C’est une photo de famille. Les reflets d’arrière-plan sur une peinture historique en soulignent la décontraction, voire l’amateurisme. L’accoutrement des deux hommes, complet sombre et emblème de leur pays, ne se distingue que par la couleur de la cravate et le ton de la chemise. Un Donald Trump tout en sourire y occupe la place centrale, légèrement en avant et toisant d’une tête Daniel Noboa, au sourire plus crispé. Si l’épouse du président équatorien, Lavinia Valbonesi, offre au tableau une touche familiale, sa présence ne peut effacer l’impression de voir en son mari un bon élève venu chercher la reconnaissance et l’assentiment de son maître, heureux de les octroyer. La photographie, publiée sur les réseaux sociaux par Daniel Noboa le 29 mars 2025, précède à peine de deux semaines sa réélection.
Le 13 avril 2025, Daniel Noboa remportait en effet le second tour des élections présidentielles pour un nouveau mandat à la tête de l’Équateur. L’homme d’affaires de 37 ans, héritier d’une des plus grandes fortunes du pays, est arrivé au pouvoir en novembre 2023, après que son prédécesseur, Guillermo Lasso, avait organisé des élections anticipées dans un contexte de crise politique et sécuritaire interne. À la suite de son investiture, en janvier 2024, le président Noboa déclarait l’existence d’un conflit armé interne et ordonnait aux militaires de rétablir l’ordre dans les rues du pays, après la violente irruption d’un groupe criminel en direct sur un plateau de télévision. Il s’agissait là d’un incident représentatif de l’explosion généralisée de la violence dans le pays depuis plusieurs années, liée à l’expansion du narcotrafic et de son influence dans les plus hautes sphères politiques et judiciaires de l’État.
Équatorien né à Miami et possédant la nationalité étasunienne, Daniel Noboa a été l’un des rares dirigeants latinoaméricains à assister à l’investiture de Donald Trump, avec qui il entretient des relations amicales, en parallèle d’une relation familiale de longue date avec le ministre de la Santé de ce dernier, Robert Kennedy Jr. Cette proximité affichée pose question quant aux orientations nationales et internationales de l’Équateur dans les prochaines années. Si elle semble enterrer plus profondément encore l’héritage de Rafael Correa (président entre 2007 et 2017), cette proximité ne présume pas d’un éventuel virage en matière de politique extérieure, alignée sur les États-Unis, dont la ligne trumpiste se caractérise par le protectionnisme économique, le rapprochement avec les régimes autoritaires, le démantèlement des normes environnementales et climatiques, ainsi que la fragilisation du multilatéralisme et de ses objectifs en matière de droits humains.
Quelles sont donc les grandes orientations de Daniel Noboa dans le domaine de la politique intérieure, de l’environnement régional et des crises internationales ? Cet article cherche à démontrer que l’apparent alignement trumpiste de Noboa sur les défis de politique interne, régionale et internationale, ainsi que ceux relatifs aux enjeux sécuritaires relève plus d’un opportunisme pragmatique que d’une affiliation idéologique.
Enjeux internes de l’élection : anti-corréisme et fragilisation démocratique
Les élections présidentielles de 2025 en Équateur ont été marquées par un contexte interne de haute tension liée à l’insécurité, de très forte polarisation politique et de fragilisation de la démocratie. Durant le premier tour des élections, seize candidats se sont affrontés dans la course à la présidentielle, dominée par les deux candidats qui se sont qualifiés pour le second tour, Luisa González de la Révolution citoyenne (RC) et Daniel Noboa de l’Action démocratique nationale (ADN).
Les résultats du second tour ont constitué une défaite écrasante pour le corréisme – le courant de l’ancien président Rafael Correa. Les élections se sont déroulées dans un climat de fortes tensions politiques, conduisant la candidate de la RC à contester sa défaite après l’annonce des résultats du second tour. Cependant, dans leurs rapports, les principales missions d’observation électorale dépêchées par des organisation internationales – Organisation des États américains (OEA) et Union européenne (UE) – n’ont pas soulevé l’existence de fraude massive, malgré des conditions inégales et des irrégularités dans le comptage des votes et l’usage d’argent public pour la campagne de Daniel Noboa. La dénonciation d’une présumée fraude électorale contribue de ce fait à fragiliser la démocratie dans un pays déjà fortement marqué par la corruption et la perte de confiance dans les institutions politiques.
Daniel Noboa a davantage profité des craintes générées par sa rivale Luisa González (menace de devenir un nouveau Venezuela, peur de la sortie du dollar, dérive autoritaire) qu’il n’a proposé de politique gouvernementale concrète. Un des enjeux pour asseoir la légitimité de son nouveau gouvernement réside dans sa capacité à s’éloigner de la tentation d’une dérive trumpiste qui limiterait les droits démocratiques et la confiance dans les institutions du pouvoir. Un des éléments majeurs qui cristallisent cet enjeu démocratique est la proposition par Noboa d’une réforme constitutionnelle qui viserait à simplifier l’actuelle constitution progressiste adoptée en 2008 sous le gouvernement de Rafael Correa, une possibilité qui sera scrutée de près par les puissances régionales, pour lesquelles l’élection équatorienne a constitué un facteur clivant.
L’Équateur et le système latinoaméricain : une bipolarisation évanescente
À l’échelle régionale, la réélection de Daniel Noboa a d’abord trouvé un écho dans les chancelleries latinoaméricaines, du côté des États limitrophes, mais aussi dans l’ensemble du système latinoaméricain, impliquant d’ailleurs les États-Unis.
Les relations de l’Équateur avec l’environnement régional sont marquées par l’enjeu prioritaire de la lutte contre le crime organisé et le narcotrafic. Malgré l’objectif affiché en 2021 d’approfondir les échanges commerciaux avec les voisins colombien et péruvien, c’est surtout vers un contrôle accru des frontières et leur militarisation que se dirige le pays. La façade portuaire de l’Équateur est en effet devenue un couloir essentiel de l’exportation de la cocaïne, dont la Colombie et le Pérou sont les premiers producteurs au monde. Parmi les recettes préconisées par le président Noboa figure le renforcement du contrôle douanier en systématisant l’analyse par scanner des conteneurs grâce à un partenariat avec des entreprises de la tech nordaméricaine, comme Google ou Palantir.
Plus radical encore, le président envisage d’ouvrir la voie à l’installation de bases militaires étrangères, notamment américaines, sur le sol national. Cette pratique, courante en Amérique du Sud depuis la Seconde Guerre mondiale, avait été gelée en 2009 en Équateur et nécessiterait aujourd’hui une révision constitutionnelle. Les États-Unis, qui avaient également disposé par le passé d’une base aux îles Galapagos, chercheraient depuis plusieurs années à se réinstaller militairement dans le pays, après avoir vécu comme un camouflet le retrait de 2009. La réunion informelle de mars 2025 entre Daniel Noboa et Donald Trump aurait d’ailleurs porté sur cette possibilité et les travaux en cours à Manta seraient conduits dans l’espoir d’y accueillir prochainement des troupes américaines.
En outre, l’expertise militaire serait sollicitée auprès de groupes sulfureux, comme l’agence de sécurité privée Blackwater, avec qui un « partenariat stratégique » aurait été signé, même si Daniel Noboa a affirmé que cela ne signifiait pas la présence sur place de mercenaires. La ministre des Affaires étrangères, Gabriela Sommerfeld, fait quant à elle pression depuis février 2025 sur le parlement pour qu’il accepte « l’incorporation de forces spéciales » étrangères pour combattre le crime organisé. Ces initiatives parfois purement rhétoriques ont malgré tout en commun d’en appeler à la manière forte, ou « mano dura », et à l’appui étranger contre le crime organisé, des stratégies qui se sont soldées par des échecs retentissants en Colombie et au Mexique. Notons cependant que l’Équateur est demandeur de toute coopération internationale destinée à renforcer sa sécurité, que ce soit avec l’UE ou à travers des mécanismes d’intégration sudaméricaine.
Par-delà cet enjeu crucial de la sécurité et des frontières, les réactions des principales capitales du continent à l’élection de Daniel Noboa semblent raviver la dichotomie à l’œuvre dans cette partie du monde, partagée entre des droites libérales avides de prendre leur revanche sur la vague de gouvernements progressistes de gauche élus dans les années 2000 et des gauches traumatisées par le souvenir de ce qu’elles considèrent comme des coups d’État institutionnels. Logiquement, le résultat des urnes en Équateur a renforcé les positions des gouvernements de l’Argentin Javier Milei et du Salvadorien Nayib Bukele, qui forment avec Daniel Noboa les plus ardents partisans de Donald Trump dans la région. L’Argentine s’est empressée de célébrer les « valeurs partagées » avec l’Équateur ; quant à Bukele, il apparaît à la fois comme allié et concurrent. Noboa, qui prévoit l’ouverture de nouvelles prisons, se défend pourtant de suivre son modèle très dur en matière carcéral. Le président salvadorien était pressenti pour assister à l’investiture de Noboa, mais c’est finalement son vice-président qui s’est déplacé, dans un geste diplomatique se voulant moins ostentatoire. D’ailleurs, Donald Trump a également délégué la tâche à Robert Kennedy Jr, l’allié équatorien n’apparaissant donc pas comme une priorité absolue.
À l’autre bout du spectre politique, les anciens soutiens du corréisme sont rapidement montés au créneau après les résultats du second tour. Evo Morales, qui n’a certes plus le poids de ses années au pouvoir, a dénoncé une « fraude électorale » et établi un parallèle direct avec le scrutin bolivien de 2019, qui avait eu pour conséquence son départ de la présidence après des élections considérées comme entachées « d’irrégularités » par l’OEA. Le président colombien Gustavo Petro qui est, lui, aux affaires a de même dénoncé les « irrégularités » : « Je ne peux pas reconnaître les élections en Équateur », a-t-il déclaré au lendemain du scrutin, augurant d’une relation de voisinage difficile, malgré les tentatives d’euphémisation de Daniel Noboa. Sa présence ultérieure à l’investiture de ce dernier, surprenante de prime abord, a été justifiée comme le moyen de demander la libération des « prisonniers politiques », notamment Jorge Glas (voir infra). Le Vénézuélien Nicolas Maduro, qui souffre d’un grand isolement sur la scène régionale depuis des années en raison de son orientation dictatoriale, a quant à lui qualifié le processus électoral « d’horrible fraude ».
La réaction de la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum doit pour sa part être restituée dans le contexte de rupture des relations diplomatiques suite à l’attaque, menée par la police équatorienne, de l’ambassade mexicaine à Quito en 2024, destinée, justement, à capturer Jorge Glas. L’ancien numéro deux du régime de Rafael Correa, accusé de multiples cas de corruption, était suspecté de vouloir quitter clandestinement le territoire équatorien pour le Mexique. Devant cette violation flagrante du droit international, dénoncée par les alliés mêmes de Daniel Noboa, et en rupture avec la tradition diplomatique de la chancellerie équatorienne, la relation avec le Mexique, qui dispose d’un poids symbolique et culturel fort en Amérique latine, s’est brutalement dégradée. Sheinbaum a ainsi déclaré que la victoire de Noboa était « douteuse » et que le Mexique n’aurait pas de relations avec l’Équateur « tant que Noboa exercera la fonction de président ».
Toutefois, les gauches latinoaméricaines ne dénoncent pas unanimement une fraude électorale massive. Au Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva a rapidement reconnu le résultat des élections, lui qui ne dispose plus de la même marge de manœuvre intérieure et extérieure que lors de son premier passage à la tête du pays (2003-2011). Même le gouvernement du président chilien Gabriel Boric, leader une coalition de gauche, a reconnu les résultats, tout en admettant, face aux critiques du Parti communiste chilien, que les conditions du scrutin n’étaient « pas idéales ».
Si la réélection de Daniel Noboa à la présidence de l’Équateur révèle donc bien une ligne de fracture à l’échelle du sous-continent entre une droite trumpiste conquérante et une gauche progressiste sur la défensive, les intérêts propres à chaque État jouent à plein et les sympathies ou antipathies sur le fondement des idées et des valeurs sont systématiquement mises en regard d’une approche réaliste. Les diplomaties régionales savent bien qu’elles devront de toute manière composer avec Noboa. Pour l’Équateur, l’environnement régional n’est d’ailleurs que secondaire par rapport à sa relation déterminante avec les États-Unis.
Un rapprochement économique et commercial confirmé avec Trump
La réélection de Daniel Noboa à la présidence de l’Équateur marque un rapprochement déjà affiché avec les États-Unis de Donald Trump. Au niveau économique et commercial, le plan de gouvernement de Noboa vise à renforcer les liens avec les États-Unis dans le but notamment de tirer profit d’un avantage comparatif pour l’Équateur après l’augmentation, par l’administration Trump, des taxes de 10 % au niveau global sur les exportations à destination des États-Unis. De même, un élément stratégique de la politique commerciale extérieure de l’Équateur se traduit par de nouveaux accords conclus avec le Canada en ce qui concerne les investissements miniers dans le pays. Le gouvernement équatorien a signé six engagements d’investissement minier totalisant 4,8 milliards USD lors de la visite du président Noboa au Canada, le 4 mars 2024. Ces contrats ont été largement dénoncés par la Confédération nationale indigène de l’Équateur (CONAIE) pour leurs potentiels risques de violations du droit à la consultation préalable et des droits territoriaux des peuples indigènes, reconnus dans la constitution de 2008 et dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), dont l’Équateur est partie.
Ce rapprochement marqué avec les États-Unis et le Canada s’inscrit dans une certaine volonté de rupture avec l’explosion des investissements chinois en Équateur et dans toute la région. La Chine représente d’ailleurs, avec 116 millions USD, 50 % des investissements directs à l’étranger (IDE) en 2024, une augmentation de 58 % par rapport à 2023. Les activités dans lesquelles elle a le plus investi sont l’exploitation minière et l’industrie manufacturière. Si la relation avec Pékin ne peut pas être aussi hostile que celle de Donald Trump avec Xi Jinping, elle n’est cependant plus aussi enthousiaste que sous Rafael Correa, qui avait fait du rapprochement avec la Chine le pendant de son anti-américanisme. De cette époque datent de forts investissements chinois dans les secteurs de la construction, des hydrocarbures et de la mine, mais aussi des dettes colossales contractées par l’Équateur pour des projets pharaoniques qui n’ont pas produit tous les fruits escomptés, comme la centrale hydroélectrique de Coca Codo Sinclair. Depuis, l’Équateur a cherché à desserrer l’étreinte chinoise, tout en cherchant à s’assurer l’accès à son marché de consommateurs.
Or, le traité de libre-échange signé en 2023 s’est avéré décevant pour les exportations équatoriennes de crevettes et de bananes, tandis qu’il a renforcé la présence chinoise dans les secteurs de l’automobile ou de la téléphonie en Équateur. L’ouverture du mégaport de Chancay au Pérou voisin en 2024 devrait également renforcer la présence chinoise dans les infrastructures portuaires équatoriennes, grâce à la maîtrise de la chaîne logistique dont font preuve les entreprises dépêchées par Pékin. Malgré la proximité de Daniel Noboa avec Donald Trump, la relation avec la Chine reste donc très étroite et nécessairement asymétrique, ce que les États-Unis ne manqueront pas de surveiller.
Un autre secteur hautement stratégique pour l’Équateur est de fait celui des investissements étrangers en matière énergétique, dans un contexte de changement climatique, provoquant des sécheresses à répétition, et de crise du système de production énergétique presque entièrement fondé sur des centrales hydroélectriques. Le gouvernement ne semble pas avoir de plan précis, en dehors d’une ouverture du marché de l’énergie au secteur privé. L’abandon de l’État, qui a encore le monopole de la production d’énergie, entraîne des périodes récurrentes de coupure d’électricité durant plusieurs heures par jour, comme ce fut le cas en novembre-décembre 2024.
Par ailleurs, le gouvernement de Daniel Noboa s’inscrit dans la continuité d’une politique tournée vers l’extraction des matières premières, en particulier des ressources fossiles, malgré la décision du référendum du 20 août 2023 d’interdire l’exploitation des champs pétrolifères d’Ishpingo, Tiputini et Tambococha (ITT), dans le parc national Yasuni, et des mines du Choco Andino de Pichincha. Cette politique n’est pas sans rappeler la désormais célèbre formule de Donald Trump « Drill baby drill », faisant référence aux importants investissements de l’administration américaine dans l’extraction des ressources fossiles visant à renforcer la souveraineté énergétique et économique des États-Unis.
Finalement, un des enjeux majeurs à l’international pour le nouveau gouvernement de Daniel Noboa est le respect des accords passés avec le Fonds monétaire international (FMI), organisme multilatéral qui reste majoritairement sous la coupe des États-Unis. À la suite de la signature de l’accord avec le FMI, l’Équateur a reçu 1 milliard USD en juin 2024. Avec le deuxième versement, finalisé le 24 décembre 2024, l’administration Noboa a reçu un total d’1,5 milliard USD du FMI au cours de sa première année de mandat intérimaire. Les 2,5 milliards USD restant à débourser dépendront des mesures que le nouveau gouvernement Noboa mettra en œuvre. Selon l’analyste Santiago Mosquera : « Les marchés s’attendent à ce que le gouvernement envoie des signaux clairs indiquant qu’il poursuivra le processus de consolidation budgétaire. » Noboa s’inscrit donc dans la continuité des deux gouvernements précédents – Moreno (2017-2021) et Lasso (2021-2023). En effet, après les années Correa et depuis l’accord avec le gouvernement Moreno de 2019, l’Équateur s’est à nouveau rapproché du FMI. La présence de l’organisation internationale est, pourtant, fortement contestée et a déjà provoqué deux grands mouvements sociaux dirigés par la CONAIE en 2019 et 2022.
La diplomatie équatorienne dans le monde : un réalignement incomplet
Finalement, le rapprochement économique et éventuellement stratégique avec les États-Unis de Donald Trump signifie-t-il un alignement total avec le nouveau dérèglement du monde que ce dernier provoque ? Sur les dossiers brûlants de l’Ukraine et de Gaza, une évolution semble se dessiner, mais avec de nombreuses limites.
La relation avec la Russie a connu récemment un certain dégel. Les Équatoriens ont systématiquement voté avec les pays occidentaux pour condamner l’invasion en Ukraine de février 2022, même après que les États-Unis de Donald Trump ont entamé leur virage sur la question. Tout en maintenant cette position, Daniel Noboa a sensiblement altéré la ligne équatorienne, en rétablissant le dialogue au plus haut niveau avec la délégation russe à Quito, jusque-là maintenue passablement à l’écart.
L’affaire de la ferraille vient illustrer ce nouvel équilibre. Lorsqu’en février 2024, l’Équateur décidait de transférer aux États-Unis des armements d’origine soviétique et que les États-Unis annonçaient qu’ils seraient cédés à l’Ukraine, la Russie a protesté de manière véhémente en promettant des rétorsions sur les producteurs de bananes, qui trouvent en Russie un de leurs principaux marchés d’exportation. Malgré l’affirmation de Noboa selon laquelle ces armements ne constituaient que de la ferraille (« chatarra »), le gouvernement équatorien a décidé de suspendre le transfert, pratiquant ainsi un double discours, entre New York et Quito, qui pourrait pencher en faveur de Moscou en fonction des intérêts commerciaux et politiques de l’Équateur.
Quant au Proche-Orient, l’Équateur conserve sur Gaza une ligne intermédiaire. Guillermo Lasso, le prédécesseur de Daniel Noboa, avait été le premier président équatorien à visiter officiellement l’État hébreu en 2022, avec un enjeu surtout commercial, qui répondait à une stratégie de renforcement de la présence de l’Équateur dans le monde. Cependant, l’intensification des bombardements avait poussé le ministère des Affaires étrangères à faire entendre sa préoccupation quant au respect du droit international en la matière. Le président Noboa est quant à lui resté discret sur la guerre à Gaza, son principal objectif étant de concrétiser un accord avec Israël qui permettra à terme l’installation temporaire de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs équatoriens agricoles (le Programa de Migración Circular), dans un effort de formalisation des départs d’Équatoriens à l’étranger, nombreux ces dernières années en raison de la crise sécuritaire et économique dans le pays. Un accord semblable avec l’Espagne avait d’ailleurs été signé dès 2021. Les Israéliens s’impatienteraient de la longueur de la mise en place du processus, qui prévoirait en outre des transferts de technologie en matière de sécurité vers Quito.
Plutôt qu’une rupture franche, les positions équatoriennes sur les crises mondiales confirment donc une normalisation de la place de l’Équateur dans le monde, à travers un « glissement progressif » depuis la fin du mandat de Rafael Correa, comme le suggère un ancien ambassadeur français dans le pays. Un intellectuel comme Benjamín Carrión (1897-1979) avait de longue date théorisé la nécessité d’un rayonnement culturel exceptionnel pour un petit pays. Alors que le corréisme avait pu laisser croire à la diffusion mondiale d’un modèle équatorien de « socialisme du xxie siècle », l’Équateur a dès le mandat de Lenín Moreno (2017-2021) été contraint de revoir ses objectifs à la baisse.
La politique extérieure équatorienne conserve certes des atouts, avec un corps diplomatique de qualité, une solide expérience des institutions internationales – qui s’est traduite par l’élection de l’Équateur comme membre non permanent au conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour la période 2023-2024 – et un intérêt et une expertise dans les sujets maritimes.
Ces grandes ambitions se heurtent néanmoins à une nette diminution du budget du ministère des Affaires étrangères depuis au moins 2014, tendance qui ne devrait pas s’inverser avec un président partisan de la réduction des dépenses publiques. Le réseau diplomatique et consulaire présente également des limites. Si l’Équateur est diplomatiquement présent dans toutes les Amériques et dans un nombre significatif d’États asiatiques et du Moyen-Orient, sa présence en Afrique (deux représentations, en Égypte et en Afrique du Sud) et même en Europe (douze États, en comptant la Russie) reste faible. Dans ces conditions, la diplomatie équatorienne est contrainte de choisir ses batailles. L’adaptabilité équatorienne dans certains dossiers et la prudence de Daniel Noboa en la matière peuvent ainsi être attribués à des moyens limités. Si Donald Trump peut se permettre une diplomatie tous azimuts tout en prévoyant de baisser le budget du Secrétariat d’État, Noboa ne dispose pas des mêmes marges de manœuvre que son partenaire. D’autant que ses services diplomatiques n’ont pas une vision aussi opportuniste du respect du droit international que ce dernier, et des protestations internes ont vu le jour au moment de l’affaire de l’ambassade mexicaine. La capacité d’agir de Noboa dépendra également de sa capacité à entraîner, voire à mettre au pas, cette administration.
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L’analyse des enjeux entourant les résultats des élections présidentielles de 2025 en Équateur implique d’adopter une grille de lecture nuancée, au-delà de la division politique classique gauche-droite souvent appliquée dans le contexte européen.
D’une part, la réélection de Daniel Noboa à la présidence de l’Équateur suscite des réactions variées au niveau régional avec des gouvernements de gauche qui, malgré tout, reconnaissent la validité des résultats électoraux. D’autre part, si Noboa confirme un rapprochement avec les États-Unis de Trump en matière commerciale, économique et diplomatique, son gouvernement affiche également d’importantes divergences avec le président des États-Unis. C’est le cas de la ligne libre-échangiste de Noboa en matière commerciale ou encore de la tradition diplomatique et multilatéraliste de l’Équateur sur la scène internationale, que le président équatorien n’a pas encore durablement remplacée.
Dès lors, Noboa représente-t-il vraiment un nouveau trumpisme dans la région latino-américaine ? Qualifié volontiers de « dictateur » par l’opposition équatorienne, le président n’en a sans doute ni l’ambition idéologique ni les moyens. Ses positions intérieures et internationales, si elles témoignent d’affinités avec le trumpisme, semblent avant tout marquées par un dessin pragmatique pouvant orienter le pays dans un sens ou dans un autre en fonction de la conjoncture. En tout état de cause, les prochaines quatre années de gouvernement nous diront si l’Équateur s’enracine durablement dans un mode de gouvernement autoritaire. Ceux qui en feraient les frais seraient en premier lieu les Équatoriens, comme l’illustre tragiquement le sort des « quatre des Malvines », un enfant et trois adolescents afro-équatoriens disparus en décembre 2024 dans un quartier populaire de Guayaquil et retrouvés morts trois semaines plus tard dans des circonstances obscures impliquant les forces armées équatoriennes. Quatre militaires ont déjà avoué avoir torturé ces enfants. Pour de nombreuses organisations de défense des droits humains, dont la CIDH, il s’agit d’un potentiel « crime d’État » au sujet duquel le gouvernement devra répondre devant les familles des victimes, sacrifiées à la militarisation du pays au nom de la lutte contre le narcotrafic.
N.B.: pour cet article, d’anciens représentants diplomatiques en Équateur ont été consultés sous couvert d’anonymat.
Crédit photo : Carlos Silva-Presidencia de la República
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