Élection présidentielle au Gabon : vers un nouvel État de droit ? - Le Rubicon

Élection présidentielle au Gabon : vers un nouvel État de droit ?

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Avr 11

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À l’approche de l’élection présidentielle prévue le 12 avril 2025, qui mettra fin à une transition militaire instaurée depuis 2023 au Gabon, plusieurs enjeux sont au cœur des attentes citoyennes et des dynamiques nationales : quête de l’État de droit, aspirations à l’alternance démocratique, bonne gouvernance, etc.

Un an et demi après le coup d’État « salvateur » du 30 août 2023 ayant mis fin au règne de la famille Bongo, qui a dirigé sans partage ce petit pays d’Afrique centrale pendant plus d’un demi-siècle, les Gabonais s’apprêtent à retourner aux urnes pour restaurer l’ordre constitutionnel. Le respect du calendrier de la transition est aujourd’hui salué par les acteurs politiques et la communauté internationale. Malgré la suspension du Gabon de toutes les instances de l’Union africaine (UA), en application de l’Acte constitutif et de son Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’organisation, en particulier en son article 7 (g), qui rappelle la tolérance zéro de l’UA à l’égard des changements anticonstitutionnels de gouvernement, les condamnations internationales n’ont pas été virulentes. Le précédent chef de la diplomatie européenne, Josep Borell, avait, par exemple, insisté sur la différence entre le coup d’État au Gabon et celui du Niger, soulignant que le premier faisait suite à des élections entachées d’irrégularités.

Le processus de retour à un ordre constitutionnel a commencé le 16 novembre dernier, avec la convocation du corps électoral afin de valider, par référendum, la nouvelle constitution. La nouvelle Constitution gabonaise, plébiscitée le 19 décembre 2024 à 91,8 %, a instauré un nouveau régime, la Cinquième République, qui doit « permettre la consolidation d’un État de droit, promouvoir les libertés fondamentales et les droits de l’homme, assurer une justice équitable et l’égalité de tous devant la loi […] ». Elle entend rompre avec l’ordre ancien, notamment grâce à sa gouvernance. Le scrutin référendaire a été précédé par un dialogue national inclusif, qui se voulait être une « consultation des forces vives de la nation », à l’image des conférences nationales souveraines des années 1990.

La nouvelle loi fondamentale prévoit, en ses articles 172 et 173, l’application immédiate de ses dispositions relatives à l’élection du président de la République « concomitamment avec celles de la Charte de la transition » et son entrée en vigueur complète « après l’élection du président de la République ».

La prochaine élection présidentielle au Gabon représente un moment crucial pour l’avenir politique, juridique, économique et social du pays. Ce scrutin, qui permettra de désigner le futur chef de l’État, soulève de nombreux enjeux liés à la démocratie, à la stabilité institutionnelle et au développement du pays. En effet, depuis 1960, date de l’indépendance, la scène politique gabonaise a été marquée par une domination du Parti démocratique gabonais (PDG), ainsi que par de récurrentes tensions et des contestations électorales sur fond d’accusation de fraudes électorales.

Parmi les enjeux majeurs figurent la question de l’équilibre des pouvoirs, la gouvernance, la lutte contre la corruption, ainsi que les aspirations de la jeunesse et de la société civile à plus de justice sociale.

Ce texte souhaite mettre en lumière les principaux défis et attentes qui entourent la prochaine élection présidentielle au Gabon, en tenant compte des dynamiques politiques et sociales qui façonnent ce petit pays d’Afrique centrale. Au-delà du simple exercice démocratique, ce scrutin cristallisera des enjeux majeurs, comme l’État de droit et l’épineuse question de l’indépendance de l’appareil judiciaire.

Le défi de l’État de droit

Pierre angulaire sur laquelle doit se bâtir toute légitimité́ politique et institutionnelle au sein des États, l’État de droit est la « garantie principale du respect des droits et libertés fondamentaux de l’individu face à l’arbitraire de la puissance publique ». La nouvelle Constitution gabonaise de 2024 souligne, dans son préambule, qu’« elle entend reprendre sa marche vers l’édification d’un État de droit, garant des droits et libertés fondamentaux ». Cette volonté se retrouve également dans la formule de prestation de serment du nouveau président de la République, qui devra y réaffirmer son engagement à « respecter et défendre l’État de droit […] ».

Le nouveau texte constitutionnel prévoit en outre des mécanismes garantissant une plus grande transparence des élections par la création ou le renforcement d’une autorité électorale indépendante, la mise en place de procédures plus rigoureuses pour la validation des résultats ainsi que l’introduction de nouvelles conditions d’éligibilité pour les candidats. Alors que l’élection présidentielle est historiquement marquée par la prédominance du Parti démocratique gabonais et la récurrence des tensions électorales, le prochain scrutin doit être appréhendé comme un test pour la maturité démocratique du pays et sa capacité à organiser un rendez-vous avec la nation qui soit libre et crédible.

L’élection de demain sera donc observée aussi bien par les citoyens que par la communauté internationale, car les précédents scrutins ont toujours été marqués par des accusations de fraude, de manipulations électorales et de manque d’indépendance des institutions en charge du processus électoral. La réforme du cadre électoral, incluant une meilleure organisation des scrutins, un fichier électoral fiable et un arbitrage impartial des résultats, est une attente forte des électeurs et différents acteurs politiques gabonais.

Enfin, cette élection signe surtout la fin du règne du clan Bongo, celui d’Omar Bongo Ondimba (1967-2009) et de son fils Ali Bongo Ondimba (2009-2023) ; un passé et un passif lourd qui impactera certainement l’entreprise voulue par la nouvelle loi fondamentale de « refondation de l’État afin de bâtir des institutions fortes, crédibles et légitimes garantissant un État de droit, un processus démocratique transparent et inclusif, apaisé et durable ». Comme le rappelle, avec justesse, Jacques Chevallier : « L’État de droit est, en effet, indissolublement lié à un ensemble de valeurs, de représentations qui, traduites dans le droit positif, donnent au principe de la hiérarchie des normes sa véritable portée : privé de ce substrat, épuré de tout contenu concret, l’ordre juridique n’est plus qu’une coquille vide, un cadre purement formel, une structure intemporelle. » Cet immense chantier de construction de l’État de droit portera tant sur la déconstruction de l’ordre juridique déchu que sur la reconstruction d’un nouvel ordre juridique.

Si l’élection présidentielle porte les attentes et les promesses d’édification d’un État de droit, sa crédibilité ne se mesure pas seulement à l’aune des garanties organisationnelles de fiabilité qu’elle entend offrir. Encore faut-il qu’elle permette une véritable compétition saine et loyale entre les différents candidats retenus pour la course à la magistrature suprême. Outre Brice Clotaire Oligui Nguema, les autres candidats retenus par le ministère de l’Intérieur sont : Joseph Lapensée Essigone, Stéphane Germain Iloko et Alain Claude Bilie By Nze, dernier Premier ministre d’Ali Bongo. Treize des dix-neuf candidats recalés ont déposé un recours devant la Cour constitutionnelle gabonaise. Par décision rendue le 20 mars 2025, cette dernière a validé quatre candidatures supplémentaires, notamment celles d’Alain Simplice Boungoueres, Axel Stophène Ibinga Ibinga, Thierry Yvon Michel N’Goma, ainsi que celle de la seule femme en lice, Zenaba Gninga Chaning. Les autres ont été jugées irrecevables.

Le général Brice Clotaire Oligui Nguema avait annoncé, dès ses premiers jours à la tête de la transition, qu’« il n’y a[vait] plus de majorité ni d’opposition », laissant entendre par-là que le scrutin était plus ouvert qu’aucun autre dans l’histoire du Gabon. Après des mois de spéculation sur ses intentions de se porter candidat, le général-président, qui avait promis de rendre le pouvoir aux civils au terme de la transition, a finalement annoncé sa candidature au début du mois de mars. Il a créé le Rassemblement des bâtisseurs, une plateforme politique destinée à coordonner sa campagne électorale, qui a absorbé la quasi-totalité des organisations associatives, syndicales et politiques traditionnelles du pays. Une question essentielle se pose : le scrutin à venir sera-t-il réellement compétitif face au consensus national autour de la candidature de Brice Oligui Nguema ?

Les autres candidats qui feront face au président de la transition auront un rôle important à jouer dans la consolidation de la démocratie et de l’État de droit, car, comme le rappelle Céline Thiriot : « La consolidation démocratique peut être perçue comme une resectorisation de la vie politique, le rétablissement des transactions collusives entre champs sociaux. La consolidation fixe et objective les normes démocratiques et les comportements partagés. » En ce sens, ces candidats participent d’ores et déjà à cette resectorisation, dans la mesure où chacun d’eux permet d’espérer le rétablissement d’une opposition politique structurée que la période de transition semblait avoir occultée, voire supprimée.

La loi organique no 001/2025 portant code électoral introduit plusieurs réformes majeures, telles que le plafonnement des dépenses électorales, la transparence financière, l’affichage obligatoire des procès-verbaux dans chaque bureau de vote, ainsi que la création d’une autorité de contrôle des élections et du référendum. Présentées comme le « fruit d’un dialogue inclusif », ces réformes reflètent, selon le ministre de l’Intérieur, l’engagement des autorités à garantir des élections crédibles et conformes aux aspirations démocratiques.

Les réformes ont également touché la Cour constitutionnelle, organe incontournable du processus électoral. La Constitution gabonaise prévoit, en son article 113, que la « Cour constitutionnelle est, entre autres, juge de la régularité́ des élections. […] Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité́ des pouvoirs publics. » Dirigée, depuis sa création, en 1991, par la magistrate Marie-Madeleine Mborantsuo, la Cour constitutionnelle manquait d’indépendance en raison des liens de parenté entre sa présidente et la famille Bongo. Aussi avait-elle été baptisée « tour de Pise », car elle penchait toujours du côté du pouvoir.

Il a souvent été fait grief à l’appareil judiciaire gabonais de faire de la politique au lieu de se limiter à dire le droit. La justice apparaît donc comme l’institution centrale du fonctionnement de l’État de droit. Ce sont les juges qui permettent de rendre effective cette notion, mais il va de soi que la mission qui leur est assignée ne peut être correctement accomplie que s’ils disposent d’un statut les mettant à l’abri des interventions des pouvoirs publics.

La réforme judiciaire : d’une justice « inféodée » à une justice indépendante

L’un des défis fondamentaux pour atteindre cet objectif est d’assurer une justice pleinement indépendante. La nouvelle Constitution gabonaise consacre ce principe par la séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif. En son article 111, la nouvelle loi fondamentale introduit des ajustements au nouveau régime politique, afin de rééquilibrer les rapports entre les différentes institutions. Ces garanties offertes par la nouvelle constitution en matière de transparence et de séparation des pouvoirs pourraient contribuer à renforcer la confiance des citoyens envers les institutions et à améliorer la stabilité politique.

L’importance de cet enjeu s’évalue en référence à la gouvernance de l’ancienne administration d’Ali Bongo Ondimba. Des membres de l’entourage du président déchu, dont son épouse et l’un de ses enfants, ont été soupçonnés de corruption. Des accusations similaires ont souvent été à l’encontre de plusieurs autorités de l’ancien régime sans qu’aucune procédure judiciaire n’ait été engagée. Cela démontre ainsi les failles d’une justice à deux vitesses et l’emprise que l’exécutif peut exercer sur le judiciaire lorsque celui-ci n’est pas pleinement autonome. Ces précédents illustrent la fragilité de l’indépendance judiciaire et soulignent l’urgence de renforcer les garanties permettant de la soustraire à toute pression politique.

Au cours des dernières décennies, la contestation des décisions juridictionnelles était courante. C’est l’indépendance même du juge dans l’exercice de son pouvoir qui se trouvait ainsi fragilisée et, plus largement, l’essence de sa mission qui en était ébranlée. Malgré les garanties apportées par le nouveau texte constitutionnel, la place centrale du chef de l’État dans le Conseil supérieur de la magistrature, organe clé dans la gouvernance de l’appareil judiciaire, soulève des interrogations quant à sa réelle indépendance. En effet, la nouvelle constitution dispose, en son article 128, que cet organe qui « veille à la bonne administration de la justice et statue, de ce fait, sur les nominations, les affectations, les avancements et la discipline des magistrats est présidé par le Président de la République ».

Le projet de la grande réforme judiciaire initiée par les autorités de transition en janvier 2025 sera sans doute mis en œuvre par l’administration qui sera issue des élections du 12 avril 2025. Le groupe d’experts mis en place pour proposer des mesures appropriées a remis son rapport en mars 2025. Ce rapport pointe plusieurs failles du système judiciaire gabonais et propose des garde-fous pour rendre plus difficile l’immixtion du politique dans l’appareil judiciaire. Garant du bon fonctionnement des institutions, le futur président de la République aura la lourde tâche de veiller au strict respect et à l’application des principes fondamentaux de l’État inscrits dans le texte constitutionnel.

L’élection présidentielle de demain marquera ainsi une étape clé dans l’évolution du cadre institutionnel et démocratique du Gabon. En introduisant des modifications juridiques significatives et en redéfinissant l’équilibre des pouvoirs visant à renforcer la gouvernance, le texte fondamental permettra au futur locataire du palais du Bord de mer de réaliser la vision pour un « Nouveau Gabon », pays respectueux des droits et libertés pour tous les citoyens.

L’exercice sera très ardu dans une société fragile, en crise et en reconstruction, où l’assimilation des valeurs démocratiques suit un rythme bien différent de l’urgence à statuer. Ce décalage entre l’idéal démocratique et les réalités du terrain constituera l’un des principaux défis auxquels seront confrontées les institutions judiciaires.

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L’élection présidentielle gabonaise est bien plus qu’un simple rendez-vous électoral ; elle représente un tournant décisif pour l’avenir du pays. Dans un contexte où les aspirations au changement sont de plus en plus fortes, cette élection pourrait marquer une étape décisive vers un Gabon plus inclusif, prospère et démocratique. Ce scrutin sera l’opportunité pour les candidats en lice de proposer des solutions crédibles aux défis du pays dans tous les domaines.

Le Gabon trouve l’essentiel de ses revenus d’une économie extractive, notamment le pétrole, du fait de la richesse de son sol et de son sous-sol. Avec une économie faiblement diversifiée, le Gabon fait face à un chômage élevé et des inégalités sociales croissantes. Les électeurs attendent des engagements concrets en matière de démocratie, d’État de droit, de création d’emplois, de modernisation des infrastructures, d’éducation et d’amélioration des conditions de vie.

La question de la gouvernance et de la transparence dans la gestion des ressources publiques constitue une préoccupation majeure en raison de la corruption et du clientélisme qui ont longtemps freiné le développement de ce pays. En somme, le succès de cette élection présidentielle pourrait non seulement redéfinir le paysage politique gabonais, mais aussi servir de modèle pour d’autres nations africaines aspirant à plus de stabilité et de démocratie.


Crédit photo : rarrarorro

 

Auteurs en code morse

Guy Bucumi

Guy Bucumi est professeur adjoint de droit international au Collège militaire royal Saint-Jean et professeur associé à l’Université de Sherbrooke. Titulaire d’un doctorat en droit de l’Université Paris-Saclay, il est également avocat au barreau du Québec et exerce en droits et libertés de la personne et droit international. Ses recherches portent essentiellement sur le droit, la politique et la religion en Afrique.

Comment citer cette publication

Guy Bucumi, « Élection présidentielle au Gabon : vers un nouvel État de droit ? », Le Rubicon, 11 avril 2025 [https://lerubicon.org/election-presidentielle-au-gabon-vers-un-nouvel-etat-de-droit/].