Ce texte est une traduction de l’article « South Korea Should Lean into Nuclear-Powered Submarines », paru le 17 février sur War on the Rocks.
L’art de la négociation est de retour, et avec lui les coûts des alliances. En Corée du Sud, les ambitions en matière de développement de sous-marins nucléaires pourraient devenir un facteur déterminant dans la définition de l’alliance avec les États-Unis. Si le programme vise avant tout à contrer les capacités croissantes de la Corée du Nord en matière de missiles balistiques lancés par sous-marins, il a également des implications stratégiques plus larges.
Malgré les préoccupations suscitées par les changements de priorités des dirigeants politiques sud-coréens (les transitions entre administrations conservatrices et progressistes entraînant souvent des changements de priorités et de stratégies diplomatiques), le programme de sous-marins représenterait un engagement tangible en faveur du renforcement de la défense du sud-coréenne et de la prise en charge d’une plus grande part des responsabilités en matière de sécurité régionale. Même si l’enthousiasme au sein de l’administration Trump pourrait être tempéré par la volonté de réduire la présence militaire américaine dans la péninsule, l’investissement de la Corée du Sud dans des capacités avancées telles que les sous-marins à propulsion nucléaire s’inscrit dans la demande de longue date de Washington pour que les alliés contribuent davantage à leur propre sécurité.
Ce qu’il faut savoir sur les sous-marins nucléaires sud-coréens
La Corée du Sud étudie la possibilité de construire des sous-marins à propulsion nucléaire depuis le début des années 2000, principalement pour contrer les menaces croissantes de la Corée du Nord en matière de sous-marins et de missiles. En 2003, le « projet 362 » secret visant à développer un sous-marin à propulsion nucléaire a été annulé en raison des pressions américaines et de préoccupations politiques. L’intérêt s’est ravivé à la fin des années 2010, le président Moon Jae-in ayant exprimé son soutien à un programme national de sous-marins nucléaires en réponse à l’amélioration des capacités de missiles de la Corée du Nord. Cependant, la Corée du Sud ne dispose pas de technologie nationale de propulsion nucléaire, mais a cherché des alternatives, notamment une éventuelle collaboration avec les États-Unis ou la France.
Malgré ces efforts, les progrès restent limités en raison de défis technologiques, diplomatiques et de non-prolifération, notamment en ce qui concerne l’enrichissement de combustible et les accords internationaux. Alors que la Corée du Sud continue de chercher des solutions, des obstacles importants doivent être surmontés avant qu’un sous-marin à propulsion nucléaire ne devienne une réalité.
Les sous-marins à propulsion nucléaire comme outil de partage du fardeau et de renforcement de l’alliance
Le programme de sous-marins nucléaires de la Corée du Sud ne vise pas seulement à acquérir une nouvelle capacité militaire, mais constitue également une initiative stratégique visant à renforcer la dissuasion contre la Corée du Nord tout en démontrant la volonté de prendre en charge une plus grande part de la sécurité régionale. Les sous-marins à propulsion nucléaire, avec leur endurance, leur furtivité et leur rayon d’action supérieurs, permettraient à Séoul de renforcer sa dissuasion maritime sans avoir besoin d’un renfort militaire direct des États-Unis.
Du point de vue états-unien, cela s’inscrit dans la lignée des exigences formulées précédemment par l’administration Trump, qui demande aux alliés d’investir davantage dans leur propre défense. Donald Trump a toujours mis l’accent sur la réduction des engagements militaires des États-Unis à l’étranger. Le programme de sous-marins à propulsion nucléaire de la Corée du Sud permettrait d’atteindre cet objectif. En investissant dans une capacité militaire de pointe qui réduit la dépendance vis-à-vis des moyens de la marine américaine, la Corée du Sud répond directement aux appels de Donald Trump.
Alors que les critiques affirment que le changement de paysage politique en Corée du Sud introduit de l’imprévisibilité dans ses politiques de défense, le programme de sous-marins à propulsion nucléaire est un investissement à long terme qui transcende les fluctuations politiques à court terme. Quelle que soit l’administration au pouvoir, l’acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire marquerait un changement fondamental dans la posture militaire de la Corée du Sud, qui renforcerait l’alliance en consolidant la dissuasion et en réduisant la dépendance de Séoul à l’égard de l’intervention directe de Washington en cas de conflit.
L’accord 123 : un test pour l’engagement des États-Unis
L’un des plus grands obstacles aux ambitions de la Corée du Sud en matière de sous-marins à propulsion nucléaire est l’accord entre les États-Unis et la République de Corée pour la coopération nucléaire pacifique, communément appelé « accord 123 », qui interdit à la Corée du Sud d’enrichir de l’uranium ou de retraiter du combustible nucléaire usé. Étant donné que les sous-marins à propulsion nucléaire nécessitent de l’uranium hautement enrichi, la poursuite du programme nécessiterait la coopération des États-Unis, soit par le biais d’exemptions, soit par le biais d’arrangements alternatifs.
Pour Washington, il s’agit d’une décision cruciale : soutenir les ambitions sécuritaires d’un allié clé ou donner la priorité au strict respect des normes de non-prolifération. L’administration Trump, qui a toujours adopté une approche plus souple et transactionnelle des alliances, pourrait considérer le programme de sous-marins à propulsion nucléaire comme une opportunité de moderniser le partenariat américano-sud-coréen tout en réduisant les engagements militaires directs dans la région.
Au lieu de considérer les ambitions de la Corée du Sud de développer des sous-marins à propulsion nucléaire comme un défi, les États-Unis pourraient utiliser ces efforts pour renforcer une stratégie d’alliance plus large. Faciliter l’accès à la technologie de propulsion nucléaire – que ce soit par le biais d’un cadre contrôlé similaire à l’AUKUS ou d’accords alternatifs – renforcerait le rôle de la Corée du Sud en tant que partenaire de sécurité compétent. Cela fournirait également une preuve tangible du soutien des États-Unis à la modernisation de la défense de la Corée du Sud, contrecarrant ainsi la perception selon laquelle l’approche transactionnelle de Donald Trump sape la crédibilité de l’alliance.
Au-delà de la Corée du Nord : s’aligner sur la stratégie indo-pacifique des États-Unis
Si la dissuasion contre la Corée du Nord est la principale justification du programme de sous-marins à propulsion nucléaire de la Corée du Sud, les implications stratégiques plus larges ne peuvent être ignorées. La puissance navale croissante de la Chine et ses manœuvres agressives en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan posent des défis à long terme pour la stabilité régionale.
L’une des principales faiblesses de la capacité américaine à dissuader et à contrer la Chine est le nombre insuffisant de sous-marins américains disponibles pour le théâtre du Pacifique. Cette lacune a conduit à des initiatives telles que l’AUKUS, en particulier son pilier sous-marin. Cependant, la production de sous-marins américains a stagné, laissant une vulnérabilité critique dans les capacités de guerre sous-marine. Dans ce contexte, soutenir le programme de sous-marins à propulsion nucléaire de la Corée du Sud serait conforme aux intérêts stratégiques des États-Unis en renforçant la puissance maritime alliée dans la région. La capacité de la Corée du Sud à mener des opérations sous-marines à longue portée compléterait les efforts des États-Unis pour dissuader l’agression chinoise sans nécessiter de déploiements américains supplémentaires.
L’administration Trump a précédemment adopté une position ferme envers la Chine, soulignant la nécessité pour les alliés de jouer un rôle plus important pour contrebalancer Pékin. Les sous-marins sud-coréens pourraient s’inscrire dans cette stratégie, en fournissant une capacité cruciale qui renforcerait la dissuasion régionale tout en permettant aux États-Unis de pallier leur manque de sous-marins. Même si l’administration Trump donne la priorité à la dissuasion de la Corée du Nord par rapport à ses objectifs plus larges dans la région indo-pacifique, le programme de sous-marins nucléaires contribuerait aux deux objectifs, en assurant une plus grande stabilité tout en comblant une lacune urgente dans les forces navales alliées.
Gestion des coûts, perception publique et dynamique politique
Développer et entretenir des sous-marins à propulsion nucléaire est une entreprise coûteuse, et le budget de la défense de la Corée du Sud est déjà sous pression en raison de la nécessité de contrer les menaces immédiates de la Corée du Nord. Certains pourraient faire valoir que l’insistance de l’administration Trump sur un plus grand partage des charges pourrait créer des pressions financières qui limiteraient la capacité de Séoul à investir dans des sous-marins à propulsion nucléaire, tout en répondant aux exigences financières des États-Unis pour l’accueil des forces américaines.
Cependant, ce défi représente également une opportunité. En s’engageant dans un programme de sous-marins nucléaires, la Corée du Sud démontre sa volonté d’investir dans des capacités haut de gamme plutôt que de simplement augmenter ses contributions financières pour la présence des troupes américaines. Cela fait passer le débat sur le partage des charges d’un modèle transactionnel de « partage des coûts » à un modèle d’investissement stratégique, renforçant le rôle de la Corée du Sud en tant que partenaire de sécurité proactif plutôt qu’en tant qu’allié dépendant.
La perception publique en Corée du Sud reste un facteur important. La première administration Trump a suscité des inquiétudes quant au déséquilibre perçu dans l’alliance, de nombreux Sud-Coréens considérant que ses exigences financières portaient atteinte à l’égalité du partenariat. Le programme de sous-marins à propulsion nucléaire pourrait contrer ce discours en mettant en avant les capacités militaires indépendantes de la Corée du Sud tout en maintenant des liens étroits avec les États-Unis. Si les États-Unis soutiennent activement le programme, notamment en facilitant l’accès aux combustibles nucléaires, cela permettrait de renforcer la confiance du public dans l’alliance et d’atténuer les inquiétudes concernant l’engagement américain.
Conclusion : un investissement stratégique dans l’avenir de l’alliance américano-sud-coréenne
Malgré les inquiétudes suscitées par l’évolution du paysage politique sud-coréen et le manque d’enthousiasme potentiel de l’administration Trump pour l’engagement régional, le programme de sous-marins à propulsion nucléaire représente une occasion unique de renforcer l’alliance américano-sud-coréenne en accord avec les priorités stratégiques de Donald Trump.
En investissant dans des sous-marins à propulsion nucléaire, la Corée du Sud répond directement aux appels de Donald Trump pour que ses alliés contribuent davantage à leur charge de défense. Ces sous-marins renforceraient la dissuasion contre la Corée du Nord, compléteraient la stratégie indo-pacifique des États-Unis et réduiraient la nécessité de déploiements navals américains supplémentaires. En outre, le soutien des États-Unis au programme, que ce soit par le biais d’une coopération en matière de combustible nucléaire ou d’un alignement stratégique, renforcerait la crédibilité et la modernisation de l’alliance.
Dans une nouvelle ère Trump, le succès de l’alliance américano-sud-coréenne dépendra non seulement des mesures politiques, mais aussi de la capacité des deux nations à s’adapter à l’évolution des défis sécuritaires. S’il est géré efficacement, le programme de sous-marins à propulsion nucléaire sud-coréen pourrait servir de pierre angulaire à la modernisation de l’alliance, garantissant que le partage du fardeau ne soit pas seulement une exigence financière, mais un investissement stratégique dans la stabilité régionale.
Plutôt que de considérer le programme de sous-marins à propulsion nucléaire comme une question marginale, l’administration Trump doit le voir comme une opportunité d’atteindre ses objectifs plus larges : réduire les engagements militaires des États-Unis, renforcer les capacités de dissuasion des alliés et consolider un partenariat de sécurité plus équilibré et plus résilient.
Les commentaires sont fermés.