L’Iran et la Russie sont-ils vraiment des alliés ? Cette interrogation, aussi sensible qu’actuelle, trouve des éléments capitaux de réponse dans le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine, particulièrement depuis février 2022. Elle est également révélatrice d’une évolution plus large de la scène internationale, à savoir la recomposition stratégique de celle-ci en plusieurs pôles de puissance, où ne domineraient plus seulement l’Europe de l’Ouest et les États-Unis d’Amérique.
Depuis le début des années 2000, l’ascension fulgurante de la Chine comme première puissance économique mondiale et rivale des États-Unis se fait incontestable, autant que le réengagement russe de l’arène internationale depuis la fin du moment unipolaire américain après l’invasion de l’Iraq de 2003. À cela s’ajoute la fin de la recherche de fréquentabilité par l’Iran en direction de l’Europe et des États-Unis, après la sortie américaine du JCPOA, l’Accord sur le nucléaire iranien, officialisée par la déclaration du président Donald Trump le 8 mai 2018. De là, moult analystes et médias avancent la matérialisation d’un « axe Pékin-Téhéran-Moscou » qui constituerait même une « anti-hégémonie », scénario catastrophe selon Zbigniew Brzeziński, conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter. Cet « axe » ou alliance tripartite se matérialiserait d’autant plus que le 4 juillet 2023, l’Iran devient membre à part entière de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), organisation internationale de coopération économique et politique créée entre autres par la Chine et la Russie, ou encore par l’adhésion de l’Iran au BRICS (devenu depuis BRICS+) au 1er janvier 2024, sommet international semblant faire miroir avec le G7. Autant d’éléments semblant consolider un « Sud Global », réunissant tous les pays fustigeant la perception d’un impérialisme ou d’une prééminence auto-conférée sur la scène internationale de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord, c’est-à-dire de l’« Occident ».
La guerre russo-ukrainienne, exacerbée depuis le 24 février 2022, aurait alors dû offrir l’incontestable matérialisation de cet « axe Pékin-Téhéran-Moscou », ces États étant dépeints comme à la recherche permanente du rétablissement de leurs empires respectifs. La guerre Russie-Ukraine représente alors un test en conditions réelles de cet « axe », et plus spécifiquement de la relation Russie-Iran. S’agit-il d’États alliés, de solides partenaires ou plutôt de puissances aux intérêts momentanément compatibles, voire de compagnons d’infortune de la scène internationale ?
Cet article analysera la perception iranienne du conflit russo-ukrainien depuis 2022, mais aussi le rôle de Téhéran dans celui-ci. Il étudiera également son positionnement par rapport à cette guerre, ainsi que les conséquences internationales induites. Sur le plan discursif et diplomatique, l’Iran s’est ainsi montré en retrait et peu enclin à imputer une quelconque faute de principe à la Russie, mais a plutôt argué d’une responsabilité américaine dans l’embrasement de l’Europe de l’Est, tout en appelant à cesser les hostilités en cours. Sur le plan économique, un rapprochement notable se fait montre entre Téhéran et Moscou depuis le début de la guerre, bien que subsistent de réels freins à une coopération poussée. Sur le plan stratégique enfin, l’Iran tire profit du progressif isolement de la Russie mais ne semble pas pressé de s’immiscer plus en avant dans le conflit, les États-Unis et l’Ukraine évoquant pour leur part une cobelligérance iranienne dans la guerre. Autant d’éléments semblant conduire à une conclusion indubitable : la guerre russo-ukrainienne se révèle être un test politique et stratégique peu concluant pour l’ « axe Pékin-Téhéran-Moscou ».
La guerre Russie-Ukraine vue d’Iran : le renforcement d’un narratif incriminant les États-Unis
Dès le début de la guerre de février 2022 en Ukraine, le Guide suprême de la Révolution islamique Ali Khâmenei (premier et principal pôle de pouvoir dans la République islamique) occulte toute imputabilité du conflit à la Russie. L’Iran n’évoque jamais la responsabilité russe ou l’attaque armée initiale de Moscou sur le territoire ukrainien comme facteur explicatif du conflit. Téhéran se tient strictement à une position diplomatique et politique où n’est jamais évoquée une quelconque faute russe et se garde de parler d’ « agression », d’ « attaque russe » ou de « guerre ». À cet égard, une déclaration de la mission permanente de l’Iran auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU) du 12 octobre 2022 se révèle particulièrement éclairante en ce qu’elle met en lumière la position d’équilibriste et glissante qui est sienne : appeler à la résolution d’un conflit qu’elle ne saurait nommer expressément, pour ne pas avoir à admettre l’indubitable attaque armée russe du territoire ukrainien. Cette déclaration auprès de l’ONU n’emploie que la terminologie de « crise en Ukraine » ou de « conflit en Ukraine », sans employer une seule fois les mots « Russie » ou « russe », invisibilisant complètement cet État dans le conflit qui l’oppose à l’Ukraine, pour parler de « guerre » seulement dans des déclarations bien postérieures. Cette posture iranienne s’est également incarnée le 2 mars 2022 lors de la 11e session d’urgence spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies, où Téhéran (comme Pékin) s’abstient de voter une résolution non contraignante condamnant l’attaque russe en Ukraine, sans pour autant voter contre ladite résolution (à l’instar de Damas, Minsk ou Pyongyang).
À l’inverse, prolixes et régulières sont les déclarations iraniennes accusant sans détour les États-Unis d’avoir causé cette « crise ». Le 1er mars 2022, soit à peine une semaine après le début du conflit actuel, l’Ayatollah Khâmenei affirme explicitement que « la racine de la crise en Ukraine se trouve être les politiques américaines », le « régime américain se nourrissant de crises qu’il crée ». Pointant du doigt un certain impérialisme occidental, l’Iran évoque un objectif belligène américain, à savoir l’élargissement de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et l’accroissement de l’endiguement de la Russie. Créée en 1949 à l’initiative des États-Unis, c’est-à-dire durant la Guerre froide, cette organisation internationale avait pour but de créer une alliance militaire défensive. La protection du territoire européen et nord-américain en était l’objectif affiché, contre la crainte de l’expansionnisme soviétique en pratique. Si la fin de la Guerre froide, la dislocation de l’URSS en 1991 et l’effondrement successif de la Russie auraient de facto vidé de son sens la mission initiale de l’OTAN, celle-ci s’est paradoxalement maintenue et même renforcée. Le 9 juillet 1997 une commission OTAN-Ukraine est même créée, et la relation stratégique de l’organisation avec Kiev se matérialise régulièrement à travers des exercices militaires conjoints, à l’instar des exercices navals Sea Breeze 2021 en mer Noire le 28 juin 2021. Prolongeant la position russe, en vertu de laquelle le président Vladimir Poutine déclarait le 30 novembre 2021 que Moscou réagirait si Kiev franchissait une « ligne rouge » dans son rapprochement avec l’OTAN, Téhéran impute exclusivement la responsabilité du conflit en Ukraine aux États-Unis (et plus largement aux « politiques occidentales ») et à la perception d’un élargissement invétéré de l’OTAN. La presse iranienne n’hésite pas à qualifier la guerre Ukraine-Russie de conflit proxy États-Unis-Russie, reprenant astucieusement un vocable lui étant usuellement affublé, à propos de son réseau d’influence au Moyen-Orient. L’Ayatollah Khâmenei va même jusqu’à avancer que les États-Unis seraient les premiers bénéficiaires de la guerre en Ukraine du fait de ventes d’armes à celle-ci, leur ôtant toute envie de voir une issue rapide à ce conflit dont le peuple ukrainien paye le prix.
Sur le plan discursif et politique, l’Iran crée ainsi un narratif qui renverse le discours usuel en Europe et en Amérique du Nord sur le conflit Russie-Ukraine, à savoir l’accent mis sur l’attaque armée initiale de la Russie comme seul facteur explicatif du conflit. Ce renversement complet de perspective lui permet, non seulement d’épargner la Russie de toute reconnaissance de faute, mais aussi de renforcer un discours plus large en vertu duquel les États-Unis seraient décadents et créateurs de crises internationales. Ce premier aspect semblerait aller dans le sens d’un « axe » cohérent et solidaire, faisant bloc face à un adversaire commun que serait Washington et ses alliés.
L’accroissement des liens commerciaux et le blocage russe des négociations sur le nucléaire iranien : les conséquences économiques en demi-teinte sur la relation Russie-Iran
Si l’ « axe Téhéran-Pékin-Moscou » pourrait sembler être une réalité en ce qu’il se fédère autour d’un narratif international vouant aux gémonies les États-Unis et l’Europe, l’affermissement des liens économiques entre la Russie et l’Iran se constate à prime abord aisément depuis le début de la guerre en Ukraine. À cet égard, il importe de noter préalablement que l’Iran et la Russie sont des partenaires économiques stables sur la période récente et que cette relation commerciale s’est renforcée depuis la guerre en Ukraine. Il est alors possible de distinguer des volets économiques bilatéraux accrus depuis la guerre et des volets institués du fait la guerre.
Le premier aspect économique accru depuis février 2022 est le projet de Corridor de transport international Nord-Sud. L’accord sur le Corridor Nord-Sud est signé dès septembre 2017 par la Russie, l’Inde et l’Iran, pour créer un itinéraire ferroviaire et maritime entre ces deux premiers pays, en passant par ce troisième. Ce Corridor Nord-Sud présente des avantages substantiels pour chacun de ces États : il devrait assurer à l’Inde une meilleure connectivité commerciale, particulièrement pour son port de Nhava Sheva ; l’Iran veut voir sa place de hub logistique intercontinental renforcée tout en offrant de nouveaux débouchés pour ses ports du golfe Persique. Depuis son annexion de la Crimée en 2014, la Russie, quant à elle, espère contourner les sanctions instituées par les États-Unis et l’Europe tout en évitant les mers où le passage de ses navires souffre des relations avec les États côtiers (États du nord-est de l’Union européenne dans la mer Baltique, États du sud-est de l’UE, Géorgie, Turquie et Ukraine en mer Noire). Nonobstant, ce projet semble miragineux en ce qu’il doit lui-même faire face aux sanctions américaines, empêchant entre autres sa mise en service complète avant de nombreuses années.
Semblablement, la deuxième avancée notable dans la relation économique Russie-Iran concerne une structure interrégionale, à savoir l’Union économique eurasiatique (UEEA). Celle-ci réunit la Russie et quatre pays de l’ex-URSS. L’Iran signe un accord de libre-échange avec l’UEEA en décembre 2023 remplaçant celui de 2019. Cet espace économique voit son volume d’échanges avec Téhéran augmenter de 150% en trois ans. L’Iran cherche à y obtenir un statut d’observateur, l’objectif à terme étant d’instaurer un accord complet de libre-échange.
Outre une coopération énergétique accrue entre les deux pays depuis le début de la guerre malgré une compétition pour le statut de premier exportateur gazier, le troisième volet économique devenu une priorité depuis 2022 est le souhait partagé de dédollarisation de leurs échanges. Les sanctions américaines visent notablement à interdire le recours au dollar américain, et à sanctionner des acteurs-tiers échangeant avec ces États en utilisant des dollars (élargissant ainsi le champ d’application des sanctions américaines, ce qui est usuellement appelé l’extraterritorialité des sanctions américaines). Partant, l’Iran cherche depuis 1979 (année de sa Révolution islamique mais aussi de l’établissement de sanctions économiques américaines à son encontre après la crise des otages à l’ambassade des États-Unis en Iran durant ladite révolution) à contourner les sanctions américaines, ce qui est aussi devenue une priorité pour la Russie depuis 2014 et l’annexion de la Crimée. Avec la guerre en Ukraine depuis février 2022 et l’établissement d’un très grand nombre de sanctions à son encontre, la Russie devient assurément l’État désirant le plus l’évitement de l’emploi des dollars américains dans ses transactions afin de ne pas souffrir desdites sanctions. De là, Mohsen Karimi, vice-président de la Banque centrale de la République islamique d’Iran pour les affaires internationales, soulignait fin mai 2023 la symbolique de l’ouverture en Iran d’un bureau permanent de VTB, deuxième plus grande banque russe, dans le processus de dédollarisation de leurs échanges. Fin décembre 2023, ce sont les directeurs des banques centrales iranienne et russe qui annoncent la finalisation d’un accord pour réaliser leurs échanges commerciaux dans leurs monnaies nationales. Non mécontent de voir un État agir encore plus que lui-même dans le sens du non-usage du dollar, l’Iran cherche depuis 2024 et son intégration complète au BRICS+ à promouvoir auprès de ses membres l’arrêt complet du recours à la monnaie américaine dans leurs échanges. Il apparaît cependant irréaliste, même à long terme, que les membres du BRICS+ cessent de recourir au dollar tant il reste le pilier de l’économie mondiale, à moins d’une révolution copernicienne de l’ordre économique mondial.
Le seul volet économique majeur le plus saillant entre l’Iran et la Russie institué du fait de la guerre en Ukraine est l’aide iranienne apportée à la Russie pour contourner les sanctions pesant sur elle. Si l’Iran est un des pays les plus sanctionnés économiquement au monde, la première place est indiscutablement ravie par la Russie depuis février 2022. La République islamique d’Iran disposant d’une expertise en contournement des sanctions concomitante à son établissement en 1979, des réunions sont avérées dès novembre 2022 entre des officiels et banquiers russes et iraniens. Instituant ainsi une forme de coopération économique sui generis, l’Iran révèle ses mécanismes et montages juridico-économiques à la Russie afin que celle-ci puisse, à son image, contourner au mieux les sanctions pesant sur elle.
À la réalité, il apparaît que la guerre en Ukraine est surtout un catalyseur de la relation économique Russie-Iran plus qu’un pic d’amélioration. Si des avancées notables font jour dans des volets économiques entre les deux États, il est nécessaire de se remémorer que celles-ci sont liées à des dossiers économiques précédant la guerre en Ukraine de février 2022. Aucune avancée concrète majeure sur le plan économique ne se matérialise entre les deux États et il faudra encore de nombreuses années pour affermir fondamentalement leurs liens économiques, outre les annonces et avancées susmentionnées.
Pis encore, la relation économique Russie-Iran voit même un aspect particulièrement néfaste apparaître, dans un cadre supra-commercial : le blocage russe des négociations sur le nucléaire iranien. Le 14 juillet 2015 est signé l’Accord sur le nucléaire iranien, ou JCPOA, visant à réguler le programme nucléaire iranien en contrepartie d’une levée progressive et majeure des sanctions économiques pesant sur l’Iran. Avec le retrait américain par Donald Trump, un espoir et une volonté de renégocier avaient vu le jour avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche. Mais depuis février 2022, la Russie bloque complètement la conclusion d’un potentiel nouvel accord sur le nucléaire iranien, après avoir été opposée à un Iran maîtrisant le cycle complet de l’uranium durant les négociations du JCPOA de 2015. Moscou est devenu l’État le plus sanctionné au monde et ne saurait admettre une levée des sanctions au bénéfice de Téhéran, car cela impliquerait une bouffée d’air frais pour l’économie iranienne lorsque la sienne est au bord de l’asphyxie. Le Président russe opère ainsi un entrelacement du dossier nucléaire iranien et de la guerre en Ukraine, des sanctions économiques pesant sur l’Iran et sur la Russie. De là, comment pourrait être retenu le qualificatif d’alliance (entendue comme un accord formel ou non entre au moins deux États dans le domaine de la sécurité ou de la défense) ou d’ « axe » entre deux États aux relations économiques existantes mais modestes, avec un État bloquant un accord favorable au premier au risque de porter ombrage au second ?
Entre ventes iraniennes de matériel militaire et accusations américaines et ukrainiennes de cobelligérance, l’opacité de l’implication iranienne dans le conflit
Le volet martial se révèle être le plus propice à l’étude de la réalité de l’« axe Téhéran-Pékin-Moscou » en ce qu’il offre le cadre à des États se déclarant être des partenaires de tester la réalité de leur relation en situation de guerre ouverte. Le domaine militaire de l’implication iranienne dans le conflit russo-ukrainien dispose d’une caractéristique spécifique : il est potentiellement le plus fourni, comparé au domaine politique et économique, autant qu’il est hypothétique du fait de l’opacité entretenue par l’Iran et la Russie. L’Iran nie en effet de manière constante toute implication dans le conflit et réfute toute vente de matériel vers la Russie, cette dernière se cantonnant à un silence assourdissant sur d’éventuelles importations militaires. Quant aux États-Unis, à l’Union européenne et à l’Ukraine, ils avancent avec vigueur que dès avril 2022, l’Iran fournirait à la Russie des missiles (en septembre 2024, les services de renseignement américains affirment que l’Iran vend aussi à la Russie des missiles Fath 360, modèle mis au point en avril 2022 pouvant lancer une charge explosive de 150 kg sur plus de 100km) et des drones (notamment le modèle d’attaque Shahed 136, peu coûteux et destiné à porter une charge explosive).
Une forme avancée de cobelligérance est même avancée notamment par les États-Unis et l’Ukraine qui, sur la base de déclarations de leurs services de renseignement et de sécurité, affirment que des Gardiens de la Révolution (forces armées de la Révolution islamique, distinctes de l’armée régulière iranienne) se trouveraient sur le champ de bataille ukrainien pour aider et conseiller des forces armées russes. Il est à cet égard possible de citer une déclaration du 20 octobre 2022 de John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, qui affirme que « nous estimons que du personnel militaire iranien était présent sur le terrain en Crimée et a assisté la Russie dans des opérations », mais aussi une déclaration du 24 novembre 2022 d’Oleksiy Danilov, secrétaire du Conseil de sécurité et de défense nationale de l’Ukraine, affirmant que les forces armées ukrainiennes auraient éliminé des conseillers militaires iraniens en Crimée. Bien que la cobelligérance ne renvoie à aucune réalité juridique en droit international, si cette circonstance était avérée, elle indiquerait, d’une part, le degré toujours plus avancé d’expertise militaire de l’Iran (au point d’assister une puissance militaire comme la Russie) et, d’autre part, une réalité pratique certaine d’un « axe ».
L’opacité régnant sur l’implication stratégique iranienne rend limpide un constat : cet « axe » n’est ni formel ni revendiqué. Il apparaît ardu de retenir une forte et précisément circonscrite aide iranienne à la Russie dans la guerre contre l’Ukraine, tant les déclarations et contre-déclarations de multiples acteurs s’inscrivent dans des cadres dépassant la seule guerre ukrainienne (pour l’Ukraine, le fait d’établir l’internationalisation de la guerre sur son sol afin d’encore plus légitimer ses demandes de soutien de la part de l’Europe et des États-Unis ; pour les États-Unis, de confirmer le statut d’ « État-voyou » de l’Iran dont ils l’affublent, au ban de la société internationale et indigne de toute fréquentabilité internationale ; pour l’Iran, de potentiellement tirer profit de ce conflit qui ne le concerne pas tout en cherchant à s’absoudre d’une éventuelle responsabilité ou participation dans celui-ci).
La guerre russo-ukrainienne ou le symbole éclatant de l’inconsistance de l’axe « Pékin-Téhéran-Moscou »
De la guerre en Ukraine se dégagent des éléments d’ordre discursif et politique, économique et stratégique traduisant indubitablement une certaine concordance d’intérêts partagés entre l’Iran et la Russie. Néanmoins, ne saurait être retenue l’existence formelle, tangible et solide d’un « axe Téhéran-Pékin-Moscou », se mettant fermement en œuvre dans le cadre de la guerre en Ukraine. Au renfort de cette affirmation peuvent être avancés de nombreux éléments. Au premier rang, si cet « axe » était une alliance formelle comme l’OTAN ou l’Union européenne (l’article 42 paragraphe 7 du Traité de Lisbonne de 2007 précise notamment qu’« au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies »), la Chine, l’Iran et la Russie le revendiqueraient explicitement en tant que structure défensive internationale. Or, ce n’est pas le cas et aucune déclaration officielle d’un de ces États ne va dans ce sens.
La réfutation de la réalité de cet « axe » par ses éventuels propres membres implique alors deux scénarios : dans un premier cas, cette alliance est informelle et ces États ne la revendiquent pas (devrait alors être identifiée la raison de ce déni d’alliance : celle-ci ne serait pas encore complètement organisée et prête, elle serait trop faible comparée aux architectures défensives ouest-européennes et nord-américaines, ou elle gênerait des politiques et objectifs nationaux distincts de la Chine, de l’Iran et de la Russie). Dans un second cas, cette alliance ou « axe » n’existerait tout simplement pas. Cette dernière voie semble la plus crédible car l’implication stratégique iranienne alléguée se cantonnerait à une forme d’opportunisme où l’Iran pourrait exporter sa production militaire et accroître ses revenus. Téhéran peut encore tirer profit de l’isolement russe qui se rapproche, voire dépasse la sienne à l’échelle de la communauté internationale : la Cour pénale internationale délivre le 17 mars 2023 un mandat d’arrêt contre le Président russe Vladimir Poutine (impliquant théoriquement l’obligation juridique pour les 124 États parties au Statut de Rome d’arrêter Poutine s’il se rendait sur leur territoire), événement gravissime encore jamais survenu à l’encontre d’un président iranien ou du Guide suprême.
Rajouté à cela, la certaine ignorance chinoise du projet d’attaque russe lors de la rencontre du 4 février 2022 entre Poutine et Xi, l’élection présidentielle iranienne à l’été 2024 de Massoud Pezeshkiân, ouvert au dialogue avec l’ « Occident », mais aussi l’autorisation russe accordée de facto à Israël pour ses frappes aériennes sur les intérêts iraniens en Syrie (Moscou contrôlant l’espace aérien syrien) et le blocage russe de la négociation sur le nucléaire iranien, le coup de grâce est définitivement asséné à la notion d’ « axe Téhéran-Pékin-Moscou ».
Crédit photo : Pavellllllll
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