Cet article est une traduction de « Two Decades and Four Reviews Later – What Comes Next for the UN Peacebuilding Architecture? », publié par le Global Observatory de l’International Peace Institute (IPI) le 9 janvier 2025.
Durant la dernière décennie, la capacité du système multilatéral à prévenir les conflits et à construire la paix s’est considérablement détériorée. Cette évolution suscite des interrogations sur l’état de l’architecture de consolidation de la paix de l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui fera l’objet de son quatrième examen cette année. Cet examen offre aux États membres et entités de l’ONU, à la société civile et aux autres parties prenantes l’occasion de renforcer les institutions de consolidation de la paix, ainsi que d’améliorer leur capacité à construire et à maintenir la paix dans le futur. Bien que l’architecture de consolidation de la paix onusienne ne soit pas une panacée, elle constitue un outil unique permettant aux États membres de partager leurs défis en matière de paix et de mobiliser un soutien intergouvernemental pour y faire face.
Au cours des deux dernières décennies, l’architecture de consolidation de la paix de l’ONU, qui comprend la Commission de consolidation de la paix (CCP), le Bureau d’appui à la consolidation de la paix (BACP) et le Fonds pour la consolidation de la paix (FCP), a évolué pour entreprendre une série d’activités visant à construire et à maintenir la paix. Si la consolidation et le maintien de la paix sont menés à l’échelle onusienne, l’architecture de consolidation de la paix a pour tâche principale d’œuvrer en partenariat avec les autorités nationales, les acteurs locaux de la consolidation de la paix et les autres parties prenantes, afin de prévenir l’éclatement et la résurgence de conflits et de favoriser le rétablissement post-conflit. À ce jour, la CCP a engagé des actions dans 31 pays et régions, tandis que le FCP a permis de financer des projets dans plus de 60 pays.
Que prévoit l’examen de l’architecture de consolidation de la paix ?
Afin d’évaluer et d’améliorer en continu la mise en œuvre du programme, les États membres exigent que l’architecture de consolidation de la paix fasse l’objet d’un examen tous les 5 ans. Le quatrième examen, mandaté par la résolution 75/201 de l’Assemblée générale et la résolution 2558 du Conseil de sécurité, comprend une phase informelle, qui a eu lieu au cours de l’année 2024, et une phase formelle, qui aura lieu en 2025. Les informations recueillies au cours de la phase informelle aboutissent à un rapport publié par le secrétaire général sur la consolidation et le maintien de la paix. Ce rapport évalue les progrès de l’ONU dans la mise en œuvre du programme et formule des recommandations pour améliorer l’architecture de consolidation de la paix. Il est prévu que, avant la fin de l’année, les États membres délibèrent sur les conclusions du rapport et adoptent des résolutions conjointes de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations Unies qui refléteront probablement certaines des recommandations formulées dans le rapport du secrétaire général.

Source: 2025 Review of the UN Peacebuilding Architecture
Les États membres ont demandé que l’examen de 2025 soit un « examen complet », ce qui signifie que la portée de l’examen est large et devrait couvrir l’ensemble des travaux de l’architecture de consolidation de la paix. L’examen de 2020, qui était également « complet », a abouti à 792 recommandations et 261 sous-recommandations à l’intention des États membres. Nombre de ces recommandations n’ont pas encore été mises en œuvre car, outre les sensibilités politiques, le processus produit plus de recommandations que l’ONU ne saurait en mettre en œuvre en 5 ans. Par conséquent, nombre des recommandations formulées en 2020 restent pertinentes et ont été reprises dans les documents finaux produits à l’issue de la phase informelle de l’examen, en 2024.
Cinq questions clés susceptibles d’être débattues
Bien qu’il existe un large éventail de sujets et de recommandations que les États membres peuvent aborder, les cinq questions clés suivantes sont susceptibles d’être débattues.
1. Renforcer les rôles de « liaison » et de conseil de la Commission de consolidation de la paix
La CCP a été créée par les États membres en tant qu’organe consultatif, chargé de jouer un « rôle de liaison » entre les principaux organes et autres entités des Nations Unies sur les besoins et les priorités en matière de consolidation de la paix. Dans le cadre de ce mandat, la CCP peut fournir des conseils au Conseil de sécurité, à la demande de ce dernier. Ces conseils portent généralement sur les besoins et les priorités en matière de consolidation de la paix dans un contexte donné ou dans un domaine thématique. Depuis 2020, la CCP a fourni des avis au Conseil 62 fois.
Figure : Les avis fournis par la CCP au Conseil de sécurité

Les données finales pour 2024 n’étaient pas encore disponibles au moment de l’écriture de l’article dans sa version originale. Les données pour les années restantes ont été obtenues à partir des rapports suivants : A/78/765/Corr.1-S/2024/153/Corr.1 ; A/77/720-S/2023/86 ; A/76/678-S/2022/89 ; A/75/747-S/2021/139.
Il est difficile de déterminer dans quelle mesure ces conseils ont influencé la prise de décision du Conseil de sécurité jusqu’à présent. Les États membres ont toutefois le sentiment que les suggestions de la Commission apportent rarement de nouvelles perspectives. Ils ont tenté de remédier à cette situation en renforçant les liens entre les deux organes, notamment en nommant un coordinateur informel entre la Commission et le Conseil. Ils envisageront probablement d’autres pistes pour améliorer la communication et la coordination entre les deux instances à l’avenir, notamment en améliorant le calendrier des réunions formelles et informelles, ainsi qu’en officialisant et en élargissant le rôle du coordinateur informel. Les États membres pourraient également envisager de regarder au-delà du Conseil de sécurité en renforçant le rôle de liaison de la CCP avec l’Assemblée générale, l’ECOSOC et le Conseil des droits de l’homme.
2. Aborder le lien entre maintien de la paix et consolidation de la paix
Dans son rapport de 2022 au Conseil de sécurité sur les transitions dans les opérations de paix de l’ONU, le secrétaire général a souligné la nécessité de mieux coordonner les transitions entre les missions onusiennes et les stratégies de consolidation de la paix formulées au niveau national. Il y a sans doute des opportunités que la CCP peut saisir afin d’aider à maintenir l’engagement politique de la communauté internationale pendant et après la transition ou le retrait d’une opération de paix de l’ONU. Par exemple, la Commission pourrait fournir des comptes rendus oraux au Conseil pendant les transitions et effectuer des visites dans les pays pour consulter le gouvernement hôte et les organisations locales de la société civile sur les besoins en matière de consolidation de la paix. La CCP est particulièrement bien placée pour soutenir ces transitions, car la nature volontaire de l’engagement des gouvernements hôtes avec elle signale leur ouverture à discuter d’enjeux susceptibles d’être moins considérés par d’autres organes des Nations Unies. De plus, la capacité de la CCP à offrir un forum de rencontre lui permet d’enrichir les échanges au sujet des transitions en présentant un large éventail de perspectives, y compris celles des représentants des autorités nationales et locales, ainsi que des organisations régionales et de la société civile dans tel ou tel pays hôte.
Le FCP pourrait également continuer à combler les déficits de financement qui émergent lors des phases de transition de la consolidation de la paix au maintien de la paix. Des projets du FCP ont été mis en œuvre dans plusieurs contextes pour soutenir cette phase de transition, notamment en Côte d’Ivoire, au Liberia et au Mali. Ces projets peuvent contribuer à assurer un flux continu de financement pour les programmes de consolidation de la paix jusqu’alors financés par le budget de maintien de la paix, en facilitant la transition de la charge financière et administrative vers le gouvernement hôte ou vers les autres organismes en charge des tâches de consolidation de la paix après la fin de la mission onusienne.
À cette fin, les États membres discuteront probablement des moyens de tirer davantage parti de l’architecture de consolidation de la paix lors des transitions de missions. Cette question est également examinée dans le cadre de l’examen des opérations de paix des Nations Unies qui est déjà en cours, comme l’ont demandé les États membres dans le Pacte pour l’avenir de 2024.
3. Discuter du rôle de la Commission de consolidation de la paix dans le soutien aux stratégies nationales de prévention
Le secrétaire général des Nations Unies a présenté les stratégies nationales de prévention dans sa note d’orientation « Un nouveau programme pour la paix », comme autant de moyens de lutter contre les conflits violents et de renforcer les infrastructures nationales de paix. Dans le Pacte pour l’avenir, les États membres se sont engagés à « renforcer et mettre en œuvre les stratégies et approches nationales de prévention existantes pour maintenir la paix, et envisager de les développer là où elles n’existent pas, sur une base volontaire et conformément aux priorités nationales, afin de s’attaquer aux causes profondes de la violence et des conflits armés ».
Compte tenu de cet engagement, les États membres débattront du rôle que l’architecture de consolidation de la paix peut et doit jouer pour soutenir l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies nationales de prévention. Une idée qui a émergé dans de multiples forums est que la CCP serve de centre d’échange pour que les États membres y déposent leurs stratégies. Le BACP pourrait également aider les États à élaborer leurs stratégies en effectuant des visites sur le terrain pour partager les bonnes pratiques fondées sur des preuves et fournir un soutien technique.
4. Répondre aux défis de financement
Le financement de la consolidation de la paix reste un défi permanent. La majorité des fonds du FCP proviennent de contributions volontaires versées par un petit nombre de pays. En 2023, plus de 50 % des fonds du FCP provenaient de seulement trois pays donateurs. La baisse notable des contributions volontaires au cours des dernières années et la nécessité d’un financement plus stable ont conduit l’Assemblée générale à décider en 2023 d’allouer 50 millions de dollars supplémentaires au FCP par le biais de contributions obligatoires. Toutefois, ce montant a peu de chances d’être suffisant pour combler le déficit de financement du fonds, en particulier compte tenu de la forte demande des États membres pour accéder à ces ressources.
Régler les problèmes de financement de l’architecture de consolidation de la paix implique d’explorer d’autres sources de financement. De nombreuses recommandations ont émergé pendant la phase informelle sur la manière dont l’architecture pourrait relever ces défis, notamment en renforçant les liens avec les institutions financières internationales et les banques régionales de développement. Cela pourrait inclure, par exemple, d’inviter les institutions et les banques à informer la CCP, de les inclure dans les visites conjointes sur le terrain et d’améliorer les interactions directes avec le BACP, afin de mieux comprendre le travail de la Commission et de trouver des moyens innovants de relever ses défis de financement. L’examen de l’architecture de la consolidation de la paix se déroule également en parallèle avec la prochaine Conférence sur le financement du développement, qui pourrait être l’occasion pour les États membres d’examiner plus largement le paysage du financement de la consolidation de la paix et du développement.
5. Souligner le rôle de l’architecture de consolidation de la paix sur des questions thématiques
Les États membres pourraient également utiliser le processus d’examen pour formuler des recommandations sur des questions spécifiques. Par exemple, de nombreuses contributions écrites ont souligné la nécessité de poursuivre les travaux sur l’intégration de l’agenda Femmes, Paix et sécurité dans la consolidation de la paix. En outre, dans sa contribution écrite, les Pays-Bas, qui sont le deuxième plus grand donateur du FCP, ont souligné l’importance d’inclure la santé mentale et le soutien psychosocial dans l’agenda de consolidation de la paix. Le Bureau des affaires de désarmement des Nations Unies et ONU Femmes ont également souligné la nécessité de mieux étudier le rôle des technologies numériques dans la facilitation de la consolidation de la paix et l’amélioration des aspects de durabilité et d’inclusion des efforts de paix, en particulier en ce qui concerne les femmes et les jeunes. Par ailleurs, lors de sa session annuelle de décembre 2024, la CCP a axé sa discussion thématique sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et les réfugiés, en mettant l’accent sur les liens entre changement climatique et paix.
Les États membres peuvent examiner ces questions thématiques lors de la session annuelle de l’Assemblée générale et chercher des occasions de renforcer l’action de l’ONU dans ces domaines.
Les capacités de l’architecture de consolidation de la paix des Nations Unies sont de plus en plus sollicitées et les institutions de l’ONU peuvent contribuer à relever certains défis. Cependant, étant donné que les résolutions de l’examen seront adoptées à la fois par le Conseil de sécurité et par l’Assemblée générale, il est possible que les formulations qui visent à renforcer l’architecture sur l’une des questions ci-dessus ne soient pas incluses et que les États membres optent pour des formulations déjà convenues lors des examens précédents. Bien que le processus d’examen de l’architecture puisse fournir matière à réflexion, il est essentiel que les États membres, les entités des Nations Unies, la société civile et les autres parties prenantes continuent de rechercher des pistes d’amélioration au-delà de l’examen, par exemple lors de la Conférence sur le financement du développement en juillet 2025, du dialogue entre les Nations Unies et les organisations de la société civile et de l’examen des futures opérations de paix, à l’initiative du Pacte pour l’avenir.
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