Israël affirme qu’il n’occupe plus la bande de Gaza. Que dit le droit international ?

Le Rubicon en code morse
Jan 11
Israël affirme qu’il n’occupe plus la bande de Gaza. Que dit le droit international ?

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Cet article est une traduction de l’article « Israel claims it is no longer occupying the Gaza Strip. What does international law say? » publié par l’Atlantic Council le 31 octobre 2023.

Le 15 octobre 2023, le président américain Joe Biden a mis en garde Israël contre une « réoccupation » de la bande de Gaza. Ce choix de mots soulève un débat fondamental : Israël occupe-t-il la bande de Gaza, au point de devoir protéger la population qui s’y trouve, ou non ?

Israël estime s’être « désengagé » de la bande de Gaza en 2005, lorsqu’il a complètement retiré ses militaires et ses civils de la région. Avec ce retrait, Israël et les États-Unis – ainsi que de nombreux experts internationaux en matière juridique, militaire et de politique étrangère – affirment qu’Israël a cédé le contrôle effectif nécessaire selon la définition juridique de l’occupation, mettant ainsi fin à l’occupation. Néanmoins, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a récemment déclaré qu’après le conflit, Israël n’aurait plus « la responsabilité du sort de Gaza », ce qui semble indiquer qu’actuellement Israël est « engagé » dans la bande de Gaza.

En revanche, de nombreuses institutions, organisations et organes internationaux de premier plan – dont le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Commission internationale indépendante d’enquête sur le territoire palestinien occupé des Nations Unies, l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), l’Union européenne (UE), l’Union africaine, la Cour pénale internationale (CPI) (à la fois la Chambre préliminaire I et le Bureau du Procureur), Amnesty International et Human Rights Watch – ainsi que des experts juridiques internationaux et d’autres organisations, soutiennent qu’Israël occupe les territoires palestiniens, y compris la bande de Gaza, depuis 1967[1]. S’ils reconnaissent qu’Israël n’a plus le marqueur traditionnel d’un contrôle effectif après le désengagement de 2005 – une présence militaire – ils soutiennent qu’avec l’aide de la technologie, il a maintenu le contrôle requis par d’autres moyens.

Le statut de l’occupation israélienne est juridiquement important, car il détermine les obligations légales d’Israël envers Gaza. Les États occupants ont des responsabilités accrues en matière de protection des populations locales et de fourniture des produits de santé et de sécurité de base dont elles ont besoin pour survivre. Compte tenu des inquiétudes suscitées par les actions d’Israël à Gaza – comme d’éventuels crimes de guerre, y compris la famine et le refus de l’aide humanitaire –, Israël serait probablement en violation de ces obligations.

Qu’est-ce qu’une occupation ?

L’occupation est définie à l’article 42 de la quatrième Convention de La Haye : « Un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. »

Bien qu’Israël ne soit pas partie à la quatrième Convention de La Haye, cette convention est considérée comme du droit international coutumier et, par conséquent, contraint tout de même Israël. La question de savoir si un territoire est occupé est une question de fait, ce qui signifie qu’elle est uniquement régie par les faits sur le terrain, et non par le fait que les gouvernements concernés se perçoivent comme occupants ou occupés.

Dans le cadre de cette enquête factuelle, un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il tombe sous le « contrôle effectif de forces armées étrangères hostiles ». Traditionnellement, le contrôle effectif requiert trois éléments principaux : la présence physique non consentie d’une armée étrangère, l’incapacité d’un souverain local à exercer un contrôle en raison de la présence de forces étrangères et l’imposition de l’autorité des forces d’occupation. Toutefois, certains éléments du contrôle effectif font encore l’objet de débats, notamment la question de savoir si la présence militaire est une condition essentielle, si elle exige la capacité d’exercer l’autorité ou l’exercice effectif de l’autorité, et si la puissance occupante doit disposer d’une autorité exclusive. Une occupation prend généralement fin lorsque la puissance occupante se retire, bat en retraite ou transfère son autorité à un gouvernement local.

La Haute Cour de justice israélienne a estimé en 2008 que le contrôle effectif d’Israël à Gaza avait cessé en 2005. Plus précisément, elle a estimé que « la règle militaire qui s’appliquait par le passé sur ce territoire a pris fin par une décision du gouvernement […] (par extension) les soldats israéliens n’étant plus stationnés en permanence sur le territoire, ils ne sont plus responsables de ce qui s’y passe ». La Cour a donc déterminé que l’occupation avait pris fin en 2005.

D’autres experts ont également estimé qu’Israël ne remplissait plus les conditions traditionnelles de contrôle effectif à Gaza après 2005, mettant ainsi fin à l’occupation. Tout d’abord, ils notent qu’aucune autre occupation n’a été reconnue sans une présence militaire physique ou un régime fantoche, qu’ils considèrent comme n’existant pas à Gaza. S’ils reconnaissent qu’Israël exerce un certain contrôle sur Gaza, ils constatent que les autorités locales peuvent exercer un contrôle et qu’Israël n’impose pas une autorité suffisante. Par exemple, ils considèrent qu’il existe un « contrôle concurrent » plutôt qu’une « relation hiérarchique » entre Israël et le Hamas et estiment qu’Israël aurait besoin d’une « offensive terrestre majeure » qu’il serait impossible de mener « dans un délai raisonnable » pour « reprendre » le contrôle de la région. De même, ils affirment qu’Israël n’a pas le « degré de pouvoir requis sur la gouvernance quotidienne », comme le montre le fait que « le Hamas gouverne souvent d’une manière contraire aux intérêts et aux désirs d’Israël » et lance des opérations militaires contre Israël. Enfin, en réponse aux arguments selon lesquels le pouvoir d’Israël sur les frontières de Gaza est la preuve d’un contrôle effectif, ils affirment que si Israël conserve le contrôle de la frontière entre Israël et Gaza, l’Égypte contrôle la frontière de Gaza avec le Sinaï. Sur la base de ces considérations, certains experts ont estimé que le terme de « siège » décrivait mieux la situation.

Cependant, l’Académie de droit international humanitaire et des droits de l’homme de Genève a déclaré que « la majorité de l’opinion internationale » considère qu’Israël maintient un contrôle effectif, même en l’absence de forces armées. Si les experts juridiques reconnaissent que l’absence de présence militaire ne correspond pas à « l’approche traditionnelle » de l’analyse du contrôle effectif, ils estiment que la présence militaire n’est qu’un « critère de preuve ». Ils citent des autorités telles que la Haute Cour israélienne, qui ont estimé que le statut d’occupation dépendait de l’exercice d’un contrôle effectif. Ils estiment donc que la technologie a permis à Israël d’utiliser une force permanente pour exercer un contrôle effectif – imposer son autorité et empêcher les autorités locales d’exercer leur contrôle – sans présence militaire.

Plus précisément, les experts de la Commission d’enquête internationale indépendante des Nations unies sur le territoire palestinien occupé ont répertorié des notes de position du Conseil de sécurité des Nations unies, de l’Assemblée générale des Nations unies, une déclaration de 2014 adoptée par la Conférence des Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève, du CICR, et « les positions des précédentes commissions d’enquête », selon lesquelles ‘Israël a « exercé un contrôle, entre autres, sur l’espace aérien et les eaux territoriales [de Gaza], les passages terrestres aux frontières, l’approvisionnement en infrastructures civiles, y compris l’eau et l’électricité, et les fonctions gouvernementales clés telles que la gestion du registre de la population palestinienne ». Ils soulignent également « d’autres formes de force, telles que les incursions militaires et les tirs de missiles ».

En ce qui concerne la frontière entre Gaza et l’Égypte, ils affirment que si l’Autorité palestinienne gère le point de passage sous la supervision des observateurs de l’UE, c’est Israël qui en a le contrôle en dernier ressort. Les forces de sécurité israéliennes supervisent les listes de passagers – décidant qui peut traverser – et contrôlent les opérations, et peuvent refuser le « consentement et la coopération » nécessaires pour maintenir le passage ouvert. Dans le même ordre d’idées, les experts notent que les « mesures coercitives » d’Israël ont encore « entravé les efforts visant à mettre en place des institutions démocratiques adéquates » et qu’Israël n’a toujours pas transféré de pouvoirs souverains et maintient au contraire son contrôle sur « la capacité de [l’Autorité palestinienne] à fonctionner de manière efficace ». Sur la base de l’exercice effectif du contrôle, ils concluent donc qu’Israël occupe Gaza depuis le début de l’occupation générale de la Palestine en 1967.

Quelles sont les lois internationales qui régissent l’occupation ?

La quatrième Convention de La Haye et la quatrième Convention de Genève, ainsi que le droit international coutumier et le Protocole Additionnel I (auquel l’État de Palestine est partie et dont la plupart des dispositions sont considérées comme coutumières), régissent l’occupation proprement dite.

En outre, le jus ad bellum (les conditions dans lesquelles les États peuvent recourir à la force) et le jus in bello (le droit régissant la conduite pendant un conflit armé) s’appliquent tous deux aux situations d’occupation.

En ce qui concerne le jus ad bellum, le chapitre VII de la Charte des Nations unies énumère les usages acceptables de la force, y compris l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies et la légitime défense. La résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations unies donne ensuite une définition de l’agression qui constituerait une violation de la Charte des Nations unies et de la Déclaration sur les Relations Amicales. Il s’agit de « l’invasion ou l’attaque du territoire d’un État par les forces armées d’un autre État, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou toute annexion par l’emploi de la force du territoire d’un autre État ou d’une partie de ce territoire ».

Dans le cadre du conflit actuel, le statut de l’occupation détermine si et comment Israël peut justifier son recours à la force à Gaza en vertu de la Charte des Nations unies en réponse aux attaques du Hamas. L’ambassadrice américaine auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, a invoqué l’article 51 de la Charte des Nations unies le 18 octobre pour soutenir qu’Israël a un droit inhérent à l’autodéfense. Cependant, la Cour internationale de justice (CIJ) a statué dans son avis consultatif de 2004 qu’Israël ne pouvait pas invoquer l’article 51 contre une menace provenant d’un territoire occupé qu’il contrôle, mais qu’il avait le droit de répondre par des actions conformes au droit international applicable.

Même sans statut d’occupation, si certains pensent que la justification de l’article 51 pourrait s’appliquer, de nombreux experts et États estiment que cette justification ne s’applique pas à la défense contre les groupes armés non étatiques ou qu’elle ne s’applique que dans des situations limitées. Le recours à l’article 51 dans un tel contexte soulève des questions telles que les violations de l’intégrité territoriale d’un État auxquelles les actions du groupe armé peuvent ne pas être imputables. Comme l’ont reconnu le Président Biden et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l’attaque contre Israël a été menée par le Hamas, un groupe militant qui, en tant que parti politique, dirige actuellement le gouvernement de Gaza mais n’est pas lui-même le gouvernement palestinien. L’attaque est donc distincte d’une attaque perpétrée par un État ou un territoire. Toutefois, si la Palestine était considérée comme un État et que les actions du Hamas lui étaient imputables, ou si la Palestine se révélait incapable ou peu désireuse de faire face à la menace, certains pourraient considérer qu’une justification au titre de l’article 51 est applicable – bien que plusieurs États semblent prêts à s’y opposer.

Si l’article 51 s’applique, l’action entreprise doit toujours être nécessaire et proportionnelle. Inversement, comme l’a noté la CIJ, si l’article 51 ne s’applique pas, Israël peut toujours répondre à l’attaque du Hamas conformément au droit international applicable.

Le jus in bello s’applique à toutes les parties d’un conflit armé. Pour les occupations, les Conventions de Genève – qui forment le « noyau dur du droit international humanitaire » (DIH) – s’appliquent même lorsque l’occupation n’est pas confrontée à une résistance armée et n’est donc pas considérée comme un conflit armé. Le Protocole Additionnel I « étend la définition des conflits armés internationaux » aux situations dans lesquelles « des personnes luttent contre [ …] une occupation étrangère [ …] dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination ».

La CIJ a également estimé que d’autres corpus juridiques, tels que le droit international des droits de l’homme (DIDH), peuvent s’appliquer aux territoires occupés. La CIJ a statué que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et la Convention relative aux droits de l’enfant s’appliquent à l’exercice par Israël de sa juridiction en dehors de son territoire et qu’Israël ne peut pas faire obstacle à l’exercice par les autorités palestiniennes des droits prévus par le PIDESC dans les domaines où elles sont compétentes. Toutefois, la relation exacte entre le droit international humanitaire, le droit international humanitaire et d’autres systèmes juridiques dans le contexte d’une occupation fait toujours l’objet d’un débat.

Quelles sont les obligations de l’État occupant ?

Tout d’abord, l’occupation doit être temporaire et ne peut servir d’ « annexion de fait ». Bien que le concept d’« occupation prolongée » fasse débat, les occupations « permanentes » sont généralement considérées comme illégales. Le 17 janvier 2023, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a demandé à la CIJ de rendre un avis consultatif sur « les conséquences juridiques de la violation continue par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, du fait de l’occupation, de la colonisation et de l’annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967 ».

Conformément au droit international humanitaire, les obligations liées à l’occupation tiennent compte du fait que les civils peuvent être affectés, mais elles sont généralement conçues pour protéger les civils dans la mesure du possible. Les puissances occupantes ont l’obligation de « maintenir l’ordre public et la vie publique dans le territoire occupé ». Bien que les États occupants ne soient pas tenus de traiter la population de l’État occupé de la même manière que leur propre population, ils ont l’obligation de promouvoir le bien-être de ceux qui se trouvent dans le territoire occupé. Il s’agit de trouver un équilibre entre les besoins de sécurité de la puissance occupante et les besoins de la population locale, en présumant que le « statu quo ante » sera préservé.

D’autres dispositions imposent ou interdisent certaines actions. En vertu des Conventions de Genève, les « personnes protégées » comprennent « les personnes civiles qui, en raison d’un conflit ou d’une occupation, sont au pouvoir d’une Partie dont elles ne possèdent pas la nationalité ». Elles sont protégées par la quatrième Convention de Genève, qui stipule notamment que:

  • « Dans toute la mesure des moyens disponibles, doit être assuré l’approvisionnement alimentaire et médical de la population », y compris l’acheminement des « vivres, réserves médicales et autres articles nécessaires si les ressources du territoire occupé sont insuffisantes ».
  • « Dans toute la mesure des moyens disponibles, il doit être assuré et maintenu, avec la coopération des autorités nationales et locales, les établissements et services médicaux et hospitaliers, la santé et l’hygiène publiques.
  • En cas d’insuffisance des approvisionnements, même pour une partie seulement de la population, doivent être acceptées et facilitées les actions de secours faites en faveur de cette population ».

Le Protocole Additionnel I impose en outre d’assurer « la fourniture de vêtements, de literie, de moyens d’hébergement, d’autres approvisionnements essentiels à la survie de la population civile du territoire occupé et d’objets nécessaires au culte », là encore « dans toute la mesure des moyens disponibles ».

Certaines obligations recoupent les principes fondamentaux du droit international humanitaire, comme l’interdiction des prises d’otages et des châtiments collectifs. D’autres adaptent les principes du droit international humanitaire, comme l’interdiction de la déportation ou du transfert forcé de civils d’un territoire occupé, l’obligation de se préoccuper de la sécurité des civils ou d’invoquer une « raison militaire impérative », et le respect de la propriété privée, sauf en cas de « nécessité militaire impérative ».

Bien qu’Israël ait accepté certaines mesures d’aide, celles-ci ont été fortement critiquées comme étant inadéquates. Par exemple, le rétablissement de l’approvisionnement en eau a été extrêmement limité, avec seulement 14 % de la bande de Gaza bénéficiant de l’ouverture de trois heures de l’approvisionnement en eau à partir du 17 octobre. Alors que cinquante-quatre camions d’aide auraient été livrés au 22 octobre, les responsables de l’ONU ont estimé qu’il en fallait au moins cent par jour pour couvrir les « besoins urgents », et qu’une moyenne de 450 étaient livrés quotidiennement avant l’éclatement de la crise. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient a fait état de conditions désastreuses liées au « carburant, à la nourriture, à l’eau et aux médicaments » et a dénombré environ un million de personnes déplacées à l’intérieur de la bande de Gaza. Si Israël réalise son projet de cesser d’être « responsable du sort de la bande de Gaza » sans cesser de contrôler la bande de Gaza, il s’agira d’une nouvelle violation de ses obligations.

Quelle responsabilité les États occupants et leurs responsables endossent-ils en cas de violation de ces obligations ?

Les Territoires palestiniens occupés sont un État membre de la CPI ; la Chambre préliminaire I de la CPI et le Bureau du Procureur de la CPI ont précisé qu’ils utilisent le terme « État » exclusivement dans le cadre de la CPI et des procédures du Statut de Rome. La Palestine a adhéré au Statut de Rome le 2 janvier 2015, mais elle a déposé une déclaration auprès de la CPI le 1er janvier 2015, acceptant la compétence de la Cour depuis le 13 juin 2014. Bien que la déclaration ne le précise pas, cette date correspond au début du conflit de Gaza de 2014.

La Palestine a déféré la situation à la CPI le 22 mai 2018 pour demander une enquête et, le 3 mars 2021, le Bureau du Procureur a ouvert une enquête sur la situation en Palestine pour les crimes commis depuis le 13 juin 2014. La CTP-I a confirmé que la compétence de la CPI s’étendait à Gaza. Ce faisant, la CTP-I « a rappelé que la CPI n’est pas constitutionnellement compétente pour déterminer les questions relatives à l’existence d’un État qui lieraient la communauté internationale ». Elle a déclaré que le seul objectif de sa décision était de définir la compétence territoriale de la CPI, et qu’elle « ne se prononce pas sur un différend frontalier en vertu du droit international et ne préjuge pas de la question des frontières futures ».

L’article 8(2)(b)(viii) du Statut de Rome considère comme un crime de guerre « le transfert, direct ou indirect, par la puissance occupante d’une partie de sa propre population civile dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert de la totalité ou d’une partie de la population du territoire occupé à l’intérieur ou hors de ce territoire » lorsqu’il est commis au cours d’un conflit armé international. Selon la jurisprudence internationale, y compris celle de la CPI, la déportation peut être effectuée par la coercition telle que « celle causée par la peur de la violence, la contrainte, la détention, l’oppression psychologique ou l’abus de pouvoir » et les situations qui empêchent un « véritable choix ».

En outre, l’article 8, paragraphe 2, point a), couvre les infractions graves aux Conventions de Genève commises à l’encontre de personnes protégées, ce qui inclut les civils sous occupation. Bien que le crime d’agression couvre également certains actes liés à l’occupation, Israël n’est pas partie au Statut de Rome et n’a pas ratifié l’amendement ajoutant l’agression au Statut de Rome (alors que la Palestine l’a fait). Comme la CPI ne peut poursuivre l’agression que lorsque l’État agresseur et l’État victime ont tous deux ratifié l’amendement, la CPI n’est pas compétente pour ce crime dans le cas présent.

La CIJ n’a pas encore statué sur la demande d’avis consultatif de l’ONU concernant les droits du peuple palestinien dans les territoires palestiniens occupés, mais elle s’apprête à donner des avis concrets sur le statut et les obligations d’Israël. Bien que les avis consultatifs ne soient pas contraignants, ils peuvent contribuer à éclairer la manière dont d’autres tribunaux interprètent les responsabilités d’Israël. Dans le même ordre d’idées, certaines juridictions nationales contiennent des dispositions dans le cadre de la législation sur les crimes de guerre qui criminalisent certaines violations liées à l’occupation. Les responsables israéliens pourraient être jugés dans ces juridictions, bien que cela suppose généralement qu’ils se rendent dans ces pays.

S’il s’avère qu’Israël n’occupe pas Gaza, quelles sont ses obligations ?

S’il s’avère qu’Israël n’occupe pas Gaza, les obligations dues à un territoire occupé en vertu de la quatrième Convention de La Haye et de la quatrième Convention de Genève, du droit international coutumier et du Protocole Additionnel I ne s’appliqueraient pas.

Cependant, Israël et le Hamas sont au moins dans un conflit armé non international. À ce titre, l’article 3 commun aux Conventions de Genève, le protocole additionnel II (auquel l’État de Palestine est partie et dont la plupart des dispositions sont considérées comme coutumières) et le droit international coutumier s’appliquent. Le conflit pourrait également être considéré comme un conflit armé international pour des raisons autres qu’une occupation, par exemple si un deuxième État venait à s’y joindre. Dans ce cas, les Conventions de Genève, y compris la quatrième Convention de Genève en ce qui concerne les civils, et le droit international coutumier s’appliquent.

Qu’il s’agisse d’un conflit armé non international ou international, Israël et le Hamas sont tenus de respecter les principes fondamentaux du droit international humanitaire d’humanité, de distinction, de proportionnalité et de nécessité militaire. De même, ils sont tous deux tenus de respecter le droit international coutumier, qui interdit strictement, entre autres, de prendre des civils pour cible, d’exercer une violence visant principalement à « répandre la terreur parmi la population civile », de procéder à des transferts ou à des déplacements forcés, d’utiliser la famine comme méthode de guerre et de prendre pour cible des unités médicales.

En conclusion, les lois d’occupation codifient un principe fondamental de l’humanité : ceux qui exercent un contrôle effectif sur une population ont l’obligation de la protéger. Indépendamment du fait qu’Israël occupe actuellement Gaza ou non, le contrôle qu’il exerce sur sa population montre à quel point le pouvoir israélien peut avoir un impact sur la population civile. Même si les obligations liées à l’occupation ne s’appliquent pas, Israël doit respecter les obligations minimales prévues par le droit international humanitaire : permettre l’accès à l’aide humanitaire et s’abstenir de commettre des crimes de guerre, notamment en prenant pour cible, en affamant et en transférant de force des civils.

 

[1] D’autres organisations ont reconnu plus de cinquante ans d’occupation israélienne à Gaza : la Fédération internationale des droits de l’homme, le projet « Rule of Law in Armed Conflict » de l’Académie de Genève, Médecins sans Frontières, Minority Rights Group International, Al-Haq, B’tselem et le Center for Constitutional Rights.

 

Crédits photo : Israel Defense Forces (IDF), via EYEPRESS et Reuters Connect

Auteurs en code morse

Celeste Kmiotek

Celeste Kmiotek est juriste au sein du Strategic Litigation Project de l’Atlantic Council. Le Strategic Litigation Project travaille sur la prévention et la responsabilité des crimes d’atrocité, des violations des droits de l’homme et des délits de corruption dans le monde entier.

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