Ouganda 2026 : des élections sur fond d’autoritarisme et de désengagement américain

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Oct 17

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Ce texte est une traduction de l’article « Uganda’s 2026 Elections: Rising Authoritarianism and Declining U.S. Engagement », publié sur le site du Center for Strategic and International Studies le 16 septembre 2025.

À l’approche des élections générales de janvier 2026, le paysage politique ougandais présente une troublante ressemblance avec celui des cycles électoraux précédents, à ceci près qu’un autoritarisme accru révèle une crise de gouvernance démocratique de plus en plus profonde.

Le président Yoweri Museveni, aujourd’hui âgé de 80 ans et au pouvoir depuis quatre décennies, est en passe d’obtenir un septième mandat consécutif après avoir été désigné, en juillet 2025, unique candidat du parti au pouvoir, le Mouvement de résistance nationale (MRN), pour les élections de l’année prochaine. Mais ce qui rend l’échéance de 2026 particulièrement préoccupante, ce n’est pas seulement la poursuite de tactiques autoritaires bien connues, mais leur escalade systématique et le mépris de plus en plus flagrant du régime pour les normes démocratiques, le tout dans l’indifférence presque totale de la communauté internationale.

Un expert de la mainmise sur les institutions

Le cycle électoral de 2026 révèle à quel point le MRN de Museveni a perfectionné l’art de l’« autoritarisme compétitif ». Le climat politique est déjà tendu et risque de devenir encore plus hostile vis-à-vis des opposants de longue date au président Museveni, ainsi que vis-à-vis des médias et des organisations de la société civile perçus comme critiques à l’égard du régime. Ces derniers mois, les dirigeants de l’opposition ont été confrontés à un harcèlement croissant, incluant des arrestations arbitraires et des détentions pour des motifs politiques.

Parallèlement, les organisations de la société civile subissent une pression croissante, avec des réglementations plus strictes et une surveillance accrue visant à limiter leur capacité à commenter le processus politique et à agir sur lui. Dans le même temps, le régime continue d’exploiter le pouvoir dont il dispose en mobilisant les ressources de l’État pour la campagne de Museveni, en manipulant les institutions publiques et en restreignant l’accès aux médias et aux espaces publics afin de renforcer la domination du MRN et d’étouffer toute dissidence avant le scrutin. Cette situation semble indiquer que la victoire de Museveni est inévitable. Ce qui reste toutefois incertain, c’est la manière dont le public et l’opposition politique vont réagir.

La stratégie du régime à l’égard des partis d’opposition suit un schéma bien établi : affaiblir de façon systématique plutôt qu’interdire purement et simplement. Ces derniers mois ont été marqués par l’enlèvement de personnalités de l’opposition, notamment l’ancien candidat à la présidence Kizza Besigye, kidnappé au Kenya à la fin de l’année dernière, puis secrètement rapatrié pour être jugé pour trahison. Plus récemment, à la fin du mois d’août 2025, l’activiste et candidat de l’opposition au parlement, Sam Mugumya, a été enlevé par des agents des forces de l’ordre en civil et serait toujours détenu au secret dans un centre près de la capitale Kampala.

De même, les journalistes et les dirigeants de l’opposition subissent un harcèlement croissant, notamment des arrestations arbitraires et des détentions pour des motifs politiques. L’extension de la répression au-delà des frontières du pays démontre la confiance croissante du régime, qui n’hésite plus à agir sans contrainte juridique et qui ne craint plus les réactions de l’opinion publique.

Le parti au pouvoir a également mis en place de nouveaux mécanismes pour limiter la concurrence politique interne. En avril 2025, le MRN de Museveni a imposé aux candidats potentiels de signer un engagement à ne pas se présenter en tant qu’indépendants s’ils perdaient les primaires de leur parti. Or, le nombre de députés indépendants est passé de 37 en 2006 à 69 dans l’actuel parlement – soit plus que les 57 sièges du principal parti d’opposition, la Plateforme de l’unité nationale. En interdisant à ses membres de se présenter en tant qu’indépendants, le MRN cherche à supprimer l’ultime soupape de sécurité qui avait permis au dernier vestige de pluralisme politique de subsister au sein du système.

Une société civile assiégée

Si le ciblage systématique des organisations de la société civile était déjà monnaie courante, il s’intensifie dans ce nouveau cycle électoral. Les organisations citoyennes subissent des pressions croissantes, du fait d’un renforcement des réglementations et d’une surveillance accrue visant à limiter leur capacité à intervenir dans le processus politique. Cette forme de répression s’est particulièrement fait sentir lorsque le régime a manifesté une forte hostilité face aux initiatives diplomatiques internationales menées auprès des groupes d’opposition.

La récente crise diplomatique avec l’Union européenne (UE) illustre la manière dont le gouvernement du président Museveni est devenu encore plus autoritaire, jusqu’à utiliser l’intimidation à l’encontre de la communauté internationale. Lorsque des diplomates européens ont rencontré le dirigeant de l’opposition Bobi Wine pour discuter des violations des droits humains et de ses ambitions présidentielles, le gouvernement a accusé les États membres de l’UE d’ingérence dans les affaires intérieures et de financement de l’opposition. Le général Muhoozi Kainerugaba, fils du président et actuel chef des Forces de défense du peuple ougandais, a accentué les tensions en menaçant d’expulser les envoyés européens, déclarant qu’il les avait tous « fichés ». Il est même allé jusqu’à accuser l’ambassadeur d’Allemagne d’« actes subversifs » et a jugé qu’il était « absolument inapte » à conserver son poste. Muhoozi s’est en outre vanté d’avoir détenu des militants de l’opposition dans son « sous-sol », un euphémisme largement utilisé en Ouganda pour désigner la torture, et a menacé Bobi Wine de subir le même sort, lui promettant : « tu es le prochain ».

Cette confrontation diplomatique et ces menaces explicites révèlent l’audace croissante du régime, consistant à défier la vigilance de la communauté internationale, ce qui marque une rupture nette avec les périodes antérieures au cours desquelles l’Ouganda se montrait plus sensible aux critiques extérieures en raison de sa dépendance à l’aide étrangère.

La militarisation de la politique

Au cœur de la trajectoire violente de l’Ouganda se trouve le général Muhoozi Kainerugaba, dont l’ascension incarne une militarisation progressive de la vie politique dans le pays. En tant que chef de la Force de défense du peuple ougandais, Muhoozi occupe la plus haute position dans la hiérarchie militaire, ce qui ne l’a pas empêché de s’engager ouvertement dans le jeu politique et partisan, brouillant ainsi les frontières entre mission militaire et ambition politique.

Le comportement de Muhoozi révèle en outre la fin du contrôle civil sur l’armée et la toute-puissance illimitée de la famille Museveni. Il a ouvertement décidé de ne pas se soumettre aux convocations parlementaires, affirmant avec mépris qu’il ne comparaîtrait jamais devant ceux qu’il a qualifiés de « clowns », allant même jusqu’à menacer d’arrêter les membres de la commission parlementaire qui l’avait convoqué. Lorsque la Commission ougandaise des droits de l’homme a ordonné la libération d’une figure de l’opposition qui avait été enlevée, Muhoozi a réagi avec défiance et hostilité, publiant des menaces sur ses réseaux sociaux et exigeant des excuses. Ce comportement d’impunité s’étend à ses intimidations publiques contre les dirigeants de l’opposition, notamment un message sur les réseaux sociaux (depuis supprimé) à propos de Bobi Wine, dans lequel il déclarait : « Si [le président Museveni] n’était pas là, je lui couperais la tête aujourd’hui. » De même, il a publiquement menacé de « déporter tous les traîtres » qui ne soutiennent pas la réélection de son père.

Il a publiquement déclaré son ambition de succéder à son père à la présidence et s’impose comme une figure de plus en plus puissante dans le paysage politique et sécuritaire ougandais. Il affiche constamment ses velléités politiques par une présence active sur les réseaux sociaux, des déclarations publiques et des rassemblements organisés dans le cadre du Mouvement MK. En réalité, seul son père a véritablement pu contenir son fils et commence à le tenir pour responsable de ses actions – à l’instar de ce qui s’était passé en 2022, bien que de manière temporaire, lorsque Muhoozi avait menacé d’envahir le Kenya voisin.

La violence électorale comme stratégie institutionnelle

L’introduction de la violence dans le processus électoral ougandais n’est pas une conséquence imprévue, mais une stratégie institutionnelle. Lors des élections de 2016, le Citizen Election Observers Network in Uganda a documenté de nombreux cas d’intimidation et de violences entre factions rivales au sein du MNR. D’autres observateurs électoraux et des documents judiciaires ont également rapporté des incidents violents, des irrégularités et des intimidations lors des primaires du parti. De même, lors du dernier scrutin présidentiel en 2021, Human Rights Watch a rapporté que les « semaines qui ont précédé les élections récemment terminées en Ouganda ont été marquées par une violence généralisée et des violations des droits humains » et que « ces violations comprenaient des meurtres commis par les forces de sécurité, des arrestations et des passages à tabac de partisans de l’opposition et de journalistes, la perturbation de rassemblements de l’opposition et une coupure de l’accès à Internet ». Plus récemment, en juillet 2025, Tanga Odoi, président de la commission électorale du MNR, a suspendu les campagnes dans les districts d’Isingiro et de Sembabule, en partie à cause de l’intensification des violences.

L’escalade de la violence politique autour des élections de 2026 en Ouganda, semblable au scénario des élections de 2021, suscite déjà de sérieux avertissements de la part des observateurs internationaux. Le Holocaust Memorial Museum, basé aux États-Unis, a émis un avertissement sans précédent concernant la possibilité d’« atrocités de masse » autour des élections, soulignant qu’« il existe de fortes raisons de croire que la répression et la violence survenues lors de la campagne et des élections de 2021 pourraient se reproduire en 2026, voire s’aggraver ».

À l’affaiblissement du contrôle par la communauté internationale s’ajoute une remise en cause de l’obligation de rendre des comptes

Les risques pour la sécurité à l’approche des élections en Ouganda sont accentués par l’affaiblissement systématique des mécanismes de supervision électorale à l’approche du scrutin. L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui a fermé au printemps dernier, n’est plus en mesure de soutenir les programmes pédagogiques à destination des électeurs et d’observation des élections en Ouganda qu’elle finançait jusqu’alors. À cela s’ajoute la décision de l’administration Trump « d’éviter de se prononcer sur l’équité ou l’intégrité de quelconque processus électoral, sa légitimité ou les valeurs démocratiques de n’importe quel pays ». Lors des élections de 2021, l’ambassade des États-Unis en Ouganda et les responsables à Washington figuraient pourtant parmi les critiques les plus virulents de l’environnement précédent les élections ougandaises et s’étaient fortement impliqués pour accélérer la libération du candidat de l’opposition Bobi Wine, détenu à son domicile par les forces de sécurité avant un scrutin que la plupart des observateurs occidentaux avaient considéré comme étant truqué par Museveni.

De même, l’Union européenne, principal soutien traditionnel des réformes de gouvernance en Ouganda, avait choisi de ne pas envoyer de mission d’observation pour l’élection présidentielle de 2021, après avoir reçu des plaintes selon lesquelles les recommandations des observateurs précédents visant à rendre le scrutin équitable n’avaient pas été suivies d’effet. S’il est encore trop tôt pour savoir quels pays ou quelles organisations pourraient être présents en Ouganda pour contrôler le vote de 2026, la trajectoire dangereuse que semble prendre l’organisation du scrutin laisse penser que la plupart des observateurs occidentaux s’abstiendront probablement d’envoyer des délégations. Cela pourrait suffire à accroître la probabilité de violences et faciliter encore davantage la réélection de Museveni. Malheureusement, ce retrait du soutien international intervient précisément au moment où l’Ouganda a le plus besoin d’une surveillance renforcée. La combinaison d’une répression accrue et d’un contrôle réduit crée des conditions optimales pour une escalade sans bornes de la violence électorale.

Le coût du désengagement

Les pays occidentaux se trouvent à un moment critique concernant l’Ouganda, où des décennies d’engagement et des milliards de dollars d’aide versés sont compromis par un défaut d’attention stratégique, précisément au moment où leur intervention est la plus nécessaire. Le calendrier de ce désengagement représente un échec potentiellement catastrophique en matière de prévention des conflits, qui pourrait déstabiliser une région d’importance stratégique. Ironiquement, ce retrait profite à l’ambition principale du président Museveni, qui souhaite s’assurer un nouveau mandat et, éventuellement, préparer le terrain pour que son fils officialise son rôle d’héritier désigné.

Pendant des décennies, les États-Unis ont représenté le partenaire de développement le plus important de l’Ouganda et, jusqu’à récemment, l’un des plus interventionnistes et critiques. Entre 2001 et 2019, les États-Unis ont fourni plus de 8,1 milliards de dollars d’aide à l’Ouganda. En 2017, le gouvernement ougandais recevait 58 % de son budget national sous forme de dons, contre 44 % en 2019, la plus grande partie de ces fonds provenant de l’aide américaine en matière de sécurité. Cela s’explique en partie par le rôle essentiel que le président Museveni a habilement donné à son pays : celui d’acteur de la sécurité régionale. Qu’il s’agisse de sa coopération avec Washington pour vaincre l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) ou de son action récente à la tête du déploiement antiterroriste de l’Union africaine en Somalie, le président Museveni a su aligner son gouvernement sur de nombreuses priorités sécuritaires étatsuniennes pour la région, dans le cadre d’une stratégie globale visant à contrebalancer les critiques relatives à son autoritarisme croissant sur le plan intérieur.

Cet investissement historique important a fait des États-Unis un acteur crucial de la stabilité de l’Ouganda. Le gouvernement américain a joué un rôle clé dans la professionnalisation de l’armée, la fourniture de traitements antirétroviraux à plus de 990 000 Ougandais séropositifs, ainsi que dans le renforcement de la croissance économique et de la productivité agricole, l’amélioration des résultats en matière d’éducation et de santé, et le soutien à la gouvernance démocratique par le biais d’institutions inclusives et responsables – ce qui lui a donné un poids considérable dans des domaines aussi importants que les élections. Parallèlement, les relations entre Washington et Kampala se sont détériorées à mesure que Museveni adoptait des politiques en contradiction directe avec certaines des priorités politiques affichées par Washington. Ces tensions se sont particulièrement accentuées sous l’administration Biden, lorsque, à la suite des élections de 2021, pour lesquelles le département d’État avait exprimé « sa grave préoccupation » concernant le processus électoral, Museveni a promulgué une loi qui criminalisait l’homosexualité et la rendait passible de la peine de mort. Des sanctions américaines et des restrictions en matière de visas ont ensuite été imposées, marquant un creux sans précédent dans les relations entre les États-Unis et l’Ouganda.

Mais la réélection du président Trump a créé de nouvelles opportunités pour restaurer les relations et a incité le président Museveni à retrouver le chemin d’un alignement de ses politiques intérieures sur les priorités des États-Unis. Ce plan semble s’être concrétisé lors d’un récent entretien téléphonique en août 2025 entre le président Museveni et le secrétaire d’État Marco Rubio, qui a débouché sur un accord permettant d’envoyer en Ouganda des étrangers expulsés du territoire américain et dont les demandes d’asile avaient été rejetées – l’une des principales priorités domestiques de l’administration Trump. Dans le communiqué qu’il a publié à la suite de cet appel, Rubio a salué la coopération de l’Ouganda en matière de migration et de relations commerciales, et a souligné les « contributions précieuses » du pays à la stabilité régionale, sans toutefois mentionner le climat politique préélectoral dangereux et corrosif qui pourrait bien compromettre cette supposée stabilité.

L’Ouganda a toujours servi les intérêts stratégiques des États-Unis en Afrique de l’Est. Ce cadre de partenariat rend le recul démocratique de l’Ouganda particulièrement préoccupant pour les intérêts américains. Une crise électorale violente ou une consolidation autoritaire ne compromettrait pas seulement les milliards de dollars d’investissements passés, mais pourrait également déstabiliser les efforts américains de lutte contre le terrorisme dans toute la région.

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La fermeture de l’espace politique, les lacunes en matière de gouvernance et l’autoritarisme débridé ne sont pas nouveaux en Ouganda. Cependant, le climat préélectoral de 2026 révèle un niveau inédit d’impudence et de risques. À mesure que les menaces contre l’opposition politique, la liberté de la presse et la société civile se multiplient, s’intensifie le danger que les élections, qui doivent se tenir dans quelques mois, deviennent les plus sanglantes de l’histoire récente de l’Ouganda. Parallèlement, avec un nouvel accord transactionnel visant à accueillir des personnes expulsées des États-Unis, ainsi qu’une réduction substantielle des actions des pays de l’UE visant à inciter le gouvernement Museveni à remédier à ses défaillances en matière de gouvernance, les perspectives d’une pression internationale efficace sur le régime apparaissent plus limitées que jamais. En l’absence d’une mobilisation plus forte de la société civile nationale à l’approche des élections, il est probable que les ambitions du président Museveni pour un septième mandat ne soient pas remises en cause, ou que la contestation rencontre une répression extrêmement brutale. Dans tous les cas, la stabilité tant attendue pour l’Ouganda risque d’être profondément compromise.


Crédits photo : gaborbasch

Auteurs en code morse

Cameron Hudson

Cameron Hudson (@_hudsonc) est chercheur associé senior (non-résident) au sein du programme Afrique du Center for Strategic and International Studies à Washington, D.C.

Comment citer cette publication

Cameron Hudson, « Ouganda 2026 : des élections sur fond d’autoritarisme et de désengagement américain », Le Rubicon, 17 octobre 2025 [https://lerubicon.org/ouganda-2026-des-elections-sur-fond-dautoritarisme-et-de-desengagement-americain/].