Au cours de l’année à venir, la Marine royale canadienne recevra le premier de ses deux nouveaux navires de soutien interarmées, le NCSM Protecteur. Ce projet dépasse d’environ un milliard de dollars canadiens le budget initial et accuse un retard de près d’une décennie. De plus, les navires que le Protecteur et son futur compagnon doivent remplacer ont été retirés du service depuis de nombreuses années.
La planification problématique de ces navires de soutien interarmées occulte l’importance cruciale qu’ils revêtent pour la Marine royale canadienne et les Forces armées canadiennes. Principalement conçus comme pétroliers auxiliaires et ravitailleurs pour les navires de guerre, ces navires sont également capables de fournir un soutien logistique aux opérations militaires à l’étranger. Ils peuvent également servir de navires de commandement pour des unités aériennes, navales et terrestres. Alors que la plupart des pays utiliseraient deux, voire trois, classes de navires différentes pour accomplir ces missions, le Canada les a fusionnées en une seule classe et n’a acquis que deux navires pour l’ensemble de sa marine.
L’histoire de la classe Protecteur illustre un dilemme fondamental auquel la politique de défense canadienne est désormais confrontée. Le Canada a été contraint de faire des compromis difficiles pour maintenir une capacité opérationnelle minimale. Après des années de sous-financement et de retards dans les modernisations, les Forces armées canadiennes font face aujourd’hui à un grave déficit de capacités.
Une partie du problème découle de facteurs quelque peu uniques au Canada, tels que le sous-financement chronique des forces armées, un système d’acquisition de matériel de défense inefficace et des objectifs industriels et économiques concurrents au sein du gouvernement. Toutefois, la difficulté est également liée aux transformations de l’environnement militaire et stratégique qui touchent l’ensemble des alliés de l’OTAN. Le dilemme du Canada remonte au Livre blanc sur la défense de 1994, qui appelait les Forces armées canadiennes à maintenir une force polyvalente et apte au combat, capable de « gérer la gamme complète des conflits » et d’apporter une « véritable contribution » à la sécurité. Ce document a fixé des politiques et des décisions au sujet de la structure des Forces qui n’ont pas été remises en cause depuis trente ans. Ainsi, la dernière mise à jour de la politique de défense, Notre Nord, fort et libre, utilise un langage similaire.
Il est certain que le Canada a des priorités claires en matière de défense : la défense du territoire national, de l’Amérique du Nord (en coopération avec les États-Unis) et de ses autres alliés (en particulier au sein de l’OTAN), dans cet ordre. Cependant, le pays s’est également engagé à maintenir un large éventail de capacités, un objectif de plus en plus inabordable. Atteindre l’objectif de dépenses de l’OTAN (2% du PIB) sera largement insuffisant, compte tenu des nombreux programmes de modernisation reportés et de l’accumulation d’autres problèmes. À ce rythme, il y a tout simplement trop peu de ressources pour répondre à de trop nombreuses priorités. De plus, la structure des forces et les choix de capacités ont privilégié des capacités de plus en plus incompatibles avec l’ensemble des développements militaires actuels.
Cette situation place le Canada à un carrefour décisif : il doit soit accepter le déclin progressif de ses capacités militaires, réduites à une force principalement symbolique, soit envisager des alternatives radicales pour préserver sa pertinence sur le champ de bataille et dans les relations internationales. L’option la plus viable consisterait à mettre en œuvre la spécialisation de certaines parties des Forces armées canadiennes, en abandonnant certaines capacités pour renforcer celles qui sont mieux alignées avec l’évolution des menaces et les intérêts stratégiques du pays. De ce point de vue, l’armée est une cible de choix pour la spécialisation, avec la possibilité de la recentrer sur des rôles plus spécifiques.
La portée du défi
L’un des principaux défis auxquels est confrontée la structure actuelle des Forces armées canadiennes est la diversification spectaculaire de l’environnement des menaces au cours des trente dernières années. Nous assistons à l’émergence de nouveaux domaines tels que l’espace et le cyber, ainsi qu’au développement de capacités innovantes dans des domaines existants, tels que les missiles hypersoniques, les drones ou les armes à énergie dirigée. Le Commandement et contrôle interarmées tous domaines combinés — ou la version canadienne, le « Commandement et contrôle agile tous domaines » — intègrent un grand nombre de ces capacités. Dans ce contexte, répondre aux nouvelles menaces nécessite non seulement le développement de plates-formes ou de systèmes individuels et fédérés, mais aussi leur intégration de manière collaborative pour améliorer considérablement leur rapidité et leur efficacité.
Deuxièmement, l’inflation des biens de défense dépasse généralement de plusieurs points de pourcentage celles des biens du secteur civil. Bien que cette tendance soit connue depuis longtemps, les dernières années ont été particulièrement difficiles en raison de la pandémie de COVID-19 et des graves perturbations de la chaîne d’approvisionnement qui en ont résulté. Au niveau le plus élémentaire, le pouvoir d’achat du ministère de la Défense nationale a été considérablement érodé. Les projets subissent des retards de mise en œuvre en raison de pratiques d’approvisionnement inefficaces, ce qui réduit encore davantage le pouvoir d’achat des budgets.
Enfin, les invasions de l’Ukraine par la Russie en 2014 et 2022 ont conduit à une réévaluation sérieuse des capacités et des stocks de guerre nécessaires pour mener un conflit prolongé avec un pays aux capacités comparables. Même pendant la guerre froide, les Forces armées canadiennes ont été régulièrement critiquées pour l’insuffisance de leurs stocks de munitions et de matériel de réserve. Ce problème s’est considérablement aggravé après 1990, lorsque toute prétention de maintenir des stocks de guerre suffisants a été abandonnée. Par exemple, le Canada a fait l’acquisition de 82 Leopard 2A6 pour soutenir un déploiement opérationnel de 19 chars sur le terrain. Compte tenu des exigences liées à l’entraînement et à la maintenance, il reste moins de cinq chars disponibles pour l’attrition.
Cette question est devenue particulièrement cruciale pour le Canada en raison de son orientation expéditionnaire. Étant donné le peu de menaces directes à sa souveraineté et le soutien solide qu’il accorde à ses alliances, en particulier à l’OTAN, une grande partie de la planification de la défense se concentre sur le déploiement et le maintien de forces à l’étranger, comme le montre l’exemple du Leopard 2A6. Le ministère de la Défense nationale vient seulement de commencer à réévaluer ses besoins en forces et en matériel pour se préparer à un éventuel conflit de proximité, notamment en rétablissant les bureaux responsables de cette mission. Cependant, il accuse un retard considérable par rapport aux alliés du Canada dans ce domaine.
Dans l’ensemble, ces tendances ont augmenté le coût apparent du maintien des principales capacités et des réponses adéquates aux menaces. Le fait que le Canada ait profondément sous-financé la modernisation de sa défense au cours des dernières décennies n’aide en rien. Un récent rapport du Directeur parlementaire du budget a révélé que 12 milliards de dollars canadiens de financement prévu au cours des sept dernières années n’ont jamais été dépensés, ce qui s’ajoute au sous-financement général du ministère. De 2014 à 2023, le Canada a en moyenne consacré seulement 1 à 1,5% de son PIB à la défense, avec seulement 10 à 15% de ce montant destiné aux dépenses d’équipement, alors que la ligne directrice de l’OTAN préconise un minimum de 20%. Si on prend l’engagement de 2% auprès de l’OTAN comme référence pour déterminer ce que le Canada devrait investir pour maintenir une capacité militaire efficace, les Forces armées canadiennes ont été sous-financées d’environ 147 milliards de dollars américains au cours de cette même période. Ce sous-financement a eu un impact disproportionné sur les comptes d’approvisionnement, ce qui explique en partie pourquoi l’armée canadienne utilise encore des frégates vieilles de 30 ans, des chasseurs tactiques âgés de 40 ans et des avions de patrouille maritime vieux de près de 45 ans.
De plus, la situation du Canada en matière de personnel militaire est critique. Bien que de nombreuses armées de l’OTAN soient confrontées à des problèmes d’effectifs, aucune n’est dans une situation aussi préoccupante que le Canada. Pour de nombreux postes clés, tels que ceux de pilotes, d’opérateurs de capteurs ou de techniciens maritimes, les effectifs ne représentent que 60% ou moins du total établi. Cela signifie que les commandements doivent se concentrer presque exclusivement sur le maintien des capacités existantes, avec une faible capacité d’adaptation aux nouvelles menaces, aux circonstances changeantes ou aux opportunités émergentes.
Compte tenu de ces facteurs, il ne serait pas exagéré de dire que, même si le gouvernement canadien dépassait les 2% du PIB en matière de dépenses de défense, voire atteignait les 3%, cela ne suffirait probablement pas à inverser ces tendances de manière significative.
La réponse
Le ministère de la Défense nationale a réagi à cette situation difficile de plusieurs manières. La première consiste à se défaire de certaines capacités ou à retarder la réponse aux nouvelles menaces. Cette approche a été utilisée lorsque le risque était jugé gérable et qu’une réponse pouvait facilement être (re)constituée par l’achat d’un système existant dans le commerce si la menace devenait sérieuse. Par exemple, l’Armée canadienne a abandonné ses systèmes de défense anti-aérienne pour se concentrer sur les opérations anti-insurrectionnelles en Afghanistan, mais elle cherche désormais à restaurer cette capacité en raison de l’évolution de l’environnement de la menace aérienne.
Pour certaines capacités, le coût de régénération après leur abandon est prohibitif et difficile à assumer, même si la menace immédiate n’était pas évidente. Ainsi, les Forces armées canadiennes conservent une capacité vestigiale qui peut servir de noyau pour une expansion future si le besoin s’en fait sentir. Par exemple, les quatre sous-marins canadiens de la classe Victoria devraient théoriquement permettre à un navire d’être disponible pour des opérations à tout moment. Cependant, il s’agit là d’une capacité symbolique pour un État qui possède le plus long littoral du monde et dont la prospérité économique repose en grande partie sur le commerce maritime.
Dans de nombreux cas, cependant, ni l’abandon ni le maintien d’une capacité symbolique ne constituent des réponses viables. Une approche courante a consisté à regrouper les capacités sur un nombre réduit de plates-formes. Confronté à des choix budgétaires difficiles, le ministère de la Défense nationale a décidé de concentrer un nombre croissant de rôles sur un nombre limité de plateformes. Un exemple classique est le CP-140 Aurora : acquis à l’origine comme avion de patrouille maritime et de lutte anti-sous-marine pour l’Armée de l’air, il a été modifié au fil des décennies pour inclure des capacités terrestres de renseignement, de surveillance et de reconnaissance. Bien que cette adaptation ait été louée pour son efficacité, la demande croissante pour cet avion dans la région indopacifique a mis à rude épreuve la cellule et ses équipages.
La pression exercée sur l’agrégation des capacités a été exacerbée par les défis chroniques qui pèsent sur le système d’acquisition de matériel de défense. Compte tenu des longs délais nécessaires pour approuver et mettre en œuvre les programmes, le ministère de la Défense nationale exige souvent des plates-formes surqualifiées, insistant sur des performances améliorées pour assurer leur pérennité. Cette approche a facilité l’agrégation des capacités, puisque le coût différentiel perçu de l’ajout de rôles supplémentaires à une seule plate-forme est jugé plus avantageux que l’acquisition de plusieurs plates-formes.
Le plus souvent, la croissance des capacités est naturelle et bénéfique – elle permet à une armée de s’adapter rapidement et efficacement à de nouvelles circonstances. Cependant, cela contraste avec la situation décrite ci-dessus, qui reflète des compromis peu satisfaisants imposés aux Forces armées canadiennes. Dans de nombreux cas, ces capacités ne peuvent pas atteindre des niveaux élevés de compétence pour une seule mission, car elles sont réparties sur plusieurs missions – elles sont polyvalentes, mais manquent de maîtrise dans un domaine spécifique.
L’agrégation des capacités se fait généralement au détriment de la constitution d’une réserve de combat contre un adversaire de force comparable. Moins nombreux, les systèmes surqualifiés manquent également de flexibilité dans un environnement à forte attrition. De plus, ils compliquent les efforts de maintien des capacités et de remplacement, car les systèmes canadiens hautement spécialisés (souvent appelés « licornes » ou « orphelins ») sont beaucoup plus difficiles à renouveler, la capacité de production étant généralement limitée.
De plus, l’agrégation des capacités restreint les filières de formation du personnel, ce qui complique la gestion des effectifs en temps de paix. Certains postes subissent souvent un rythme opérationnel nettement plus élevé, car ils sont sollicités pour accomplir plusieurs types de missions, tandis que d’autres souffrent du problème inverse, avec une sous-utilisation due à un temps d’activité limité sur une plate-forme. Ces deux situations aggravent le problème de rétention au sein des Forces armées canadiennes et limitent fortement la capacité de certaines compétences à servir de noyau pour générer une force beaucoup plus importante en cas d’urgence.
Tous ces facteurs ont contribué à créer une force très peu flexible, en particulier au niveau stratégique et ministériel, qui ne dispose ni de ressources de réserve ni de capacités intellectuelles pour s’adapter aux nouvelles menaces. Pour les Forces armées, la flexibilité et les ressources sont essentielles pour faire face à l’environnement des menaces émergentes, et elles sont devenues un élément central des efforts de réforme de nombreux alliés du Canada.
Se préparer pour l’avenir
Bien que l’armée canadienne ait réussi à naviguer à travers les trente dernières années, cette situation n’est plus tenable. Aujourd’hui, la capacité de combat du pays a probablement diminué au point qu’il ne peut déployer que des capacités symboliques. Ces contributions doivent être considérées comme trop modestes et/ou d’une capacité militaire très limitée, rendant leur présence largement symbolique.
La Marine royale canadienne ne peut effectivement mettre en mer que deux ou trois frégates à la fois, tandis que l’Aviation royale canadienne ne peut maintenir qu’une douzaine de chasseurs en état d’alerte pour les missions du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord. De son côté, l’Armée canadienne peine à soutenir deux bataillons dans le cadre du groupement tactique multinational de l’OTAN en Lettonie, en l’absence de défense aérienne moderne, d’artillerie adéquate et de connectivité avancée.
En outre, le développement de réseaux intégrés sur le champ de bataille, associé aux avancées dans la fusion et le traitement des données, ainsi qu’aux véhicules sans pilote, commence à transformer les concepts de structure des forces. Au lieu de regrouper les capacités dans un nombre réduit de plates-formes coûteuses, on observe une désagrégation en matière d’emploi et d’acquisition. Cette évolution est fondamentalement incompatible avec l’approche du ministère de la Défense nationale en matière de structure des forces et d’acquisition. L’armée canadienne est déjà mal préparée à une guerre moderne impliquant des approches pan-domaines, et de nombreuses décisions futures en matière de forces s’inscrivent dans la continuité des réflexions doctrinales antérieures. Comme le montrent les difficultés rencontrées dans le cadre de la mission en Lettonie, cette situation limite considérablement la capacité de l’armée à soutenir les efforts des alliés, pouvant même les fragiliser.
Pour faire face à ce nouveau dilemme, le Canada a deux options. La première consiste à poursuivre sur la voie actuelle : tenter de relever l’ensemble des défis en augmentant les dépenses de défense et en mettant en œuvre d’importantes réformes au sein des Forces armées et du système d’approvisionnement pour les moderniser. Cependant, même avec les augmentations des dépenses de défense prévues, un déclin continu des forces armées par rapport à l’environnement de menace semble probable. Le Canada pourrait conserver certains domaines d’excellence mais, dans l’ensemble, l’avenir semble inquiétant, avec un pays de plus en plus contraint à fournir des contributions symboliques plutôt que concrètes à la sécurité nationale et à celle des alliés. Des augmentations de financement beaucoup plus importantes pourraient, bien sûr, permettre une modernisation plus approfondie et plus efficace sur le plan stratégique. Cependant, cela n’est pas réaliste dans le contexte politique actuel (ou dans un avenir proche) où aucun des deux principaux partis politiques ne semble disposé à engager les ressources nécessaires.
Il ne reste donc qu’une alternative réaliste : le Canada devrait abandonner la prétention d’avoir une armée à spectre complet et envisager la spécialisation. Cela impliquerait des choix difficiles et douloureux, incluant probablement la cession de certains rôles. Cependant, cela permettrait de se concentrer sur des menaces spécifiques et de valoriser les centres d’excellence canadiens.
Tout effort dans ce sens devrait compléter les deux cadres d’alliance du Canada, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord et l’OTAN. La spécialisation, en particulier dans le contexte de l’OTAN, n’est pas un concept nouveau — elle existe sous diverses formes depuis le premier concept stratégique de l’organisation en 1949. Au cours des deux dernières décennies, plusieurs nouvelles formes ont été développées, dont la plus récente est le concept de nation-cadre introduit il y a dix ans. La contribution du Canada à la présence avancée renforcée en Lettonie en est un exemple concret, illustrant le potentiel de son application future.
Il est vrai que la spécialisation comporte des risques. Le plus évident est, qu’étant donné l’état de délabrement des Forces armées canadiennes, Ottawa deviendrait encore plus dépendante de ses alliés pour répondre à presque toutes les crises où le pays pourrait souhaiter intervenir. Bien que ce soit déjà le cas d’aujourd’hui, la spécialisation réduirait encore davantage la capacité du Canada à gérer des crises complexes en matière de politique étrangère. De plus, il existe un risque significatif qu’un gouvernement engage les Forces armées dans une crise pour laquelle elles ne sont pas adaptées, ce qui pourrait augmenter les risques pour le personnel ou compromettre le succès de la mission dans son ensemble.
Le dilemme des capacités évoqué précédemment complique encore davantage la situation. Les changements technologiques et doctrinaux sont déjà en train de remodeler fondamentalement la nature de l’interopérabilité et de la spécialisation. L’interconnectivité, c’est-à-dire l’harmonisation des normes, des protocoles et des procédures en matière de données, est essentielle à tout effort pluridisciplinaire ou pan-domaine. Compte tenu de ses conséquences profondes sur les structures et la doctrine des forces, l’influence de l’interconnectivité sera tout aussi cruciale pour l’avenir de l’interopérabilité. Bien que plusieurs initiatives bilatérales et multilatérales soient en cours dans ce domaine, comme le pilier 2 d’AUKUS, elles restent fragmentées et inégales, et sont confrontées à divers problèmes qui limitent le partage des données, la personnalisation et l’application des outils analytiques.
Ces choix sont liés à la question plus générale de la manière dont le Canada devrait développer sa capacité pan-domaine. Il pourrait choisir de développer ces systèmes à l’échelle nationale selon des spécifications canadiennes précises, ou opter pour des normes et des technologies alliées, même si celles-ci ne sont pas compatibles avec la doctrine ou la politique de défense canadienne. Les adaptations et les mises à niveau peuvent être coûteuses et nuire à l’interopérabilité. Les dirigeants militaires canadiens, et c’est tout à leur honneur, ont considéré la modernisation du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord comme une occasion de tirer parti des avancées en matière de commandement et contrôle interarmées tous domaines combinés pour donner le coup d’envoi aux propres efforts pan-domaines de l’Aviation royale canadienne. Cependant, comme l’indique une étude récente d’Alex Rudolph, l’armée canadienne dans son ensemble n’a pas progressé de manière efficace dans ce domaine et demeure bien en deçà du développement de ses alliés.
Cette réflexion nous amène à une question difficile : quels sont les domaines dans lesquels le Canada devrait se spécialiser ? Compte tenu de la nécessité pour Ottawa de défendre l’espace aérospatial nord-américain en coopération avec les États-Unis et de l’accent mis actuellement sur la modernisation, l’Armée de l’air devrait être une priorité. Historiquement, la puissance aérienne a également servi d’instrument de politique étrangère. De plus, l’industrie aérospatiale canadienne est très compétente et agile, ce qui la positionne favorablement pour soutenir l’armée dans ces domaines. De même, la Marine devrait jouer un rôle important à l’avenir. Compte tenu de l’étendue des côtes canadiennes et de la forte dépendance du Canada à l’égard du commerce maritime pour sa prospérité, une capacité navale robuste – comprenant 16 destroyers de classe River et potentiellement 12 sous-marins conventionnels – est essentielle pour garantir la pertinence du service. L’Armée de terre devrait donc subir la majorité des réductions potentielles, poursuivant ainsi la tendance observée au cours de la dernière décennie.
Une option, récemment évoquée par Andrew Erskine, serait d’évoluer vers un concept de « force légère ». Cela impliquerait de se concentrer moins sur les combats conventionnels lourds et davantage sur les forces de substitution, légères, mobiles et furtives, dotées d’une puissance de feu significative. Cette approche pourrait nécessiter un désinvestissement des capacités conventionnelles lourdes, telles que les chars et l’artillerie lourde, au profit de forces mobiles légères capables de coopérer facilement avec les contributions alliées.
Malheureusement, il n’y a pas de réponse facile au dilemme du Canada, qu’il choisisse de conserver un large éventail de capacités ou de se spécialiser. Il est essentiel de garantir un financement supplémentaire et d’accélérer la transformation des forces armées. De plus, la gestion des nouvelles avancées technologiques nécessitera un changement radical dans les processus d’acquisition. Le gouvernement doit impérativement adopter des politiques qui permettent une plus grande agilité dans l’acquisition et le maintien en conditions opérationnelles, tout en s’assurant que les achats peuvent être réalisés à l’échelle nécessaire pour tout conflit potentiel. Une adaptation réussie à ce nouvel environnement peut également offrir la souplesse nécessaire pour adapter les systèmes aux nouvelles menaces d’une manière qui n’était pas envisageable il y a quelques décennies.
Les risques du statu quo sont évidents. L’armée canadienne se trouve déjà dans un état désastreux après des décennies de négligence et de sous-financement. Si aucune mesure corrective sérieuse n’est prise – comme une augmentation du financement, une révision de la mission et de la structure des forces, et la résolution des problèmes d’acquisition – le Canada risque de sombrer davantage dans l’insignifiance.
Crédit photo : Lance Cpl. Haley Fourmetgustavsen
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