Européaniser la bombe !

Le Rubicon en code morse
Juil 11

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La place des alliés européens dans le dispositif nucléaire français fut au cœur des débats de l’élection pour renouveler le parlement européen de 2024. Il ne se passait pas une semaine sans qu’un expert français ou étranger donne son avis sur la question. Plus intéressant encore, la question de l’européanité de la dissuasion nucléaire intégrait le débat politique puisque le Rassemblement National et LFI accusèrent le président de la République de vouloir partager la dissuasion nucléaire française avec les alliés européens.

Ce débat sur la dimension européenne de la dissuasion se caractérise finalement autour de deux questions majeures : la France peut-elle plus européaniser sa dissuasion et doit-elle le faire ?

Les réponses à ces questions se cantonnent souvent au simple rappel de la doctrine, réelle ou imaginée, et à des propos du Président. Pourtant, il n’a jamais été aussi important pour l’avenir de la France d’européaniser sa dissuasion nucléaire !

Définir l’européanité de cette nouvelle politique de dissuasion est complexe, car cela nécessite une vision prospective dans un contexte stratégique incertain. Cependant, nous pouvons résumer cette dimension européenne en deux points principaux.

Premièrement, le discours officiel doit évoluer. En tant qu’architecte de la doctrine de dissuasion nucléaire, le Président de la République doit clairement réaffirmer la dimension européenne de cette doctrine. Cela inclut l’extension explicite de nos intérêts vitaux à tous les partenaires de l’Union européenne et la promotion continue d’une concertation ouverte aux européens sur le rôle de la dissuasion sur le continent. L’intégration du Groupe des plans nucléaires (GPN) de l’OTAN renforcerait la crédibilité de notre doctrine et montrerait que la dimension européenne de la dissuasion nucléaire française n’est pas en concurrence avec celle des États-Unis.

Deuxièmement, la pratique de la dissuasion nucléaire doit être cohérente avec cette nouvelle doctrine. Cela pourrait se concrétiser par des exercices conjoints avec nos alliés (comme l’exercice Poker), le déploiement de Rafale dotés de capacités nucléaires sur le territoire de partenaires européens, et éventuellement la réintroduction de têtes nucléaires similaires au système Hadès dans les pays du flanc Est de l’Europe.

Nous détaillerons ces éléments dans le développement de cet article. Il est crucial de noter l’urgence de concrétiser l’européanité de notre politique de dissuasion, souvent freinée par nos propres tabous. Cette démarche pourrait, à moindre coût, nous garantir une position significative dans le nouveau système de défense européen en formation.

 

L’urgence d’Européaniser !

L’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, fut un réveil brutal pour bon nombre de pays européens. Elle marque le retour d’une menace d’un conflit de haute intensité et oblige les pays européens à se réarmer. Dans cet élan militaire européen, la France possède une place bien singulière. Dotée d’une armée efficace au format expéditionnaire, celle-ci ne semble pas pouvoir contribuer à la défense de l’Europe comme elle le souhaiterait. En effet, les capacités militaires françaises sont un héritage laissé par le Président Jacques Chirac en 1995. Dès son accession aux plus hautes responsabilités, le Président a initié la professionnalisation de l’armée, visant à aligner les forces françaises sur les caractéristiques des armées anglo-saxonnes. Cette décision était parfaitement logique en 1995, à un moment où l’OTAN se donnait pour mission de résoudre des crises en dehors de ses zones d’intervention habituelles. Ainsi, pour garantir son rôle de puissance agissante, la France devait adapter ses capacités tout en sachant que la dissuasion nucléaire assurerait la survie du pays en cas de réapparition brutale d’un risque de guerre de haute intensité ou de frappes chimiques ou nucléaires. Cette idée a perduré sous Nicolas Sarkozy avec le concept de la dissuasion nucléaire comme « l’assurance-vie de la Nation ». Cependant, si les forces conventionnelles françaises accomplissent leurs opérations hors d’Europe avec succès, leur faible quantité et les moyens limités qui leur ont été alloués ne leur permettraient pas d’emporter la décision face à une armée conventionnelle pléthorique comme celle de la Russie. Cela entraîne un problème majeur pour la stratégie française : comment intégrer l’armée française dans la défense européenne ? Cette question est soulevée dans l’ouvrage de Jean-Dominique Merchet, Sommes-nous prêts pour la guerre ? et la réponse pourrait résider dans une meilleure intégration de notre dissuasion nucléaire à l’Europe.

La construction d’une future défense européenne a déjà commencé. Plusieurs rapports de think tank, notamment celui d’Élie Tenenbaum et de Léo Péria-Peigné, de septembre 2023 de l’IFRI, sur les progrès allemands en matière de défense, montrent que l’Europe de la défense se réalise progressivement, mais sans la participation que la France pourrait ambitionner. Si la France participe à l’industrie militaire européenne avec des programmes multinationaux tels que le SCAF et le Char du futur, et a déployé plus de 1 000 soldats dans le cadre de la mission AIGLE en Roumanie, peut-elle réellement être en position de leader avec son format de force actuel? Cela est d’autant plus incertain lorsqu’on compare les capacités française à l’armée polonaise qui la dépasse déjà en effectifs ou en comparaison avec l’armée allemande qui souhaite se constituer une armée de 200 000 hommes, principalement au sein de l’armée de terre, d’ici dix ans. Le rapport de l’IFRI précédemment cité montre également que les capacités développées par les Allemands sont en partie mutualisables, contrairement à celle de notre armée, qui se conçoivent avant tout dans une logique indépendante. Au-delà des effectifs, c’est la composition même de l’armée de terre française qui pourrait la rendre inadaptée à un conflit conventionnel contre une grande puissance fortement mécanisée et disposant de nombreux effectifs. La France se trouve donc dans une situation paradoxale et cruellement ironique : alors que son objectif a toujours été de construire une autonomie stratégique européenne, le format de ses forces conventionnelles, déterminé par leur caractère expéditionnaire, semble mal adapté à un conflit de grande ampleur, surtout en comparaison des futures armées allemandes ou polonaises. Le principal apport décisif que pourrait offrir la France au dispositif de défense à l’Est serait sans doute sa dissuasion nucléaire. Seule celle-ci permettra de compenser la faiblesse numérique française par une capacité de destruction sans commune mesure en Europe afin de dissuader l’adversaire russe de lancer un futur conflit à grande échelle. Réussir cette assimilation de la dissuasion française au dispositif de défense européenne permettrait à la France de garder son format de forces conventionnelles expéditionnaire, particulièrement utile pour d’autres missions.

Autre élément plaidant pour une plus grande intégration de la dissuasion française au dispositif de défense européenne : le projet European Sky shield. Ce programme, à l’initiative de l’Allemagne, réunit de nombreux pays européens pour la dotation d’une défense antimissile. Celle-ci pourrait brouiller la grammaire nucléaire française, si son fonctionnement n’est pas harmonisé avec celui de notre dissuasion. Par exemple, dans le cas où le bouclier Sky Shield bloque une frappe nucléaire limitée sur sol européen, cela peut en réponse conduire le potentiel adversaire nucléaire à une attaque nucléaire massive ou à abandonner ses frappes. Une coordination entre notre doctrine nucléaire et la défense Sky shield pourrait au contraire permettre une défense plus complète et surtout complémentaire.

Si la France n’arrivait pas à mieux intégrer la dissuasion nucléaire à la défense collective, il en résulterait un cruel isolement. Une Europe de la défense qui n’offrirait pas une place importante à la France serait sans doute l’un des plus grands aveux d’impuissance que notre pays ait connu et impliquerait une révision générale de notre stratégie de défense. La France et la Grande-Bretagne ont déjà connu un isolement en Europe sur les questions nucléaires après le discours de Prague de Barack Obama en 2009. Cette allocution du Président Étatsunien portait l’idéal d’un monde sans arme nucléaire. Ce propos avait été la base d’une campagne contre l’arsenal nucléaire français et britannique provenant de pays européens. On peut ainsi citer la proposition signée par cinq ministres des Affaires étrangères, dont celui de l’Allemagne, qui demandèrent à remplacer les armes nucléaires américaine en Europe par une défense antimissile américaine dans le but de dénucléariser l’OTAN. L’amélioration de la situation stratégique pour l’Europe ou encore un accident nucléaire de grande ampleur, pourraient retourner les opinions européennes contre le nucléaire. Contrairement à 2009, la France est aujourd’hui la seule puissance nucléaire de l’Union européenne, ce qui ne permet plus de trouver le soutien salvateur que représentait la Grande-Bretagne au sein de l’Union à l’époque. Rendre notre dissuasion nucléaire plus utile, voire indispensable pour nos alliés, c’est garantir la place majeure de la France dans l’Union européenne. Dans un avenir plus qu’incertain, mieux intégrer notre dissuasion semble aussi être une prudence de mise.

Ainsi, une plus grande ouverture sur l’Europe autour de notre dissuasion s’impose et il faut que celle-ci ait lieu rapidement. Actuellement, la position allemande à propos de notre dissuasion est relativement neutre voire positive chez certains diplomates. Il faut aussi noter des signaux venant de la Pologne plutôt encourageants. Il ne faut pas laisser une situation stratégique exceptionnellement favorable telle que l’on ne l’a pas connu depuis 30 ans en raison d’un contexte politique et économique, hélas, difficile. D’autant plus qu’il existe des exemples d’échec des politiques pour européaniser la dissuasion nucléaire.

 

Apprendre des échecs passés

La dimension européenne de notre dissuasion nucléaire a deux visages : l’un intrinsèque, qui s’explique par la position de la France en Europe et au sein de ses alliances. L’autre est contingent et s’incarne par la politique volontariste française d’européanisation de sa dissuasion. Ces concrétisations peuvent être discursives comme lorsque François Mitterrand parle en 1992, lors d’un discours sur l’avenir de l’Europe, d’une « doctrine européenne » comme futur de la dissuasion. Cette contingence de l’européanité de la dissuasion nucléaire peut aussi se matérialiser comme le montrent les accords de Lancaster House en 2010 qui permettent une coopération sur la simulation informatique des têtes nucléaires entre Français et Britannique. L’existence de ces politiques d’ouverture de la dissuasion française à d’autres pays européens, motivée en partie par des raisons budgétaires, démontre l’évolution de la politique nucléaire. Mais ces politiques peuvent aussi échouer, ce qui démontre l’importance d’agir dans une situation favorable sur ce sujet.

Le plus grand changement dans « l’européanité » de la dissuasion nucléaire française a lieu dans le cadre des grandes réformes de la défense, initiées par Jacques Chirac et Alain Juppé. Celles-ci portaient le concept de dissuasion concertée, officialisé par le Premier ministre Alain Juppé le 7 septembre 1995. Le Premier ministre décrit ainsi sa proposition : « Que signifie cette formule ? Elle exprime tout d’abord la nécessité d’un dialogue entre deux partenaires égaux, sur un sujet qui concerne leur existence future commune. L’Allemagne n’a pas l’intention de se doter de l’arme nucléaire. Elle l’a redit solennellement après sa réunification, en confirmant l’adhésion du nouvel Etat au TNP. Dans un monde où le nucléaire continuera de jouer un rôle nécessaire, ne serait-ce qu’en raison des arsenaux existants, cet engagement rend plus important encore le fait de garantir la sécurité de l’Allemagne contre cette menace. »

La politique d’européanisation de la dissuasion française lancée en 1995 connut certaines réussites, notamment la déclaration franco-britannique des Chequers du 30 octobre 1995 qui conclut que « les intérêts vitaux de l’un ne pouvaient être menacés sans que les intérêts vitaux de l’autre ne soient aussi en danger. ». Un autre progrès vers une plus grande européanisation de la dissuasion fut la signature du concept commun de défense franco-allemand à la suite du 16e sommet franco-allemand de sécurité et de défense le 9 décembre 1996. Celui-ci stipulait que « La garantie suprême de la sécurité des Alliés est assurée par les forces nucléaires stratégiques de l’Alliance, en particulier celles des États-Unis ; les forces nucléaires indépendantes du Royaume-Uni et de la France, qui remplissent un rôle de dissuasion qui leur est propre, contribuent à la dissuasion et à la sécurité globales des Alliés. Nos pays sont prêts à engager un dialogue concernant la fonction de la dissuasion nucléaire dans le contexte de la politique de défense européenne. »

Mais cette politique s’arrêta brutalement, non pas par la faute du contexte international, mais par une opposition à l’Assemblée nationale initiée par les communistes. La gauche refuse ce concept commun, car il lierait la dissuasion nucléaire à l’OTAN. Ce refus du texte est rejoint par une fronde d’une partie de la droite qui se lève contre le concept commun au nom de sa conception du gaullisme. Face à cette coalition hétéroclite, le gouvernement cède. Par la suite, la cohabitation de 1997-2002 et la situation internationale sont peu propices à une nouvelle réussite d’une proposition de dissuasion concertée de la part de la France, bien que celle-ci se répéta en 1997, 2006, 2008 et enfin lors du discours stratégique d’Emmanuel Macron devant l’école de guerre le 7 février 2020. Mais, sans texte officiel signé par la France comme par l’Allemagne, il semblait bien difficile d’entretenir un dialogue sur la question de la dissuasion alors qu’il n’existait plus de menace conventionnelle structurante en Europe.

Bien sûr, la signature du concept commun franco-allemand n’aurait sans doute pas permis à elle seule de créer une discussion constructive et stable dans le temps sur le rôle de la dissuasion nucléaire française en Europe. Pourtant, il est clair que la désapprobation nationale vis-à-vis de l’accord n’a pas permis à la France d’avoir une solide base pour pousser nos partenaires d’outre-Rhin à échanger avec nous sur des questions stratégiques. Si des formats diplomatiques existent déjà, comme le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFDAS), ces derniers ne se réunissent pas suffisamment souvent pour créer l’« intimité stratégique » souhaitée. L’échec de la dissuasion concertée montre que l’absence d’intérêt de nos partenaires ne fut qu’une partie du problème. La principale difficulté pour une meilleure intégration de notre dissuasion au dispositif européen réside dans l’opposition politique nationale.

 

Les moyens de l’intégration

Il parait bien difficile aujourd’hui d’ouvrir la dissuasion nucléaire française aux partenaires européens et à l’intégrer à une défense collective. En effet, les réactions des pays européens ne sont pas totalement prévisibles et l’évaluation de leurs réticences à une telle politique ne saurait être parfaitement jaugée. Pour les chercheurs en relation internationale Liviu Horovitz et Lydia Wachs, la proposition d’échange d’Emmanuel Macron ne semble pas différente des précédentes ouvertures et surtout, les « clarifications » faites à sa suite montrent, selon ces chercheurs, le manque d’ambitions de telles propositions. De plus, l’instabilité politique potentielle en France après les élections du 7 juillet 2024 et le risque persistant d’une arrivée au pouvoir du Rassemblement National aux positions pro-Russes rendent les promesses françaises peu fiables. Que peut-on attendre d’un parti qui rejoint le nouveau groupe d’extrême droite pro-russe créé par Viktor Orbán au Parlement européen immédiatement après les élections législatives du 7 juillet 2024 ?

Pourtant, il existe bien des leviers d’actions pour améliorer les chances de réussites d’une politique d’européanisation de la dissuasion. Pour cela, il est nécessaire de produire une proposition cohérente et crédible à nos partenaires qui semblent d’ailleurs en demande d’une telle offre, ce qui pourrait être un premier pas vers une dimension européenne plus affirmée.

La première étape réside dans une évolution du discours officiel sur la dissuasion. En effet, l’arme nucléaire n’est pas politiquement neutre. Elle relève d’un tabou gaulliste comme puissant symbole de l’indépendance nationale. L’opposition de ceux qui affichent une conception souverainiste de la politique extérieure française est à prévoir. Il n’en demeure pas moins que pour ouvrir la dissuasion nucléaire à certains pays européens, il s’agit dans un premier temps d’accepter l’antagonisme politique que cela pourrait créer. Les partis actuels les plus véhéments à l’encontre de la dimension européenne de la dissuasion ont un positionnement populiste et extrême qui tentent de mobiliser un héritage pseudo-gaulliste. Ceci relève d’une posture sans véritable fond. Il est crucial de réaffirmer continuellement que l’avenir de la sécurité française est intrinsèquement lié à la défense de l’Europe, tant sur le plan géographique qu’institutionnel. En ce sens, il est impératif de déclarer clairement que la dissuasion nucléaire protège les pays membres de l’Union. Si l’ambiguïté peut être utile, il faut se demander si celle recouvrant la dimension européenne de la dissuasion nucléaire l’est. Agir de la sorte provoquera un recentrage du débat politique national sur les questions stratégiques, un sujet qui ne profiterait pas au RN en raison de ses relations troubles avec la Russie. De plus, cela démontrerait que la France est équitable envers tous ses partenaires européens, ce qui ne peut être que bénéfique, étant donné le rôle croissant des pays d’Europe de l’Est dans la défense européenne. Enfin, l’ambiguïté géographique de la dimension européenne pourrait être transférée à la notion des intérêts vitaux desdits pays européens, conservant ainsi le flou nécessaire à la dissuasion.

La seconde étape consiste à briser les tabous qui existent sur la dissuasion nucléaire. Dessiner sa contribution à la défense européenne ne peut se faire qu’à travers une réflexion collective. Ce débat ne doit pas être entravé par des rappels constants à une doctrine qui a toujours évolué. Il faut, d’ailleurs, à l’instar de Pierre Haroche, affirmer que la doctrine sur la dimension européenne peut changer. A ce titre, n’oublions pas que Jacques Chirac en 2006 avait eu ses propos : « Pour autant, les dirigeants d’États qui auraient recours à des moyens terroristes contre nous, tout comme ceux qui envisageraient d’utiliser, d’une manière ou d’une autre, des armes de destruction massive, doivent comprendre qu’ils s’exposent à une réponse ferme et adaptée de notre part. Et cette réponse peut être conventionnelle. Elle peut aussi être d’une autre nature. » Combien aujourd’hui s’offusquerait d’un affaiblissement terrible de crédibilité de la dissuasion ?

Il s’agit donc de remettre en question certains concepts et d’en redéfinir d’autres, comme « arme de non-emploi » ou encore de « stricte suffisance ». Pour cela, il est nécessaire de dépasser l’exégèse de la doctrine et rappeler que de Gaulle lui-même goûtait peu aux débats de « théologiens » en ce qui concernait les analyses stratégiques et la doctrine.

Ainsi, la dernière étape pour une plus grande européanité de la dissuasion nucléaire relève du renforcement de la crédibilité de celle-ci. Pour ce faire, il faut redimensionner notre arsenal nucléaire pour qu’il corresponde aux objectifs de la France. Le format des forces nucléaires actuel était cohérent en 1997 lorsqu’aucune menace conventionnelle et nucléaire ne pesait sur les pays membres de l’Union européenne. Mais il est difficilement concevable que notre arsenal reste semblable à cette période alors que la Russie, pays livrant une guerre conventionnelle, ne cesse de nous menacer d’une attaque nucléaire. Il faut aussi prendre en compte les progrès actuels et futurs des défenses antimissiles adverses pour le nouveau format de notre dissuasion.

Concrètement, posséder davantage de missiles ASMPA et de Rafales équipés renforcerait notre crédibilité en matière de dissuasion face à la menace russe. Pour évaluer cette augmentation des capacités, il serait pertinent de consulter les besoins de nos alliés européens en matière de réassurance nucléaire. Dans ce cadre, il est envisageable de dialoguer sur un possible déploiement des FAS dans les pays européens pour augmenter cette réassurance.

Réussir cette intégration représenterait la concrétisation de la dissuasion concertée évoquée par les Présidents de la République depuis Jacques Chirac. Selon le projet de loi de finances 2023 pour l’équipement des forces, la dissuasion coûterait 4,161 milliards d’euros, sans inclure les dépenses pour le personnel. Bien que toute augmentation du nombre de vecteurs ait un coût, particulièrement dans le contexte économique actuel de la France, cette approche serait toujours moins onéreuse qu’une refonte totale de notre armée. Une solution potentiellement plus économique consisterait à réintroduire des missiles pré-stratégiques de type Hadès, dont le programme avait coûté environ 3,35 milliards d’euros à l’époque (13 milliards de francs), afin de pouvoir ancrer la dissuasion sur le territoire de nos alliés. La somme indiquée ici peut donner une idée approximative de la dépense d’un tel programme, mais ne constitue en aucun cas une estimation précise de son coût.

Cependant, l’affirmation de notre européanité ne passe pas uniquement par un renouveau capacitaire, bien qu’il soit nécessaire. D’autre pratique, moins couteuse et tout aussi utile devront être mise en œuvre. Intégrer le Groupe des plans nucléaires (GPN) de l’OTAN serait la preuve que la dissuasion nucléaire française n’est pas une proposition concurrente au parapluie des Etats-Unis. Inviter des puissances européennes lors d’exercice de la FAS comme pour l’entrainement Poker serait aussi bienvenue. De manière générale, intégrer la dissuasion française a des wargames européens pourrait contribuer à progressivement faire changer les mentalités des militaires européens à l’égard de notre dissuasion nucléaire.

 

Ces propositions peuvent sembler choquantes, mais le débat autour de la dissuasion nucléaire française a trop longtemps été prisonnier d’une geste gaullienne mythifiée. Il s’agit de se réapproprier collectivement l’avenir de la dissuasion nucléaire pour construire demain une Europe qui nous protège.

 

Photo: AdrianHancu

Auteurs en code morse

Florian Galleri

Florian Galleri est doctorant en Histoire contemporaine sous la direction de Jenny Raflik. Sa thèse porte sur la dimension européenne de la dissuasion nucléaire française après la Guerre froide et s’intéresse aux questions de dissuasion nucléaire ainsi qu’à la coopération européenne en matière de défense.

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