Ce texte est une traduction de l’article « The March Massacres Show That Syria Urgently Needs Solutions, Not Sanctions », publié le 26 mars 2025 sur War on the Rocks.
C’est au début du mois de mars 2025 que la transition post-Assad en Syrie a pris un goût amer. Dans des scènes évoquant les pires moments de la guerre civile syrienne, des centaines de civils alaouites ont été tués, probablement par une combinaison de forces pro-gouvernementales et d’escadrons de la mort sunnites, opérant de manière extrajudiciaire.
Les violences ont commencé par un soulèvement antigouvernemental dans la province côtière de Latakieh, dominée par les alaouites. Mais les massacres qui ont suivi se sont étendus à tout le pays, les milices sunnites tuant des civils alaouites à Homs, Tartous, Hama et ailleurs.
Ces actes systémiques de meurtre sectaire ont apparemment donné raison à certains observateurs qui considèrent depuis longtemps que le président syrien Ahmed al-Charaa — malgré son apparente transformation de militant en homme d’État — reste un djihadiste non-réformé. Selon le secrétaire d’État Marco Rubio, les liens passés d’Ahmed al-Charaa avec Al-Qaïda et l’État islamique « ne sont pas rassurants ». L’Occident aurait apparemment été dupé une fois de plus : Hayat Tahrir al-Cham et Ahmed al-Charaa auraient utilisé l’implication de l’Occident pour consolider leur pouvoir. Les massacres de mars ne seraient que la partie émergée de l’iceberg sectaire et islamiste.
Cette perspective est profondément erronée. Certes, le nouveau gouvernement syrien est loin d’être irréprochable, mais les événements de début mars ont eu lieu non parce que le nouveau gouvernement est trop fort, mais parce qu’il est trop faible. Le meilleur moyen d’empêcher la Syrie de s’enfoncer davantage dans l’abîme de la violence sectaire est d’accélérer l’allègement des sanctions, et non de le stopper. Ahmed al-Charaa n’est ni un démocrate ni un libéral. C’est un islamiste. Mais sa longue carrière militante et politique montre qu’il est aussi un pragmatique. Les pays occidentaux et les acteurs régionaux responsables devraient s’engager auprès du nouveau régime pour encourager le pragmatisme d’Ahmed al-Charaa à prendre le pas sur son islamisme.
Le djihadiste caméléon ?
L’une des sources de la mystique d’Ahmed al-Charaa est sa transformation improbable de chef de guerre djihadiste en homme d’État responsable. Il a commencé sa carrière « politique » en tant que combattant djihadiste en Irak. L’histoire qu’il raconte selon laquelle il n’était qu’un fantassin d’Al-Qaïda n’est pas crédible, étant donné qu’il a été chargé de mettre en place une branche de l’organisation en Syrie. Le groupe, qui s’est rebaptisé Hayat Tahrir al-Cham en 2017, a eu recours aux attentats suicides, aux enlèvements et à l’extorsion, tout en torturant régulièrement ses opposants. En 2021, Ahmed al-Charaa a même laissé entendre que les attentats du 11 Septembre l’avaient rendu « heureux ».
Il n’est donc pas surprenant qu’Ahmed al-Charaa soit passé de l’un des militants les plus recherchés du Moyen-Orient à l’un de ses dirigeants les plus surveillés. Depuis la chute du régime Assad en décembre 2024, les observateurs ont scruté chaque déclaration et chaque geste de l’énigmatique nouveau président syrien pour déterminer s’il est toujours islamiste, s’il est devenu pragmatique ou même démocrate. Selon les sceptiques, le nouveau président syrien et son groupe militant Hayat Tahrir al-Cham n’ont rien de nouveau. Ils auraient plutôt adopté le « manuel gradué et opportuniste » du Hamas, des talibans et d’autres groupes islamistes.
Mais cette simplification excessive ne tient pas compte du fait que la transformation d’Ahmed al-Charaa ne s’est pas produite du jour au lendemain. Ahmed al-Charaa est revenu d’Irak en Syrie en 2011, en tant qu’agent d’Al-Qaïda. Il a ensuite retourné les armes de son groupe contre Al-Qaïda et l’État islamique. Hayat Tahrir al-Cham est passé de la lutte contre les mandataires turcs à l’adoption d’Ankara comme partenaire clé. Bien qu’il ait passé cinq ans dans les prisons de la coalition en Irak, il n’a apparemment pas montré de mauvaise volonté envers les États-Unis en 2024, lorsqu’il a rencontré des représentants de l’administration Biden.
Ces changements dans les relations extérieures du groupe correspondent aux changements dans les actions de Hayat Tahrir al-Cham en Syrie même. Le groupe militant était auparavant connu sous le nom de Front Fatah al-Cham, et encore avant sous celui de Front al-Nosra. Il ne s’agissait pas d’un simple exercice de rebranding. Ces modifications reflétaient plutôt des changements politiques et idéologiques, alors qu’Ahmed al-Charaa purgeait son groupe des sympathisants d’Al-Qaïda, tout en intégrant — par la force et la diplomatie — d’autres groupes rebelles. L’un de ces groupes était le groupe islamiste-nationaliste Ahrar al-Cham, que Hayat Tahrir al-Cham a supplanté à la tête de la province syrienne d’Idlib en 2017. Mais pour illustrer le fait qu’il s’agissait moins d’une absorption que d’une osmose, Hayat Tahrir al-Cham a poursuivi l’approche d’Ahrar al-Cham, qui donnait la priorité à la fourniture de services publics plutôt qu’au dogme religieux — une approche qui lui a été bénéfique, ainsi qu’à la population d’Idlib.
Expliquer la capacité d’adaptation d’Ahmed al-Charaa
Ahmed al-Charaa et Hayat Tahrir al-Cham n’ont pas changé à la suite d’un voyage complaisant à la découverte de soi. Ils l’ont fait lorsque des dynamiques externes les ont convaincus que c’était dans leur intérêt. Au départ, Ahmed al-Charaa cherchait à établir une rampe de lancement pour les attaques d’Al-Qaïda à l’extérieur du pays. Mais cet objectif a perdu de sa pertinence lorsque la Russie et les États-Unis ont mis de côté leurs désaccords pour coordonner leurs frappes aériennes contre les groupes djihadistes. C’est cet événement qui a incité Ahmed al-Charaa à rompre ses liens avec les djihadistes mondiaux, car ces allégeances nuisaient désormais clairement aux intérêts de son groupe et à la projection de sa puissance, puisqu’elles entraînaient des frappes russes et américaines.
De même, après que Hayat Tahrir al-Cham a pris le pouvoir à Idlib, Ahmed al-Charaa s’est rendu disposé à passer l’éponge sur les actions du régime turc et à cultiver avec son voisin et ancien rival des liens étroits. Cette décision critique a façonné l’avenir de la Syrie. Ahmed al-Charaa a conclu un accord avec la Turquie qui a permis à cette dernière de positionner ses troupes à l’intérieur de la province d’Idlib. Cet acte a limité la liberté d’action du régime Assad et a valu à Hayat Tahrir al-Cham la protection de la Turquie, ce qui a permis au groupe non seulement de survivre, mais aussi de prospérer. Alors que les sanctions et la guerre civile décimaient le reste de la Syrie, la Turquie a ouvert ses frontières au commerce. En conséquence, les habitants d’Idlib ont rapidement été mieux payés et ont eu un meilleur accès à l’électricité que dans la plupart des autres régions de la Syrie.
Les partisans de la ligne dure de Hayat Tahrir al-Cham s’y étant opposés, Ahmed al-Charaa les a purgés et les a remplacés par des technocrates civils. Cela a conduit à une approche plus directe de la gouvernance — Hayat Tahrir al-Cham a aboli ses « patrouilles de la charia ». Cette évolution et l’accent mis sur la gouvernance au quotidien ont renforcé le soutien de Hayat Tahrir al-Cham au-delà de sa base djihadiste étroite. Hayat Tahrir al-Cham et Ahmed al-Charaa sont désormais moins perçus comme des talibans syriens que comme des dirigeants compétents qui veillent à ce que les lumières soient allumées, les ordures ramassées et les rues sûres.
En bref, si la trajectoire d’Ahmed al-Charaa semble incohérente, elle a en fait été constamment définie par deux caractéristiques immuables : la flexibilité et le pragmatisme. C’est cette combinaison improbable qui lui a permis d’être un djihadiste et un islamiste, tout en construisant et en maintenant un soutien au-delà de la base étroite des interprétations plus rigoristes de l’islam. Si l’homme d’État britannique Lord Palmerston a effectivement dit que « nous n’avons pas d’alliés éternels, seulement des intérêts éternels », il aurait approuvé la volonté d’Ahmed al-Charaa de s’aligner avec une diversité d’acteurs, d’en abandonner et d’en incorporer d’autres, tout cela pour la poursuite perpétuelle du pouvoir. Ce faisant, lui et Hayat Tahrir al-Cham ont fait preuve de plus de flexibilité et de sens politique que n’importe quel mouvement djihadiste actif à l’intérieur ou à l’extérieur de la Syrie.
Les sceptiques pourraient faire valoir que les groupes extrémistes se sont depuis longtemps adaptés pour faire face à l’adversité, ou qu’ils ont masqué leurs propres tactiques sanglantes et leurs objectifs intransigeants par une rhétorique inclusive. Ils auraient raison. Mais Hayat Tahrir al-Cham et Ahmed al-Charaa sont différents, en ce sens qu’ils ne sont pas encombrés par une vision rigide et qu’ils ont plutôt changé d’allégeance, de politique et même d’idéologie lorsque cela correspondait à leurs intérêts. Cela explique également pourquoi Ahmed al-Charaa parle et agit comme il le fait en tant que président de la Syrie : changer de position idéologique et d’allégeance sans interruption a servi ses intérêts dans le passé, il est donc tout à fait possible qu’il s’attende à ce que cela l’aide à consolider son pouvoir aujourd’hui.
Les sanctions et le problème de la conditionnalité
Plutôt que de chercher à empêcher ce résultat, les pays occidentaux devraient montrer à Ahmed al-Charaa — si tel est son objectif et sa motivation — qu’il a raison. Le moyen d’y parvenir est d’alléger les sanctions, de fournir de l’aide et, de manière plus proactive, d’établir des partenariats politiques et économiques avec le nouveau gouvernement.
Mais les acteurs extérieurs n’ont pas réussi à se hisser à ce niveau. L’administration Biden a accordé une dérogation de six mois aux sanctions pour les transactions financières avec le nouveau gouvernement et sa banque centrale. Le président Donald Trump, quant à lui, a abordé la Syrie avec désintérêt et apathie. Cette attitude est contre-intuitive pour un président qui adore conclure des accords commerciaux, étant donné que le gouvernement syrien cherche désespérément à faciliter de nouveaux liens commerciaux, politiques et culturels.
Le bilan de l’Europe est légèrement meilleur. En février 2025, l’Union européenne a annoncé un allègement des sanctions pour les secteurs de la banque, de l’énergie et des transports en Syrie. Après le retrait de l’administration Trump, les pays européens et l’Union européenne ont pris le relais en poursuivant leur dialogue avec Ahmed al-Charaa et son gouvernement. Rien qu’en janvier 2025, les gouvernements français, italien et allemand ont envoyé leurs ministres des Affaires étrangères à Damas. Ils ont également été rejoints par un membre de la Commission européenne.
Mais la stratégie de l’Union européenne reste fondamentalement erronée. Il a fallu près de huit semaines après le départ d’Assad pour que Bruxelles revienne sur certaines sanctions. La plupart des restrictions étant toujours en vigueur et la dérogation aux sanctions américaines expirant bientôt, les entreprises sont restées largement à l’écart. L’Union européenne et ses États membres restent liés par la conditionnalité, c’est-à-dire le principe selon lequel l’allègement des sanctions ne doit être accordé que lorsque les actions du gouvernement correspondent aux paroles d’Ahmed al-Charaa. Ce n’est pas ainsi que fonctionne Hayat Tahrir al-Cham, qui change beaucoup plus fréquemment et fondamentalement que les autres groupes djihadistes, mais seulement lorsqu’on lui propose des incitations concrètes. La Turquie l’a compris en ouvrant sa frontière au commerce et en stationnant ses troupes à Idlib. Elle est ainsi l’acteur extérieur le plus puissant en Syrie aujourd’hui.
La réponse correcte aux massacres de mars
Il y a quelques signes qui indiquent que l’Occident suivra l’exemple de la Turquie. L’Union européenne et les États-Unis ont eu raison de condamner les massacres de mars 2025, mais ils ne tirent pas les bonnes leçons de cet événement tragique. Un commentateur a déploré que les chances d’un allègement des sanctions soient désormais « dans les faits proches de zéro ».
La réponse de Washington, qui semble donner raison à cette affirmation, n’a pas réussi à replacer les violences dans le contexte de la spirale économique de plus en plus désastreuse de la Syrie et du rôle joué par le régime de sanctions dans la perpétuation du statu quo. Environ 90 % des Syriens vivent en dessous du seuil de pauvreté. On estime à 800 milliards de dollars le coût du retour de la Syrie aux niveaux de prospérité d’avant la guerre civile — or, à cette époque, le pays était loin d’être prospère. Depuis 2011, 13 millions de Syriens ont été déplacés et les rapatriés meurent chaque jour à cause des munitions non explosées. La Syrie est un pays inondé d’armes et rempli de jeunes hommes entraînés au combat, dont l’avenir est incertain et pour lesquels les opportunités sont rares. L’Europe peut estimer qu’elle peut se permettre d’attendre en conditionnant l’allègement des sanctions, mais l’effusion de sang montre que ce n’est pas le cas pour le peuple syrien. Si rien ne prouve que le gouvernement ait ordonné les massacres, l’incapacité du régime dirigé par Hayat Tahrir al-Cham à partager le pouvoir y a contribué. L’abandon par le groupe militant de l’application du dogme religieux au profit de la construction d’un État technocratique à Idlib lui a valu des amis au-delà de sa base. Pourtant, il y a eu peu de changements correspondant en faveur du partage du pouvoir ou d’une gouvernance inclusive. Lorsqu’ils ont pris le pouvoir à Damas, des observateurs ont averti que ce qui fonctionnait à Idlib ne fonctionnerait pas pour l’ensemble de la Syrie. En effet, le reste du pays est plus grand, moins conservateur et plus diversifié sur le plan ethnique, religieux et politique qu’une province frontalière.
Mais Hayat Tahrir al-Cham n’a pas écouté. Des premiers ministres aux agents de la circulation en passant par les enseignants, le groupe a transplanté ses propres membres d’Idlib et les a envoyés jouer les mêmes rôles à une échelle beaucoup plus grande. Il en est résulté une vacance du pouvoir, car Hayat Tahrir al-Cham n’avait tout simplement pas assez de membres loyaux pour assurer la sécurité des rues et maintenir le courant dans toute la Syrie. Cela a précipité une rupture de confiance entre Hayat Tahrir al-Cham, d’une part, et d’autres milices et groupes politiques rebelles, d’autre part, qui ont soit refusé de s’intégrer dans les forces de sécurité du nouveau gouvernement, soit traîné les pieds dans l’espoir de pouvoir pratiquer le « reflagging », c’est-à-dire de professer leur loyauté envers un nouveau régime tout en conservant leur structure d’origine et leur spécificité organisationnelle.
C’est cette dynamique qui a précipité les massacres de mars. Le gouvernement syrien affirme qu’il a ordonné à ses forces de combattre les forces pro-Assad restantes, et non de massacrer des civils alaouites. Mais Hayat Tahrir al-Cham est une milice syrienne relativement petite, qui compte entre 20 000 et 30 000 combattants. Le gouvernement central a donc été contraint de s’appuyer sur d’autres groupes armés pro-gouvernementaux, mais échappant au contrôle d’Ahmed al-Charaa. Ce sont principalement ces groupes — djihadistes étrangers et milices sunnites sous protection turque — qui ont délibérément massacré les civils alaouites. Bien qu’Ahmed al-Charaa ait annoncé l’ouverture d’une enquête indépendante, sa capacité à sanctionner les auteurs de ces massacres reste incertaine. Ce qui est indéniable, c’est qu’elle ne pourra pas faire grand-chose sans l’appui de la Turquie, étant donné que le gouvernement dépend du soutien politique, diplomatique et sécuritaire d’Ankara.
Le prix de l’inaction
Les événements du début du mois de mars 2025 découlent et illustrent la faiblesse du gouvernement, et non sa force. De même, les craintes de voir Ahmed al-Charaa devenir un colosse sont exagérées – du fait de limitations organisationnelles plus que de lui-même. La « marque » Ahmed al-Charaa est plus identifiée que celle d’Hayat Tahrir al-Cham. Cela masque une faiblesse : il a beaucoup plus de soft power que de hard power à sa disposition. Les sceptiques ont raison d’affirmer qu’Ahmed al-Charaa et Hayat Tahrir al-Cham ne sont pas des démocrates. Cela étant dit, pour rester au pouvoir et éviter une nouvelle descente dans la violence sectaire, ces hommes n’ont pas d’autre choix que de devenir plus inclusifs. C’est sans doute contradictoire par rapport à toutes les expériences passées de leur groupe à Idlib et au regard du peu de temps écoulé depuis qu’ils sont au pouvoir à Damas, c’est pourquoi il est plus important que jamais de s’engager à les pousser dans cette direction.
L’Occident, quant à lui, devrait aider le gouvernement à établir un monopole sur la violence, plutôt que de craindre ce résultat. Ils devraient fournir à Ahmed al-Charaa un mécène alternatif à la Turquie, qui — étant donné le propre bilan autoritaire de l’administration Erdoğan — n’est pas susceptible de promouvoir la bonne gouvernance en Syrie. L’exigence européenne que Hayat Tahrir al-Cham agisse en premier pour instaurer la démocratie ainsi que les droits des femmes et des minorités verrouille le statu quo des sanctions et rend plus probable un retour à la violence sectaire. C’est jouer le violon de la pureté idéologique pendant que la Syrie brûle. Il est moralement indéfendable que le peuple syrien continue à souffrir des conséquences du sectarisme et de l’autoritarisme de l’ancien régime pendant que Bachar el-Assad et sa famille se prélassent à Moscou.
L’allègement des sanctions ne suffira pas à chasser le fantôme du sectarisme de la Syrie. Les tensions ethno-religieuses font partie de l’ADN du pays. Dans sa jeunesse, les expériences personnelles de discrimination vécues par Hafez el-Assad ont façonné sa perception selon laquelle les élites sunnites du pays ne partageraient jamais volontiers le pouvoir avec sa secte alaouite ni avec les autres groupes minoritaires de la Syrie. La régime d’Hafez et de son fils Bachar comptait à son tour un nombre disproportionné de minorités — en particulier d’alaouites — au sein de ses instances dirigeantes. Cette dynamique historique explique pourquoi ce sont les milices sunnites qui ont perpétré les massacres de mars et pourquoi leurs cibles étaient les alaouites. Mais cela ne signifie pas, comme le laissent entendre certains sceptiques, que les États-Unis n’ont pas de bonnes options en Syrie aujourd’hui.
L’Occident et ses alliés régionaux devraient reconnaître la Syrie post-Assad qui existe, plutôt que d’attendre celle qu’ils veulent et n’auront pas. Étant donné qu’Ahmed al-Charaa a déjà professé sa loyauté envers l’État islamique et Al-Qaïda, il est parfaitement compréhensible qu’on puisse douter qu’un pays libre émergera des cendres de l’autoritarisme du régime d’Assad. Le fait qu’Ahmed al-Charaa ait maintenu une vision d’une Syrie post-Assad à la fois floue et obscure n’a fait qu’exacerber ces craintes. Mais si l’Occident et ses partenaires choisissent de s’engager avec le nouveau gouvernement, ils peuvent progressivement faire évoluer la situation vers une Syrie meilleure, bien qu’imparfaite. Le moyen d’y parvenir est de récompenser le pragmatisme d’Ahmed al-Charaa et sa quête incessante du pouvoir aux dépens de son islamisme. Tout au long de sa longue carrière militante et politique, il a régulièrement choisi les premières tendances au détriment des secondes. Cela ne signifie pas qu’il soit un démocrate, un libéral ou un « gentil ». Mais cela veut dire qu’il réagit aux incitations à changer de comportement.
Alors que le pays est encore sous le choc des massacres du début du mois de mars 2025, les Syriens ont bénéficié d’un peu de répit lorsqu’Ahmed al-Charaa a annoncé un accord d’intégration et de réconciliation avec les Forces démocratiques syriennes dirigées par les Kurdes, qui sont à la tête d’un État dans l’État à l’est du pays depuis 2011. Illustrant à quel point l’engagement extérieur est essentiel pour améliorer la situation en Syrie, même dans les moments les plus difficiles, cet accord aurait été impossible sans la médiation intensive des États-Unis.
Mais l’Occident, et en particulier l’approche conditionnelle de l’Union européenne, suggère que le temps joue en sa faveur. C’est une erreur fatale de lecture de l’histoire d’Ahmed al-Charaa et de ses contraintes politiques contemporaines. Ahmed al-Charaa a un besoin urgent d’agir au nom du peuple syrien. Il se soucie peu de la manière dont il obtiendra les ressources nécessaires pour le faire. Cela risque de permettre à d’autres acteurs de combler le vide, qui n’ont aucune attente en matière de gouvernance inclusive. Dans le même temps, l’Occident doit savoir clairement qui est Ahmed al-Charaa, d’où il vient et ce qui motive ses actions aujourd’hui. Un observateur chevronné de la Syrie a noté qu’Ahmed al-Charaa « allait là où le vent soufflait ». Cela montre qu’un allègement immédiat des sanctions peut améliorer l’orientation de Hayat Tahrir al-Cham, d’Ahmed al-Charaa et de la Syrie. Le désengagement ou l’incrémentalisme, en revanche, ne feront qu’empirer les choses.
Image : Voice of America via Wikimedia Commons
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