Risques biologiques émergents et CIABT

Le Rubicon en code morse
Juil 10

Abonnez-vous

Introduction

Les changements environnementaux, sociaux et technologiques introduisent des bouleversements sans précédent pour la santé et la sécurité internationale. La pandémie de Covid-19 a révélé les impacts globaux d’un événement biologique et a mis en lumière les limites des sociétés modernes à gérer ces défis complexes touchant de nombreux domaines. Cet article vise à présenter la notion de risques biologiques, notamment en se rapportant aux travaux conjoints de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), de l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR) et du Bureau des affaires de désarmement des Nations Unies (UNODA). Il considère également des tendances émergentes comme les facteurs socio-environnementaux ou les biotechnologies ainsi que leurs conséquences diverses et à des échelles différentes sur les risques biologiques qu’ils soient naturels, accidentels ou délibérés. Les risques intentionnels et le régime visant à les prévenir, les détecter et y répondre touchant plus particulièrement à la sécurité et la défense, nous soulignons dans cette contribution les implications possibles pour la Convention sur l’interdiction des armes biologiques (CIABT) et notamment pour les travaux du Groupe de travail sur le renforcement de la Convention qui se réunit jusqu’en 2025.

 

Définition des risques biologiques

Lors de la 8e conférence d’examen de la CIABT, les États parties, reconnaissant l’importance de tirer les leçons de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, avaient affirmé la nécessité de remédier au manque de capacités opérationnelles et souligné l’importance de renforcer la coopération internationale en matière de prévention des maladies infectieuses et des capacités associées.

Quelques années plus tard, en 2018, dans son agenda pour le désarmement, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a noté que « l’inquiétude face au risque croissant que constituent les armes biologiques continue d’augmenter parce que les avancées scientifiques et technologiques fragilisent les obstacles à leur acquisition, à leur accès et à leur utilisation, notamment par des acteurs non étatiques. Il faut donc renforcer la Convention sur les armes biologiques, qui permet d’envisager des mesures de prévention telles que des systèmes de santé nationaux robustes, des moyens d’intervention vigoureux et des contre-mesures efficaces ».

La pandémie de COVID-19, a brutalement rappelé les conséquences potentiellement dramatiques que pourrait entraîner la dissémination délibérée d’agents biologiques par des acteurs étatiques ou non étatiques. Elle a également mis en lumière certaines lacunes majeures qui existaient dans les mécanismes de réponse et la coordination aux niveaux national, régional et international. Enfin cet évènement a remis sous les projecteurs ces alertes de la communauté internationale et a renouvelé l’attention portée aux risques biologiques délibérés. En ce sens, plusieurs initiatives des Nations Unies ont été mises en place comme le groupe de travail sur les risques biologiques (UN-BRWG) qui a été créé en 2020 sous la direction de l’OMS et de l’UNODA. Cette initiative collaborative implique 30 organisations et vise à améliorer le rôle et les efforts des Nations Unies à prévenir et répondre aux risques biologiques en améliorant les capacités et les processus de coordination des entités du système des Nations Unies. Un effort de sensibilisation des parties prenantes est également mené en dehors du système des Nations Unies.

Dans le même esprit, en juillet 2023, l’OMS, l’UNIDIR et l’UNODA ont organisé conjointement une conférence sur les risques biologiques, la sécurité biologique et le désarmement. Cet évènement a rencontré un franc succès avec une forte participation, plus de 80 personnes de 30 pays, représentant 60 institutions en présentiel ainsi que 334 autres personnes ayant rejoint la discussion virtuellement.

L’intérêt suscité pour cette conférence a démontré que les risques biologiques ne sont pas la prérogative d’une seule entité, ceux-ci dépassant largement la compétence d’une seule organisation internationale. Tous les acteurs doivent mieux comprendre ces risques et la façon de les gérer. La lutte contre ceux-ci ne peut être entreprise de façon unilatérale et requiert des efforts de collaboration, entre États membres, Nations Unies et parties prenantes de la société civile, du monde universitaire et de l’industrie.

La complexité des risques biologiques réside dans le fait que ceux-ci se rapportent à un large éventail de scénarios possibles, qui peuvent être interconnectés et qui se manifestent en une gamme d’évènements au sein de domaines différents. En ce sens, l’OMS définit les risques biologiques comme « la probabilité ou l’opportunité qu’un événement provoqué par des accidents, une mauvaise utilisation involontaire ou délibérée des sciences de la vie puisse nuire à la santé des humains, des animaux, des plantes, de l’agriculture et de l’environnement. » Ainsi, pour faciliter la compréhension des risques biologiques, nous pouvons schématiser en les répartissant en trois catégories : les risques biologiques naturels, accidentels ou délibérés.

Les scénarios naturels correspondent à la dissémination, sans intervention humaine, d’un agent infectieux dans l’environnement et affectant la population humaine, animale ou les cultures. Les éléments biologiques correspondants peuvent s’exprimer de façon chronique ou aiguë éventuellement sous la forme de cas groupés dans un temps donné (épidémie ou épizootie).

Des événements accidentels ou non intentionnels, c’est à dire un événement involontaire qui entraîne un préjudice, tel qu’une infection, maladie ou blessure chez l’homme, les animaux, les plantes et l’agriculture, ou la contamination de l’environnement, pourraient être causés par des activités de recherche et de diagnostic : les agents biologiques sont notamment manipulés dans des laboratoires et un manque de mesures de biosécurité ou une négligence pourraient entraîner une libération accidentelle.

Enfin, les évènements délibérés désignent des actes malveillants commis avec l’intention de causer des maladies ou la mort. Les évènements délibérés peuvent causer des dommages de plusieurs façons, par exemple par la libération intentionnelle d’un agent pathogène dangereux ciblant directement les humains et/ou les animaux, ou indirectement en contaminant les aliments ou l’eau, en détruisant les cultures ou en endommageant l’environnement. Des États ou des acteurs non-étatiques, face au manque ou aux défaillances de mesures de sûreté biologique, pourraient par exemple accéder à certains agents biologiques ou aux compétences nécessaires pour cultiver certains des agents pathogènes les plus dangereux et les utiliser afin de commettre des attaques ou des actes de terrorisme. Bien que difficile à planifier, les conséquences d’une attaque ou d’un acte bioterroriste pourraient être dévastatrices. Celles-ci pourraient engendrer de nombreuses victimes mais également avoir un impact psychologique et causer des perturbations sociétales ou des pertes économiques.

A la différence des risques chimiques et nucléaires, lorsqu’un évènement biologique survient il n’est pas toujours facile d’identifier clairement son origine : naturelle, accidentelle ou délibérée. Cette difficulté peut notamment venir du manque de capacités des Etats dans le domaine de la détection et de la surveillance. L’investigation initiale de cet évènement, épidémiologique et biologique, permettra d’orienter l’identification de la source. Il faut noter que le Règlement sanitaire international qui est un instrument de droit international consistant à « prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux » donne obligation aux États membres de notifier tout événement biologique quelle que soit sa nature dès lors qu’il peut constituer une urgence de santé publique de portée internationale.

 

Risques biologiques et facteurs socio-environnementaux

De nombreux facteurs peuvent influencer la survenue de nouveaux risques biologiques, qu’ils soient naturels, accidentels ou délibérés, ou bien même influencer les trois à la fois. Les facteurs socio-environnementaux, peuvent pour certains avoir un impact direct sur l’apparition des risques biologiques naturels, c’est le cas du changement climatique ou encore de l’urbanisation. En revanche ces mêmes facteurs peuvent également simplement participer à l’accélération de la propagation d’agents infectieux d’origine accidentelle ou délibérée. Enfin, l’intérêt croissant de certains groupes terroristes pour l’utilisation d’armes biologiques pourrait être amplifié par ces facteurs socio-environnementaux, augmentant ainsi le potentiel de risques biologiques délibérés. D’après le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNDRR) : « Le 21e siècle a été témoin d’épidémies majeures et du retour de maladies anciennes comme le choléra et la peste. Ces épidémies ont souvent été alimentées par le changement climatique, la dégradation de l’environnement, l’urbanisation rapide et la pénurie d’eau. Les agents infectieux changent de comportement et prennent de l’ampleur. »

L’un des facteurs prépondérants dans l’émergence de nouveaux risques biologiques d’origine naturelle est le changement climatique. De nombreuses épidémies sont liées aux mutations globales et locales provoquées par le changement climatique, les modifications du paysage induites par l’homme ou l’impact direct des activités humaines. Des températures plus chaudes et des régimes de précipitations modifiés peuvent élargir la zone géographique et prolonger la saison de transmission de certaines maladies. Les changements dans les régimes de précipitations peuvent aussi entraîner des inondations ou des sécheresses plus fréquentes et plus intenses, affectant la qualité de l’eau et augmentant le risque de maladies. De plus, le changement climatique peut modifier les écosystèmes et perturber l’équilibre des interactions entre les espèces, conduisant potentiellement à des changements dans la dynamique des maladies infectieuses et à l’émergence de nouveaux agents pathogènes. Le changement climatique favorise également la multiplication des catastrophes naturelles, inondation, et feux de forêt, avec le déplacement massif de population qui les accompagne, lui-même facteur favorisant les épidémies.

En outre, la modification humaine de l’environnement telle que la déforestation, le développement industriel, les grands projets de contrôle de l’eau comme les barrages, peuvent faciliter le contact avec de nouveaux agents pathogènes, modifier le cycle de transmission de ces agents ou ajouter des facteurs favorisant le développement des infections liés à ces agents pathogènes.

Un exemple illustrant cet impact actuel du changement climatique sur les risques biologiques est la libération d’agents biologiques figés depuis des millénaires. Après une absence de 70 ans, une épidémie d’anthrax a par exemple été rapportée en 2016 en Sibérie, à la suite de la libération de spores d’anthrax par le dégel du permafrost.

Outre le changement climatique, certains risques biologiques sont favorisés par des facteurs sociaux comme l’urbanisation anarchique qui peut faciliter également la propagation des maladies infectieuses. En effet, dans ces conditions un accident de laboratoire ou une dissémination délibérée pourraient avoir d’autant plus d’impact. Le contexte urbain présente un environnement particulièrement favorable aux risques biologiques : densité de la population favorisant la transmission des agents infectieux, promiscuité avec des vecteurs potentiels (rongeurs et moustiques), augmentation des risques liés aux défauts d’hygiène, l’exposition potentielle de la population aux accidents biologiques de laboratoire et les conséquences accrues de dissémination délibérée d’agents infectieux dans un réseau d’eau potable par exemple.

On pourrait également mentionner les déplacements de population temporaires, avec une croissance des voyages intercontinentaux dans des délais toujours plus courts, et via des plateformes de connexion aérienne toujours plus importantes, ce qui est favorable à la transmission des maladies.

Autres facteurs majeurs, les guerres et les conflits qui entraînent souvent la destruction des systèmes de santé, d’eau et d’assainissement, exacerbent considérablement les risques biologiques à la fois en créant des conditions propices aux maladies infectieuses, mais également en nuisant à la capacité de détection et de réponse aux risques biologiques. De plus, les conflits entraînent souvent des déplacements de populations à grande échelle, entraînant des conditions de surpeuplement et d’insalubrité dans les camps de réfugiés ou les établissements informels, accroissant le risque d’épidémies.

Ces différents facteurs introduisent donc des bouleversements considérables affectant la nature et l’occurrence de certains risques biologiques. Dans un contexte de tensions internationales et d’apparition de nouveaux bouleversements climatiques, économiques et scientifiques, il apparait en outre pertinent d’analyser les risques biologiques intentionnels émergents et leur possible impact sur le régime global contre les armes biologiques, en particulier la CIABT et la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations Unies.

 

Risques biologiques délibérés et biotechnologies

Le nombre d’installations menant des activités de recherche à double usage, y compris les laboratoires « pathogènes de classe 4 » ou P4 sont en augmentation. La recherche à double usage « caractérise des connaissances, informations, méthodes, produits ou technologies générés par des recherches pacifiques ou légitimes qui peuvent être appropriés à des fins non pacifiques ou nuisibles. »

Nous assistons également à des progrès considérables la convergence des sciences de la vie avec un certain nombre d’autres disciplines telles que les sciences informatiques. Cette convergence permet la création et l’utilisation de nouveaux outils permettant de relever de nombreux défis. Nous pouvons par exemple mentionner l’émergence des laboratoires connectés ou ‘Cloud Labs’ qui permettent de mener des expériences à distance.

Ces développements favorisent un essor de la bioéconomie qui pourrait devenir une industrie mondiale générant près de 4 000 milliards de dollars par an au cours des vingt prochaines années.

Ceci pourrait permettre de développer des solutions biotechnologiques pour résoudre des problèmes liés à la santé humaine, y compris les risques biologiques, ainsi que de relever des défis dans les industries agro-alimentaires et énergétiques ou pour la CIABT, entre autres. Cependant, le spectre des risques biologiques s’étend également, en particulier les risques intentionnels. De telles fins non pacifiques comprennent le développement d’armes biologiques qui peuvent se définir simplement comme « des systèmes complexes qui disséminent des organismes pathogènes ou des toxines, pour nuire ou pour tuer des individus, des animaux, ou des végétaux. » Les technologies émergentes peuvent générer de nouvelles vulnérabilités dans les infrastructures ainsi qu’une conception plus sophistiquée des armes biologiques et la réduction de la barrière des connaissances nécessaires au développement de ces mêmes armes et des substances qui les composent, ce qui pourrait être exploité par des acteurs mal intentionnés. Plusieurs exemples peuvent illustrer ces changements et leurs implications possibles.

L’acide désoxyribonucléique (ou ADN) est la molécule qui contient l’information génétique nécessaire au développement et au fonctionnement d’un organisme. Elle code l’information biologique, notamment les instructions pour la fabrication d’une protéine ou d’une molécule d’ARN. Les technologies de synthèse de l’ADN se sont considérablement améliorées et il est désormais possible de reproduire des génomes entiers ainsi que des séquences et de modifier l’information génétique grâce à de nouveaux outils. En substance, nous savons comment mieux lire, écrire et modifier l’information génétique. Ces outils de conception biologique peuvent également être associés à l’intelligence artificielle, notamment à l’apprentissage automatique, et pourraient théoriquement permettre de créer des caractéristiques particulières d’un agent pathogène – telles que la résistance aux antibiotiques, la virulence, la transmissibilité – qui pourraient améliorer toute arme biologique et surmonter les mesures traditionnelles d’atténuation et de réponse. En outre, la possibilité de créer des agents virulents en utilisant différentes séquences d’ADN synthétisé et de les combiner pourrait permettre à des acteurs hostiles de contourner les mesures de contrôle des exportations et des transferts.

Un autre domaine d’intérêt est la convergence de la biologie et des sciences informatiques. La biologie est en effet de plus en plus utilisée concomitamment avec les technologies de l’information et de la communication (TIC) et les systèmes cyber-physiques. Ces systèmes rassemblent des éléments informatiques, des éléments de communication et des ressources physiques. Ils se trouvent dans différentes infrastructures, notamment dans les laboratoires, où ils sont couplés à des données biologiques. Les utilisations possibles vont du contrôle de l’accès aux installations à l’utilisation de bases de données connectées pour le partage d’informations sur les séquences de gènes. Ces nouveaux systèmes et les données biologiques toujours plus nombreuses créent des vulnérabilités à différents points d’entrée. Par exemple, un acteur malveillant pourrait cibler des ensembles de données confidentielles et extraire des profils de patients pour obtenir des informations critiques sur les vulnérabilités de la population. L’intégrité de certains systèmes, par exemple les systèmes de production de vaccins, pourrait également être attaquée, ce qui entraverait les réponses aux pandémies. Enfin, les mécanismes de contrôle d’accès à des sites sensibles pourraient également être ciblés, facilitant l’entrée de personnes non autorisées.

Un autre type de technologies que nous pourrions évoquer sont les grands modèles de langage (ou LLM). Les LLM sont un type d’intelligence artificielle générative et produisent des textes semblables à ceux des humains. Ces modèles s’appuient sur des réseaux neuronaux imitant les neurones humains pour apprendre à partir d’ensembles de données et créer de nouveaux contenus. Les LLM pourraient être utilisés par des acteurs hostiles pour identifier de nouveaux agents biologiques potentiels et contribuer au développement d’armes biologiques et à toxines. Nous ne savons pas encore si les LLM peuvent apporter plus que ce qui est déjà disponible en ligne grâce à l’utilisation de moteurs de recherche et au niveau de connaissances techniques préalable requis pour obtenir des informations spécifiques sur les ressources, les infrastructures et les processus à partir de ces interactions. De plus, la diffusion de mésinformation et de désinformation pendant les périodes critiques telles qu’une pandémie est un autre moyen par lequel les grands modèles de langage pourraient avoir un impact sur les risques biologiques. Ces systèmes pourraient transformer nos interactions sociales, la manière dont nous vérifions et recherchons les informations, y compris sur les mesures de santé publique, et pourraient ainsi créer de nouvelles voies possibles pour la diffusion de sources non vérifiées et éventuellement être exploités pendant des guerres informationnelles.

 

Implications pour la CIABT

Ces facteurs émergents pourraient intensifier le risque de développement d’armes biologiques et il apparait donc nécessaire de se pencher sur la pertinence du régime d’interdiction de ces armes et de contrôle des matières liées. Nous pouvons envisager diverses implications de ces tendances émergentes pour différentes dispositions de la CIABT et plus généralement le régime global contre les armes biologiques. La CIABT constitue le premier instrument multilatéral à bannir une catégorie entière d’armes. Elle a été ouverte à la signature le 10 avril 1972 et est entrée en vigueur le 26 mars 1975.

La Convention interdit de mettre au point, fabriquer, stocker, acquérir d’une manière ou d’une autre ou conserver des agents biologiques ou des toxines « de types et en quantités qui ne sont pas destinés à des fins prophylactiques, de protection ou à d’autres fins pacifiques ». Il est désormais entendu que la CIABT interdit l’emploi d’armes biologiques même si cette disposition n’est pas explicitement incluse dans le texte. La portée générale de ces interdictions permet à la CIABT de couvrir l’évolution scientifique et technologique et ainsi de garantir l’utilisation de la biologie à des fins pacifiques, telles que la surveillance des maladies et l’élaboration de contre-mesures médicales aux menaces biologiques. Néanmoins les nouveaux outils et systèmes décrits précédemment pourraient avoir des conséquences sur la conceptualisation d’une arme biologique et de la menace biologique.

L’article IV de la Convention engage les État parties à prendre toutes les mesures nationales nécessaires pour interdire et prévenir les activités avec des armes biologiques sur leur territoire, sous leur juridiction ou sous leur contrôle. Nous pourrions envisager de nouvelles bonnes pratiques en termes de mesures de mise en œuvre nationale pour atténuer les risques biologiques, y compris les risques posés par les technologies immatérielles. Ces mesures peuvent inclure des mesures de cyberbiosécurité qui sont déjà, par exemple, considérées dans la base de données sur la CIABT élaborée par l’UNIDIR et le VERTIC, qui répertorie les mesures de mise en œuvre nationale des Etats parties à la convention.

En ce qui concerne l’article X de la Convention qui appelle à une coopération internationale à travers « l’échange le plus complet possible d’équipements, de matériaux et d’informations scientifiques et technologiques pour l’utilisation d’agents bactériologiques (biologiques) et de toxines à des fins pacifiques », les implications de ces technologies pour les risques biologiques peuvent nécessiter des efforts supplémentaires afin de favoriser la coopération, l’échange de technologies, le partage d’informations dans des conditions sûres, et peut-être des processus de revue par les pairs pour comprendre et tirer des enseignements de la surveillance et des réglementations qui ont été appliquées aux activités de recherche impliquant ces technologies. La base de données sur l’Article X administrée par UNODA et la plateforme SecBio qui contient une base de données de documents, des modules d’apprentissage et un forum de discussion pourraient faciliter ce type d’échanges.

Tout ceci souligne également l’importance de faire progresser un mécanisme d’examen des sciences et des technologies pertinentes pour la CIABT, actuellement examiné par le groupe de travail sur le renforcement de la Convention. Ce mécanisme pourrait permettre aux États parties de se tenir au courant de ces développements, de comprendre les technologies et la manière dont elles pourraient avoir un impact négatif ; ou positif sur ce régime. En effet, sur cet aspect plus positif, nous pourrions citer la potentielle utilisation de l’intelligence artificielle pour certains aspects de vérification, par exemple. Un tel mécanisme pourrait également favoriser une approche plus nuancée, plus rationnelle et plus représentative de la compréhension des risques et des opportunités découlant des avancées scientifiques et technologiques.

Enfin, les difficultés structurelles de la CIABT ont favorisé l’émergence de nombreux acteurs dans les domaines de la biosécurité et biosûreté. Ce développement a comblé certaines lacunes et favorisé une approche plus inclusive de ces risques biologiques aux frontières poreuses. Néanmoins, la multiplication d’acteurs et un manque de collaboration et coordination entre eux pourrait également impacter le régime global de lutte contre les armes biologiques.

 

Conclusion

Les changements environnementaux, sociaux et technologiques introduisent des bouleversements sans précédent pour la santé et la sécurité internationale. Plusieurs acteurs prennent conscience de ces bouleversements et introduisent de nouvelles initiatives afin de définir et atténuer les risques biologiques émergents qu’ils soient naturels, non intentionnels ou délibérés. En particulier, les bouleversements socio-environnementaux et ceux liés au développement de nouvelles technologies requièrent une attention significative. Ceux-ci peuvent en effet introduire des implications pour la CIABT et plus généralement le régime global contre les armes biologiques. Les travaux du Groupe de travail sur le renforcement de la Convention qui se réunit jusqu’en 2025 avec une prochaine session en août 2024, prennent en compte ces évolutions et pourraient faciliter l’établissement de nouveaux mécanismes d’examen des sciences et des technologies pertinentes ou de coopération.  Dans un contexte de tensions croissantes et de développement rapide de certaines technologies, ceux-ci apparaissent plus pertinents que jamais. De la même façon, le manque de clarté dans la distinction des risques et la mouvance perpétuelle de ceux-ci requièrent une coordination de tous les acteurs notamment les entités du système des Nations Unies, les États, le secteur privé et la société civile, et tout particulièrement du secteur de la sécurité et de la santé publique.

 

Photo : New York National Guard

Auteurs en code morse

Louison Mazeaud et Clarisse Bertherat

Louison Mazeaud est chercheuse associée au programme ADM de l’UNIDIR, où elle se concentre sur la mise en œuvre nationale de la Convention sur les armes biologiques et à toxines (CABT). Ses domaines d’expertise comprennent les régimes réglementaires régissant les technologies à double usage, les processus institutionnels multilatéraux et les mesures de mise en œuvre nationale. Elle est titulaire d’une licence du King’s College de Londres (département des études sur la guerre) et d’un master de l’Institut universitaire de hautes études (IHEID) de Genève.

Clarisse Bertherat est chercheuse au sein du programme ADM de l’UNIDIR, où elle se concentre sur la mise en œuvre nationale de la Convention sur les armes biologiques et à toxines. Elle est spécialisée en droit international, droit international humanitaire et gestion de projets. Elle est titulaire de deux masters : l’un en droit international et européen de l’Université de Nice, l’autre en gestion de projets internationaux de l’Université de Lyon.

Suivez-nous en code morse