En février 2025, l’Arabie saoudite accueillait une rencontre entre émissaires américains et russes afin de s’entendre sur les modalités d’engagement de négociations russo-américaines directes sur le conflit opposant Moscou et Kiev depuis maintenant trois ans. Le choix de la capitale saoudienne n’est pas anodin, Riyad entretenant des relations diplomatiques privilégiées avec l’administration Trump (et ce depuis le premier mandat de ce dernier, qui avait effectué son premier déplacement à l’étranger dans le pays) et avec Moscou. Le choix de l’Arabie saoudite illustre la position de plusieurs États arabes depuis le début de la guerre en février 2022, qui, loin de couper les liens avec Moscou, ont conservé et pour certains renforcé leurs liens avec le régime de Vladimir Poutine. Ainsi, en juin 2023, le président algérien Abdelmadjid Tebboune effectuait une visite d’État en Russie à l’invitation de Vladimir Poutine, plus d’un an après le lancement de l’offensive russe contre Kiev. Il précéda de quelques semaines le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qui rencontra le président Poutine à Saint-Pétersbourg au mois de juillet suivant. Par ailleurs, au-delà du maintien des relations diplomatiques, certaines prises de positions arabes ont pu quelque peu surprendre les analystes occidentaux. En effet, du côté du Golfe arabe, lors du vote par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), le 25 février 2022, d’une résolution condamnant l’invasion russe de l’Ukraine, les Émirats arabes unis, membre non permanent et pourtant allié des États-Unis et de la France, se sont abstenus. L’Arabie saoudite est quant à elle parfois accusée de s’entendre avec la Russie depuis le début du conflit ukrainien afin de maintenir un prix élevé des hydrocarbures, dont son économie, comme celle de la Russie, est particulièrement dépendante.
Ces quelques exemples illustrent ainsi les positions complexes, voire ambiguës qu’entretiennent plusieurs États arabes avec le conflit russo-ukrainien. Loin de condamner sans équivoque l’attaque déclenchée le 22 février 2022, certains États membres de la Ligue arabe, pour certains particulièrement proches des États-Unis, ont pris leur distance avec le légitimisme revendiqué des positions occidentales, donnant l’impression de ne pas soutenir par défaut le droit international et les valeurs du système onusien. Ce positionnement peut être d’autant plus surprenant au premier abord, puisque certains États comme l’Algérie ont fait de la lutte contre l’impérialisme et la défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes le fil conducteur de leurs politiques étrangères, et ce depuis plusieurs décennies.
Cette contribution se propose d’analyser les positions de plusieurs États arabes, répartis en trois catégories, au sujet de l’agression russe ; de mettre en lumière leurs déterminants ; et de conclure quant au positionnement d’États situés dans un espace soumis à de fortes rivalités entre les grandes puissances sur la scène internationale. Elle démontre que plusieurs États de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) ont adopté des positions singulières reposant à la fois sur la prise en compte d’intérêts directs tout en veillant à ne pas s’opposer frontalement aux États-Unis et aux autres puissances occidentales. Elle vise, finalement, à déterminer si, comme l’affirme Maurice Gourdault-Montagne, vue des pays du pourtour méditerranéen et de la région moyen-orientale, la guerre russo-ukrainienne ne constitue qu’un « conflit régional entre Blancs » ne présentant pas un caractère fondamentalement déterminant.
Les soutiens affirmés de la Russie : le cas particulier de l’Algérie
Plusieurs États d’Afrique du Nord et du Proche-Orient ont, dans la foulée du déclenchement du conflit en Ukraine, adopté des postures mesurées voire complaisantes envers Moscou. Outre la Syrie, alors dirigée par Bachar el-Assad, et le Soudan, dont les liens avec Moscou étaient notoires et établis, le cas de l’Algérie est particulièrement intéressant. Les discours formulés à Alger depuis des années font du pays un partisan du respect du principe du droit à l’autodétermination des peuples. Son action d’appui au Front Polisario, militant pour la proclamation de la République arabe sahraouie démocratique, n’est plus à démontrer. Au Proche-Orient, historiquement et de façon renforcée depuis le 7 octobre 2023, Alger apporte un fort soutien diplomatique à la cause palestinienne. Quelques jours après les attaques du Hamas, l’Algérie appela à une « intervention internationale immédiate » contre « l’agression » israélienne. Quelques mois plus tard, le président Tebboune rappela le « soutien indéfectible au peuple palestinien » de son pays. L’on aurait ainsi pu s’attendre à un soutien affirmé de l’Algérie à l’Ukraine, puisque la résistance de Kiev s’inscrit dans la continuité des luttes autrefois et encore à ce jour soutenues par l’Algérie.
Pourtant, loin de condamner l’attitude de Moscou, Alger et notamment son armée, l’Armée nationale populaire (ANP), a poursuivi ses collaborations avec la Russie de Vladimir Poutine. Outre la visite en juin 2023 du président algérien en Russie susmentionnée, les deux États ont réalisé en octobre 2022 des exercices navals bilatéraux au large des côtes algériennes, signe d’une amitié renforcée. Au niveau institutionnel, l’Algérie, aux côtés notamment de l’Iran et de la Syrie, a voté contre un projet d’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU présenté en avril 2022. De même que l’Algérie s’est de nouveau retrouvée aux côtés du Soudan, de l’Irak et de l’Iran en s’abstenant en mars 2022 lors d’un vote à l’Assemblée générale des Nations unies réclamant un retrait immédiat des forces russes d’Ukraine.
Comment expliquer ce positionnement que l’on pourrait qualifier de « contre-nature » de l’Algérie dans la crise ukrainienne ? Il faut souligner qu’Alger et Moscou entretiennent de profondes relations de coopération, et ce depuis plusieurs décennies. Sur le plan militaire, la Russie représente près des trois quarts des importations algériennes d’armements. Moscou livre en effet des avions de combat, des missiles antinavires, des hélicoptères de transport, des radars aériens et autres équipements militaires. Ce soutien pouvant d’ailleurs être perçu par l’armée algérienne comme étant une nécessité afin de se maintenir au pouvoir. D’un point de vue politique, Moscou soutient officiellement l’adhésion d’Alger au groupe des BRICS+, qui a récemment connu une phase d’élargissement. Ces multiples intérêts algériens, tant politiques que militaires, peuvent de fait expliquer le positionnement du pays d’Afrique du Nord sur le conflit ukrainien : entretenant des liens historiques et multiples avec la Russie, le régime algérien n’a pas d’intérêt à dégrader ses relations avec Moscou au nom de la situation en Ukraine. Une inflexion fut toutefois observée au printemps 2023, où l’Algérie apporta son soutien à une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies dénonçant l’« agression russe » de l’Ukraine. Cette évolution – relative, Alger s’est abstenue de nouveau en juillet 2024 lors d’un vote exigeant la fin de l’agression russe – pourrait souligner une volonté algérienne de ne pas paraître systématiquement alignée sur la Russie, Alger faisant de son indépendance politique un marqueur sur la scène internationale.
Aussi, le cas algérien illustre la position de certains États arabes, qui, loin de s’aligner de prime abord sur les grands principes du droit international, ont poursuivi leurs collaborations avec Moscou, estimant probablement que la guerre en Ukraine n’était pas de nature à générer une rupture suffisamment profonde pour remettre fondamentalement en question les relations bilatérales. D’autres États de la région ont en revanche préféré opter pour des stratégies plus équilibrées.
Les « équilibristes » : une stratégie majoritaire dans le monde arabe
Outre les cas très spécifiques de l’Algérie, du Soudan et de la Syrie (sous Bachar el-Assad), la majorité des États arabes a adopté une posture de condamnation de l’attaque russe initiée en février 2022, sans toutefois rompre complètement avec Moscou.
L’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi, et plus généralement les États d’Afrique du Nord (à l’exception de l’Algérie) représentent en ce sens des cas intéressants. Proche des États-Unis, l’Égypte a voté en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies de mars 2022, qui exigeait un retrait immédiat des forces russes d’Ukraine. Cependant, ce qui pouvait apparaître à première vue comme la participation à une politique d’isolement de la Russie sur la scène internationale s’est finalement traduit par une politique bien plus équilibrée. Notamment engagée dans un partenariat avec la Russie sur le développement d’un programme nucléaire civil, l’Égypte a par la suite cherché à ménager son partenaire. Ainsi, Le Caire s’est-il abstenu de voter pour ou contre l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Par ailleurs, loin de boycotter Vladimir Poutine, Abdel Fattah al-Sissi entreprend un déplacement à Saint-Pétersbourg en 2023 pour le rencontrer, alors que le président russe est sous le coup d’un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale. Ce dernier participe même en visioconférence au coulage du quatrième bloc de la première centrale nucléaire russe conçue en Égypte, en janvier 2024, tandis qu’à l’été de la même année l’Égypte s’abstient lors du vote de juillet 2024 à l’Assemblée générale exigeant que la Russie « cesse immédiatement son agression ». Pour autant, et dans le même temps, l’Égypte s’est engagée en 2023 à fournir à l’Ukraine un certain nombre de munitions initialement destinées à la Russie, symbole d’une politique visant à ne pas se positionner clairement en faveur de l’un des deux camps.
L’Égypte n’est pas le seul État à manifester une telle politique ambiguë. Le royaume du Maroc s’était également abstenu lors du vote de mars 2022 relatif au retrait des forces russes d’Ukraine, tout en rappelant lors de la visite du ministre ukrainien des Affaires étrangères à Rabat en mai 2023 « la position constante du Maroc sur le respect de l’intégrité territoriale et la souveraineté des pays ». Officiellement, la position défendue par Rabat repose sur le fait que le « Maroc entretient de bonnes relations avec la Russie et l’Ukraine et promeut une solution pacifique à ce conflit » et qu’il évite donc de se mettre politiquement à dos l’une des parties au conflit. C’est officiellement en raison de cette position revendiquée de neutralité que Rabat adresse ainsi ses « félicitations » à la Fédération de Russie pour la réélection de Vladimir Poutine en mars 2024. Il est à noter que le roi du Maroc et le président russe s’étaient précédemment rencontrés en 2016 à Moscou et avaient noué un certain nombre de partenariats. La Tunisie est dans une position similaire, ayant voté en faveur du retrait russe d’Ukraine au lendemain de l’invasion, elle s’est néanmoins abstenue de vouloir exclure la Russie du Conseil des droits de l’homme et s’est politiquement (et probablement militairement) rapprochée de Moscou en 2024, en témoigne son vote de juillet 2024.
Nous qualifions cette position de plusieurs États arabes, la majorité d’ailleurs, d’« équilibre ». Elle est à mettre en lumière avec les intérêts géopolitiques desdits États. Tout en témoignant à l’Ukraine une forme de solidarité politique en défendant publiquement l’importance de la préservation de l’intégrité de son territoire et de sa souveraineté, un grand nombre d’États arabes a toutefois poursuivi voire approfondi ses relations avec la Russie. Beaucoup d’entre eux avaient en effet, et ce bien avant le déclenchement du conflit en février 2022, noué des partenariats de différentes natures – notamment stratégique – avec elle. Le recours à Moscou permet en effet de diversifier les alliances et de ne pas dépendre, notamment dans des domaines clés (armement, nucléaire civil), uniquement des technologies ou du savoir-faire des Occidentaux. Aussi, bien que dans le fond, la majorité des États arabes soutiennent dans l’esprit la résistance ukrainienne et sa lutte pour son intégrité territoriale et sa souveraineté, plusieurs capitales de la région MENA ne se sont pas montrées prêtes à sacrifier les intérêts directs qui découlent de leurs partenariats avec Moscou. Elles ont donc opté pour une posture équilibrée, consistant à rappeler le droit de l’Ukraine à la souveraineté, tout en s’opposant à toute forme de marginalisation de la Russie sur la scène internationale (comme au Conseil des droits de l’homme) et tout en poursuivant les échanges économiques comme politiques avec le Kremlin.
Les « opportunistes » ? Le cas des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite
L’abstention des Émirats arabes unis à l’occasion du vote au Conseil de sécurité des Nations unies du 25 février 2022 d’une résolution condamnant l’invasion russe de l’Ukraine constitue un fait marquant, et ce alors que les Émirats assuraient alors la présidence dudit Conseil. Abu Dhabi, ancien protectorat britannique qui accueille plusieurs bases militaires occidentales (dont une est française), s’est démarqué de ses alliés occidentaux et a refusé de prendre explicitement position au sujet de la violation patente de l’article 2 § 4 de la Charte des Nations unies par la Russie. La déclaration officielle accompagnant ce vote est tout autant surprenante, car les Émirats, estimant pourtant que l’« évolution du conflit sape la paix et la sécurité internationale » et ayant rappelé l’importance de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale des États, ont lancé un appel à « toutes les parties de cesser immédiatement toutes les hostilités » et les ont invités à la « désescalade », évitant ainsi de formuler une quelconque condamnation à l’encontre de Moscou et renvoyant de fait Ukraine et Russie dos à dos. De la même manière, Abu Dhabi, comme cette fois beaucoup d’autres États arabes, s’est abstenu d’exclure la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU un mois plus tard et a dénoncé en décembre 2023 les attaques de drones menées contre le territoire russe. Comment expliquer ce positionnement d’un allié central des Occidentaux dans la péninsule arabique ?
Il est légitime de poser que les Émirats ont pu voir dans le déclenchement de la guerre en Ukraine une fenêtre d’opportunités. Tout d’abord, Abu Dhabi souhaite préserver les collaborations préexistantes avec Moscou, notamment dans le domaine militaire – les deux États ont envisagé un temps de développer conjointement un avion de combat de cinquième génération et ont signé un partenariat stratégique en 2018 – dans une optique de diversification des partenariats. Par ailleurs, la Fédération de Russie a pu estimer que la guerre d’Ukraine générerait probablement de fortes opportunités, notamment sur le plan économique. Il est en effet régulièrement fait mention que bon nombre d’oligarques auraient quitté le territoire russe dans les premières semaines du confit pour trouver asile à Dubaï, afin d’y pratiquer une forme de blanchiment d’argent dans un contexte de sanctions internationales imposées contre les élites économiques russes. Le poumon économique des Émirats est en effet décrit comme une plateforme particulièrement adaptée, compte-tenu de sa capacité à accueillir dans la discrétion les capitaux étrangers, et représente de fait une forme de « refuge ». Furent également évoqués de potentiels (et nombreux) transferts d’or vers les Émirats, ainsi qu’une hausse du transit de pétrole russe à travers le pays. De même que le pays aurait accru ses exportations vers la Russie de divers biens, dans le contexte de guerre résultant de l’invasion lancée le 22 février 2022. Ainsi, au-delà de la volonté de maintenir des relations bilatérales solides avec Moscou, les Émirats auraient également voulu saisir les opportunités offertes par le contexte de guerre, et ce afin d’en tirer des bénéfices sur le plan économique.
Des critiques similaires sont également formulées à l’égard de l’Arabie saoudite, principal allié de Washington dans le Golfe. En octobre 2022, la Maison-Blanche a accusé le royaume de soutenir le financement de la guerre en Ukraine en maintenant haut le cours des prix du pétrole. Cette déclaration intervient quelques jours après que les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP+), incluant l’Arabie et la Russie, ont décidé de réduire leur production journalière de 2 millions de barils. Dans un contexte de modernisation du royaume, et dans un pays encore fortement dépendant de la rente pétrolière, Riyad a pu considérer que la guerre en Ukraine constituait une opportunité pour accroître ses revenus financiers, qui pourraient alors être ensuite mobilisés pour le développement des différentes infrastructures prévues dans le plan Vision 2030. D’autant plus que les relations entre Riyad et Washington se sont dégradées sous les administrations Obama et Biden. Il est en effet reproché au premier son refus de bombarder la Syrie à l’été 2013, son accord avec l’Iran en 2015 (l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, ou JCPOA) et sa volonté supposée de se désengager militairement du Golfe. Quant au second, ses déclarations antérieures sur le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, alors qualifié de paria, ne furent guère propices à un réchauffement des relations.
Le dilemme russe des États arabes du Golfe : composer avec la pression de Washington
À la différence de la manière dont ils ont réagi à l’encontre des autres autres pays arabes, les États-Unis ont été bien plus vifs face aux positions de ses deux alliés dans le Golfe au sujet de conflit ukrainien. La discours initial d’Abu Dhabi formulé lors du premier vote au Conseil de sécurité des Nations unies de février 2022, tout comme la réticence initiale des Émirats à appliquer des sanctions effectives contre la Russie, ses entités ou ressortissants, ont mené les États-Unis et les Européens à exercer une forte pression sur Abu Dhabi afin de l’éloigner de Moscou. En novembre 2023, les États-Unis ont annoncé l’adoption de sanctions contre des sociétés émiriennes, en raison de leurs activités avec la Russie et notamment la livraison de composants supposés être employés sur le champ de bataille en Ukraine. Concernant l’Arabie saoudite, suite à la décision de l’OPEP+ d’octobre 2022, Joe Biden a estimé qu’il fallait « repenser » la relation avec Riyad, annonçant des « conséquences » et évoquant notamment une possible action du Congrès pour remettre en cause des livraisons d’armements américains au royaume. Face à cette dégradation rapide des relations entre les deux alliés historiques, Riyad a tenté de rassurer son partenaire américain. Adel al-Joubeir, ministre des Affaires étrangères du royaume, a accordé le 12 octobre 2022 une longue interview à CNN, indiquant que l’Arabie saoudite ne « soutenait pas la Russie ». Deux jours plus tard, l’Arabie saoudite annonça qu’elle allait verser une aide humanitaire de 400 millions de dollars à l’Ukraine, action qui devrait prouver la réalité du soutien du royaume à Kiev. Enfin, le 15 octobre, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et le président Volodymyr Zelensky ont eu un entretien téléphonique au cours duquel ils ont évoqué la situation en Ukraine.
Ces différents éléments soulignent les marges de manœuvre étroites dont disposent les États arabes du Golfe dans la conduite de leur politique étrangère au l’aune du contexte du conflit ukrainien. Toutefois, si Riyad et Abu Dhabi ont par la suite cherché à donner des gages de neutralité, les deux États refusent pourtant de tourner le dos à la Russie, les deux capitales s’abstenant de nouveau de soutenir la résolution de juillet 2024 réitérant la condamnation de l’agression russe de l’Ukraine. Il est à noter que cette position golfienne est toutefois devenue un atout pour l’Arabie saoudite suite au retour au pouvoir de Donald Trump en 2025. N’ayant pas pris frontalement position contre la Russie depuis le début du conflit, et partenaire de longue date des États-Unis, le royaume s’est alors trouvé en position idéale de médiateur et de terrain neutre, servant même au nouveau président américain de lieu d’accueil de négociations sur l’Ukraine entre Washington et Moscou en février 2025, au plus grand bénéfice diplomatique de Riyad.
Un conflit « lointain » du point de vue arabe
Alors que le conflit débuté en octobre 2022 a fait évoluer les enjeux de sécurité de l’Europe et des États-Unis, le monde arabe dans son ensemble perçoit cet événement de manière différente, qui tend à relativiser la centralité que l’Europe lui donne. Si dans leur majorité, les États d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient restent attachés par principe à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ce conflit leur semble toutefois secondaire (et insuffisamment central) pour remettre en cause leurs liens avec la Russie et les intérêts qui en découlent. Bien que tous les États de la région MENA n’aient pas nécessairement adopté les mêmes postures, on observe qu’une majorité a prôné une forme d’équilibre, condamnant sur le principe l’agression russe, mais refusant pour autant de tourner le dos à Moscou. Dans le Golfe, le positionnement de ses deux grands alliés (l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis) n’a toutefois pas laissé de marbre Washington, qui n’a pas hésité à exercer des pressions voire à appliquer des sanctions contre des positionnements jugés hostiles aux intérêts des États-Unis, avec un succès toutefois mitigé.
La guerre à Gaza et l’attachement perçu comme « relatif » au droit international des puissances occidentales dès lors qu’il s’agit des actions menées par Israël, elles qui avaient pourtant fait du respect de ce même droit un fondement de leur positionnement vis-à-vis de la Russie, ne peut qu’amplifier ce phénomène. On ne peut ainsi que constater, de la même manière que Maurice Gourdault-Montagne, l’ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac, que « les autres ne pensent pas comme nous ». Chaque État définit ses intérêts objectifs et juge chaque situation à l’aune de ces derniers. Cela est probablement, d’ailleurs, le seul point de convergence entre tous les acteurs de la scène internationale.
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