Attaque du Hamas contre Israël : qu’est-ce que cela rapporte à l’Iran ?

Le Rubicon en code morse
Oct 19

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Quelques heures à peine après la spectaculaire razzia menée par le Hamas en franchissant la frontière israélienne le samedi 7 octobre, les yeux de nombreux experts se tournaient déjà vers la République islamique d’Iran. Le choc de l’incursion dans le territoire israélien, l’ampleur et la sophistication de l’opération ont amené plusieurs d’entre eux à douter qu’elle ait pu être entièrement planifiée et coordonnée par l’organisation dirigée par Ismail Haniyeh, sans intervention extérieure. Alors que les autorités iraniennes applaudissaient les attaques menées par les commandos palestiniens, plusieurs ont émis l’hypothèse que l’Iran pouvait être derrière cette action terroriste sans précédent. Au-delà du degré d’implication du régime iranien dans l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », qu’il est encore difficile de déterminer avec certitude, il convient aussi de se poser les questions suivantes : dans quelle mesure les Mollahs et les Gardiens ont-ils intérêt à cette brusque flambée de violence au Proche-Orient et quelles pourraient être les conséquences à plus long terme d’un regain des tensions avec Israël et ses alliés ?

Soupçons d’implication directe

Le niveau de planification et d’expertise requis pour une telle attaque a soulevé la question de savoir si le Hamas a agi seul – et celle de savoir si le mouvement palestinien a reçu de l’aide de son soutien de longue date dans la région, l’Iran. Alors que les premières images de l’opération défilaient sur les écrans du monde entier, le Wall Street Journal s’empressait d’affirmer que des officiers du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI), l’armée idéologique de la République islamique, avaient préparé, avec le Hamas, les incursions aériennes, terrestres et maritimes sur le territoire israélien et qu’ils avaient personnellement donné le feu vert le lundi précédent l’opération. Au cours du week-end fatidique, en marge d’une rencontre franco-allemande à Hambourg, le président Emmanuel Macron a estimé « vraisemblable » que le Hamas ait bénéficié d’« aides » dans son opération contre Israël. « Je n’ai pas de commentaire à faire sur une implication directe de l’Iran dont nous n’avons pas la trace de manière formelle », a-t-il néanmoins ajouté.

De fait, Téhéran a été l’une des toutes premières capitales à saluer l’audacieuse opération lancée par le Hamas, un mouvement que la République islamique défend et finance ouvertement depuis de nombreuses années. « L’Iran soutient la légitime défense de la nation palestinienne », a déclaré dès le lendemain de l’attaque le président Ebrahim Raïssi : « Le régime sioniste et ses partisans […] doivent être tenus pour responsables dans cette affaire ». Pour sa part, l’ayatollah Ali Khamenei, la plus haute autorité du pays, a surenchéri en déclarant que : « Ce régime usurpateur est un cancer qui sera sûrement éradiqué par le peuple palestinien ». Une semaine avant l’attaque, le Guide suprême iranien et le président de la République avaient conjointement conjuré les pays arabes de ne pas pactiser avec Israël pour assurer leur sécurité en ajoutant que le faire reviendrait à « miser sur le mauvais cheval ».

Lors de sa visite au Liban au début du mois de septembre, le ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir-Abdollahian, avait rencontré des responsables du Hezbollah libanais, du Hamas et du Djihad islamique palestinien. Le chef de la diplomatie iranienne avait alors réitéré à ces forces de l’« axe de la résistance » – une alliance politique et militaire informelle anti-occidentale, anti-israélienne, anti-saoudienne et pro-iranienne – la promesse de l’appui indéfectible de Téhéran. En avril, le haut dirigeant politique du Hamas, Ismail Haniyeh, s’était déjà rendu à Beyrouth pour rencontrer Hassan Nasrallah, allié de longue date de Téhéran et secrétaire général de l’organisation chiite Hezbollah lui-même armé et financé depuis 1982 par les Gardiens de la révolution islamique.

Démentis de l’Iran et prudence des experts

Pour autant, au moment d’écrire ces lignes et comme le soulignent les responsables militaires israéliens eux-mêmes, il n’existe aucune preuve tangible de l’implication directe de l’Iran dans la conduite de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa ». Malgré leurs déclarations de soutien en faveur du Hamas, les autorités iraniennes ont formellement démenti avoir joué un rôle actif dans l’offensive du 7 octobre. « L’Iran n’intervient pas dans les prises de décisions d’autres nations, y compris la Palestine », a affirmé le porte-parole de la diplomatie iranienne, Nasser Kanani. Par ailleurs, la mission du régime islamique auprès des Nations Unies a publié une déclaration, qualifiant l’attaque de « farouchement autonome et résolument alignée sur les intérêts légitimes du peuple palestinien ».

Trois jours après les événements de Gaza, l’ayatollah Ali Khamenei a rejeté les accusations selon lesquelles son pays serait derrière l’attaque massive lancée contre Israël. « Les partisans du régime sioniste [appellation par laquelle les dirigeants iraniens font référence à Israël] ont fait circuler des rumeurs ces deux, trois derniers jours, dont celles sur le fait que l’Iran islamique serait derrière cette action. Elles sont fausses », a déclaré le Guide suprême dans un discours devant une académie militaire, discours au cours duquel le successeur de l’ayatollah Khomeini a réaffirmé le soutien iranien « à la Palestine ».

Le soin pris par les autorités iraniennes à démentir leur implication dans l’opération du Hamas dénote leur volonté de ne pas placer le régime islamique dans la ligne de mire israélienne. Pour l’heure, l’hypothèse selon laquelle l’Iran n’aurait pas aidé à dessiner cette opération est également confortée par les experts internationaux : « Quel rôle l’Iran a-t-il joué ? Nous ne le savons pas », a déclaré Khaled Elgindy, chercheur principal au Middle East Institute, basé à Washington. « Nous ne savons pas dans quelle mesure l’Iran a été impliqué dans la partie opérationnelle logistique de cette formation, ni quel type de soutien logistique [il a offert à l’attaque du 7 octobre]. » Et Elgindy d’ajouter : « Je pense que personne ne le sait. Les services de renseignement de tous les pays ont été pris dans l’ignorance totale, y compris et surtout les Israéliens ». Tous s’accordent par ailleurs sur les conséquences gravissimes si des preuves tangibles d’une intervention directe de l’Iran venaient à être formellement établies.

Le grand frère iranien et son appui indirect au Hamas

Tout en rejetant les accusations sur sa responsabilité directe dans le déclenchement de l’opération, l’Iran ne cache pas sa solidarité totale avec le Hamas et son soutien absolu à la « cause antisioniste » que défend le mouvement palestinien. Cet appui a été symbolique, mais explicitement illustré au lendemain des événements de Gaza par deux immenses banderoles déployées dans le centre de Téhéran : « La grande libération a commencé », proclame l’une d’elles, tandis que l’autre montre le damier noir et blanc du keffieh palestinien enveloppant progressivement le drapeau blanc et bleu israélien. Au-delà des symboles, les liens de l’Iran avec le Hamas et ses partenaires militants palestiniens, le Jihad islamique, sont documentés de longue date. Les services de renseignements occidentaux estiment que l’Iran contribue à hauteur de 100 millions de dollars au budget annuel de 500 millions de dollars du Hamas. Le Département d’État américain a déclaré en 2021 que le groupe recevait des financements, des armes et une formation technique substantielle de l’Iran et de ses diverses organisations comme le CGRI et la Force al-Qods.

Nombreux sont les experts à considérer que l’Iran a tissé au cours des dernières années une réelle filiation idéologique et stratégique avec le Hamas – et cela en dépit du fait que celui-ci soit un mouvement sunnite issu de l’internationale des Frères musulmans. Pour Gilles Kepel, il ne fait pas de doute que l’attaque du Hamas contre le territoire israélien « n’a été rendue possible que grâce à l’aide tous azimuts de l’Iran chiite dont il est devenu le supplétif, tant par la fourniture de matériels que par l’impressionnante préparation conçue par les services de renseignement de Téhéran […] ». Pour l’islamologue, les « tirs en solidarité avec Gaza » du Hezbollah, le parti chiite libanais affidé à la République islamique, contre la Galilée et la réplique israélienne immédiate augurent […] tant de l’extension du conflit que de la coordination de la manœuvre par la force Qods des Pasdarans iraniens ». Et Keppel de conclure que, même s’il n’y a pas de preuves d’une participation directe de ces derniers, les événements de Gaza peuvent être qualifiés de « 11 Septembre d’Israël – version iranienne ».

Dans le même temps, beaucoup d’experts soulignent que, à la différence du Hezbollah libanais, le Hamas entretient une relation ambiguë et fluctuante avec l’Iran. Souvent alliés de circonstance, ces deux membres de l’« axe de la résistance » ont connu des périodes de désaccord. Ce fut notamment le cas au début du « Printemps arabe » et de la guerre civile syrienne opposant Assad et ses alliés, pour la plupart membres de la branche minoritaire alaouite et chiite de l’Islam et appuyés par le régime iranien, à un mouvement d’opposition initialement soutenu par le Hamas et composé principalement de musulmans sunnites – la branche musulmane dominante. Il n’en demeure pas moins que le différend entre l’Iran et le mouvement palestinien s’est finalement résorbé à la faveur de la normalisation des liens de la Syrie avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Aujourd’hui, avec l’atténuation des conflits interconfessionnels entre sunnites et chiites en Syrie, mais aussi en Irak et au Yémen, le Hamas et les Gardiens de la révolution voient à nouveau leurs intérêts stratégiques converger dans la lutte commune contre l’« entité sioniste ».

Même si les détails de la coopération irano-palestinienne restent obscurs, Washington entretient peu de doute au sujet de la responsabilité de la République islamique dans l’attaque terroriste d’octobre 2023 contre Israël. Bien que ne disposant pas encore d’« informations directes » liant les événements de Gaza aux institutions militaires iraniennes, les États-Unis ont réitéré par la voix de Jon Finer, conseiller adjoint à la sécurité nationale, leurs convictions que Téhéran est « largement comparse » des attaques du Hamas en Israël. « Ce dont nous pouvons être quasi-certains c’est que l’Iran s’est très largement rendu complice de ces attaques à travers le soutien qu’il apporte au Hamas depuis des décennies », a déclaré Finer lors d’une entrevue sur la chaîne ABC, en pointant les armes, la formation et autres soutiens financiers émanant du régime islamique en faveur du mouvement palestinien et en ajoutant que les services de renseignements américains continuaient d’investiguer au sujet du rôle exact de l’Iran dans les récents événements.

Mobiles géopolitiques ?

Au-delà de la convergence idéologique avec le Hamas en faveur de la cause palestinienne et de la lutte anti-israélienne, demeure la question de l’intérêt stratégique que pourrait avoir l’Iran dans une soudaine flambée de violence au Proche-Orient. Dès le lendemain des attaques du 7 octobre, le secrétaire d’État américain Antony Blinken estimait que l’encouragement iranien au déclenchement des hostilités entre Tsahal et le mouvement palestinien, direct ou indirect, est motivé par la volonté de perturber le processus de rapprochement diplomatique entre Israël, l’Arabie saoudite et les pétromonarchies du Golfe persique. Les dirigeants iraniens ne font d’ailleurs pas mystère quant à leur opposition à ce réchauffement des relations israélo-arabes initié par les accords d’Abraham. Un proche conseiller de l’ayatollah Khamenei, Ali Akbar Velayati, a récemment averti les pays qui espéraient résoudre leurs problèmes en normalisant leurs relations avec les « sionistes » qu’ils mettaient gravement en danger la sécurité de la région. C’est, en d’autres termes, le message envoyé par Ebrahim Raïssi et Ali Khamenei lorsqu’ils abjuraient encore récemment les pays arabes tentés de ne pas pactiser avec Israël et en qualifiant ce dernier de « mauvais cheval ».

Les analystes s’accordent d’ailleurs à penser que le Hamas et le régime iranien ont un intérêt commun de torpiller l’extension des « accords d’Abraham » (accords négociés en 2020 entre Israël et les Émirats arabes unis d’une part et entre Israël et Bahreïn) à l’Arabie saoudite. Pour le mouvement palestinien d’Ismail Haniyeh, les progrès réalisés en ce sens par la diplomatie américaine risqueraient – s’ils étaient couronnés de succès – d’aboutir à l’établissement d’une coexistence pacifique entre Israël et les monarchies du Golfe persique, synonyme d’un abandon et d’une marginalisation de la cause palestinienne. Pour la République islamique, un rapprochement saoudo-israélien pourrait à terme conduire à l’émergence d’un bloc régional anti-Iran. Comme le souligne un diplomate français, Téhéran « a donc un double intérêt à faire capoter ce rapprochement » dont le résultat serait un isolement à la fois idéologique et géopolitique sur l’échiquier moyen-oriental.

En rallumant le conflit israélo-palestinien, l’Iran et le Hamas semblent avoir déjà partiellement réussi à faire dérailler le prolongement des « accords d’Abraham ». D’ores et déjà, les bombardements massifs de l’aviation israélienne sur la bande de Gaza avec son cortège de victimes civiles et de dévastation – incluant celles de mosquées écroulées – ont mis les capitales arabes dans le plus grand embarras et dans l’obligation de prendre leurs distances vis-à-vis du gouvernement Netanyahu. À l’exception notable du Maroc et des Émirats arabes unis, la vaste majorité des chancelleries arabes ont formellement accusé la politique israélienne d’occupation des territoires palestiniens d’être à la source de la crise actuelle. « Il paraît évident que Riyad va ralentir cette tentative de normalisation », analyse l’ancien diplomate Denis Bauchard. À moyen terme, les partenaires de l’Arabie saoudite, Égypte et Jordanie en tête, pressés par leurs propres opinions publiques, vont aussi probablement revoir les liens naissants avec l’État hébreu. À plus long terme, le froid jeté sur le processus de rapprochement israélo-arabe risque de remettre en cause la stratégie d’isolement de l’Iran initié par Washington et de favoriser ainsi les intérêts sino-russes dans la région. À moins, bien entendu, que tout cela n’aboutisse à un embrasement généralisé.

Risque de guerre ?

Pour autant, il est permis de se demander si la crise actuelle va nécessairement déboucher sur un conflit ouvert entre les deux camps. De prime abord, certains éléments n’incitent pas à l’optimisme. Comme les Balkans du début de XXe siècle, le Moyen-Orient est une véritable poudrière et, comme en 1914, le jeu des alliances pourrait déboucher vers un conflit régional – voire mondial. Si des tirs massifs de missiles ou d’obus de mortier du Hezbollah venaient à frapper des localités du nord d’Israël, cela se traduirait par d’importantes représailles et, de là, on pourrait avoir une escalade vers une conflagration à plus grande échelle.

Concernant l’Hezbollah libanais, les dernières estimations font état de milliers de roquettes capables d’atteindre le cœur du territoire israélien. De plus, le propre de ce genre de rivalité « en zone grise » impliquant ce type de proxy est le manque de clarté et de communication – laissant place à des dérapages incontrôlés. Cependant, la propension de la milice de Dieu à jouer les électrons libres et à envenimer la situation est à relativiser. Le leader du mouvement, Hassan Nasrallah, est conscient de la vulnérabilité de son organisation qui, du reste, vient de participer à la conclusion d’un accord de partage du gaz en Méditerranée avec Israël.

Par ailleurs, d’autres éléments suggèrent qu’une conflagration régionale n’est pas inéluctable. D’abord, tous les protagonistes sont parfaitement conscients des dangers d’une spirale conflictuelle et des conséquences catastrophiques que pourrait avoir un affrontement direct sur le champ de bataille conventionnel. C’est pourquoi ils se sont jusqu’à maintenant gardés de s’affronter directement en s’appuyant pour cela sur des proxies et des approches indirectes. Malgré la rhétorique va-t-en-guerre des protagonistes, les Israéliens et leurs alliés occidentaux sont réticents à s’embarquer dans un conflit dont beaucoup redoutent qu’il puisse déboucher sur une troisième guerre mondiale.

De plus, il est permis de penser que les Iraniens, pas plus que les Israéliens, ne veulent s’engager dans un conflit ayant le potentiel de s’envenimer et de les engouffrer dans un chaos régional. Pour l’heure, l’Iran préfère se contenter d’utiliser le Hamas, comme un levier de pression indirecte, pour faire pression sur Israël sans avoir à intervenir directement et sans mettre en péril l’existence même du mouvement palestinien : « si le Hamas s’affaiblit et que toutes ses infrastructures politiques, économiques et militaires sont détruites, ce sera une débâcle pour la République islamique », estime Ahmad Zeidabadi, spécialiste du Moyen-Orient. En privant l’Iran d’une frontière virtuelle avec Israël, le démantèlement total du Hamas pourrait représenter un affaiblissement notable du système de défense avancée de l’Iran – un luxe que ses responsables politiques et militaires ne peuvent pas se permettre.

Enfin, il faut garder à l’esprit que le rapport de force militaire entre l’Iran et ses rivaux régionaux est fondamentalement dissymétrique. Plus précisément, ce rapport de force est particulièrement désavantageux pour l’Iran sur le plan des capacités militaires conventionnelles. L’Iran possède plusieurs centaines de milliers d’hommes, mais n’a pas le matériel militaire de haute technologie pour accompagner leur déploiement. À l’inverse des Iraniens, les Israéliens ont accès à une technologie militaire dernier cri, mais, pour diverses raisons, n’ont pas les moyens ou la légitimité requises pour déployer une force expéditionnaire à l’échelle régionale. Conscient de cette situation et des avantages qui peuvent en être tirés, l’Iran va donc tout faire pour essayer d’esquiver la confrontation directe avec ses rivaux en continuant à miser sur une approche hybride et asymétrique sous le seuil de la violence directe. De sorte qu’une guerre ouverte, de type conventionnel, entre la République islamique et ses adversaires régionaux, bien que possible, demeure encore peu probable.

Conclusion : Une guerre psychologique à haute intensité

Bien qu’elle soit soupçonnée, voire nommément accusée, d’avoir contribué à l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », la République islamique se défend de toute implication formelle dans une attaque dont elle n’hésite pas en revanche à vanter l’audace et la légitimité. Qu’il soit direct ou indirect, l’appui du régime iranien au Hamas en fait néanmoins l’un des principaux protagonistes du conflit israélo-palestinien désormais poussé au paroxysme de la violence. Nombreux, les dividendes du soutien iranien à la cause palestinienne et à celles du Hamas se voient décuplés par l’attaque terroriste du 7 octobre. Le premier est de faire dérailler le processus de normalisation entre les pétromonarchies et Israël, initié par les accords d’Abraham. Même les capitales arabes les plus pragmatiques dénoncent aujourd’hui la politique de colonisation des territoires palestiniens et la brutalité des bombardements des populations civiles de Gaza tout en laissant entendre une pause dans le rapprochement avec l’État hébreu.

Un autre bénéfice de la crise actuelle est d’asseoir encore un peu plus le statut de « champion de la rue arabe » de la République islamique. Au sortir des événements de Gaza, l’Iran peut en effet se targuer d’être le seul acteur étatique à porter le flambeau de la cause palestinienne. Par ailleurs, l’invasion terrestre du sud d’Israël par le Hamas renforce « l’axe » dit « de la résistance » à l’État hébreu mené par l’Iran chiite aux côtés de la Syrie, l’Irak et de nombreux mouvements pro-iraniens tels que le Hezbollah libanais et le Hamas. Enfin, l’attaque des commandos palestiniens au nez et à la barbe du Mossad et du Shin Bet et les images montrant des kibboutz israéliens tenus par les commandos islamistes permettent à l’Iran de remettre en doute l’invincibilité technologique et la suprématie militaire d’Israël. Ismaël Haniyeh et ses commanditaires iraniens ne se sont d’ailleurs pas privés de brocarder l’État hébreu « incapable de se protéger ».

Fidèles à leur stratégie asymétrique, Mollahs et Gardiens vont donc continuer à développer le thème de l’« humiliation » pour raffermir le statut du régime islamique sur la scène régionale, mais aussi pour redorer un peu son image internationale fortement ternie par la récente révolte du tchador. De manière générale, les dirigeants iraniens jouent donc, comme lors de la guerre des 33 jours de l’été 2006, la carte psychologique afin d’obtenir une reconfiguration du jeu régional à leur avantage – même si, ce faisant, ils savent également qu’ils jouent avec le feu.

 

Crédit photo : chameleonseye

Auteurs en code morse

Pierre Pahlavi

Professeur titulaire au Collège des forces canadiennes de Toronto (@College_FAC), Pierre Pahlavi est actuellement directeur adjoint du département des études de la défense. Ses principaux domaines d’expertise et ses publications portent sur les stratégies d’influence, la politique étrangère de l’Iran et les défis hybrides. Son dernier livre sur la révolution iranienne publié aux éditions Perrin en 2017 a reçu le prix Diane Potter-Boès décerné chaque année par l’Académie française pour le meilleur livre sur le Moyen-Orient. Il est un membre actif de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand, UQAM (Québec).

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