La réorientation de la politique extérieure du Niger, un serpent de mer

Le Rubicon en code morse
Juil 31

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Pays enclavé, situé dans l’une des régions les plus instables au monde, le Niger suscite une attention croissante depuis le milieu des années 2000. Ses richesses minérales et son positionnement géostratégique, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Sahel, l’ont propulsé sur le devant de la scène internationale. Le coup d’État militaire du 26 juillet 2023, qui met fin au mandat présidentiel de Mohamed Bazoum, élu deux ans plus tôt, est apparu comme un événement catalyseur de l’attention internationale.

Le Gouvernement du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), dans un contexte où la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), influencée par la France, brandissait la menace d’une intervention militaire afin de réinstaurer le président déchu dans son fauteuil, s’est engagé dans un processus de réorientation de son agenda diplomatique. Toutefois, alors que ces nouvelles autorités tentent de déterminer la poursuite harmonieuse de leur mission de transition tout en impulsant une réflexion neuve sur le fonctionnement de l’État, une série de problèmes externes et internes est apparue sur de multiples fronts. Ces problèmes se sont aggravés ces derniers mois avec le début de la commercialisation du pétrole par le Niger et l’évolution rapide des relations russo-nigériennes qui a suscité des réactions négatives occidentales et des injonctions de la part des États-Unis, et finalement la rupture de la coopération militaire entre les deux États, en mars 2024, après celle avec la France survenue sept mois plus tôt. De fait, le Niger devient un terrain de lutte entre les puissances mondiales, mais aussi de prolifération des groupes armés, ce qui vient s’ajouter à la liste des problèmes sécuritaires du pays.

Au regard de ces enjeux et la volonté du Niger de contourner la politique du « pré carré » français, la question de la restructuration des partenariats internationaux se pose avec acuité. Ce questionnement n’est pas nouveau. On relève, depuis 1972, des tentatives d’autonomiser les relations extérieures du Niger et de diversifier les partenariats internationaux en tenant compte des intérêts du pays. Aujourd’hui encore, le contexte et les débats récents poussent à une réorganisation des dynamiques de la politique extérieure du Niger. Au-delà des intentions, qu’est-ce qui doit prédestiner à cette réorientation ?

Après avoir rappelé brièvement les tentatives nigériennes d’adoption de politiques d’émancipation face à la France, qui expliquent davantage le rejet populaire de la politique étrangère du président déchu, Mohamed Bazoum et son prédécesseur Issoufou Mahamadou, l’article reviendra sur les enjeux et problèmes auxquels le CNSP fait face, alors qu’il va bientôt entamer sa première année de transition avec des résultats mitigés. En conséquence, ce texte abordera la nécessité pour le gouvernement de transition de revoir ses initiatives en matière de coopération internationale. Cette nouvelle orientation, nécessitant une réadaptation de l’outil diplomatique, doit se faire à partir des priorités et réalités internes, et couvrir des domaines clés comme la sécurité, le développement durable et l’innovation. Certes, ces questions ont été abordées dans le passé, dans la coopération du Niger avec les partenaires tiers, mais pas de façon structurée et dans le cadre d’une réflexion d’ensemble avec des objectifs globaux, précis et équitables. Or, cette démarche est nécessaire pour aller de l’avant.

L’histoire des tentatives d’autonomisation de la politique extérieure du Niger

Il est aisé de considérer les démarches actuelles du CNSP, très largement médiatisées, comme la genèse des dynamiques de réorientation de la coopération internationale du Niger. Pourtant, l’intérêt pour la quête d’une autonomie stratégique du pays n’est pas une nouveauté dans les tendances à long terme de l’État. Cet intérêt est davantage lié à d’autres initiatives antérieures au CNSP.

En remontant à la première République, Diori Hamani, président de la République du Niger après l’indépendance, avait déjà initié, en dépit de la position française, une dynamique réformatrice de l’État. D’une part, il impulsa le processus de réforme de la zone CFA. Dès 1969, le Professeur Samir Amin note qu’il avait été « invité en 1969 par le président Diori, qui imaginait souhaitable une réforme du système monétaire de la zone CFA-franc français ». D’autre part, il avait également entamé un processus de restructuration de la politique extérieure du Niger à travers une diversification des partenariats internationaux. À cette fin, il signa, entre autres, en 1974 un Traité de défense et de sécurité avec la Libye et entendait élargir cette coopération au domaine économique et uranifère : en 1972, dans un contexte national marqué par une crise alimentaire liée à la sécheresse, il avait cherché, sans succès, à obtenir auprès de la France une plus juste rémunération de la vente de l’uranium du Niger. C’est dans ce sillage qu’il a été déchu du pouvoir lors du coup d’État militaire du 15 avril 1974 par le Conseil Militaire Suprême dirigé par le Lieutenant-Colonel Seyni Kountché.

Bien qu’il existe des suspicions de corrélation entre ces événements, la prise du pouvoir par le Lieutenant-Colonel Seyni Kountché a été un signal fort dans la quête de la souveraineté du Niger et une politique extérieure opportuniste. Dès son arrivée au pouvoir, il exigea le retrait des troupes françaises stationnées à Niamey parce qu’il estimait que la présence d’une armée étrangère sur un territoire étranger était incompatible avec la souveraineté. En matière de coopération internationale, le Lieutenant-Colonel Kountché amorça également une politique de diversification des partenaires internationaux en se rapprochant de la Libye et de la Chine. Pour lui, en matière de politique étrangère, « […] nous ne sommes ni à droite, ni à gauche, ni devant, ni derrière personne. Nous ne sommes guidés que par l’intérêt supérieur de notre pays ».

Avec l’arrivée au pouvoir, en 1999, du président Tandja Mamadou (1999-2010), ce dernier entendait également conduire une politique souverainiste à travers, entre autres, la création de la Société du Patrimoine des Mines du Niger (SOPAMIN), afin de réduire l’hégémonie de la multinationale française du secteur de l’énergie Areva (devenue Orano) sur la production de l’uranium du Niger. Il entendait mettre en compétition le partenaire français et d’autres acteurs internationaux comme la Chine qui ont manifesté leur intérêt pour les permis d’exploitation des gisements d’Imouraren. Cette stratégie lui a permis d’être en position de force et de renégocier le prix du kilogramme de l’uranium. C’est dans ce contexte qu’Areva accepta, en 2009, d’acheter le kilogramme d’uranate à 84 euros, au lieu de 26,28 euros (prix fixé depuis 1990). Son attitude réfractaire à l’aide publique au développement, ses prises de position quant à la politique extérieure française, ses discours en langues locales et son programme de développement économique et social sont autant d’éléments qui ont alors marqué l’esprit des Nigériens.

Bien que ces initiatives aient été, par la suite, ralenties, elles soulignent une nouvelle fois le fait que les dirigeants nigériens reconnaissent, depuis longtemps, le caractère déséquilibré du partenariat avec la France et le besoin de le diversifier afin de réduire la dépendance vis-à-vis d’un seul pays. Elles expliquent davantage les contestations contre le régime de Mahamadou Issoufou (2011-2021) marqué par une présence forte des occidentaux sur le territoire nigérien, la signature de plusieurs accords de défense, souvent par de simples notes verbales, en violation de l’article 169 de la Constitution du 25 novembre 2010, révélés au grand public à la suite du récent putsch, et la consolidation d’un système de captation des ressources publiques sans précédent selon les informations de la Commission de Lutte contre la Délinquance Économique, Financière et Fiscale (ColDef).

Même si, lors de son investiture, le président déchu, Mohamed Bazoum (2021-2023), avait prononcé un discours de rupture avec la gouvernance de son prédécesseur, il s’est finalement aligné, dans les faits, sur sa politique extérieure. Ses deux années à la tête du Niger ont d’ailleurs accentué la présence militaire occidentale avec le redéploiement de la force Barkhane, à la suite de leur retrait du Mali en 2022, et de la force Takuba.

Cette situation a longtemps alimenté les tensions entre les pouvoirs publics nigériens et les organisations de la société civile (OSC), regroupées au sein de coalitions comme le « M62 », « Tournons la page » ou encore « Niger debout », lesquelles considèrent que cette orientation était une atteinte grave à la souveraineté du Niger et une violation des dispositions constitutionnelles. Ainsi, dans un contexte national et régional réfractaire non seulement à la présence militaire occidentale, mais aussi à la classe dirigeante, le CNSP a dû exploiter ces éléments afin d’obtenir un soutien populaire et dissuader toute intervention militaire étrangère pour le déloger.

Le CNSP et la refonte du partenariat avec l’Occident et l’ouverture vers d’autres acteurs

Avant l’avènement du CNSP, le chercheur Georges Berghezan a démontré qu’il existait, depuis 2016, « une hostilité croissante vis-à-vis de la présence militaire occidentale » au Niger. En outre, le sondage de 2022 d’afro-baromètre relevait que 64% de la population s’opposait à une intervention de forces étrangères pour sécuriser le Niger. Depuis le 26 juillet 2023, le CNSP n’a fait que matérialiser la contestation politique et sociale contre la présence militaire occidentale. Pour le CNSP, la voie à suivre semble claire. En se détournant des partenaires occidentaux traditionnels, dont « l’utilité reste à démontrer » selon Georges Berghezan, il peut bénéficier d’un partenariat géographiquement diversifié permettant d’asseoir son pouvoir, renforcer les résiliences, réduire les vulnérabilités et s’inscrire dans une dynamique de réforme de la politique interne et étrangère telle qu’attendue par ceux qui le soutiennent massivement.

La lettre de mission de la Direction de Cabinet du CNSP de janvier 2024 pour le ministère des Affaires étrangères est claire. Elle instruit le ministre en charge des Affaires étrangères, Bakari Yaou Sangaré, de « définir une politique étrangère pour améliorer significativement la visibilité et le pilotage de l’action diplomatique conformément aux objectifs de souveraineté »[1]. Ainsi, ce dernier doit « engager une véritable offensive diplomatique pour améliorer l’image du Niger, promouvoir l’intégration africaine, ainsi que les rapports de bon voisinage »[2], en diversifiant « les partenaires et en établissant des accords de coopération qui privilégient les intérêts et la souveraineté du pays »[3]. Cette nouvelle stratégie relance ainsi la politique extérieure du Niger.

L’exigence du retrait des troupes françaises et américaines stationnées au Niger, à la suite d’une détérioration profonde des relations, s’inscrit dans cette démarche. Dès lors, la redynamisation des relations avec la Russie et la Chine devient un facteur déterminant des relations internationales du Niger post- Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS). L’Iran et la Turquie, jusque-là discrets au Niger à travers leurs diplomaties religieuse, sanitaire et éducative (soutien aux organisations islamiques, création de structures de santé et aides médicales, création des écoles d’enseignement secondaire, etc.), renforcent leurs liens avec les nouvelles autorités en tentant de se positionner dans le domaine de l’énergie.

On relève des résultats probants de cette nouvelle stratégie du Niger, notamment dans le domaine militaire avec la réception, le 10 avril 2024, de matériel militaire russe de défense anti-aérienne et la mise à disposition d’instructeurs russes dans le cadre du renforcement des capacités de l’armée nigérienne. D’autre part, dans le domaine de l’énergie, on relève la mise en compétition de plusieurs sociétés d’énergie dont la société émiratie BB Energy, la société turque BGN international, et la China National Petrolium (CNPC) dans le cadre du contrat de commercialisation des volumes du pétrole d’Agadem. Au final, c’est la CNPC qui a obtenu le contrat de commercialisation du Bloc d’Agadem, avec un prêt gagé de 400 millions de dollars à un taux d’intérêt de 7%, qualifié « d’avance » par le Premier ministre, ministre de l’Économie et des Finances, Lamine Zeine.

En outre, le Niger, aux côtés du Mali et du Burkina Faso, à la suite de leur retrait des Organisations régionales africaines comme le G5 Sahel et la CEDEAO, jugés inféodés aux Occidentaux, entend maintenir sa dynamique de coopération régionale au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) instituée par la Charte du Liptako Gourma. Cette dernière, signée le 16 septembre 2023, dans un contexte où la CEDEAO menaçait le Niger d’une opération militaire en réponse au coup d’État du 26 juillet 2023, constitue un pas important vers une perspective confédérale ou fédérale avec ces pays.

Toutefois, en plus des errements constatés dans la gestion au quotidien de l’État depuis l’installation du CNSP, d’autres enjeux viennent davantage compromettre le travail du gouvernement de transition et la mise en œuvre des orientations promises en matière de politique intérieure et étrangère.

Enjeux et difficultés actuels de la réorientation de la politique extérieure du Niger

Bien que le début de l’année 2024 ait été marqué par une dynamique de diversification des partenaires internationaux du Niger, cette nouvelle trajectoire de la coopération militaire et économique, en plus d’alimenter les spéculations selon lesquelles le Niger pourrait se transformer en une zone de crise et d’instabilité, suscite des interrogations. En effet, le pays est confronté à des fragilités et vulnérabilités structurelles et conjoncturelles exacerbées par une mauvaise gouvernance, qui demeurent son talon d’Achille exploité par les acteurs étrangers. Si les relations avec certains partenaires dits « traditionnels », France ou États-Unis, sont revues du fait, entre autres, de l’attitude condescendante de ces acteurs, des résultats mitigés des partenariats et de leur déséquilibre, les nouveaux partenaires, certes plus cordiaux, sont tout aussi motivés par leurs propres intérêts économiques et géostratégiques, que par une réelle politique d’accompagnement plus intégrée. Le rapprochement de la Russie du Niger s’inscrit dans le processus d’intensification de son influence au Sahel. Il en va de même pour la Chine qui, sous la présidence de Xi Jinping, a amplifié son influence au Niger et en Afrique en général, à travers le développement de ses projets pétroliers et uranifères.

Pour de nombreux acteurs de la société civile[4], le risque de partenariats déséquilibrés, de surexploitation et de liquidation des ressources minières en échange essentiellement « d’armement » et de « prêt gagé », reste le pire des scénarios. Par conséquent, si un certain nombre d’acteurs sont favorables à des relations de coopération intensifiées avec la Russie, la Chine voire l’Iran, le scepticisme au sujet d’un partenariat déséquilibré et improductif reste très répandu. Ces craintes ne sont pas infondées si l’on considère l’histoire du système politique du Niger essentiellement dominé par une politique de partenariats déséquilibrés soutenue par un système de mauvaise gouvernance et de captation des ressources publiques par le politique.

Ces craintes sont davantage légitimes au regard des menaces externes et internes de déstabilisation, avérées ou soupçonnées, qui pèsent sur le CNSP et qui pourraient le pousser à trouver des solutions immédiates de résilience au détriment de politiques transformatrices pour atteindre des objectifs durables. En effet, le risque de déstabilisation s’accentue avec l’apparition, post-coup d’État du 26 juillet, de groupes armés, notamment le Front patriotique pour la libération (FPL), le Conseil de résistance pour la République (CRR) et le Front patriotique pour la justice (FPJ). Ces trois mouvements revendiquent la libération du président déchu, encore détenu, à travers des actes de violence comme l’enlèvement récent du préfet du département de Bilma (au nord-est du Niger) et sa délégation revendiqué par le FPJ ou encore par des actes de sabotage d’infrastructures stratégiques comme la destruction d’une partie de l’oléoduc qui transporte le pétrole vers le Bénin, revendiquée par le FPL. Ces actes s’inscrivent dans un contexte tendu entre le Niger et le Bénin.

En effet, il existe d’importantes tensions entre ces deux pays voisins. Alors que le Bénin a réouvert ses frontières avec le Niger, à la suite de la levée, le 24 février 2024, des sanctions de la CEDEAO contre le Niger, ce dernier a maintenu les siennes fermées pour des raisons sécuritaires. En réponse, le Bénin a refermé ses frontières et a interdit le chargement du pétrole nigérien acheminé par le « pipeline Export Bénin-Niger », par voies souterraines jusqu’à la plateforme de Sémé-Kpodji (au Sud du Bénin). Cette interdiction a été faite en violation des trois accords principaux qui encadrent le transport du pétrole brut en passant par le Bénin pour l’export, à savoir : l’Accord bilatéral entre la République du Niger et la République du Bénin relatif à la construction et l’exploitation d’un système de transport des hydrocarbures par pipeline du 23 janvier 2019 ; l’Accord du Gouvernement Hôte relatif à la construction et à l’exploitation d’un système de transport des hydrocarbures par pipeline entre la République du Bénin et la West African Oil Pipeline-Bénin Company S.A du 5 août 2019, et la Convention de transport entre la République du Niger et de la West africain oil Pipeline-Niger Company, relative au système de transport des hydrocarbures par canalisation du 15 septembre 2019.

Cette situation, qui met en jeu la Chine en tant que commanditaire de cet oléoduc, en plus d’impacter sévèrement les relations économiques entre le Niger et le Bénin, risque d’affecter également celles entre la Chine et le Niger et de compromettre davantage la mise en œuvre de ses politiques de restructuration. La Chine est en effet le deuxième investisseur étranger au Niger, après la France, puisqu’à la fin de l’année 2020, le total de ses investissements au Niger était estimé à 2,68 milliards de dollars. Par ailleurs, au regard de l’attitude actuelle du CNSP, qui consiste à maintenir les frontières nigériennes fermées, la situation pourrait également pousser le pays à trouver d’autres voies de transit qui pourraient réduire radicalement sa dépendance à l’égard du Bénin pour ses importations et exportations. Dans tous les cas, la relation avec le Bénin présente un dilemme pour le CNSP et il reste encore à savoir comment cette situation sera résolue.

En outre, la récente décision du gouvernement de transition d’intensifier la coopération militaire entre le Niger et la fédération russe suscite également des interrogations sur les nouveaux déterminants de la coopération internationale du Niger.  Certes, l’engagement de la Russie sur des questions de développement intégré au Niger reste une possibilité avec la rencontre entre les principaux ministères clés de ces pays en mai 2024. Néanmoins, cet engagement ne semble pas, pour l’instant, apporter le même dynamisme que celui des partenaires dits traditionnels comme la France et les États-Unis. Certains membres du CNSP affichent encore leurs intérêts pour des partenariats, certes renouvelés, avec les acteurs dits traditionnels, particulièrement le partenaire américain. Cette incertitude pourrait fragiliser l’alliance au sein du CNSP, puisque la cohabitation militaire entre la Russie et les États-Unis, sur le même sol, est peu probable sur le long terme. Cette divergence se retrouve également au sein des mouvements des OSC qui soutiennent le CNSP comme le « front patriotique pour la souveraineté ». Certains leaders de ce mouvement, en première ligne pour demander le retrait des troupes françaises, n’ont pas souhaité prendre part à la marche pour appuyer le CNSP dans sa décision de rompre le partenariat militaire avec les États-Unis.  Il y a donc là un choix stratégique à repenser au regard de l’exacerbation de la situation sécuritaire.

Un autre enjeu réside dans la satisfaction des attentes, particulièrement très fortes, des acteurs des OSC, en ce qui concerne les mesures d’assainissement et de changement radical de paradigme dans le fonctionnement de l’État, les assises nationales pour définir la durée de la transition, l’avenir du Niger et les réformes politiques pour aller vers des élections libres et transparentes. La lenteur, voire l’inaction, dans la matérialisation de ces promesses risquent d’ébrécher le soutien populaire dont le CNSP jouit. À ce niveau, le dilemme est de juguler l’escalade de la violence des groupes armés tout en impulsant des politiques internes significatives. La création de la ColDef, chargée de remettre l’État dans ses droits en récupérant tous les biens publics mal acquis et détournés, pourrait être un pas vers la gestation d’un nouveau cycle institutionnel en rupture avec les logiques de prédation, à condition que le CNSP soit engagé à lui garantir les moyens et une totale autonomie dans la mise en œuvre de ses objectifs.

Dans tous les cas, si l’on veut aller de l’avant dans un tel contexte, la diplomatie doit être mise au service des intérêts nationaux, comme l’illustrent bien les anciens régimes de Seyni Kountché ou de Tandja Mamadou. Pour le CNSP, il s’agit ainsi de mieux combiner la politique extérieure du Niger avec les intérêts et prétentions économiques du pays.

Une politique extérieure à repenser à partir des réalités internes

Exprimer des volontés de redéfinir la politique étrangère du Niger est une chose, mais se mettre d’accord en termes concrets sur ce que le CNSP devrait faire collectivement pour relever ce défi est une entreprise complexe et collective. Les récents évènements, comme la rupture de la coopération militaire avec la France et les États-Unis, couplée aux sanctions économiques et énergétiques de la CEDEAO (rupture de la fourniture d’électricité par le Nigéria, fermeture de la frontière du Bénin où transitent 80% des importations du Niger, etc.), imposent au Niger de repenser sa politique tant extérieure qu’interne.  Celui-ci reste un des pays où le niveau d’extrême pauvreté est très élevé : 52%, en 2023, selon les estimations de la Banque mondiale. Dans le dernier rapport 2023-2024 du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) « human development Report 2023-2024 », le pays occupe la 189e place avec un indice de développement humain (IDH) de 0,394. Sa diplomatie économique et commerciale, une des plus faibles du monde, est un sérieux défi où l’enclavement et le déficit énergétique sont déterminants. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, en 2022, seuls 19,7% des 26 millions d’habitants du Niger sont raccordés au réseau électrique. Avec peu de centrales électriques, 70% de l’électricité produite du Niger provient du Nigéria. Ainsi, les enjeux de sécurité et de gouvernance accentuent davantage sa vulnérabilité.

Contrairement aux coups d’État antérieurs survenus au Niger, celui-ci a suscité, au sein de la population, un désir très profond de changer de paradigme dans les rapports « contre-productifs » en coopération internationale et dans la gouvernance étatique en général. En témoigne le soutien populaire spontané au CNSP, une mobilisation citoyenne organisée en « brigades de veille citoyenne » pour aider les forces de défense et de sécurité à sécuriser le Niger et soutenir le CNSP et l’organisation de cycles de conférences-débats à la télévision, dans les espaces publics, mettant en scène des acteurs individuels et des groupes organisés en vue de créer les conditions d’une refonte de l’État qui sera portée par le CNSP. En outre, la population, y compris de nombreux partisans du renouveau démocratique des années 1990, considère le Gouvernement actuel comme la force propulsive du changement et peut-être même de la révolution.

Par conséquent, une orientation réussie de la politique étrangère du Niger dépend étroitement de sa capacité à répondre aux préoccupations internes et des ambitions du CNSP, qui, depuis plus d’une dizaine de mois, a apporté des changements souvent abrupts dans son agenda diplomatique. Or, il s’agissait de créer les possibilités d’élargissement des partenariats du Niger à d’autres nouveaux acteurs sans passé colonial et impérialiste (partenariats Sud-Sud par exemple), tout en faisant avancer les relations avec les anciens et actuels partenaires. En particulier, sur le plan militaire, de faire progresser au nom de la sécurité collective les partenariats vers des accords militaires inclusifs en rupture avec les logiques d’intervention comme l’installation de « bases militaires » qui ont montré leurs limites. Sur le plan économique, il s’agit de tendre vers des contrats commerciaux équitables avec des mécanismes favorisant une plus-value pour le Niger. Par exemple, la construction de parcs énergétiques, d’infrastructures routières, de transfert de technologie pour le domaine agricole, de façon à permettre au Niger de renforcer ses dynamiques de développement.

Enfin, cette nouvelle réorientation doit s’inscrire dans le cadre d’un esprit de co-construction impliquant, au-delà des institutions gouvernementales, les acteurs de la société civile et les institutions spécialisées sur les différents enjeux de la politique étrangère du Niger. Pour aller de l’avant, le cadre d’échange et du processus décisionnel ne doit plus se limiter à la présidence de la République, comme ce fut le cas ces 12 dernières années. En outre, l’outil diplomatique (services et personnel diplomatiques, etc.) doit être réadapté et formé à la nouvelle vision des autorités de transition dans un contexte régional et international en pleine mutation.

Conclusion

Le Niger, en tant qu’espace de transit entre l’Afrique et l’Europe, est confronté à des menaces et défis hybrides qui ciblent autant les sociétés africaines qu’occidentales. Dès lors, une vision en matière de sécurité ne peut faire fi de la convergence des objectifs dans la région et à l’échelle mondiale. Or, ces dernières années, la coopération en matière de sécurité et développement a été marquée par un déficit de cohérence et de coordination, dans le discours comme dans les actions. Ces éléments ont contribué à créer des fortes attentes qui ont connu une usure au fil du temps et une détérioration profonde des relations entre le Niger et ses partenaires traditionnels.

Toutefois, quitter un partenaire pour un autre sans examen approfondi des échecs et priorités de la diplomatie nigérienne revient à appliquer un cautère sur une jambe en bois. À rebours des ruptures de relations, il faut miser sur une coopération utile, à construire pas à pas et sur le temps long. En ce moment, la France et les États-Unis ne sont plus en position de décider de tout au Niger. La plupart des outils de sécurité et de développement que ces derniers utilisent pour se maintenir et bénéficier d’un traitement privilégié sont dorénavant surannés et n’ont plus l’assentiment populaire. Ainsi, la lutte contre l’insécurité ne peut plus être envisagée seulement sous le prisme des seuls intérêts occidentaux (protection des voies d’immigration et des zones d’extraction des ressources naturelles, etc.). Cet exercice de réflexion collective demeure urgent pour appréhender de façon adéquate les questions de paix, de sécurité et de développement, et pour ouvrir de nouvelles modalités relationnelles plus cordiales et capables d’équilibrer les intérêts nigériens et ceux de ses partenaires traditionnels.

En attendant, le rapprochement entre le CNSP et la Russie devrait se poursuivre tant que la défense militaire nigérienne aura besoin d’armement russe pour assurer sa sécurité. Cela dit, étant donné les limites du partenariat russe, il est difficile de prédire une relation productive à long terme entre les deux pays. Ainsi, à l’heure actuelle, il n’existe pas réellement de consensus sur ce que devrait être le rôle de la Russie au Niger.

Les relations sur le long terme entre le Niger et la Chine semblent beaucoup plus probables, même si la crise entre le Niger et le Bénin relative au « Pipeline Export Niger-Bénin » risque d’affecter leur ampleur si les processus de médiation, en cours, échouent. Cela s’explique par le fait que l’intérêt de la Chine pour le Niger précède l’actuelle rivalité entre puissances mondiales. Elle a plus récemment un intérêt affirmé pour ses projets pétroliers et uranifères au Niger. De son côté, le Niger a besoin d’investissements en provenance de la Chine, en particulier si les investissements occidentaux s’estompent en raison du caractère militaire du régime ou encore de la présence russe dans le pays.

Un autre enjeu réside dans le maintien par le CNSP de sa légitimité populaire. Puisqu’il ne peut mobiliser à long terme le soutien populaire sans poser des politiques concrètes attendues. Cette inaction pourrait l’exposer à un désenchantement de la population. En réalité, si le Conseil bénéficie d’un soutien populaire, c’est justement pour mettre en œuvre des politiques de gouvernance tant sur le plan interne qu’externe, en rupture avec le passé et les perspectives à courte vue.

Reste à savoir maintenant quand interviendront les assises nationales et les grandes réformes en diplomatie et engagements internationaux.


[1] Présidence du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie, Lettres de mission des ministères, Niamey, Présidence CNSP, 2024, p. 10.

[2] Ibidem.

[3] Ibidem.

[4] Discussion conduite avec cinq acteurs clés des mouvements de la société civile nigérienne soutenant le gouvernement du CNSP, avril 2024.

 

Crédit photo : U.S. Navy photo by MC3 (SW/AW) Evan Parker/Released

Auteurs en code morse

Ramatou Adamou Gado

Ramatou Adamou Gado (@RamRamat) est titulaire d’un doctorat de l’Université de Toulouse 1 Capitole, et enseignante chercheure au Département de science politique de l’Université Abdou Moumouni de Niamey et Chercheuse de l’Institut nigérien des études stratégiques et internationales (Inési-Niger). Elle travaille sur les questions de gouvernance de la sécurité des « États fragiles », principalement les États sahéliens et sur leur politique étrangère. Avant cela, elle a été Coordinatrice Pays de l’Institut des États-Unis pour la paix (USIP) dans le cadre de la mise en œuvre du programme État de droit, justice et sécurité au Sahel.

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