Guerres et narratifs : comment Israël justifie ses actions à travers la menace iranienne - Le Rubicon

Guerres et narratifs : comment Israël justifie ses actions à travers la menace iranienne

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Avr 09

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« Iran’s aggression, if it’s not checked, will endanger every single country in the Middle East, and many, many countries in the rest of the world, because Iran seeks to impose its radicalism well beyond the Middle East ». Ces mots, prononcés par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou lors de son discours face à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre dernier, sont sans équivoques : pour le gouvernement israélien, l’Iran représente la principale menace non seulement pour Israël, mais aussi pour le monde entier. Ainsi, selon le Président israélien Isaac Herzog, « We are here fighting on behalf of humanity in its entirety, and for the entire free world ». D’après lui, « nous partageons l’objectif d’éradiquer le terrorisme, de lutter contre l’empire du mal qui émane de Téhéran et qui veut saper l’ordre public mondial ».

Cette profonde antagonisation de l’Iran n’est pas neuve de la part des responsables politiques israéliens. En 1995 déjà, Israël nous alertait sur la capacité de l’Iran à développer des armes nucléaires endéans les cinq ans. Trente ans plus tard, Téhéran n’a pourtant toujours pas atteint ce stade. Si cet élément peut paraître anecdotique, il est en fait l’exemple d’une construction bien plus large de l’Iran en tant que menace existentielle par Israël. Cet article se propose de retracer l’obsession grandissante cultivée par Israël à l’égard de l’Iran – que certains chercheurs israéliens ont même qualifié d’ « Iranophobie » – et d’examiner comment cela joue dans la guerre que mène actuellement Israël à Gaza, au Liban, en Syrie et, de manière plus distante, avec l’Iran. Partant, nous montrerons comment cette construction de la menace iranienne permet à Israël de justifier ses actions actuelles et de se construire une place dans le monde, mais aussi d’invisibiliser toute une série d’autres luttes.

Pour ce faire, cet article s’inscrira au croisement des courants constructivistes et critiques des Relations internationales. Il s’appuiera en particulier sur les travaux d’auteurs tels que Buzan, Waever & de Wilde, Balzacq et Campbell, mais aussi nos propres travaux. L’un des principaux enseignements des travaux de ces auteurs concerne le caractère construit de toute menace. En particulier, au-delà de toute discussion sur la réalité ou non d’une menace, ils démontrent l’importance du sens qui lui est donné, notamment via les utilisations qui en sont faites et les rapports de pouvoir qui sous-tendent cette construction. Le terme de construction ne doit donc pas être entendu comme synonyme de création, mais plutôt comme renvoyant aux processus par lesquels un acteur établit, via toute une série de choix discursifs et d’actions, le caractère menaçant d’un autre acteur. En définitive, cette perspective permet d’appréhender les logiques et perceptions variables des acteurs politiques de ce qu’ils considèrent comme menaçant.

Une conclusion tout sauf évidente

Si la perspective de l’Iran en tant qu’acteur néfaste et antagoniste peut paraître évidente tant cette construction a été naturalisée, elle n’a en fait rien d’inévitable. Certes, la Révolution islamique de 1979 en Iran a bien représenté un moment-clé dans l’histoire des relations entre Israël et l’Iran, tant Israël a été antagonisé par Téhéran par la suite. En effet, lors du retour de l’ayatollah Khomeini en Iran et de son accession au pouvoir, l’ambassade américaine a été prise d’assaut, ce qui a entraîné une longue prise d’otages de 444 jours, tandis que l’ambassade israélienne a été évacuée et remise à l’Organisation de libération de la Palestine, envoyant donc un message particulièrement clair quant à la position iranienne par rapport à Israël.

De manière plus générale, l’Iran n’a cessé de manifester son hostilité à Israël. Après tout, le Guide suprême actuel Ali Khamenei s’est exprimé en ce sens plus d’une fois, déclarant qu’Israël « as no cure but to be annihilated » et soutenant par exemple que « the Zionist regime (Israel) is a deadly, cancerous tumor in the region. It will undoubtedly be uprooted and destroyed ». Des généraux du Corps des gardiens de la révolution islamique, comme le commandant adjoint Salami, ont également juré de « break America, Israel, and their partners and allies ».

Toutefois, malgré la rhétorique agressive adoptée par l’Iran après la Révolution islamique de 1979, il est intéressant de noter qu’il n’a pas été immédiatement perçu comme une menace majeure par Israël, loin s’en faut. Pendant encore au moins une dizaine d’années, Israël a continué à adhérer à sa doctrine de la périphérie, qui consistait à voir comme alliés les États non-arabes du Golfe. À cette époque, les dirigeants israéliens considéraient l’Irak comme une menace bien plus importante que l’Iran. Dans ce contexte, Israël, en accord avec les États-Unis, avait même soutenu l’Iran par des livraisons d’armes secrètes, dans ce qui allait devenir « l’affaire Iran-Contra ».

Si l’Iran a bien adopté un langage particulièrement agressif à l’égard d’Israël dès la Révolution islamique, appelant Israël « le petit Satan » – allusion au « grand Satan » que représentent les États-Unis – les actions prises contre Israël étaient peu nombreuses, voire absentes. Au contraire, les dirigeants iraniens multipliaient les ouvertures envers les Américains au début des années 1990, notamment en faisant part de leur volonté de participer à des discussions de fond sur le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, les armes de destruction massive et les droits humains. Les Iraniens allaient même jusqu’à proposer des parts dans les entreprises de développement pétrolier iraniennes aux Américains.

C’est pourtant précisément à ce moment-là que certains élus israéliens ont commencé à changer de perspective sur l’Iran. Ephraim Sneh (parti travailliste) et Benjamin Netanyahou (Likoud), alors députés à la Knesset, ont été les premiers à caractériser l’Iran en tant que menace existentielle. Le Premier ministre Yitzhak Rabin (parti travailliste), lui aussi, a de plus en plus présenté l’Iran comme un acteur irrationnel et agressif. Pourtant, au même moment, les services de sécurité et de renseignement israéliens ne listaient même pas Téhéran parmi les menaces directes à Israël.

Comment comprendre, dès lors, ce nouveau positionnement politique de la part des dirigeants israéliens ? Tout d’abord, par l’affaiblissement de l’Irak suite à sa longue guerre avec le voisin iranien, d’une part, et à l’intervention américaine suite à l’invasion du Koweït, d’autre part. Si l’Irak avait tous les attributs du puissant voisin, ces éléments ont remis en question son caractère menaçant. Par ailleurs, les Accords d’Oslo semblaient, à ce moment-là, tracer le chemin d’une réduction des tensions entre Israéliens et Palestiniens, voire d’une potentielle paix, même si ces accords ont été loin de faire l’unanimité dans les deux camps. Dès lors, certains officiels israéliens ont trouvé un nouvel ennemi. Avec sa rhétorique anti-israélienne et même antisémite, son régime répressif et son lien au Hezbollah libanais, l’Iran cochait toutes les cases pour endosser ce nouveau rôle.

Shimon Peres (Kadima), lors de sa succession de Rabin puis Benjamin Netanyahou durant son premier mandat (1996-1999), pousseront le narratif sur la menace iranienne un peu plus loin. En 1996, lors d’un discours face au Congrès américain, Netanyahou déclarera notamment que « the most dangerous of these [Middle Eastern] regimes is Iran, that has wed a cruel despotism to a fanatic militancy ». Pourtant, à la fin du millénaire, l’Iran de Mohammad Khatami tente un nouveau rapprochement avec les États-Unis, principalement, et même avec Israël, dans une moindre mesure. Khatami propose par exemple, de manière implicite, de reconnaître l’État d’Israël, en manifestant son ouverture à une solution à deux États entre Israéliens et Palestiniens. Toutefois, dans la mesure où ces ouvertures indirectes étaient plutôt destinées à apaiser les relations avec les États-Unis, Israël n’y répondra pas.

Si l’antagonisation de l’Iran sera un peu atténuée au début des années 2000, l’arrivée d’Ariel Sharon à la tête du gouvernement israélien en mars 2001 puis les attentats du 11 septembre vont raviver la construction de l’Iran comme une menace existentielle par Israël. Malgré l’absence de tout lien entre les attentats et l’Iran, l’offre de la part de Téhéran d’aider les Etats-Unis à amener les auteurs des attentats devant la justice et la promesse iranienne d’aider Washington dans sa lutte contre les Talibans, Israël s’est employé à lier l’Iran au terrorisme et à convaincre les Etats-Unis – sans y parvenir – d’inclure l’Iran dans sa guerre contre le terrorisme. L’AIPAC, principal lobby pro-israélien aux Etats-Unis, a d’ailleurs été particulièrement actif en ce sens.

Par la suite, la découverte d’un programme nucléaire iranien en 2002, les déclarations outrageuses du non moins outrageux président iranien Mahmoud Ahmadinejad affirmant que « Israël doit être rayé de la carte » et le retour de Netanyahou au pouvoir en 2009 vont marquer le début d’un focus pratiquement exclusif sur l’Iran qui, petit à petit, va être présenté comme la source de tous les problèmes et dangers.

L’Iran, menace existentielle

À partir du retour de Netanyahou au pouvoir, l’Iran se retrouve au centre de la politique étrangère d’Israël, aussi bien dans les discours que dans les actions que le gouvernement entreprend. Ainsi, autour de l’année 2010, nous assistons, d’une part, à l’attaque informatique la plus sophistiquée jamais entreprise jusque-là. À l’aide d’un virus surnommé « Stuxnet », les Etats-Unis, largement aidés par Israël, détruisent une série de centrifugeuses nucléaires en Iran. D’autre part, une série d’assassinats frappe les scientifiques nucléaires iraniens et est largement attribuée à Israël.

Dans la foulée, la perspective d’un rapprochement entre les États-Unis et l’Iran, qui émerge en 2012 au travers de pourparlers autour d’un potentiel deal nucléaire, est insupportable aux yeux d’Israël. D’après les dirigeants israéliens, cela revient à jouer avec la sécurité et la survie d’Israël. Ceux-ci ont peur de perdre le monopole du soutien américain au Moyen-Orient et perçoivent la possibilité d’un Iran nucléarisé comme un chemin vers la disparition d’Israël. Dès lors, les Israéliens se sont employés à torpiller la diplomatie américaine (ainsi qu’européenne, russe et chinoise, autres participants aux discussions). En 2012, Netanyahou présente un schéma de bombe nucléaire à la tribune de l’ONU, expliquant que l’Iran est presque prêt à développer une bombe nucléaire. En 2014, il consacrait une part substantielle de son discours aux Nations Unies à l’Iran. La même année, dans son discours à l’AIPAC, la principale organisation pro-israélienne aux États-Unis, Netanyahou déclarait que « on the other side of that moral divide, steeped in blood and savagery, stand the forces of terror — Iran, Assad, Hezbollah, al- Qaida and many others. […] The only thing that Iran sends abroad are rockets, terrorists and missiles to murder, maim and menace the innocent ».

Ce discours, bien plus qu’une simple description, assume un rôle performatif important, en particulier par son orientalisme prononcé. L’orientalisme est ce discours essentialisant, porté traditionnellement par l’Occident sur l’Orient et sous-tendant des rapports de domination du premier sur le second. Edward Saïd définissait l’orientalisme comme « un style occidental de domination, de restructuration et d’autorité sur l’Orient ». Le discours porté par Netanyahou, lui aussi, divise le monde entre un le bon côté du « fossé moral », représenté par Israël et l’Occident, et le mauvais côté, représenté principalement par l’Iran, caractérisant le premier par la démocratie et la liberté et le second par la barbarie et la terreur. L’Iran est identifié par des attributs antagonistes, représentant non seulement tout ce contre quoi « nous » luttons, mais aussi tout ce dont « nous » nous sommes émancipés. En tant que tel, il est identifié par une sorte d’échelle de civilisation sur laquelle il est placé au bas de l’échelle. Ces caractéristiques sont systématiquement intégrées dans une identification homogène de l’Iran qui est fondamentalement en contradiction avec le monde occidental sur lequel Israël s’aligne. Par conséquent, ce discours introduit une division ontologique entre l’Iran, d’une part, et Israël, l’Occident et leurs valeurs communes, d’autre part.

Dès lors, cette caractérisation se traduit également par un déni catégorique de tout rôle légitime de l’Iran et des acteurs qui lui sont associés dans les affaires internationales. Ils sont considérés uniquement comme des terroristes et, dans ce cadre, toute notion de compromis est subordonnée à leur adhésion aux règles établies par le groupe dominant. Plus important encore: puisque l’Iran est perçu comme tel, toute considération de ses actions en dehors du domaine de l’intention malveillante est effectivement invalidée. Cette identification ne laisse aucune place à une autre compréhension des actions iraniennes que le désir inhérent, inextinguible et irrationnel de nuire à Israël. Engagée dans une telle approche, la seule perspective qui s’offre à Israël (et aux acteurs soutenant Israël) est une logique binaire : détruire ou être détruit. La conclusion logique est qu’il faut dédier toutes les ressources possibles à combattre l’Iran.

Cette attention centralisée sur l’Iran a par ailleurs un corolaire : comme l’explique Pierre Razoux, elle permet de faire diversion du « dossier palestinien » et, en particulier, de la colonisation toujours accrue d’Israël dans les territoires palestiniens. À tel point que cela pourrait avoir mené le gouvernement israélien lui-même à « oublier » la Palestine. Ainsi, certains Israéliens, comme le journal Haaretz, se sont demandé « to what extent did the relentless focus on Iran prevent Israel from warding off » la guerre israélienne contre le Hamas à Gaza durant l’été 2014. Une question qui a, à nouveau, été posée après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.

Ce qui interroge dans le portrait de l’Iran en tant que menace existentielle dressé par Israël, c’est le différentiel de puissance entre les deux pays. Certes, l’Iran a développé des capacités non-traditionnelles relativement importantes grâce à ses liens au Hezbollah et à différentes milices à travers le Moyen-Orient. Certes, les Gardiens de la Révolution ont fait des progrès technologiques en développant notamment des missiles balistiques. Cependant, c’est bien Israël qui a le monopole de l’arme nucléaire au Moyen-Orient. C’est aussi Israël qui possède l’un des meilleurs services de renseignement au monde avec le Mossad, dont on a eu la preuve récemment suite à l’attaque des bippers et à la facilité avec laquelle Israël a pu tuer les principales figures du Hezbollah. C’est également Israël qui possède le Dôme de fer, le système d’interception de missiles le plus perfectionné au monde, dont on a vu l’efficacité depuis le 7 octobre 2023. C’est, enfin, Israël qui possède le soutien plein et massif, aussi bien militairement que financièrement, de l’acteur le plus puissant au monde : les États-Unis.

Tout cela ne diminue évidemment en rien les capacités qu’a l’Iran de maintenir un sentiment d’insécurité en Israël et à directement frapper Israël ou des Israéliens, en particulier en utilisant ses capacités asymétriques. Cela peut prendre la forme de tirs de mortier du Hezbollah, d’attentats en Israël ou à l’étranger ou encore de soutien logistique et financier au Hamas ou aux Houthis, même si le lien entre Téhéran et ces acteurs est plus que complexe, s’éloignant souvent très fort de l’idée de « proxies » souvent avancée pour les qualifier. La guerre hybride, via attaques informatiques, le torpillage respectif de navires ou encore la présence iranienne en Syrie (jusqu’à la chute récente d’Assad) et le bombardement de ces positions par Israël illustrent également les tensions continues entre les deux pays et les capacités de nuisance qui y sont liées. Toutefois, les suites du 7 octobre 2023 nous ont bien montré que les deux acteurs ne jouaient pas dans la même cour. Au-delà du bilan humain insupportable des attaques israéliennes à Gaza et au Liban, les deux salves d’affrontement direct entre les deux pays ont donné une image nette : là où Israël a été capable de pénétrer le territoire iranien en profondeur et de frapper des cibles variées, l’extrême majorité des missiles iraniens a été interceptée, alors même que l’Iran a utilisé certains de ses missiles les plus technologiques.

Le 7 octobre et ses lendemains

Le massacre du 7 octobre 2023 a représenté un choc particulièrement important pour Israël, non seulement pour la tragédie humaine et l’épreuve émotionnelle que cela a représenté, mais aussi parce que ces attaques sont venues renforcer un sentiment d’insécurité déjà important. En particulier, le choc que ces attaques ont provoqué à tous les niveaux est venu radicaliser la dynamique déjà à l’œuvre dans la perception israélienne de l’Iran. En effet, Israël tient l’Iran pour responsable de ce massacre. Lors de sa rencontre avec le Premier ministre britannique Rishi Sunak quelques jours après les attaques du Hamas, Benjamin Netanyahou déclarait : « We have here two forces. One is an axis of evil, led by Iran through Hezbollah, Hamas and others that want to bring back the Middle East to the Middle Ages, to an age of bondage and war and slavery and annihilation. The other force are the forces of progress and humanity that want to push the Middle East into a world of peace and prosperity ».

Comme déjà évoqué, si ces attaques meurtrières ont sans aucun doute provoqué un important choc poussant à vouloir réagir, la logique binaire mise en avant par Netanyahou offre un choix tout aussi binaire : gagner ou perdre, détruire ou être détruit. Le Premier ministre israélien insistait d’ailleurs sur cet élément : « Above all, we have to win ». Dès lors qu’Israël n’identifie le Hamas, le Hezbollah, mais aussi le régime syrien, les Houthis et une série de milices irakiennes qu’en tant qu’intermédiaires de l’Iran, la logique du « détruire ou être détruit » à l’œuvre dans sa relation à l’Iran semble dicter à Israël de détruire ces groupes. Le soutien de l’Iran à ces différents acteurs est pourtant très inégal et, parfois, relativement distant. Si la relation entre l’Iran et le Hezbollah est relativement profonde, c’est nettement moins le cas pour le Hamas et les Houthis. Ces organisations bénéficient, certes, du soutien de Téhéran, mais ce soutien est limité. Le niveau de technologie relativement faible de l’armement du Hamas en est un exemple.

Si détruire le Hamas, puis le Hezbollah, étaient les objectifs affichés par Israël au moment de lancer ses opérations à Gaza puis au Liban, on voit cependant difficilement la fin de cette dynamique. L’Histoire, et en particulier celle de la guerre contre le terrorisme, nous a en effet enseigné qu’il est impossible de vaincre de tels groupes. Pire, on peut s’inquiéter de l’impact que le carnage produit actuellement par Israël à Gaza ne produise les terroristes de demain.

Par ailleurs, la spirale de violence semble s’intensifier sans perspective de fin claire. Après avoir tué Yahya Sinwar, le chef militaire du Hamas, d’aucuns pensaient qu’Israël mettrait un terme à sa campagne militaire à Gaza. Le Secrétaire d’État américain, Antony Blinken, déclarait d’ailleurs dans la foulée qu’Israël avait « managed to dismantle Hamas’s military capacity. It’s destroyed much of its arsenal. It’s eliminated its senior leadership » et qu’il était donc temps de « bring the war to an end ». Début novembre, l’ancien ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, tout juste renvoyé par Netanyahou, aurait même déclaré que « there’s nothing left in Gaza to do ». Dans le même temps, Netanyahou, lui, déclarait que ce n’était qu’une étape et que la guerre continuerait. Si les récents cessez-le-feus signés avec le Hezbollah puis avec le Hamas ont offert une pause dans les destructions au Liban et à Gaza, cette pause est particulièrement fragile et il est encore difficile de voir ses effets à plus long terme. En particulier, l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche exacerbe les dynamiques d’antagonisation, lui qui a érigé l’Iran en principale menace des États-Unis (avec la Chine) durant son mandat précédent et qui a récemment proposé de déplacer les habitants de Gaza dans les pays voisins, prendre le contrôle de ce territoire et d’en faire une Côté d’Azur du Proche-Orient.

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En définitive, l’approche constructiviste et critique mobilisée dans cet article nous permet de comprendre que la perception israélienne de l’Iran comme menace existentielle ne découle pas uniquement d’une réalité objective, mais aussi et surtout d’un processus discursif et stratégique qui s’est intensifié au fil des décennies. Plus qu’une simple réaction aux actions hostiles et belliqueuses de Téhéran, cette construction a servi des intérêts politiques internes et externes d’Israël, lui permettant de justifier ses interventions régionales et de détourner l’attention de la question palestinienne. Dans un contexte de tensions exacerbées après le 7 octobre 2023, cette logique binaire du « détruire ou être détruit » semble s’enraciner toujours plus profondément, menaçant d’alimenter un cycle de violence sans issue claire.

Auteurs en code morse

Jérémy Dieudonné

Jérémy Dieudonné est Docteur en Sciences politiques de l’Université catholique de Louvain. Ses recherches portent sur les processus sécuritaires et identitaires dans la politique étrangère américaine à l’égard d’Israël et de l’Iran.

Comment citer cette publication

Jérémy Dieudonné, « Guerres et narratifs : comment Israël justifie ses actions à travers la menace iranienne », Le Rubicon, 9 avril 2025 [https://lerubicon.org/guerres-et-narratifs-comment-israel-justifie-ses-actions-a-travers-la-menace-iranienne/].