Ce texte est une traduction de l’article « How the Historic Australia-PNG Pukpuk Treaty Could Reshape Pacific Security », publié par le Center for Strategic and International Studies (CSIS) le 14 octobre 2025.
Le 17 septembre 2025, l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ont acté la signature d’un traité de défense mutuelle connu sous le nom de traité Pukpuk, « pukpuk » signifiant « crocodile » dans la langue locale (tok pisin). Canberra a vanté les mérites de cet accord en le présentant comme un moment historique qui a « hissé » les relations entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée à un niveau sans précédent. Les questions suivantes examinent ce qui rend ce traité si remarquable, ce qu’il pourrait signifier pour l’équilibre géostratégique en Océanie, ainsi que les éléments à surveiller dans l’évolution des relations entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Que recouvre le traité Pukpuk et est-il vraiment si important ?
Si les déclarations officielles du gouvernement d’Anthony Albanese minimisent plutôt la véritable importance du traité Pukpuk, ce dernier représente pourtant la toute première alliance de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, alors que l’Australie n’en avait quant à elle pas noué depuis le traité de sécurité de 1951, signé avec la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Non seulement cet accord établit des liens et des engagements de défense mutuelle entre l’Australie et son plus grand voisin insulaire du Pacifique, mais il fournit également une architecture permettant de renforcer considérablement les capacités des forces de défense de la Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNGDF) grâce à une augmentation des exercices conjoints, un meilleur partage du renseignement et la possibilité pour 10 000 soldats papouans-néo-guinéens de servir dans les forces de défense australiennes (ADF). Compte tenu des difficultés de recrutement de l’ADF et du manque d’effectifs des PNGDF, cet accord offre des avantages évidents pour les deux nations.
La signature du traité est l’aboutissement de plusieurs années de travail diplomatique mené par les deux pays pour renforcer leurs liens sécuritaires et culturels. Un processus qui a officiellement débuté en décembre 2023 avec la signature par les deux gouvernements d’un accord de sécurité, qui a fourni un premier cadre pour renforcer les relations entre les deux parties dans ce domaine. Véritable acte juridique de défense mutuelle, le traité Pukpuk s’inscrit dans la continuité de ces efforts et permet leur approfondissement d’une manière inédite.
Comment ce traité s’inscrit-il plus largement dans le contexte stratégique en Océanie ?
Plus rarement relevées, les conséquences de ce traité sur le paysage stratégique de la région sont pourtant capitales. Bien qu’aucune des deux parties n’ait explicitement mentionné la Chine au moment de la signature, il n’en reste pas moins que ce pacte représente une initiative géopolitique majeure de la part de l’Australie, qui défend depuis plusieurs années ses intérêts en matière de sécurité dans le Pacifique de manière toujours plus manifeste.
Si, en Australie, l’intérêt accru pour le Pacifique est de nature bipartisane et remonte à près d’une décennie, les efforts de Canberra se sont nettement accélérés à la suite d’un accord sécuritaire secret conclu entre les îles Salomon et la Chine en 2022. Alors qu’il n’a pas été rendu public, ce texte a représenté un succès pour la Chine, qui n’a cessé d’accroître son influence dans le Pacifique au cours de la dernière décennie, peut-être dans le but d’établir durablement une présence sécuritaire dans la région. La stratégie de défense nationale australienne de 2024 a ouvertement exprimé l’inquiétude du gouvernement face aux ambitions chinoises dans le Pacifique, jetant les fondements d’une série d’accords comportant des clauses de sécurité, notamment avec Nauru, Tuvalu et même via un accord sur la Ligue nationale de rugby avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée. In fine, le projet derrière toutes ces initiatives est de limiter les possibilités pour la Chine de s’intégrer dans l’architecture de sécurité régionale.
Pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui applique une politique étrangère dite « friends to all, enemies to none », l’impératif qui sous-tend ce traité est beaucoup plus pragmatique : un engagement formel de la part de son principal partenaire en matière de sécurité à défendre le territoire papouan-néo-guinéen et l’opportunité de professionnaliser davantage ses forces armées en pleine expansion. Si le Premier ministre James Marape a souligné à plusieurs reprises que son pays se tournait vers l’Australie et d’autres pays occidentaux pour sa sécurité, il a tout aussi fermement maintenu l’importance de la Chine en tant que partenaire économique clé. Or, la proximité de la Papouasie-Nouvelle-Guinée avec les actions chinoises de harcèlement en mer de Chine méridionale et sa situation géographique au cœur de ce qui pourrait constituer une crise majeure dans la région indopacifique ont probablement influencé la décision du gouvernement de signer le traité Pukpuk.
Ses dirigeants n’ignorent pas les ambitions de Pékin dans le Pacifique et la Papouasie-Nouvelle-Guinée n’est pas à l’abri des incursions territoriales chinoises : c’est ce qu’a démontré le survol de son territoire par un drone chinois, sans notification préalable, lors d’un déploiement naval à l’initiative de Pékin en février 2025, une violation flagrante de la souveraineté de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Pour maintenir cet équilibre délicat, le gouvernement de Port Moresby a décrit le traité Pukpuk comme créant « une clôture plus grande, qui sécurise deux maisons ayant chacune leur propre jardin ». Ces descriptions permettent à James Marape d’éviter de présenter le texte comme un accord visant directement la république socialiste et d’éviter de s’aliéner ses partenaires chinois, tout en érigeant une barrière pour délimiter et protéger l’intégrité territoriale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Comment ce traité s’inscrit-il au sein de la stratégie plus large de l’Australie dans le Pacifique ?
La stratégie de l’Australie dans le Pacifique est passée d’une approche largement dédiée au développement à un angle orienté de plus en plus vers la sécurité. L’approche de Canberra vis-à-vis de ses voisins du Pacifique insulaire comporte de nombreux éléments distincts, notamment l’approfondissement de l’engagement dans les domaines de l’économie, du développement, des infrastructures et du climat, ainsi que le renforcement de la mobilité de la main-d’œuvre et des échanges entre les populations. Pourtant, au cours des dernières années, et en réponse directe (bien que souvent implicite) au renforcement des liens sécuritaires que Pékin tisse dans la région, Canberra a intensifié ses propres relations en matière de sécurité, cherchant à consolider sa position de partenaire privilégié dans ce domaine. L’Australie passe par divers moyens pour mettre en œuvre cet impératif, comme des initiatives régionales au niveau du maintien de l’ordre, l’approfondissement de la formation policière, le renforcement sans équivoque de la sécurité dans ses rapports bilatéraux – jusqu’à s’octroyer, dans certains cas, un droit de veto concernant les relations de sécurité que ses voisins insulaires nouent avec d’autres pays. L’Australie a également redoublé d’efforts pour travailler plus étroitement avec d’autres partenaires extérieurs, tels que la Nouvelle-Zélande, le Japon et les États-Unis.
Dans l’ensemble, cette nouvelle approche constitue à la fois une réponse directe à la stratégie chinoise et une tentative de surpasser Pékin dans ce qui s’apparente à une version géopolitique du jeu du chat et de la souris. Comme l’a récemment déclaré Penny Wong, ministre australienne des Affaires étrangères, la Chine et l’Australie se trouvent désormais engagées dans une « lutte permanente » pour exercer leur influence dans le Pacifique.
Que signifie ce traité pour la sécurité nationale des États-Unis ?
Les États-Unis ont tout intérêt à veiller à ce que la Chine ne réalise pas de gains significatifs en Océanie. Si Pékin parvenait à consolider son influence dans le Pacifique, en particulier dans le domaine de la sécurité, cela se ferait non seulement au détriment de Washington, mais aussi de Canberra et de Wellington. Une présence chinoise permanente (ou même semi-permanente) étendrait logiquement l’influence de Pékin dans le Pacifique et limiterait la liberté de mouvement des États-Unis (dont l’accès à la région serait alors réduit) et celle d’autres pays le long des voies maritimes transpacifiques vitales. Par ailleurs, elle renforcerait encore davantage les outils de contrôle du régime socialiste autoritaire.
L’Australie considère depuis longtemps qu’une puissance hostile occupant le territoire entourant ses approches nord serait contraire aux intérêts de la nation. À cet égard, l’impératif stratégique de l’Australie rencontre les intérêts géopolitiques des États-Unis. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, État le plus vaste et le plus peuplé de la région, cet impératif a incité les deux pays à prendre des mesures importantes. En 2023, les États-Unis et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ont signé un accord de coopération en matière de défense, renforçant ainsi les liens entre eux et permettant aux premiers d’établir une base militaire sur le sol de la seconde. Le traité Pukpuk complète ainsi ces efforts et renforce encore davantage les relations entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée en consolidant leurs liens en matière de sécurité.
Cependant, le récent recul de certains engagements américains à l’étranger complique cette synergie. La perception croissante des États-Unis comme étant peu fiables et égoïstes donne du crédit aux affirmations de la Chine selon lesquelles les pays de la région devraient se tourner vers Pékin, et non Washington, pour faire respecter les règles et les normes internationales. L’Australie doit faire évoluer son engagement dans la région, non seulement pour combler le vide laissé par le retrait américain, mais surtout pour contrer le discours élaboré à Pékin afin d’endiguer tout élan supplémentaire en faveur des initiatives chinoises en matière de sécurité.
Quelles sont les prochaines étapes probables pour les relations entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée ?
Le traité, qui a été signé par le Premier ministre australien Anthony Albanese et le Premier ministre papouan-néo-guinéen James Marape le 6 octobre 2025, doit ensuite être ratifié par les parlements de chaque pays pour entrer en vigueur. Bien que cette perspective apparaisse comme probable et que les débouchés immédiats du traité semblent prometteurs, de nombreuses questions restent en suspens concernant la portée de ce texte et les prochaines étapes dans les relations entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il faut par exemple citer la complexité induite par le prochain référendum au sujet de l’indépendance de l’île de Bougainville vis-à-vis de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les risques de tensions de cette dernière avec l’Indonésie. Reste à savoir si, et dans quelle mesure, l’Australie pourrait être impliquée si un conflit devait éclater entre ces deux pays. Cela n’est pas tout à fait clair, même si Canberra et Port Moresby se sont efforcées de répondre à certaines inquiétudes, en particulier celles de Jakarta.
La véritable interrogation, néanmoins, concerne la vocation et la capacité de ce traité – qui est véritablement sans précédent dans le Pacifique – à affecter l’influence croissante de Pékin dans la région. La campagne partiellement réussie de la Chine visant à exclure Taïwan de l’édition 2025 du sommet des dirigeants du Forum des îles du Pacifique (qui a dans les faits abouti à l’exclusion de tous les partenaires de dialogue et de développement), ainsi que le récent accord de coopération policière entre la Chine et le Vanuatu montrent que la volonté et la capacité de Pékin à exercer son influence restent fortes. L’épuisement croissant des États insulaires face aux tensions entre les grandes puissances pourrait jouer en faveur de la Chine, car elle est de plus en plus considérée comme un partenaire de développement fiable, contrairement aux États-Unis, jugés imprévisibles et peu sûrs, ce qui lui permet de se présenter comme un acteur œuvrant uniquement dans l’intérêt du Pacifique plutôt que comme une des grandes puissances en compétition.
Renforcer la capacité de la Papouasie-Nouvelle-Guinée à jouer un rôle de leader influent en Mélanésie et dans le Pacifique insulaire serait dans l’intérêt de l’Australie et des États-Unis, tout en favorisant le régionalisme et la stabilité locale. Sous la direction de son actuel Premier ministre, la Papouasie-Nouvelle-Guinée s’est révélée être l’un des plus fervents défenseurs du maintien d’une architecture de sécurité dirigée par les États insulaires du Pacifique et orientée vers les partenaires occidentaux traditionnels. Le pays a également démontré qu’il était prêt à s’opposer à toute manipulation du régionalisme par la Chine, notamment lorsque James Marape a conseillé aux Îles Salomon de maintenir l’approche inclusive du Forum des îles du Pacifique pour le sommet de cette année en invitant Taïwan.
En fin de compte, beaucoup dépendra de la capacité de l’Australie à tirer le meilleur parti des aspects les plus pratiques de ce traité, tels que l’intégration du personnel de défense de la Papouasie-Nouvelle-Guinée dans les forces de défense australiennes. Si cet accord aboutissait réellement à l’intégration de 10 000 membres de la PNGDF dans l’ADF (une entreprise colossale étant donné que les forces de défense papouanes-néo-guinéennes comptent actuellement moins de 4 000 soldats), cela aurait des retombées extrêmement positives sur la capacité de la Papouasie-Nouvelle-Guinée à développer une force régionale compétente, pour apporter son aide non seulement en matière de sécurité dans le Pacifique, mais aussi lors d’opérations de secours en cas de catastrophe. De même, cette évolution pourrait également combler des lacunes importantes dans les efforts de recrutement de l’Australie dans le domaine de la défense, en particulier à un moment où les besoins du pays en la matière ne cessent d’augmenter.
Par le biais du traité Pukpuk, l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée s’engagent à « travailler ensemble pour soutenir une région pacifique, stable et prospère », faisant allusion au renforcement des capacités de la seconde à jouer un rôle plus actif et plus affirmé dans la région, voire à remplacer les forces chinoises ou à éviter à des pays comme les Îles Salomon ou Vanuatu de se tourner vers l’extérieur du Pacifique pour leurs besoins sécuritaires. Si le traité Pukpuk contribue véritablement à mettre la Papouasie-Nouvelle-Guinée et l’Australie sur cette voie, alors il profitera non seulement à ces deux nations, mais aussi à l’ensemble de la région, et jusqu’aux États-Unis.
Crédit photo : Ryan Fletcher
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