UE pour réitérer les promesses faites à l’Ukraine depuis 2008, soulignant qu’elle était destinée à faire partie de ces deux organisations, avec toutefois une réserve : quand le moment viendrait. Tous saluaient le leadership formidable du président ukrainien, les réformes qu’il promettait d’entreprendre pour se mettre au niveau des standards exigés. Tous avaient tendance à minimiser la corruption endémique qui avait par le passé empêché l’adhésion de l’Ukraine dans ces deux forums. Nécessité faisait loi, il fallait empêcher la Russie de gagner si on voulait conserver un semblant de stabilité en Europe et ne pas récompenser l’agression russe par la passivité européenne comme bien souvent par le passé, que ce soit en Géorgie en 2008, ou déjà en Ukraine en 2014. Par conséquent, le soutien à l’Ukraine allait de soi, même s’il exigeait quelques sacrifices économiques et commerciaux.

Pourtant, l’Occident n’a toujours pas réussi à obtenir une condamnation sans équivoque par la communauté internationale dans son ensemble. La dénonciation de l’agression et des crimes de guerre russes est loin d’être unanime, comme l’avait déjà démontré l’issue des votes aux Nations Unies, et l’imposition de sanctions l’est encore moins. Nombre de pays du Sud global, incités en cela par la Chine, refusent de prendre position et voient dans ce conflit une affaire purement occidentale. Nombre d’entre eux étaient déjà clients de Moscou pour l’énergie, l’armement et les céréales avant la guerre et ne voient pas leur intérêt à soutenir des Occidentaux affaiblis par une succession d’échecs : la crise financière en 2008, la guerre globale contre le terrorisme qui n’a fait que déstabiliser le Moyen-Orient, ouvrant la voie à Daesh, l’intervention de vingt ans en Afghanistan avec des moyens colossaux qui se termine par une évacuation honteuse et la gestion égoïste de la réponse à la crise du COVID, pour n’en citer que quelques-uns.

Par conséquent, les sanctions économiques n’ont pas l’effet escompté, puisqu’elles ne sont pas appliquées par toute la communauté internationale. Et la propagande russe clame haut et fort que le temps n’y changera rien, en dépit des déclarations optimistes occidentales. Les faits semblent lui donner raison : elle a certes perdu ses débouchés économiques en Europe, mais s’est résolument tournée vers l’Asie pour écouler ses hydrocarbures, la Chine et l’Inde devenant ses principaux clients, même si elles lui imposent des prix plus bas. Les céréales russes continuent à être exportées vers le Sud grâce à la médiation d’une Turquie – membre de l’OTAN – qui joue sa propre partition dans la région. Le seul secteur qui pourrait souffrir d’un certain ralentissement est celui des exportations d’armements : le matériel est utilisé en priorité par l’armée russe, il n’a pas démontré des qualités extraordinaires au feu, il va souffrir de l’embargo occidental sur les composants avancés, et il semble bien que le complexe militaro-industriel russe ne soit pas en mesure de faire face à la demande de l’armée, d’où les achats de drones iraniens ou d’obus nord-coréens. Mais l’effondrement de l’économie russe n’a pas eu lieu, ou s’il a lieu, n’a pas de conséquences visibles, du moins à court terme.

 

Les premières fausses notes

Aujourd’hui, après vingt mois de guerre, la question de la possibilité d’une victoire russe se pose à nouveau. En effet, en dépit des multiples déclarations de soutien au pays agressé, en dépit de nombreuses manifestations d’unité occidentale, force est de constater que quelques fausses notes viennent perturber l’harmonie générale.

La propagande russe ne parvient cependant pas à masquer l’absence de succès des forces russes sur le champ de bataille. Tant que l’Occident continuera à fournir de l’armement moderne, l’Ukraine pourra continuer à résister et à empêcher une victoire russe. Ce soutien est donc indispensable. Mais les premiers accrocs à l’union sacrée commencent à apparaitre. La Hongrie n’a jamais été en faveur d’un soutien absolu à l’Ukraine, mais était forcée de suivre l’élan général de l’Union. Or, depuis quelques mois, certains autres pays de l’UE renâclent, à commencer par la Pologne. Pourtant, elle a accueilli un nombre impressionnant de réfugiés et s’est posée comme le chantre inconditionnel d’un soutien à l’Ukraine, fournissant armes et munitions, forçant la main aux autres Européens, tenant un discours intransigeant vis-à-vis de la Russie. C’est sur la question de l’exportation des céréales ukrainiennes qu’achoppe le soutien polonais.

En effet, les céréales ukrainiennes ne pouvaient plus être exportées via la mer Noire du fait du blocus russe. Dès le printemps 2022, il fallut donc trouver d’autres voies d’exportation via les pays voisins, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie. Entre-temps, un accord de transit parrainé par l’ONU et la Turquie avait certes été trouvé en juillet 2022 pour que les navires chargés de céréales puissent à nouveau emprunter la voie maritime, permettant le déblocage de 33 millions de tonnes de céréales, ukrainiennes comme russes. Mais cet accord restait extrêmement dépendant du bon vouloir russe, et d’ailleurs Moscou  décida de le suspendre en juillet 2023.  La voie terrestre restait donc la plus sûre, mais les céréales ukrainiennes étaient beaucoup moins chères et risquaient de déstabiliser le marché intérieur des pays voisins et de concurrencer la production locale. En avril 2023, ces pays décidèrent d’un embargo sur l’importation des céréales ukrainiennes, mesure soutenue par la Commission européenne dans un souci d’apaisement, à la condition qu’elle n’entrave pas le transit vers d’autres pays et qu’elle ne dure que quatre mois. L’objectif de la Commission était d’une part de fournir une rentrée d’argent à l’Ukraine, d’autre part de permettre l’exportation de ces céréales vers les pays du sud en luttant ainsi contre la désinformation russe qui accusait les sanctions occidentales d’être la cause de la crise alimentaire.

À l’issue du délai, la Commission recommanda d’autoriser à nouveau l’importation des céréales ukrainiennes, les prix étant à présent stabilisés, mais les autorités polonaises – en pleine campagne électorale – refusèrent, arguant du fait que la protection des agriculteurs polonais passait avant toute directive bruxelloise. En réponse au refus polonais, l’Ukraine a porté l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce, le 18 septembre 2023. La situation s’envenima et les deux présidents ukrainien et polonais firent éclater le différend au grand jour, lors de l’assemblée générale des Nations Unies, le 19 septembre. Le lendemain, la Pologne annonça la suspension des livraisons d’armes à l’Ukraine, en pleine contre-offensive ukrainienne dans le Donbass, provoquant la stupeur au sein de l’Union européenne. Un accord est finalement trouvé le 3 octobre, permettant le transit via la Pologne vers la Lituanie, mais le mal est fait.

Les tensions entre les deux pays alimentent la propagande du Kremlin, qui se régale encore davantage du résultat de l’élection slovaque remportée par le prorusse Robert Fico, mettant fin à l’isolement de la Hongrie, dont les prises de position contre les sanctions à l’égard de la Russie sont bien connues. Enfin, le Kremlin place beaucoup d’espoir dans le résultat de l’élection américaine de 2024 : si Trump ou l’un de ses sympathisants accède au pouvoir, rien ne garantit la poursuite des livraisons d’armes américaines. Et si les Américains ne livrent plus d’armes et de munitions, c’en est fini de la résistance ukrainienne, car les Européens, seuls, seront bien incapables de prendre le relais, leurs stocks en propre étant déjà dramatiquement vides et mettront longtemps à être recomplétés, en dépit des décisions de la Commission visant à la fois à approvisionner l’Ukraine et à reconstituer les stocks européens.

 

L’impact de la guerre entre Israël et le Hamas

L’attaque terroriste perpétrée par le Hamas en Israël, le 7 octobre, et la riposte massive israélienne sur la bande de Gaza viennent ajouter à l’incertitude concernant ce soutien futur. Les États-Unis et plusieurs puissances européennes ont immédiatement déclaré leur soutien absolu à Israël, qui se traduit pour les Américains par des livraisons massives d’armes et de munitions. Le conflit reste pour le moment contenu entre Israël et la bande de Gaza, avec quelques tirs de roquettes depuis le sud du Liban ou le Golan, mais la situation risque de se dégrader encore davantage en fonction de l’évolution de la campagne israélienne, qui d’aérienne, est devenue terrestre. En effet, l’Iran pourrait alors décider de laisser le Hezbollah libanais appuyer le Hamas, ce qui forcerait Israël à se battre sur deux fronts et provoquerait un effondrement total du Liban, dont la gouvernance et l’économie vacillent déjà au bord du gouffre. Les États-Unis pourraient alors être entrainés dans une intervention militaire contre l’Iran, déclenchant un embrasement généralisé de la région. La propagande russe exploite cyniquement la situation, blâmant l’Occident pour son incapacité à régler les crises du Moyen-Orient qu’il a lui-même créées. Le Kremlin espère ainsi à la fois détourner l’attention des publics occidentaux de la guerre en Ukraine tout en continuant à nourrir les sentiments anti-occidentaux du Sud global. Le président ukrainien, invité au Siège de l’OTAN le 11 octobre, à l’occasion de la ministérielle défense, ne s’y trompe d’ailleurs pas, saisissant toutes les occasions pour rappeler que son pays a absolument besoin de l’aide occidentale.

Les massacres abjects perpétrés par le Hamas viennent aussi brutalement rappeler à une OTAN entièrement focalisée sur la défense collective contre l’agresseur russe potentiel que la menace terroriste n’a pas disparu. Certes, la stratégie militaire de l’OTAN identifie bien deux menaces, la Russie et les groupes terroristes, mais les développements en Ukraine depuis 2014 et la fin des opérations en Afghanistan avaient fait passer la menace terroriste au second plan, tous les efforts étant consacrés au renforcement de la défense de l’Europe et des voies transatlantiques. Même si la gestion et la prévention des crises sont l’une des trois composantes de la défense collective, aux côtés de la coopération avec les partenaires et de la posture de dissuasion et de défense, c’est bien cette dernière qui focalise toute l’attention dans le contexte de la guerre en Ukraine. Mais la dégradation au Moyen-Orient pourrait bien remettre la première composante au goût du jour. Dans le contexte actuel, il est peu probable que l’OTAN envisage une opération de gestion de crise, mais la situation a un impact sur la posture de dissuasion en ce qu’elle pourrait détourner l’attention et les moyens américains.

 

Les jeux ne sont pas faits

En tout cas, la Russie n’a pas encore perdu. Son économie tourne toujours, sa société continue de vaquer à ses occupations, sa stature internationale n’est pas dégradée, au contraire comme le prouve l’évolution de la situation au Sahel, où elle parvient à évincer l’influence française. De manière habile, elle a semé le doute dans les esprits en prétendant qu’elle ne faisait que répondre à une agression occidentale qui durait depuis la chute de l’URSS, et que l’Ukraine était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase, qu’il fallait impérativement reprendre le contrôle de sa sphère d’influence pour une question de sécurité nationale. Comme l’a démontré son action en Syrie, elle se pose en défenseur de ses alliés, contrairement aux Américains, qu’elle accuse d’être responsables de la déstabilisation au Moyen-Orient.

Mais l’absence de victoire décisive ne passe évidemment pas inaperçue sur la scène internationale, même si l’opinion russe est sans doute davantage victime de la propagande du Kremlin. Un séisme politique interne au pays, sous la forme d’un soulèvement populaire ou d’une révolution de palais est donc très improbable, la population russe continuant à soutenir la guerre, ou du moins à se taire, toute velléité de protestation pouvant être jugulée rapidement par l’appareil sécuritaire. Les Russes qui ont pu fuir leur pays l’ont fait au début du conflit et lors de la mobilisation partielle. Ceux qui restent n’ont pas de solution alternative. Il ne faut donc pas compter sur un soulèvement populaire. Quant à un coup d’État militaire, on a bien vu comment la rébellion de Wagner a avorté en moins de 24 heures. Les lourdes pertes subies par l’armée russe ne serviront pas non plus de déclencheur : traditionnellement, pour le pouvoir russe et le grand commandement, ce sont là des sacrifices nécessaires et somme toute modiques et la masse finira par faire la différence par rapport aux Ukrainiens. Ceci dit, les volontaires n’affluent pas non plus et c’est pourquoi Moscou vide les prisons et reprend le contrôle des sociétés militaires privées. Mais il n’en demeure pas moins qu’il y a davantage de soldats côté russe que côté ukrainien.

La Russie ne gagnera pas non plus, dans le sens où elle ne pourra pas s’emparer de l’Ukraine. Mais une victoire militaire totale provoquant l’écrasement des forces armées ukrainiennes n’est de toute façon plus son objectif, car elle a réalisé que ses ressources ne le lui permettront pas. C’est donc sur un pourrissement de la situation qu’elle table : elle peut continuer à alimenter le front en soldats qui même inexpérimentés et mal entrainés useront à la longue une armée ukrainienne aux ressources plus limitées. Elle continuera aussi les bombardements indiscriminés de cibles civiles afin démoraliser la population et de la pousser à forcer le gouvernement ukrainien à la négociation. Dans celle-ci, le Kremlin espère sans doute conserver la Crimée et une grande partie du Donbass, car il s’estimerait en position de force, conforté dans ce sentiment par une contre-attaque ukrainienne qui culmine et des positions qui vont se figer avec l’hiver. Donc, même si elle n’a pas réussi à imposer un changement de régime à Kyiv ou à s’emparer de tout le pays, la Russie sera au moins parvenue à retarder l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE. Faire durer le conflit jusqu’à en lasser les Occidentaux, voire les Ukrainiens eux-mêmes, est sans doute la méthode retenue par Moscou, avec pour objectif de neutraliser l’Ukraine et de mettre ainsi un terme à l’expansion occidentale dans la sphère d’influence russe.

 

L’Occident doit persévérer

Faute d’un réservoir de soldats aussi grand que celui de la Russie, l’Ukraine doit compenser avec du matériel technologiquement plus avancé que celui de la Russie. Le soutien occidental à l’Ukraine doit donc impérativement se poursuivre, et cette solidarité doit se traduire à la fois par la poursuite des livraisons de matériel militaire (et c’est surtout les États-Unis qui seront à la manœuvre), mais aussi par l’imposition de sanctions de plus en plus ciblées et lourdes (et là c’est l’Union européenne qui a un rôle essentiel à jouer), qui seront la réponse au pourrissement de la situation voulu par le Kremlin.

En effet, en dépit de la désinformation et de la propagande russes qui manipulent les chiffres, rendant difficile toute analyse en profondeur de son économie, les sanctions fonctionnent, mais leur effet n’est jamais immédiat. Selon le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, le PIB russe aurait subi un recul entre 2 % et 3,9 % pour 2002, les prévisions pour 2023 retenant une hypothèse allant de 3 % à 5% supplémentaires. Il s’agit de bien comprendre l’objectif des sanctions qui est de gêner l’effort de guerre russe et pas du tout de provoquer un changement de régime ou un effondrement total de l’économie russe, deux résultats qui ne feraient qu’accroitre l’instabilité et les risques. Le deuxième objectif, poursuivi par Washington, est d’affaiblir le secteur des hydrocarbures russes en le privant de la technologie de pointe dont il aurait besoin pour exploiter les gisements en Arctique, et dont seuls les États-Unis disposent. Si le régime russe ne parvient pas à faire exploiter les gisements de l’Arctique, la part mondiale des hydrocarbures russes pourrait passer de 30 % à 15%, ce qui priverait la Russie d’un énorme revenu.

Avec la complicité de la Chine, qui se garde cependant de fournir une aide trop visible de crainte de tomber aussi sous le coup des sanctions, la Russie propose un modèle de gouvernance alternatif à celui mis en place en 1945. Dans ce modèle, les sphères d’influence et l’usage de la force retrouvent toute leur dimension dans le règlement des conflits, et cette idée peut séduire nombre d’autocrates et de dictateurs de par le monde, alors même que l’idée de démocratie n’est plus aussi attractive que par le passé. Si la Russie gagne la guerre en Ukraine, cette victoire validerait ce nouveau système. Et elle ne peut gagner que si l’aide occidentale à l’Ukraine se tarit. Si cela devait arriver, ce serait un discrédit total jeté sur l’Europe et de manière plus générale sur l’Occident. Les États-Unis conserveront une influence planétaire, même si la Chine se pose en rival crédible. Mais pour l’Europe, il ne sera plus question de pouvoir tenir un rang significatif dans ce monde de sphères d’influence, puisqu’elle aura démontré son incapacité à défendre son propre voisinage et ses propres valeurs. Elle aura affiché au grand jour qu’elle est certes un géant économique – même si la Chine lui dame le pion – mais qu’elle reste un nain politique méprisable.

Si Moscou devait obtenir gain de cause dans le conflit, la menace russe en Europe ne serait pas écartée, ce qui aurait deux conséquences. D’abord, les Européens devraient continuer à compter sur les Américains pour accomplir la tâche de défense de leur continent, et ne pourraient donc toujours pas s’émanciper de cette tutelle. D’autre part, la menace persistant, les moyens militaires devraient continuer à être dédiés en priorité à la tâche de la défense de l’Europe plutôt que de servir à la défense des intérêts européens à l’extérieur. Ces deux conséquences empêcheraient l’Union européenne de développer une véritable autonomie stratégique.

 

Photo : Aleksandr Golubev

Auteurs en code morse

Olivier Rittimann

Général (2s) Olivier Rittimann. Après ses années de temps de troupe au sein de la Légion étrangère, le général de corps d’armée Rittimann a eu une seconde partie de carrière marquée par l’international, principalement dans des fonctions et à des postes au sein de l’OTAN (à Paris, Heidelberg, Bruxelles, Brunssum et Mons). Il a occupé en particulier le poste de représentant militaire français au SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe, grand quartier général des puissances alliées en Europe), de chef d’état-major du commandement interallié de Brunssum et de vice-chef d’état-major du SHAPE. Il a commandé le collège de défense de l’OTAN, à Rome, de 2020 à 2023 et fait à présent partie de l’équipe des Senior Mentors au profit des exercices de l’OTAN.

Suivez-nous en code morse