Ce texte est une traduction de l’article « El-Fasher is only the latest wake-up call to the genocide unfolding in Sudan », publié le 25 novembre 2025 sur le site de l’Atlantic Council.
La semaine dernière, sur Truth Social, le président américain Donald Trump a estimé que le Soudan « est devenu l’endroit le plus violent de la planète » et que lui-même et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, alors en visite à Washington D.C., avaient discuté de la possibilité pour les États-Unis d’user de leur influence pour « mettre immédiatement fin à ce qui se passe au Soudan ».
Cette déclaration fait suite aux tentatives infructueuses de Washington pour servir de médiateur dans le conflit. On ne sait pas non plus comment le président pourrait mettre fin à la situation, car les deux parties au conflit sont soutenues par des alliés des Etats-Unis. Mais Trump a pris conscience de la réalité de ce qui se passe au Soudan, et il n’est pas le seul.
Le 27 octobre dernier, 2,5 ans après le début de la guerre civile soudanaise, ladite communauté internationale semblait enfin comprendre qu’un génocide se déroulait sous ses yeux. Après avoir subi un blocus de 18 mois marqué par des frappes incessantes de drones, la ville d’El-Fasher, dernier grand centre urbain de l’État du Darfour-Nord au Soudan échappant au contrôle des Forces de soutien rapide (FSR), a été envahie. Les FSR forment une faction paramilitaire en guerre contre les Forces armées soudanaises (FAS) depuis avril 2023.
Une fois que le groupe a pénétré dans El-Fasher, des reportages et des images diffusés sur les réseaux sociaux et à la télévision ont révélé des massacres généralisés de civils. Selon le Réseau des médecins soudanais et les Nations unies, environ 1 500 personnes ont été tuées et quelque 90 000 déplacées, tandis que 50 000 autres ont fui les violences dans les provinces voisines du Kordofan du Nord et du Kordofan du Sud.
El-Fasher a longtemps été l’un des fronts les plus violents du conflit dévastateur qui oppose l’armée nationale soudanaise et les FSR. En avril 2025, le groupe paramilitaire avait intensifié son offensive sur la ville, peu après avoir été chassé de la capitale, Khartoum.
La crise humanitaire la plus grave au monde
Pendant des années, le génocide qui se déroulait au Soudan est passé pratiquement inaperçu sur la scène internationale. La communauté des nations était davantage concentrée sur les crises au Moyen-Orient et la guerre en Ukraine. Mais les combats et les massacres au Soudan n’ont jamais cessé.
Dans un pays en ruines, où aucun registre systématique des morts n’est tenu, les estimations varient. Certaines sources suggèrent que ce nombre avoisine les 150 000. Cependant, les organisations de défense des droits humains estiment que le bilan réel de la guerre civile est probablement beaucoup plus élevé. Le conflit a déplacé environ 14 millions de personnes sur une population de 51 millions. La moitié d’entre elles sont réfugiées dans les pays voisins. En avril 2025, 25 millions de Soudanais étaient confrontés à une famine aiguë et, selon Médecins sans frontières, plus de 70 % des enfants de moins de 5 ans souffraient de malnutrition aiguë. Parmi ceux qui ont fui El-Fasher, 35 % souffraient de « malnutrition aiguë sévère ». Avec ses hôpitaux et son approvisionnement en eau gravement endommagés, le Soudan est aujourd’hui confronté à l’une des crises humanitaires les plus graves au monde, qui, selon certains experts, éclipse même les situations d’urgence à Gaza et en Ukraine. Pourtant, El-Fasher n’est pas la première, mais simplement la plus récente campagne génocidaire dans le pays.
Nommer le génocide
Se livrant à des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité, les FSR ont procédé pendant des années à des enlèvements d’enfants, à des viols collectifs, à l’esclavage sexuel et à l’incendie de villages entiers, principalement au Darfour, dans l’Ouest du Soudan. Dès 2001, les prédécesseurs des FSR, une milice connue sous le nom de Janjawid, pillait régulièrement les maisons et se livrait à des viols collectifs dans la région. Entre 2003 et 2008, le groupe a tué des centaines de milliers de civils non arabes. L’actuelle campagne de destruction a déplacé environ 3 millions de personnes et a été qualifiée de « génocide » par l’ancien président américain Joe Biden, juste avant de quitter la Maison-Blanche, et de « nettoyage ethnique » par les observateurs internationaux. Dans ce contexte, le Darfour n’est pas un nouveau point chaud. Abritant plusieurs tribus non arabes persécutées depuis longtemps (les Four, les Massalit, les Berti et les Zaghawa), il est en fait en train de le redevenir.
Les Zaghawa, qui constituent le groupe majoritaire à El-Fasher, se sont ralliés à l’armée fin 2023 après que les FSR ont commis des massacres contre les Masalit et d’autres communautés non arabes dans la ville d’El-Geneina, dans l’Ouest du Darfour. Dans un rapport publié en mai 2024, Human Rights Watch qualifiait déjà ces meurtres de nettoyage ethnique. Le rapport cite le témoignage d’un garçon de 17 ans qui décrit le meurtre de douze enfants et cinq adultes issus de plusieurs familles : « Deux membres des FSR […] ont arraché les enfants à leurs parents et, alors que ceux-ci se mettaient à crier, deux autres membres des FSR ont abattu les parents. Ils ont ensuite empilé les enfants et les ont abattus. Ils ont jeté leurs corps dans la rivière, avec leurs effets personnels. »
L’apathie africaine et le cynisme des puissances régionales
Avec ses communiqués insignifiants, l’Union africaine, impuissante, s’est contentée pendant deux ans d’appeler à la fin des combats ou d’exprimer sa préoccupation face à la crise humanitaire, sans jamais envoyer un seul chef d’État africain sur le front à Khartoum ou rendre visite aux victimes du massacre d’El-Geneina.
Dans un communiqué de presse marquant les 2 ans du conflit, Amnesty International a noté que le « monde n’a contribué qu’à hauteur de 6,6 % des fonds nécessaires pour faire face à la catastrophe humanitaire qui fait rage dans le pays ». Les observateurs recommandent généralement l’application de l’embargo sur les armes, l’augmentation de l’aide humanitaire d’urgence et la justice pour les victimes. Cependant, il y a une question sur laquelle le Conseil de sécurité des Nations unies et les médiateurs restent discrètement, voire de façon embarrassée, silencieux : le soutien armé que les belligérants reçoivent des puissances régionales.
L’Égypte, l’Iran, la Turquie, la Chine, les Émirats arabes unis, et même la Russie et l’Ukraine ont tous tourné leur attention vers le Soudan, se rangeant soit du côté des FAS, soit du côté des FSR. Des drones, de l’or, des renseignements militaires et des mercenaires sont utilisés pour intensifier la violence de la guerre, tandis que les puissances régionales qui s’ingèrent dans le conflit nient toute implication. Leurs motivations incluent la sécurisation des eaux du Nil, le contrôle des 800 km de côtes soudanaises sur la mer Rouge et les ressources minérales de l’Est du Soudan. Le Soudan a également accusé le Tchad et le Kenya d’être parties prenantes au conflit. Lors de la conférence de Londres sur le Soudan, le 15 avril 2025, deuxième anniversaire du déclenchement de la guerre civile, le ministre soudanais des Affaires étrangères, Ali Youssef, a réitéré ces allégations.
Il est clair que le réseau complexe d’intérêts géostratégiques dans la région rend toute médiation difficile, le Soudan envisageant même de poursuivre les Émirats arabes unis devant la Cour internationale de Justice pour avoir fourni des armes aux FSR.
Le peuple comme recours
À l’heure actuelle, le Soudan est pris au piège dans un dangereux jeu de pouvoir régional et menacé de partition. Si le pays venait à se désintégrer, cela déstabiliserait non seulement le continent africain, mais mettrait également en péril l’exceptionnel patrimoine culturel soudanais.
Toute solution au Soudan doit passer par sa société civile et, en fin de compte, par son peuple. Un peuple qui tire sa force de son histoire.
Avec ses huit frontières et sa position géostratégique entre le Sahel et la Corne de l’Afrique, le Soudan est un carrefour de cultures, de religions et de civilisations africaines. Le mot « Soudan » signifie d’ailleurs « terre des Noirs », malgré les tentatives d’effacement de ses racines africaines entreprises de longue date par le régime islamiste du dictateur Omar el-Béchir. Au temps des pharaons, le Soudan, qui rivalisait avec l’Égypte, a fini par conquérir le pouvoir et régner sur le trône égyptien, fournissant à l’empire sa XXVe dynastie de pharaons. Tout cela s’est passé il y a bien longtemps, sous la direction d’Africains noirs, avant que chrétiens et Arabes musulmans n’étendent leur influence dans le pays.
Cette histoire et cet héritage contribuent à expliquer la résilience politique du peuple soudanais et le dynamisme de la société civile. Le renversement de Béchir en 2019 n’aurait pas été possible sans la résistance démocratique incarnée par des organisations civiques telles que l’Association des professionnels soudanais, la coalition non violente Forces de la liberté et du changement et le mouvement populaire Girifna.
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Aujourd’hui, comme par le passé, c’est le peuple soudanais – bien plus qu’une communauté internationale apathique ou des puissances régionales compromises – qui pourrait à nouveau constituer l’ultime force décisive pour le changement. L’autonomisation de la société civile et le soutien aux organisations populaires devrait donc être le point de départ de toute initiative diplomatique.
Crédits photo : JordiStock via iStock.
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